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Le QUEBEC EN MOUVEMENTS - CONTINUITE ET RENOUVELLEMENT DES PRATIQUES MILITANTES: Continuité et renouvellement des pratiques militantes
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Livre électronique587 pages6 heures

Le QUEBEC EN MOUVEMENTS - CONTINUITE ET RENOUVELLEMENT DES PRATIQUES MILITANTES: Continuité et renouvellement des pratiques militantes

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À propos de ce livre électronique

Écrit dans un style clair, accessible, cet ouvrage brosse le portrait des principaux mouvements sociaux actifs au Québec ainsi que de pratiques et de groupes émergents. Dans une perspective aussi bien historique que « cartographique », il propose un panorama complet de différents secteurs qui ont marqué le Québec contemporain – syndical, étudiant, féministe, de locataires, antiraciste, animaliste, communautaire, autochtone et environnemental, mais aussi de mouvements antiféministe ou d’extrême-droite. Traitant de formes renouvelées d’activisme et de pratiques culturelles, le livre rassemble les points de vue de différentes générations de chercheuses et de chercheurs engagés qui portent un regard élargi sur ces mouvements devenus incontournables dans la société québécoise.
LangueFrançais
Date de sortie22 nov. 2023
ISBN9782760649309
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    Aperçu du livre

    Le QUEBEC EN MOUVEMENTS - CONTINUITE ET RENOUVELLEMENT DES PRATIQUES MILITANTES - Pascale Dufour

    Sous la direction de Pascale Dufour, Laurence Bhereret Geneviève Pagé

    LE QUÉBEC EN MOUVEMENTS

    Continuité et renouvellement des pratiques militantes

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Le Québec en mouvements: continuité et renouvellement des pratiques militantes / Pascale Dufour, Laurence Bherer, Geneviève Pagé.

    Noms: Dufour, Pascale, 1971- auteur. | Bherer, Laurence, auteur. | Pagé, Geneviève (Auteure de Québec en mouvements), auteur.

    Description: Mention de collection: Action politique | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 2023012352X | Canadiana (livre numérique) 2023012366X | ISBN 9782760649286 | ISBN 9782760649293 (PDF) | ISBN 9782760649309 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Mouvements sociaux—Québec (Province) | RVM: Participation sociale—Québec (Province) | RVM: Cybermilitantisme—Québec (Province) | RVM: Québec (Province)—Conditions sociales—1991-

    Classification: LCC HN110.Q8 D84 2023 | CDD 303.48/409714—dc23

    Mise en pages: Chantal Poisson

    Dépôt légal: 4e trimestre 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2023

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada, le Fonds du livre du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    In memoriam

    Pierre Beaudet est décédé subitement en 2022, durant la réalisation de cet ouvrage. Le chapitre Québec Solidaire et les mouvements sociaux est donc une publication posthume. Ronald Cameron, son complice, a accepté de se charger de la version finale du chapitre. Pierre Beaudet était un grand défenseur de la justice sociale. Il considérait les mouvements sociaux comme une nécessité, une garantie de la santé d’une société, mais surtout, comme le lieu de création et de refondation du politique. Selon lui, sans les mouvements sociaux, point d’alternatives politiques, et c’est une des raisons pour lesquelles il a tant œuvré à nourrir les terreaux de leur épanouissement: les revues, les livres, les colloques, les solidarités entre les Nords et les Suds. Nous espérons sincèrement ne pas avoir trahi sa pensée. Ce livre lui est dédié.

    INTRODUCTION

    Pascale Dufour, Laurence Bherer et Geneviève Pagé

    En langage courant, l’expression «mouvement social» désigne généralement l’action collective de personnes mécontentes réclamant ou revendiquant des changements en utilisant pour s’exprimer la rue et la manifestation (plutôt que le parlement ou l’Assemblée nationale). Cette définition n’est pas fausse en soi, mais elle manque de précision et soulève plusieurs questions: qu’est-­ce qui est collectif? Pourquoi certaines personnes utilisent-­elles la rue alors que d’autres, tout aussi mécontentes, ne le font pas? Est-­ce que descendre dans la rue pour demander le statu quo ou le retour à un passé idéalisé fait partie de la définition de mouvement social? Les chercheurs et chercheuses qui travaillent sur les mouvements sociaux sont arrivés à une définition minimale commune (qui laisse de côté les caractéristiques sur lesquelles ils et elles ne s’entendent pas): les mouvements sociaux sont des réseaux informels d’acteurs collectifs et individuels, fondés sur des croyances partagées et des pratiques de solidarité, qui se mobilisent sur des sujets conflictuels à partir de diverses formes de protestation sur une base relativement fréquente (Della Porta et Diani, 2006). Les mouvements sociaux sont donc des regroupements très décentralisés, plus ou moins coordonnés, qui font preuve d’une grande créativité pour faire valoir un enjeu collectif important pour leurs membres. La protestation vise autant les institutions que les pratiques culturelles et sociales dominantes d’une société.

    Cette définition permet de départager ce qui relève des mouvements sociaux de ce qui relève du hasard ou de mauvaises habitudes. Neveu (2011) prend l’exemple de «l’opération tortue» sur l’autoroute, qui est une action concertée entre des conducteurs portant des revendications à propos du prix du carburant et le fait de faire partie bien involontairement d’un bouchon de circulation. Dans les deux cas, des conducteurs se retrouvent immobilisés sur l’autoroute, mais l’un est une action collective et l’autre non. Cette définition permet aussi de préciser que, pour faire partie d’un mouvement social, il n’est pas nécessaire d’avoir une appartenance formelle à une organisation: on peut, par exemple, se reconnaître dans le mouvement féministe et participer à la manifestation du 8 mars pour le droit des femmes, sans toutefois avoir de carte de membre d’un groupe en particulier.

    Les mouvements sociaux sont des mal-­aimés, autant comme objet de recherche que comme acteurs politiques légitimes. En Amérique du Nord, l’objet analytique «mouvement social» se situe clairement à la marge de la science politique, où les politologues préfèrent traiter des institutions politiques, des partis ou des acteurs qui sont directement en lien avec eux, comme les groupes d’intérêt et les lobbys. C’est plutôt la sociologie et l’histoire qui s’intéressent aux mouvements sociaux. Au Québec, le nombre de chercheurs et chercheuses considérant cet objet au centre de leur analyse est traditionnellement faible. À titre d’illustration, le nombre de cours portant spécifiquement sur l’action collective ou les mouvements sociaux est bas dans les universités. Les mouvements sociaux sont aussi peu appréciés par les gouvernements représentatifs, qui voient dans leurs acteurs des «fauteurs de trouble» ou des «empêcheurs de réforme», négligeant ainsi leur apport à la politique et à la construction du vivre-­ensemble. Malgré ce manque de reconnaissance, l’influence des mouvements sociaux n’est pas négligeable. Par exemple, après six mois de crise sociale mise en branle par le mouvement étudiant et ses alliés, Jean Charest, à l’époque premier ministre du Québec, avait déclenché des élections générales: la rue avait réussi à imposer son programme à la classe politique.

    On note également une forme d’invisibilisation de l’action collective dans les médias au profit d’une actualité orientée vers les institutions et les acteurs déjà reconnus. Traditionnellement, les médias donnent plus d’attention aux récits d’individus particuliers (des entrepreneurs sociaux) et négligent l’histoire des mobilisations qui ont cours dans plusieurs pans de la société. Le traitement des actions protestataires par les journalistes s’attache principalement à mettre en évidence les effets jugés délétères de la protestation. On ne s’intéresse à ces mobilisations que lors d’actions directes spectaculaires comprenant du bris de matériel ou encore des échauffourées avec les forces de police. D’ailleurs, les militants et les militantes ne s’y trompent pas: un des objectifs des actions de protestation est justement d’attirer l’attention des journalistes pour bénéficier d’une couverture médiatique minimale. Le relais dans l’espace public est souvent primordial pour l’atteinte même partielle des objectifs de transformation.

    Pourtant, les mouvements sociaux sont au cœur de la vie politique, et ce, depuis bien longtemps. La présence des mouvements sociaux dans les démocraties libérales n’est pas nouvelle, on pourrait même dire qu’elles sont nées avec eux. C'est la mobilisation populaire qui a conduit à l’adoption de beaucoup de nos droits civiques et sociaux: le droit de vote de certaines femmes1, adopté en 1940 au Québec, avec notamment la mobilisation du mouvement des suffragettes; le droit de grève sous l’impulsion du mouvement ouvrier, qui n’a pas attendu la reconnaissance de ce droit pour faire grève, justement; l’élargissement de l’union civile aux personnes de même sexe en 2002 à la suite des mobilisations de la communauté LGBT, etc. On pense également à des initiatives plus localisées, comme le travail du mouvement cycliste qui permet progressivement d’installer les conditions d’une pratique du cyclisme plus sécuritaire à Montréal et dans différentes régions du Québec. Des luttes locales ont permis de préserver des milieux humides, des bâtiments patrimoniaux, des forêts, etc.; autant de petites victoires qui ne font pas les manchettes, mais qui ne participent pas moins au changement des institutions et des mentalités. Ainsi, les luttes sociales ont toujours été à l’avant-­garde des transformations sociales.

    Étudier les mouvements sociaux, c’est aussi mieux comprendre le «centre», c’est-­à-dire le système partisan, les dynamiques politiques entre les partis, les clivages politiques en présence et les forces sociales qui les soutiennent. Par exemple, en étudiant les mouvements sociaux au Québec, on peut se rendre compte de l’importance de la question du statut politique du Québec au sein du Canada. Cet enjeu politique a à la fois freiné l’expression d’une gauche partisane autonome et permis des alliances ponctuelles avec les partis (dont le Parti québécois) pour faire reconnaître les organismes communautaires comme des experts de leur secteur d’intervention, qui devaient être reconnus comme tels et soutenus financièrement par l’État. Cette histoire liant mouvements sociaux et partis politiques autour de la question nationale a de toute évidence joué un rôle important dans la trajectoire et le contenu des politiques sociales du Québec (Jetté, 2008; White, 2008; Dufour, 2019), permettant des expériences comme les cliniques de santé et garderies populaires; expériences parfois même institutionnalisées par l’État sous d’autres formes.

    Mesurer les effets de l’action politique des mouvements sociaux n’est pas une tâche facile. Les acteurs de ces mouvements, plutôt loin des institutions, ne sont pas en mesure de prendre les commandes de la décision publique; l’effet est donc toujours indirect. En revanche, ils peuvent revendiquer des réformes, inventer d’autres manières de considérer les problèmes et les solutions, imaginer des alternatives à l’organisation politique et sociale (comme dans le slogan «d’autres mondes sont possibles», autour de la question de la mondialisation), et se porter à la défense de certains droits qu’ils jugent en danger ou bafoués (par exemple, la défense de l’accès au logement comme un droit ou la défense du service public en santé). Les mouvements sociaux exercent un rôle de vigilance sur l’action des pouvoirs publics et, surtout, ils participent à la réinvention ou à la refondation du social (Guay et al., 2005). Par exemple, lors du mouvement Black Live Matters de l’été 2020, l’idée d’un définancement de la police (en faveur d’un réinvestissement dans des programmes sociaux de lutte contre les inégalités) a circulé dans l’espace public alors que cette revendication, qui existe depuis des décennies dans les milieux antiracistes, n’avait jamais réussi à retenir l’attention médiatique.

    Ce livre traduit ce besoin de prendre régulièrement la mesure de la vitalité de cette réalité politique sous-­estimée pour mieux comprendre les transformations de la politique protestataire. Il est la suite d’un premier ouvrage paru en 2008 qui partait d’une même conviction, soit celle de considérer les mouvements sociaux comme des acteurs centraux de la vie politique du Québec (Dupuis-­Déri, 2008). Québec en mouvements: idées et pratiques militantes contemporaines faisait une large place aux luttes contre la mondialisation (anti et altermondialisme) qui avaient redessiné les contours des luttes sociales au Québec, remettant les acteurs progressistes au centre des dynamiques politiques – ou en tout cas plus au centre qu’ils ne l’avaient été dans la décennie précédente – avec par exemple, les mobilisations du contre-­sommet de Québec en septembre 2001 et l’organisation de la Marche mondiale des femmes en 2000 (MMF). Ces acteurs et ces coalitions avaient reposé la question de la convergence des luttes et certains avaient nourri l’espoir de voir naître une gauche partisane issue des mouvements sociaux, avec la création de Québec solidaire en 2006.

    Or, on note que l’époque des luttes contre la mondialisation des années 2000 semble en partie révolue. Depuis la crise financière et économique de 2008, il y a un retour partiel vers le caractère national des mobilisations, qui place au cœur des luttes l’enjeu des inégalités sociales. En Amérique du Nord, le mouvement Occupy a d’ailleurs été un des fers de lance de cette transformation. Plus récemment, durant l’été 2020, les luttes antiracistes ont elles aussi occupé le devant de la scène un peu partout sur la planète, mais avec des déclinaisons nationales qui les ont distinguées fortement. Le mouvement pour la justice climatique et l’environnement est peut-­être le seul qui maintient de forts réseaux transnationaux, bien que le quotidien de ses luttes s’ancre principalement dans le local et le national.

    Aujourd’hui, à l’heure où le système partisan québécois connaît une importante recomposition, il y a fort à parier que nous pourrons beaucoup apprendre de ces militants et militantes qui quotidiennement luttent, inventent, créent et font bouger les choses. La crise de la politique partisane rappelle en effet combien il est important de regarder les autres espaces où se construit la politique d’aujourd’hui et de demain.

    Le portrait des mouvements sociaux au Québec a changé depuis 2008 parce que la manière d’appréhender cet objet a changé autant pour les chercheurs et chercheuses qui étudient ces phénomènes que pour les personnes qui s’y engagent. D’abord, les réseaux sociaux sont devenus un outil de mobilisation incontournable pour la militance, un phénomène visibilisé à l’international par le Printemps arabe en 2010, aussi appelé la Révolution 2.0. Les écrits scientifiques sur les médias sociaux tendent de plus en plus à dépasser l’idée d’une dichotomie entre les actions «réelles» et «virtuelles», l’activisme «en ligne» ne pouvant plus être pensé comme séparé de la vie réelle. Cette porosité s’illustre dans ce livre autant par des mobilisations sur les réseaux sociaux se traduisant en résultats «réels», comme le montre le chapitre Le mouvement Ma place au travail, où des mères se mobilisent en ligne et obtiennent des transformations législatives, que dans les conséquences virtuelles des mouvements hors-­ligne, comme la cyberviolence décrite dans le chapitre L’usage des cyberviolences comme tactiques de répressions contre les activistes antiracistes et féministes au Québec. Les auteurs et autrices mettent en exergue des actions de transformation sociale qui ont lieu à une échelle individuelle et dont la concertation collective n’est que très peu organisée, voire absente. Ce phénomène de participation plus informelle existait auparavant, mais c’est seulement récemment que les recherches sur cette forme d’engagement se sont multipliées. Les médias sociaux ont favorisé une nouvelle visibilité de ces actions et ont accru leur efficacité en permettant une coordination minimale entre individus ou petits collectifs informels participant souvent en marge à un mouvement. Qu’elle soit abordée directement ou non, la présence de l’Internet et des réseaux sociaux est maintenant indissociable des mobilisations des quinze dernières années.

    Ce livre rend aussi compte des difficultés vécues par les mouvements sociaux traditionnels et des reconfigurations internes mises en place pour y faire face. Malgré la légitimité assez établie d’organismes comme la Fédération des femmes du Québec (FFQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) ou le Regroupement des comités de logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), on voit dans les différents chapitres les obstacles auxquels ils font face: perte de légitimité, conflits internes, reconfiguration de l’élite politique, intégration des enjeux environnementaux, intersectionnalité des oppressions, néolibéralisme ou individuation des enjeux.

    Le livre rend compte de ces enjeux, non seulement en se penchant sur des objets traditionnels, mais aussi de manière transversale et par des locus décentralisés. Par exemple, les discussions sur le féminisme ne se limitent pas aux chapitres traitant du mouvement féministe; le féminisme fait partie de la conversation dans les mouvements de petite échelle ou éphémères, comme les raves queers, et dans les mouvements étudiants, autochtones ou antiracistes. De la même manière, le mouvement environnemental tout comme les luttes autochtones sont traités davantage comme des constellations d’acteurs et d’enjeux, qui sont présents dans les luttes spécifiques (pratiques de glanage ou de verdissement), mais aussi dans les autres mouvements (étudiants, féministes, etc.).

    Plusieurs chapitres mettent en lumière les zones grises des frontières entre l’individuel et le collectif, entre les actions atomisées et les mouvements de lutte. En particulier, le chapitre d’Alexia Renard souligne la politisation du véganisme et son basculement politique vers l’antispécisme. Le chapitre posthume de Pierre Beaudet (en collaboration avec Ronald Cameron) discute de la frontière entre les partis politiques et les mouvements sociaux. Le chapitre sur la syndicalisation du milieu communautaire met en évidence la mince ligne entre l’amitié et l’hostilité, entre le patronat et le salariat. Ainsi, certains chapitres constituent un portrait des mouvements classiques, alors que d’autres (car ces mouvements classiques ne sont pas les seuls acteurs des changements sociaux) ont changé les échelles afin de mettre l’accent sur des microréalités, des débats internes et des processus peu explorés de redéfinition des frontières.

    Dans cette nouvelle parution, Le Québec en mouvements: continuité et renouvellement des pratiques militantes, il nous a paru important de considérer les mouvements conservateurs, voire réactionnaires et fascisants, qui ont pris de l’ampleur depuis 2008. Ce choix reflète aussi l’évolution de la recherche sur les mouvements sociaux, qui souligne depuis vingt ans le peu de connaissance que nous avons des mouvements conservateurs. Cette omission de la recherche quant aux mouvements conservateurs vient du fait qu’on considère généralement les acteurs politiques des mouvements sociaux comme progressistes. Or, il est devenu difficile d’ignorer ces autres acteurs conservateurs ou réactionnaires. Plusieurs signaux indiquaient déjà leur présence avant la pandémie; mais le contexte sanitaire leur a offert une nouvelle visibilité, notamment avec la mobilisation des camionneurs dans la capitale fédérale au début de 2022.

    À cet égard, les années de pandémie mondiale n’auront pas été une parenthèse, mais bien un facteur déterminant de la reconfiguration des luttes sociales: hausse des mouvements conservateurs et d’extrême droite, arrêt brusque des luttes écologistes qui commencent à se relever en 2022; déstructuration partielle des milieux progressistes, empêchés de se voir et d’échanger pendant quasiment deux ans. Néanmoins, la COVID-19 n’a pas créé le changement, elle a accéléré les transformations.

    L’espace protestataire (Dufour, 2013) apparaît plus fragmenté aujourd’hui, à la fois entre les mouvements et à l’intérieur de chacun d’entre eux (comme le mouvement des femmes, plus divisé publiquement que dans les années 2000). L’espace protestataire apparaît aussi plus fragile, notamment à cause des enjeux climatiques impossibles à ignorer pour les acteurs sociaux progressistes, sans pour autant savoir comment les intégrer à leurs propres luttes. Ici, le mouvement étudiant du Québec est particulièrement instructif. Il a été à l’avant-­plan de la contestation sociale sur les questions de frais de scolarité (2012), mais aussi sur des enjeux plus larges de marchandisation de l’éducation (2012, 2013, 2015), de reconnaissance des stages comme travail rémunéré (2017, 2022), sur les mobilisations contre l’austérité (2015), sur les luttes écologistes (2019 et 2020). Ce sont les étudiants et étudiantes mobilisées (avec d’autres, notamment les communautés autochtones) qui ont permis qu’un demi-­million de personnes défilent dans les rues de Montréal et d’autres villes du Québec le 19 septembre 2019 pour l’environnement. Même si cette mobilisation massive (une des plus importantes à l’échelle de la planète) a eu des effets qui sont peu visibles, elle a toutefois le mérite d’avoir placé l’enjeu environnemental à l’avant-­plan du débat public. Or, pendant que les énergies étudiantes sont tournées vers la défense du climat, qui s’occupe des droits des étudiants? La défense de la planète induit une recomposition majeure des autres enjeux de lutte, dont nous n’avons pas encore tiré les analyses. Enfin, l’espace protestataire se révèle de plus en plus hétérogène socialement. Si on considère le large spectre des mobilisations, incluant les actions collectives réactionnaires et d’extrême droite, la figure du militant de la classe moyenne, dominant dans les mouvements sociaux des démocraties libérales depuis les années 1970, n’a plus le monopole de la contestation. En 2022, d’autres catégories sociales ont pris la rue (pensons aux mouvements des camionneurs, anti-­mesures sanitaires ou des mères exigeant des places en garderie). Si la régulation politique semble très chaotique et incertaine dans son ensemble, c’est peut-­être parce que les partis jouent de moins en moins le rôle de relais de ces mécontentements multiples au sein de l’arène institutionnelle, creusant le fossé entre ce que les citoyens et citoyennes réclament et ce que les partis leur offrent.

    Cet ouvrage rassemble des chercheurs et chercheuses de diverses générations autour de sujets variés. L’idée a été initiée par le Collectif de recherche Action Politique et Démocratie (CAPED), une équipe de recherche soutenue par les Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) depuis 2019, qui s’intéresse à l’action politique non électorale2. Le CAPED regroupe sept chercheurs et chercheuses de quatre institutions universitaires (l’Université de Montréal, l’Université du Québec à Montréal, l’Institut national de la recherche scientifique et l’Université du Québec en Outaouais) et leurs étudiants et étudiantes des cycles supérieurs. Plusieurs des chapitres de cet ouvrage sont donc signés par des membres de ce collectif de recherche. Les sujets traités dans cet ouvrage se fondent sur des recherches empiriques actuelles et approfondies, en partie tirées de recherches doctorales, ainsi que sur une expertise de longue date du secteur considéré.

    L’ouvrage est organisé de manière à mettre en lumière les convergences et les imbrications précédemment mentionnées. En effet, comme la lecture des chapitres le montrera, les liens entre les mouvements sont fluides et l’exercice de les cantonner à des catégories traditionnelles est de plus en plus difficile. Nous avons ainsi choisi de mettre en dialogue les chapitres se rapprochant thématiquement les uns des autres. Par conséquent, nous passons souvent d’une échelle à l’autre, nous attardant parfois à des initiatives collectives très locales, parfois à des luttes provinciales ou internationales; à certains moments, les mouvements sont embryonnaires ou éphémères alors qu’à d’autres, ils sont institutionnalisés et bien implantés. Ce va-­et-­vient entre les échelles reflète également la réalité de la militance qui conduit plusieurs acteurs et actrices à s’impliquer autant dans leur quartier que dans des organisations plus traditionnelles. De même, cette organisation des chapitres nous permet d’aborder le continuum de la militance en ligne et hors ligne.

    Nous ouvrons donc ce livre sur un des mouvements classiques, le mouvement étudiant qui a été particulièrement actif dans les quinze dernières années (Pascale Dufour et Francis Dupuis-­Déri). Au-­delà de la grève de 2012, c’est également un mouvement qui a tenté, tant bien que mal, de se renouveler et d’intégrer de nouveaux enjeux dans ses revendications. En effet, les récentes grèves pour la rémunération des stages témoignent du décentrement des revendications habituelles, s’ancrant davantage dans la réalité des secteurs féminins (enseignement, soins infirmiers, travail social, etc.) ou, comme le mentionne une militante, dans celle des «prolos de l’université» (p. 30). Enfin, les enjeux climatiques se sont aussi déplacés vers le centre des mobilisations étudiantes.

    Le deuxième chapitre (Sophie L. Van Neste, Zaïnab El Guerrab, René Audet et Hélène Madénian) porte justement sur les mouvements écologistes et analyse comment la justice climatique a progressivement fait son apparition, redéfinissant les luttes à différentes échelles. Les espaces locaux et urbains sont devenus des espaces de contestation et d’articulation des différentes revendications, tout autant que des milieux de vie concrets où se déploient les injustices climatiques.

    Dans le troisième chapitre, le point de mire se précise pour s’attarder, sous la plume d’Agathe Lelièvre et de Laurence Bherer, sur les pratiques de glanage («dumpster diving») et sur les jardins urbains, comme des manifestations «microlocal[es]» d’un «engagement politique [qui] est polymorphe et se mue en des actions individuelles ou en petits collectifs par lesquelles les acteurs et actrices défendent leurs idéaux».

    Dans le chapitre suivant, Alexia Renard retrace la politisation du mouvement végane au Québec en montrant comment, en une dizaine d’années, le véganisme devient de plus en plus visible et populaire alors qu’il s’articule comme une éthique associée à la cause animale. Le véganisme comme mode de vie est ainsi marginalisé au profit de l’articulation d’un projet de société autour de l’antispécisme. Cette politisation s’explique par une plus grande diversité des orientations au sein du mouvement végane et des répertoires d’action diversifiés qui en découlent.

    Le cinquième chapitre, qui se penche sur les luttes autochtones au Québec, écrit par Stéphane Guimont Marceau, Alexandrine Sioui et Isaïe-­Nicolas Dubois Sénéchal, nous rappelle que les communautés autochtones sont le fer de lance du mouvement écologiste au Québec avec plus de 60 % des revendications autochtones touchant des enjeux environnementaux. Dans ce panorama très détaillé des différentes initiatives autochtones des dernières années, on apprend que la dernière décennie marque un tournant vers une conjoncture qui apparaît plus favorable aux revendications autochtones, même si les problèmes qui subsistent sont immenses, comme celui de la non-­reconnaissance par le gouvernement de François Legault du racisme systémique et du colonialisme existant dans la province à l’égard des Autochtones.

    Le sixième chapitre sur les solidarités transnationales contre l’extractivisme à Montréal reprend les mêmes thématiques – luttes autochtones, environnementales, antiracistes, décoloniales, anticapitalistes et féministes – mais d’un point de vue transnational. En effet, Zaïnab El Guerrab nous transporte dans les débats internes sur la diversité des actions mises en place par les militants montréalais et les enjeux associés au développement d’un discours critique sur les pratiques de solidarité internationale.

    Le chapitre sept, de Khaoula Zoghlami, nous amène dans un autre volet des luttes de coalitions, celui des solidarités entre les personnes blanches et les personnes racisées dans les luttes antiracistes. Difficile en effet pour les militants et militantes racisés d’avoir une place de choix dans les groupes mixtes, autre qu’une place forcée ou tokenisée. Après avoir exposé l’état du mouvement antiraciste au Québec, l’importance de la représentation et du recentrement des marges, Zoghlami s’attarde sur l’épuisement militant qui apparaît comme un danger réel pour des personnes racisées sursollicitées.

    Fella Hadj Kaddour et Elena Waldispuehl, au chapitre huit, nous parlent d’un autre danger des luttes antiracistes, qu’elles lient également au féminisme, soit la micro-­agression et la cyberviolence vécues par les activistes. Les autrices nous emmènent ainsi dans la réalité de la lutte numérique et des effets très réels des tactiques de répression qui visent à «faire taire» les militantes antiracistes et féministes.

    Le neuvième chapitre, d’Audrey Pepin et de Geneviève Pagé, restant dans les mobilisations en ligne, se penche sur une mobilisation féministe particulière, celle de l’accès aux garderies. L’analyse permet de voir la portée et le potentiel rassembleur des luttes sur le Web pour rallier une population qui ne s’identifie pas nécessairement d’emblée au féminisme.

    Toujours à l’échelle (micro)locale, Ève-­Laurence Hébert et Julie Beauchamp, dans le dixième chapitre, nous ramènent dans des espaces très physiques en étudiant la sous-­culture des raves queers pour réfléchir à comment les «espaces-­temps éphémères» que sont les raves peuvent permettre de «subvertir les règles normatives qui régissent la société dominante». Les autrices nous parlent des tactiques déployées sur la scène culturelle par les artistes queers pour faire face à la commercialisation, mais aussi à l’individualisation des espaces culturels. On voit bien ici toute l’utilité de cette approche qui permet de penser le rapport au politique non seulement loin des institutions, mais aussi loin des réseaux militants plus organisés ou conventionnels.

    Diane Lamoureux, au onzième chapitre, remonte vers le général avec une analyse du mouvement féministe plus traditionnel, s’attardant aux grands changements vécus notamment dans les organisations institutionnalisées comme la Fédération des femmes du Québec (FFQ), mais également dans les collectifs plus radicaux. Visiblement plus divisés que lors des décennies précédentes, les groupes féministes se recomposent et se renouvellent, certains cherchant à créer un espace plus inclusif et plus respectueux des différences de genre, plaçant les femmes racialisées et les personnes marginalisées au centre de leurs actions et réflexions.

    Le chapitre douze, de Mélissa Blais, fait le pont entre les mouvements féministes et les mouvements antiféministes. Son analyse souligne «la pertinence de développer une conception des contre-­mouvements qui intègre les visées politiques [de nos] adversaires». Cette idée est d’ailleurs reprise dans le chapitre suivant, de Samuel Tanner, Aurélie Campana et Stéphane Leman-­Langlois, qui dresse un portrait des mobilisations de la droite radicale et de l’extrême droite au Québec dans les dix dernières années. Les auteurs pointent avec justesse le fait que «les initiatives locales qui, bien que perméables aux discours et tendances transnationaux, n’en illustrent pas moins un ensemble de dynamiques proprement québécoises» qu’il importe de saisir pour une compréhension des mouvements sociaux au Québec.

    Le chapitre quatorze porte sur le parti politique Québec solidaire, qui s’ancre dans l’histoire des mouvements sociaux au Québec au point de constituer, au moins pour ses premières années de vie, un parti-­mouvement. Ce chapitre posthume de Pierre Beaudet (avec la collaboration de Ronald Cameron) expose les tensions qui traversent ce parti-­mouvement, qui a tendance à s’éloigner des mouvements sociaux au nom de l’efficacité électorale de court terme.

    Le quinzième chapitre, de Thomas Collombat, qui poursuit sur le thème des organisations institutionnelles, montre que les syndicats sont des alliés incontournables des mouvements sociaux, parce qu’ils disposent de ressources et de leviers particuliers de négociation dans leur relation à l’État. Les syndicats ont toujours fait partie des grands mouvements de contestation, mais aujourd’hui, des difficultés internes importantes les fragilisent. Ces obstacles rencontrés dans leurs rangs se répercutent dans leur possibilité de construire des coalitions avec les autres groupes de la société civile, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les mouvements sociaux.

    Le chapitre seize, de Romain Paumier, aborde lui aussi le mouvement syndical, mais de manière à visibiliser ses transformations nécessaires en réponse aux transformations de la société. En effet, traditionnellement, et comme dans le chapitre précédent, ce sont plutôt les alliances entre syndicats et organisations communautaires qui sont mises de l’avant. Or, dans un contexte de sous-­financement chronique des organismes et de dévalorisation du travail, les tensions peuvent se reconfigurer en une lutte patronat-­salariat afin de protéger la santé et la sécurité de la main-­d’œuvre. L’auteur analyse donc les transformations des pratiques syndicales qui permettront de négocier le travail militant, le «don de soi», ainsi que les exigences de sécurité et de dignité avec l’exemple des initiatives des Services d’injection supervisée à Montréal (SIS).

    Finalement, le livre se termine avec un chapitre portant sur le mouvement des locataires, signé par Jean-­Vincent Bergeron-­Gaudin, qui montre comment la manière dont le logement est politiquement traité au Québec, soit comme un bien relevant essentiellement du marché privé, teinte fortement les politiques mises en place, mais aussi la manière dont la lutte pour la défense des locataires s’organise et se structure autour du logement social et du contrôle des loyers.

    Une caractéristique du livre pourrait dérouter le lecteur: l’État est quasi absent des chapitres. C’est une bonne chose dans la mesure où les mouvements ont une vie interne riche et multiple, et font preuve d’agentivité. En même temps, ils n’opèrent pas en vase clos. En effet, il y a différentes manières d’entrer en relation avec l’État et ses institutions: qu’on parle de répression, de financement, de possibilité ou non de nouer des alliances à l’intérieur de l’État avec des alliés et alliées qui vont «porter» des dossiers et des revendications, ou simplement parce que des relations contractuelles ou juridiques sont nécessaires pour fonctionner. Plusieurs explications pourraient être apportées à ce constat. En premier lieu, mentionnons le fait que, depuis 2003, il n’y a pas eu de moments forts où la conjoncture politique était favorable aux revendications des mouvements sociaux progressistes au Québec. Les seules fenêtres créées l’ont été par les mouvements eux-­mêmes: la mobilisation générale de 2012 des étudiants et étudiantes et de leurs alliés qui a conduit à des élections générales anticipées, et la très grosse manifestation de 2019 pour le climat qui n’a pas vraiment eu le temps de se traduire en autre chose, puisque la pandémie a suspendu le débat public, qui a été accaparé par le pouvoir en place et la santé publique. Pour le reste, nous avons assisté à la droitisation constante de la société québécoise et à la domination d’un climat social plutôt fermé aux innovations portées par les mouvements sociaux. Autrement dit, ce n’est pas dans la relation à l’État que se jouent les innovations portées par les mouvements sociaux.

    Une deuxième possibilité est liée à la transformation des mouvements eux-­mêmes: comme nous le montrent les chapitres du livre, que ce soient au sein des mouvements reposant sur des organisations plus formelles ou au sein de réseaux plus ou moins éphémères, les liens de solidarité à l’intérieur des mouvements et entre eux sont de plus en plus difficiles à construire et à reproduire. Même de manière lâche, un collectif a besoin d’exister comme un tout supérieur à la somme de ses parties. Or, l’individualisation des enjeux – notamment par l’utilisation des réseaux sociaux – et la fragmentation des causes, si elles permettent l’expression de voix trop longtemps marginalisées ou même tenues au silence, ont aussi pour corollaire de poser des défis aux imaginaires collectifs et de fragiliser les possibilités d’alliances entre les acteurs protestataires. Des propositions existent déjà: créer des communs, organiser collectivement et localement l’autonomie alimentaire, énergétique, parfois politique. Mais ce sont des solutions partielles qui se déroulent aussi relativement loin des institutions. Gageons que ce sont dans ces marges que vont pousser les futurs!


    1. Les femmes ne peuvent pas toutes bénéficier de ce droit de vote: les restrictions appliquées à l’ensemble des Canadiens et Canadiennes d’origine chinoise et japonaise sont levées respectivement en 1947 et en 1949; les Autochtones n’obtiennent le droit de voter qu’en 1969, les itinérantes et itinérants en 2000 et l’ensemble des détenus, hommes et femmes, en 2002.

    2. En plus du CAPED, cet ouvrage a également bénéficié de l’appui financier du réseau en études urbaines Villes, Régions, Monde. Nous les remercions pour leur appui.

    CHAPITRE 1

    Le mouvement étudiant postsecondaire dépassé par les élèves des écoles secondaires

    Retour sur les mobilisations de 2012 à 2022

    Pascale Dufour et Francis Dupuis-­Déri

    Le mouvement étudiant québécois est historiquement l’un des mouvements sociaux les plus dynamiques et les plus importants de la province. Périodiquement, les organisations étudiantes sont descendues dans la rue pour lutter contre la hausse des frais de scolarité et pour l’accessibilité à l’éducation postsecondaire. Ces mobilisations expliquent en grande partie pourquoi la province de Québec a toujours des frais universitaires beaucoup plus bas que dans le reste du Canada. Pourtant, depuis la grève étudiante de 2012, aussi appelée le «Printemps érable» et connue comme la plus grande mobilisation étudiante de l’histoire du Québec, la trajectoire du mouvement étudiant semble avoir changé de manière assez spectaculaire, bien que les modalités institutionnelles qui soutiennent les luttes étudiantes soient quant à elles restées stables.

    Les éléments empiriques présentés dans ce chapitre s’appuient sur des recherches menées par les auteurs dans le cadre de projets de recherche plus large. Pascale Dufour (avec Marcos Ancelovici) a documenté les luttes des secteurs de l’éducation et du logement au Québec et en France de 2010 à 2016, entre autres par une recension médiatique des événements protestataires durant cette période, par une analyse des contextes institutionnels dans lesquels se sont déroulées les protestations et par la réalisation d’une vingtaine d’entrevues dans le secteur de l’éducation au Québec. Francis Dupuis-­Déri a répertorié, dans les archives de la presse de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, environ 3 000 grèves d’élèves d’écoles secondaires dans le monde, dont environ 200 au Québec. Il a réalisé soixante-­huit entretiens semi-­dirigés avec des élèves ou d’anciens élèves ayant participé à de telles grèves au Québec3.

    2012 et ses suites

    Le mouvement étudiant québécois se caractérise par des épisodes intenses et récurrents de luttes qui s’apparentent à bien des égards aux grèves ouvrières. En effet, de même qu’il existe au Québec un prélèvement automatique des cotisations syndicales dans toutes les conventions collectives (voir le chapitre de Collombat dans le présent ouvrage) qui font que le taux de syndicalisation des travailleurs et travailleuses se maintient autour de 40 %, il existe un mécanisme similaire dans les milieux étudiants. Ainsi, les associations étudiantes sont reconnues et même constituées par la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants, ce qui leur permet de toucher d’importantes sommes grâce aux cotisations de leurs membres4, et qui oblige les directions d’établissements à leur fournir un local meublé, des tableaux d’affichage et des présentoirs (Dufour, Bergeron et Chicoine, 2020). Ce dispositif institutionnel ouvre de nombreuses possibilités sur le plan des actions de mobilisation et permet également à la branche radicale du mouvement de garder son influence (Dufour, [soumis]; Ancelovici et Chicoine, 2022). Les grèves étudiantes sont votées par

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