LE NOUVEL ELECTEUR QUEBECOIS
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À propos de ce livre électronique
Ce livre répond aux questions que pourraient se poser les étudiants de tous les cycles universitaires, les journalistes couvrant la politique québécoise et canadienne, les stratèges des partis politiques ainsi que le grand public intéressé par ces enjeux et leurs implications dans leur vie.
Avec une grande clarté, voire avec pédagogie, cet ouvrage pose les fondements d’une discussion que les auteurs engagent avec l’ensemble de la société québécoise sur un bouleversement de la politique qui se produit dans de nombreux pays.
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Aperçu du livre
LE NOUVEL ELECTEUR QUEBECOIS - Éric Bélanger
Éric Bélanger, Jean-François Daoust, Valérie-Anne Mahéo et Richard Nadeau
LE NOUVEL ÉLECTEUR QUÉBÉCOIS
Les Presses de l’Université de Montréal
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Le nouvel électeur québécois / Éric Bélanger, Jean-François Daoust, Valérie-Anne Mahéo, Richard Nadeau.
Noms: Bélanger, Éric, auteur. | Daoust, Jean-François, 1992- auteur. | Mahéo, Valérie-Anne, auteur. | Nadeau, Richard, 1959- auteur.
Collections: Paramètres.
Description: Mention de collection: Paramètres | Comprend des références bibliographiques.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220002835 | Canadiana (livre numérique) 20220002843 | ISBN 9782760645912 | ISBN 9782760645929 (PDF) | ISBN 9782760645936 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Vote—Québec (Province) | RVM: Élections—Québec (Province) | RVM: Partis politiques—Québec (Province) | RVM: Sociologie électorale—Québec (Province) | RVM: Québec (Province)—Politique et gouvernement—2018-
Classification: LCC JL258.B442 2022 | CDD 324.9714—dc23
Mise en pages: Folio infographie
Dépôt légal: 3e trimestre 2022
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2022
www.pum.umontreal.ca
Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
Remerciements
Ce fut pour nous quatre un réel plaisir que de réfléchir ensemble et d’écrire sur une période charnière de l’histoire électorale du Québec, voire de la vie politique québécoise au sens large. Il importe aux chercheurs de mieux comprendre les évolutions politiques de leur société, dont ils sont témoins et qui les interpellent aussi en tant que citoyens. Nous espérons que cet ouvrage améliorera, sous plusieurs angles, notre compréhension du Québec et des forces politiques ayant mené à l’élection historique de 2018. Nous l’avons pensé et rédigé à quatre de manière égale, d’où l’ordre alphabétique des auteurs qui a été adopté.
Nos premiers remerciements vont à Nadine Tremblay, directrice de l’édition aux Presses de l’Université de Montréal, qui nous a offert un soutien indéfectible dès les premiers mois de gestation de notre projet. Par ailleurs, la lecture très attentive et les commentaires judicieux et constructifs des deux évaluateurs anonymes sollicités par les Presses nous ont permis d’améliorer notre manuscrit. Que ces personnes en soient grandement remerciées.
Des versions préliminaires de plusieurs chapitres de cet ouvrage ont d’abord été présentées au printemps 2019 dans deux congrès scientifiques, celui de la Société québécoise de science politique tenu à Montréal et celui de l’Association canadienne de science politique organisé à Vancouver. Nous avons pu bénéficier à ces occasions des commentaires et critiques de Ruth Dassonneville, Benjamin Ferland, Allison Harell et Éric Montigny, de même que de ceux des autres participants aux tables rondes de discussion. La réaction enthousiaste de ces collègues nous a encouragés à poursuivre nos travaux sur cette élection singulière et sa signification pour la politique québécoise. Ces dernières années, d’autres collègues ont aussi grandement stimulé notre réflexion à propos du comportement électoral des Québécois par des discussions soutenues sur le sujet; nous pensons tout particulièrement ici à Frédérick Bastien, André Blais, Jean-François Godbout, Alexandra Jabbour, Mike McGregor et Laura Stephenson.
La réalisation de ce projet de recherche a été possible grâce à des subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (avec Éric Bélanger comme chercheur principal) et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (avec Richard Nadeau comme chercheur principal). Ces fonds essentiels ont permis de financer la collecte des données de notre enquête d’opinion de même que l’embauche de plusieurs assistants de recherche, dont le travail fut inestimable. À ce chapitre, nous souhaitons remercier les personnes suivantes pour leur aide précieuse: Sébastien Poitras et Ariane Beaulieu de la firme d’opinion Léger, El Hadj Touré à l’Université de Montréal, et Philippe Chassé, Andréa Febres-Gagné et Gaby González-Sirois à l’Université McGill.
Ce projet de recherche aura contribué à agrandir la «famille» des études électorales québécoises en joignant aux deux chercheurs établis que sont Éric Bélanger et Richard Nadeau deux figures de la relève. Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada aura aussi joué sur ce plan un rôle crucial. Valérie-Anne Mahéo s’est vue étroitement associée, d’abord comme postdoctorante puis comme cochercheure, à la subvention du CRSH qui a couvert le financement principal du projet. Pour sa part, Jean-François Daoust a bénéficié d’une bourse postdoctorale de ce même organisme en 2018-2019, qui lui a permis de travailler sur ce livre. Il aimerait également remercier ici le Département de science politique et relations internationales de l’Université d’Édimbourg pour son appui continu depuis.
CHAPITRE 1
Une recomposition de l’espace partisan au Québec
Parti politique créé à peine sept années auparavant par l’ex-entrepreneur et ex-ministre péquiste François Legault, la Coalition avenir Québec (CAQ) a été le grand vainqueur de l’élection du 1er octobre 2018 au Québec. La formation politique est parvenue à renverser le gouvernement libéral de Philippe Couillard, mettant ainsi fin à l’alternance traditionnelle au pouvoir du Parti libéral du Québec (PLQ) et du Parti québécois (PQ). Au soir du scrutin, le parti de François Legault remportait 74 des 125 sièges de l’Assemblée nationale du Québec, ce qui lui permettait de former un gouvernement majoritaire. Avec 31 sièges, le PLQ devenait l’opposition officielle à Québec, tandis que les autres sièges de l’Assemblée nationale allaient au PQ et à Québec solidaire (QS), ces deux formations politiques remportant 10 sièges chacune.
Une percée électorale comme celle qu’a vécue la CAQ en 2018 demeure un phénomène très rare au Québec. En effet, la province n’avait connu la victoire d’un nouveau parti politique qu’à deux autres occasions depuis les débuts de la Confédération canadienne en 1867. À l’élection de 1936, l’Union nationale (UN) de Maurice Duplessis, issue l’année précédente d’une alliance entre le Parti conservateur provincial et l’Action libérale nationale (un parti de dissidents libéraux), parvient à mettre un terme à près de 40 années consécutives de gouverne libérale (Dirks, 1991). À l’élection de 1976, le Parti québécois de René Lévesque, créé huit ans auparavant, s’impose pour remporter la victoire, ce qui prépare le terrain à la tenue quatre ans plus tard d’un premier référendum portant sur l’enjeu central de la plateforme défendue par le PQ, à savoir la souveraineté du Québec. À ces deux moments charnières, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle formation politique a durablement transformé le bipartisme québécois, qui a jusqu’ici toujours eu tendance à mettre en opposition une formation «rouge», le PLQ, à une autre formation politique «bleue» (le Parti conservateur d’abord, puis l’UN suivie du PQ).
C’est donc dire à quel point la victoire de la Coalition avenir Québec au scrutin de 2018 constitue un événement historique qui justifie en soi un examen approfondi des motivations ayant mené les électeurs québécois à accorder un mandat majoritaire à un nouveau parti politique. C’est ce que nous proposons de faire dans cet ouvrage. Ce faisant, une des questions centrales qui guideront nos analyses consistera à se demander si le résultat de l’élection québécoise de 2018 ne reflète qu’une simple volonté de changement ou s’il ne représente pas également un bouleversement plus profond, et potentiellement plus durable, du comportement électoral des Québécois. En d’autres termes, le résultat de ce scrutin correspond-il, oui ou non, à la consolidation d’un nouvel ordre électoral au Québec ?
Cette question est pertinente, car après tout, la percée effectuée en 2018 par la CAQ n’est pas survenue du jour au lendemain. Il est important de comprendre que celle-ci constitue, d’une certaine manière, l’aboutissement d’une évolution lentement amorcée dans les années 1990 avec l’apparition de l’Action démocratique du Québec (ADQ), et qui s’est accentuée à partir du milieu des années 2000 avec les appuis plus larges accordés à l’ADQ (Boily, 2008) puis à la CAQ qui lui succède1, de même qu’à Québec solidaire, formation créée en 2006 et qui voit ses appuis augmenter de manière modeste mais continue au cours de cette même période. Le graphique 1.1 illustre l’évolution des appuis aux partis politiques aux élections provinciales tenues entre 1970 et 2018, une période qui correspond au troisième système partisan québécois (Pelletier, 2012)2. La courbe supérieure du graphique montre l’appui électoral combiné des deux partis de gouvernement de cette période (PLQ et PQ) tandis que la courbe du bas représente la part totale des votes accordés à des tiers partis (c’est-à-dire autres que le PLQ ou le PQ). Le graphique montre bien à quel point le duopole PLQ-PQ a perdu du terrain au profit des tiers partis durant la deuxième moitié de la période (voir aussi Godbout, 2013).
Le graphique 1.2 permet quant à lui d’examiner de manière plus précise la trajectoire électorale de chacun des quatre partis actuellement représentés à l’Assemblée nationale. On y constate d’abord qu’avant 2007, le Parti libéral du Québec s’est aisément maintenu au-dessus du seuil de 40% des voix exprimées, à la seule exception de l’élection de 1976 (34% du vote). Depuis 2007, les résultats du PLQ ont toutefois suivi une évolution en dents de scie, se maintenant néanmoins à plus de 30% du vote, à l’exception du tout dernier scrutin où le PLQ a recueilli le soutien le plus faible depuis sa création il y a 150 ans. En effet, le parti a pour la première fois recueilli un peu moins de 25% du vote lors de l’élection de 2018. La tendance générale de ses appuis dans le temps, depuis les années 1970, s’avère donc à la baisse, comme l’illustre le trait pointillé dans le graphique. La trajectoire suivie par le Parti québécois s’avère légèrement différente. Le parti connaît une émergence rapide en doublant ses appuis aux quatre premières élections auxquelles il prend part (1970-1981). Son soutien se met ensuite à décliner de manière lente mais continue. Cette dynamique d’ensemble est toutefois ponctuée à deux reprises par un regain d’appui au PQ à l’occasion de son retour au pouvoir en 1994 et de son retour en 2008 comme opposition officielle, après s’être fait ravir ce statut l’année précédente par l’ADQ de Mario Dumont.
Parallèlement au déclin des deux partis de gouvernement de la période, deux autres formations politiques connaissent une ascension graduelle qu’illustre également le graphique 1.2. Créée en 1994, l’Action démocratique du Québec voit d’abord ses appuis surtout concentrés dans les régions de Rivière-du-Loup (la circonscription de son chef Mario Dumont) et de la Beauce. Mais en 2007, le parti crée la surprise en devançant soudainement le PQ dans le vote populaire et en devenant l’opposition officielle à l’Assemblée nationale, à la faveur d’une poussée de ses appuis en Mauricie, dans les couronnes nord et sud de Montréal, et dans une partie de la région de Québec. Porté par la crise des accommodements raisonnables et le thème de l’identité québécoise, le parti obtient alors 31% des votes exprimés. Bien que les résultats de l’ADQ à l’élection suivante de 2008 soient décevants, et ramènent le parti sous la barre des 20% de voix exprimées, le courant idéologique de droite et nationaliste qu’il incarne remonte dans le vote populaire dès 2012 au moyen d’un nouveau véhicule: la Coalition avenir Québec (Boily, 2018). La CAQ obtient 27% des votes dès sa première participation électorale. L’élection suivante de 2014 témoigne d’un léger recul du parti dans les voix exprimées, mais l’élection de 2018 voit finalement la CAQ former un gouvernement majoritaire.
Le quatrième et dernier parti politique représenté au graphique 1.2 est Québec solidaire. Cette formation incarnant un courant idéologique de gauche, féministe et écologiste présente des résultats électoraux beaucoup plus modestes que les trois autres partis, obtenant moins de 10% des votes au cours de ses quatre premières participations aux élections provinciales (2007-2014). Malgré tout, QS fait preuve d’une lente mais nette progression, affichant des gains d’un scrutin à l’autre. Cette tendance générale à la hausse se concrétise en 2018 par un soutien populaire presque égal à celui du PQ (16% des votes pour QS contre 17% pour le PQ), une députation qui est triplée en nombre par rapport à la précédente élection (avec 10 députés, égalant le nombre d’élus péquistes le soir de l’élection) et qui s’étend pour la première fois à l’extérieur de Montréal, ainsi que l’accession (après négociations) au statut de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
En somme, depuis une dizaine d’années environ, le Québec est graduellement passé d’un bipartisme «tenace», pour paraphraser Réjean Pelletier (2012), à une forme de multipartisme (Dufour et Montigny, 2020). Quelles sont les bases de ce multipartisme au sein de l’électorat et en quoi paraissent-elles durables ? À cet égard, deux interprétations, en partie complémentaires, du résultat du 1er octobre 2018 sont possibles. On peut y voir d’abord une volonté de changement qui aurait amené les électeurs à rejeter le gouvernement libéral en place (Durand, 2019). Il est d’ailleurs possible que ce mouvement se soit amplifié dans les tout derniers moments de la campagne, faussant du coup les pronostics de sondage (Durand et Blais, 2020). Cette interprétation paraît cependant incomplète dans la mesure où les électeurs québécois n’ont pas canalisé leur mécontentement envers le PLQ en reportant leur soutien sur l’autre parti «naturel» de gouvernement au Québec depuis près de 50 ans, le Parti québécois.
Le rejet des deux piliers du système partisan en place au Québec depuis le début des années 1970 laisse supposer que le scrutin de 2018 représente davantage qu’une simple élection de changement, au sens plutôt limité qui est généralement accordé à ce terme. Les mouvements importants du vote lors de cette élection semblent plutôt indiquer l’influence accrue de nouveaux enjeux qui structureraient maintenant le vote des Québécois (González-Sirois, 2019). Plusieurs analystes de la dynamique électorale québécoise ont déjà noté l’incidence moindre sur le comportement électoral du clivage concernant la question du statut constitutionnel du Québec (Nadeau et Bélanger, 2013; Montigny, 2016; Guay et Gaudreau, 2018; Daoust et Jabbour, 2020). Il n’est pas impossible de croire que ce phénomène ait pu permettre à d’autres enjeux clivants, comme la diversité ethnoculturelle ou la question environnementale, de structurer les choix électoraux des Québécois en 2018 et, dès lors, de recomposer l’espace partisan. Bien qu’on puisse parfaitement lire dans le vote de 2018 une volonté de balayer 15 années de gouverne libérale, les analyses présentées dans ce livre mettent aussi en évidence les contours d’une reconfiguration significative de l’espace partisan au Québec, dans un sens qui n’est pas sans rappeler ce qu’on a pu observer dans plusieurs démocraties occidentales au cours des dernières décennies.
Un nouvel axe de compétition électorale au Québec ?
D’abord considérée comme un enjeu de campagne au moment de son apparition sur la scène électorale en 1970 (Lemieux, Gilbert et Blais, 1970), la question de la souveraineté du Québec s’est rapidement imposée pour devenir un véritable clivage structurant du troisième système partisan québécois (Bélanger et Nadeau, 2009). Ce clivage a longuement opposé les partisans péquistes, largement en faveur de la souveraineté, aux partisans libéraux, fortement opposés à cette option constitutionnelle. La polarisation électorale engendrée par cette question, parfois appelée le «clivage Oui-Non» (voir entre autres Montigny, 2016), a longtemps eu pour effet de marginaliser les autres formations politiques, renforçant du