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Paradiplomatie identitaire: Nations minoritaires et politiques extérieures
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Livre électronique342 pages4 heures

Paradiplomatie identitaire: Nations minoritaires et politiques extérieures

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À propos de ce livre électronique

Pourquoi le Québec est-il si actif sur la scène internationale ?

Qu’adviendra-t-il de la diplomatie catalane suite à la répression du mouvement sécessionniste par Madrid ? Comment expliquer la normalisation de la diplomatie flamande ?

Le présent ouvrage propose un portrait comparatif et actualisé de la diplomatie des nations dites « minoritaires », communément entendue sous le vocable de « paradiplomatie identitaire ». Il jette un regard novateur sur les relations internationales des États non souverains en étudiant l’influence du nationalisme minoritaire sur la politique extérieure. Rassemblant les contributions de spécialistes de renom, il examine les plus récentes activités de l’Écosse, de la Catalogne, de la Flandre, de la Wallonie, du Pays basque et du Québec.

Il se dégage un constat commun de l’étude de ces États : plus que la mondialisation ou le régime constitutionnel dans lequel ils évoluent, c’est le nationalisme qui s’avère être la force structurante et l’élément déterminant de l’intensité et de la nature de leur diplomatie. Ainsi, au gré des dynamiques nationalistes et intercommunautaires, certaines nations non souveraines ont cherché à éprouver les limites de leur cadre constitutionnel ou sont devenues porteuses de revendications sécessionnistes. D’autres, par pragmatisme ou par nécessité, se sont recentrées sur des objectifs fonctionnels au détriment de leur dimension identitaire, allant parfois jusqu’à accroître significativement leur degré de coopération avec l’État souverain et leur niveau de conformité aux lois constitutionnelles. Cet ouvrage offre ainsi une grille d’analyse de la trajectoire que prennent plusieurs nations non souveraines sur la scène internationale.
LangueFrançais
Date de sortie11 sept. 2019
ISBN9782760551145
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    Aperçu du livre

    Paradiplomatie identitaire - Justin Massie

    INTRODUCTION

    PARADIPLOMATIE IDENTITAIRE

    Marjolaine Lamontagne et Justin Massie

    Le XXIe siècle consacre l’effondrement de deux prophéties aux prédictions contradictoires. La première, qui proclamait la perpétuation d’un ordre mondial dominé par les États, a définitivement été démentie par l’émergence d’une multitude d’acteurs non souverains – entreprises, provinces, régions, municipalités, etc. – dans l’arène internationale, bouleversant les rapports de force mondiaux. Une ère de post-souveraineté était ainsi prédite au lendemain de la guerre froide (Camilleri et Falk, 1992). La seconde, qui annonçait le triomphe d’États-nations « civiques » ayant relégué le nationalisme au placard (Ignatieff, 1993), voire la fin des nations au profit des forces centrifuges de la mondialisation (Habermas, 2003), s’est trouvée remise en cause, entre autres, par la montée inattendue des nationalismes dits « minoritaires » (Paquin, 2001, 2004b). Il appert donc que, dans un monde où les grands ensembles politiques sont mis à mal par un double mouvement de mondialisation et de régionalisation, de plus petites sociétés animées par un fort sentiment d’appartenance et une histoire commune surgissent de l’ombre pour projeter leur existence au-delà des frontières étatiques et prendre part au « concert des nations ».

    Les nations non souveraines que sont la Catalogne, l’Écosse, le Québec, le Pays basque, la Flandre et la Wallonie continuent ainsi de s’affirmer en tant que peuples distincts et de progresser sur la scène internationale en développant ce qui s’apparente à des « politiques étrangères » de plus en plus ambitieuses. Ces relations internationales mises en œuvre par des États non souverains – communément qualifiées de paradiplomatie – témoignent d’une quête d’autonomie politique (et parfois même d’indépendance) au sein d’États multinationaux dont la souveraineté extérieure est désormais « perforée » (Duchacek, 1990).

    S’il est vrai que la mondialisation est un facteur indispensable au développement de la paradiplomatie, elle n’en est pas le principal moteur. Force est de constater que les gouvernements non centraux les plus actifs à l’étranger partagent un trait commun : ils sont animés par un fort nationalisme qui alimente leur désir de reconnaissance à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières étatiques. Chacune des contributions à cet ouvrage s’entendent sur un constat : les évolutions les plus récentes de la paradiplomatie sont autant, sinon davantage, le fruit d’une volonté de défendre une identité distincte au sein comme à l’extérieur d’un État multinational que des pressions exercées par la mondialisation. En ce sens, il est plus juste de parler de paradiplomatie identitaire afin de rendre compte des dynamiques contemporaines relatives à l’affirmation des États non souverains sur la scène internationale.

    L’objectif principal de cet ouvrage est de cerner les nouveaux contours de la paradiplomatie identitaire. Plusieurs évènements récents motivent une telle attention renouvelée. Par exemple, la crise constitutionnelle prévalant depuis 2010 en Espagne aboutit à l’organisation d’un référendum en 2017 sur l’indépendance de la Catalogne et à la recherche de soutien diplomatique au droit à l’autodétermination. À l’inverse, l’accord entre l’Écosse et la Grande-Bretagne quant à la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Écosse réduit la motivation de cette dernière à chercher le soutien de la communauté internationale pour son droit à l’autodétermination. Plus encore, en raison d’un repositionnement des partis nationalistes flamands en Belgique et d’une reconnaissance constitutionnelle de leur action internationale, la paradiplomatie identitaire flamande paraît avoir connu un recul au profit d’une plus grande coordination avec le gouvernement fédéral. Enfin, le nationalisme québécois alimentant la paradiplomatie de la province a mené à une réorientation de ses objectifs internationaux, à une quête de pouvoirs au sein de forums internationaux, ainsi qu’à une affirmation sur des enjeux qui dépassent parfois même ses champs de compétence.

    Cet ouvrage offre deux contributions majeures. D’une part, il propose un portrait comparatif et actualisé de la diplomatie d’États non souverains. Il examine les dynamiques entourant l’exercice contemporain de la paradiplomatie de manière à dresser des parallèles sur les motivations, la nature et les contraintes qui pèsent sur l’action internationale d’entités non souveraines œuvrant au sein de quatre démocraties libérales avancées à caractère multinational, soit le Canada, la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni. D’autre part, l’ouvrage offre une grille d’analyse singulière du phénomène en s’attardant sur le nationalisme minoritaire qui anime et structure les relations extérieures du Québec, de la Catalogne, de l’Écosse, de la Wallonie et de la Flandre. L’ouvrage rassemble pour ce faire des spécialistes de renom sur les questions de paradiplomatie au Canada et en Europe de manière à mieux comprendre la place de plus en plus grande occupée par les nations minoritaires sur la scène mondiale. Le nationalisme minoritaire constitue en effet le meilleur angle analytique dont nous disposons pour comprendre les transformations les plus récentes de la paradiplomatie des nations non souveraines. En s’attardant sur les motivations identitaires des paradiplomaties écossaise, catalane, basque, wallonne, flamande et québécoise, l’ouvrage ambitionne de jeter un regard novateur sur les ressorts de ce que représente la paradiplomatie identitaire.

    Afin d’alléger l’analyse de chacune des études de cas proposées par les différents chapitres de l’ouvrage, cette introduction revient sur les éléments conceptuels phares qui permettent d’appréhender l’action internationale des États non souverains. Ce défrichement allègera chacun des chapitres suivants et permettra d’assurer un fil conducteur entre les différentes interprétations des paradiplomaties identitaires sous la loupe. Pour l’heure, le lecteur moins intéressé par les racines historiques et les dispositions théoriques de la paradiplomatie identitaire pourra passer directement à l’exposition plus détaillée des différentes contributions de cet ouvrage à la fin du présent chapitre introductif.

    I.1 QU’EST-CE QUE LA PARADIPLOMATIE ?

    Le concept de « paradiplomatie » remonte aux travaux des chercheurs Ivo Duchacek (1986) et Payanotis Soldatos (1990). Ceux-ci voulaient apporter une explication théorique à l’intensification d’un phénomène largement rapporté durant les années 1970 : le développement de relations entre la multitude d’acteurs non étatiques et régionaux ayant pris d’assaut la scène internationale dans la foulée de la révolution « transnationale » (Keohane et Nye, 1973, 1977). La paradiplomatie peut ainsi être sommairement définie comme les activités internationales directes et autonomes des entités constitutives des États souverains, comme les États américains, les Länder allemands, les provinces canadiennes et les communautés autonomes espagnoles (Soldatos, 1990, p. 37 ; Kuznetsov, 2015, p. 2).

    L’État souverain – aussi appelé « État central » ou « Étatnation » – représente le seul acteur autorisé, en vertu du droit international classique, à agir sur la scène internationale et à y représenter l’ensemble des citoyens peuplant son territoire. Les entités constitutives sont elles aussi des États, au sens où elles sont chargées de représenter une population et d’exercer auprès d’elle certains pouvoirs, mais elles ne détiennent pas la souveraineté et sont théoriquement tenues de s’en remettre à leur État central pour les représenter à l’étranger. Elles ne sont pas habilitées à signer des traités internationaux (sauf dans des cas exceptionnels, comme celui de la Belgique et de la Suisse) et elles ne peuvent pas être membres à part entière d’une organisation internationale (OI). Aussi appelés « gouvernements non centraux » ou « régions », ceux-ci présentent toutes d’importantes différences mais ont en commun de posséder un gouvernement, des ressources administratives significatives et d’occuper un statut médian entre l’État souverain et la ville (Cornago, 2010, p. 14).

    Le premier effort de conceptualisation de la paradiplomatie mené par Duchacek (1986) aboutit à quatre types de relations internationales pratiquées par les gouvernements non centraux : la diplomatie transfrontalière entre des régions adjacentes (transborder regional microdiplomacy), les relations diplomatiques entre des gouvernements régionaux géographiquement éloignés (transregional microdiplomacy), les relations diplomatiques entre des gouvernements non centraux avec des États souverains (global paradiplomacy) et les activités diplomatiques propres à la promotion de la sécession d’une entité non souveraine (protodiplomacy) (Duchacek, 1986, p. 240-248). Sur conseils de son collègue Payanotis Soldatos, il amenda sa typologie pour remplacer le terme de « microdiplomatie » par celui de « paradiplomatie » puisque, le préfixe « para » lui parut plus apte à décrire ce dont il s’agissait véritablement, soit : « des activités exercées parallèlement à la diplomatie étatique, ou alors déployées de manière coordonnée, complémentaire ou conflictuelle avec cette dernière » (Duchacek, 1990, p. 32). L’on distingue donc communément la paradiplomatie de la protodiplomatie, selon les ambitions sécessionnistes ou non des relations extérieures d’États non souverains.

    Bien qu’il soit devenu le terme le plus utilisé afin de décrire les activités internationales des gouvernements non centraux, le concept de « paradiplomatie » ne fait pas consensus, plusieurs lui préférant d’autres néologismes, dont « diplomatie constituante », « diplomatie régionale » ou « diplomatie multiniveaux » (Michelmann et Soldatos, 1990 ; Hocking, 1993b ; Aldecoa et Keating, 1999 ; Michelmann, 2009b ; Criekemans, 2010b). Certains praticiens de la paradiplomatie vont d’ailleurs jusqu’à réclamer l’usage décomplexé de « diplomatie », tout court, afin de rendre pleinement compte de l’ampleur et de la diversité des relations internationales des États non souverains.

    Ces dissensions tiennent au fait que les études de la paradiplomatie ne se rejoignent pas au sein d’une « sous-discipline » unifiée, puisqu’elles ne se réfèrent ni à un paradigme dominant ni à une méthodologie commune – on ne peut pas parler d’« écoles » de pensée en paradiplomatie (Kuznetsov, 2015, p. 44-45). Les débats conceptuels concernent principalement la nature des liens entre les relations internationales du gouvernement non central et la diplomatie officielle de l’État central. Pour John Kincaid (1990), il convient d’employer l’expression « diplomatie constitutive » afin de souligner le partage des pouvoirs entre ordres de gouvernement à l’origine de la paradiplomatie, sans suggérer que cette dernière se déroule de manière strictement parallèle, mue par une force autre que le régime constitutionnel. Pour Brian Hocking, le terme de « diplomatie à paliers multiples » serait plus approprié que celui de paradiplomatie, puisque ce dernier renforce l’idée d’une diplomatie de second rang, cantonné aux enjeux de low politics et s’exerçant à l’encontre de l’État central et en conflit avec ce dernier. Hocking estime nécessaire de mettre en lumière la collaboration intergouvernementale inhérente à toute activité internationale infraétatique et le rôle des entités constitutives dans la promotion ou l’opposition aux objectifs de la diplomatie de l’État souverain, dans une logique de complémentarité (1993b, p. 2-3).

    Cet ouvrage privilégie néanmoins le concept de « paradiplomatie » parce qu’il demeure – et de loin – le plus couramment employé dans la littérature. Il est ainsi devenu un terme « parapluie », regroupant une variété de pratiques diplomatiques sans nécessairement mettre l’accent sur les aspects plus conflictuels du phénomène. Au contraire, il nous paraît essentiel de ne pas exagérer le degré de coordination et d’entremêlement des diplomaties souveraines et régionales, puisque dans bien des cas la seconde se développe en réaction aux manquements et à la fermeture de la première (Cornago, 2010, p. 13). La paradiplomatie est d’abord et avant tout l’expression d’un désir d’autonomie politique (Cornago, 2018, p. 2), ce qui suggère qu’au moins une partie des activités est déployée indépendamment de l’État central (Paquin, 2004b, p. 18). Si le préfixe « para » peut déplaire à ceux qui pratiquent la paradiplomatie, il nous paraît néanmoins riche de sens et mérite d’être conservé afin de distinguer cette activité internationale de celle menée par l’État central. Tout au long de cet ouvrage, nous entendrons donc la paradiplomatie comme les relations internationales déployées par les entités constitutives d’un État souverain, lorsque leurs gouvernements sont formellement mandatés pour mettre en œuvre une stratégie internationale et négocier avec des acteurs étrangers (Lequesne et Paquin, 2017, p. 190).

    I.2 QU’EST-CE QUI STRUCTURE LA PARADIPLOMATIE ?

    Une revue exhaustive de la littérature sur la paradiplomatie témoigne du caractère extrêmement multidimensionnel du phénomène (Kuznetsov, 2015, p. 6). En effet, les gouvernements non centraux se projettent à l’international d’une multitude de manières et pour une variété de raisons. Ils établissent des relations avec leurs voisins immédiats afin de gérer la circulation transfrontalière des biens et des personnes ou pour assurer la préservation de l’environnement à l’échelle locale. Ils ouvrent des délégations, des bureaux ou des antennes à l’étranger afin d’y promouvoir leurs intérêts économiques ou culturels. Ils concluent des accords formels ou informels avec des pays tiers, chapeautent des programmes d’aide humanitaire et participent aux travaux de certaines organisations internationales de manière à assurer leur place dans le monde d’aujourd’hui (Paquin, 2004b). L’agence internationale des gouvernements non centraux fut ainsi étudiée sous les angles de la diplomatie (Cornago, 2010, 2018), de la sécurité (Cornago, 1999) et de l’environnement (Chaloux, Paquin et Séguin, 2015). Son caractère multidimensionnel ne fait donc aucun doute. Ceci dit, trois principaux déterminants animent la paradiplomatie sous ses multiples facettes : la mondialisation, le régime constitutionnel de l’État central et le nationalisme minoritaire. Nous examinons chacun dans l’ordre.

    I.2.1 La mondialisation

    Premièrement, la mondialisation a rendu possible l’activité paradiplomatique. Les années 1970 virent en effet émerger des acteurs rompant avec le renforcement des pouvoirs des États-nations ayant caractérisé le siècle précédent (Lachapelle et Paquin, 2004, p. 3-4). À la faveur de nouveaux moyens de transports, de communication et d’échanges, les relations internationales furent de plus en plus marquées par des interactions entre acteurs non souverains sans le contrôle de l’État central (Keohane et Nye, 1973). La politique intérieure s’internationalisa à mesure que les questions de développement économique, de culture, d’éducation, d’environnement s’immisçaient en politique étrangère. La hiérarchisation traditionnelle entre ces enjeux de low politics et ceux de high politics devint de plus en plus hasardeuse, tout comme la division entre politique interne et externe (Keohane et Nye, 1973, p. 376-379).

    Mondialisation est aujourd’hui le terme le plus couramment employé pour parler de l’interdépendance et de l’interconnexion croissantes entre les peuples et entre les États (Fry, 2004, p. 111). Il s’agit d’abord et avant tout d’un phénomène économique, survenu à la faveur d’une dérégularisation des marchés au début des années 1980 et caractérisé par la libre circulation des capitaux, des biens, des services et des technologies, ainsi que de la montée en domination des entreprises multinationales et transnationales. À la rivalité entre États souverains pour la conquête de territoires s’ajouta la compétition entre villes et régions pour l’acquisition de parts de marchés mondiales et l’attraction d’investissements étrangers, la seule dépendance aux marchés intérieurs n’étant plus suffisante pour assurer la croissance économique (Strange et Stopford, 1991). La capacité des États centraux à gérer la richesse s’en trouva grandement amoindrie, de sorte qu’il n’est désormais plus possible de parler d’économie proprement « nationale » (Paquin, 2004b, p. 36). Le potentiel de croissance et la compétitivité se mesurent plutôt à l’échelle locale, notamment par la capacité d’une ville, d’une province ou d’un canton de séduire une entreprise pour qu’elle s’y implante (Lachapelle et Paquin, 2004, p. 78). La mondialisation eut aussi pour effet de « déterritorialiser » le politique en créant une « disjonction entre l’État et son territoire, une redistribution de l’autorité politique sur le plan territorial et mondial » (Lachapelle et Paquin, 2004, p. 60), notamment par la création de normes (économiques, sociales, environnementales ou autres) internationales (Keating, 1999, p. 1-2).

    C’est dans ce contexte « transnational » puis « mondialisé » que les gouvernements non centraux firent leur entrée sur la scène internationale. Il s’agissait avant tout d’un impératif économique, le développement régional étant désormais moins tributaire des politiques de redistribution de l’État central que de la capacité du gouvernement non central d’adopter des mesures pour stimuler les exportations, attirer les investissements directs étrangers, doper le tourisme et encourager l’implantation d’entreprises génératrices de richesses et créatrices d’emplois (Michelmann, 1990, p. 299-301 ; Paquin, 2004b, p. 36-38 ; Rioux Ouimet, 2015, p. 109). Cet « activisme stratégique », conçu pour tirer les meilleurs profits de la mise en compétition directe des territoires régionaux (Weiss, 2005), a également pour vocation de compenser les inégalités interrégionales prévalant au sein de certains États (Keating, 1999, p. 3).

    Contrairement aux États centraux, obligés de se positionner le plus avantageusement possible sur tous les échiquiers afin de préserver leur souveraineté, les gouvernements non centraux disposent d’une flexibilité supérieure pour s’adapter au monde d’aujourd’hui, étant des acteurs à la fois sovereignty-bound (liés par la souveraineté) et sovereignty-free (non souverains) (Rosenau, 1990, p. 36). En tant qu’ordres de gouvernement détenteurs de nombreuses compétences, ils ont un incitatif à exercer pleinement ces dernières en agissant sur la politique étrangère de l’État central et/ou en déployant leur propre action internationale (Paquin, 2004b, p. 19-20). L’essentiel de leur action est donc tourné vers des objectifs fonctionnels précis. Cela n’exclut toutefois pas la projection, par les entités les mieux nanties, d’une vision plus globale des affaires extérieures, s’apparentant davantage à une véritable diplomatie d’État. Au point d’ailleurs où David Criekemans (2010a) affirme que la séparation entre diplomatie et paradiplomatie s’amincit à vue d’œil. En effet, s’ajoutent à la paradiplomatie des préoccupations « normatives » témoignant d’un réaménagement de la légitimité politique et de la représentation à l’échelle du monde et des États particuliers (Cornago, 2018, p. 3). La nature hybride des États non souverains leur confère une plus grande liberté quant à leur niveau d’engagement international. Ceci leur permet par exemple d’adopter des positions plus fermes et idéalistes sur certains enjeux que les acteurs souverains, notamment en matière de droits humains ou d’environnement, tout en se désengageant d’autres questions plus délicates en invoquant la responsabilité de l’État central en la matière. La mondialisation conjuguée à l’hybridité des gouvernements non centraux entraîne donc l’élargissement fonctionnel des activités paradiplomatiques. Tout au plus reste-t-il, en théorie du moins, les enjeux de guerre et de paix comme chasse gardée de l’État souverain.

    Certains régimes d’intégration régionale menés par la mondialisation, au premier rang l’Union européenne (UE), constituent de nouveaux espaces opérant « au-dessus » des États souverains, mais favorisant du même coup une gouvernance « multiniveaux » où tous les ordres de gouvernements (nationaux, régionaux et locaux) sont interpellés afin de mettre en œuvre des politiques touchant à leurs champs de juridiction respectifs (Lequesne et Paquin, 2017, p. 197). D’autres régimes, tels que celui de l’ALENA (récemment rebaptisé l’Accord-États-Unis-Mexique-Canada, AEUMC), demeurent plus hermétiques à l’intervention des gouvernements non centraux, mais suscitent d’importantes préoccupations chez les gouvernements fédérés qui en subissent les effets en matière d’emploi, de santé, de main-d’œuvre et de mobilité, incitant ceux-ci à intervenir auprès de leurs gouvernements centraux (Kukucha, 2008 ; Cornago, 2010 ; Paquin, 2017a). La collaboration des gouvernements non centraux est également recherchée par les organisations internationales et les programmes des Nations unies, dont les mandats en éducation, en santé publique, en réduction des barrières non tarifaires aux échanges et en diversité culturelle, par exemple, concernent directement leurs compétences. Par le biais d’ententes et d’autres moyens plus informels (appui de principe aux objectifs énoncés par l’organisation, signature symbolique d’une convention, envoi de délégations aux forums internationaux tels que la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), les gouvernements non centraux s’associent aux efforts des institutions internationales sans pour autant revendiquer (dans la plupart des cas !) le statut de membre, réservé aux États (Cornago, 2010, p. 33).

    Décriée à ses premières heures comme une intolérable atteinte à la primauté de l’État souverain, la paradiplomatie est, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, un phénomène en voie de normalisation, omniprésent aussi bien en Occident que dans les pays en développement (Cornago, 2018, p. 1). Soutenant que l’ordre diplomatique mondial se voit contraint de s’ajuster progressivement à la complexification de la vie internationale, Noé Cornago décrit ce processus de normalisation comme « un mode de contrôle institutionnel qui reconnaît – avec réticence – la validité d’une pratique autrefois considérée déviante, tandis que cette pratique est rapidement encadrée et étroitement surveillée » (Cornago, 2010, p. 36). La normalisation de la paradiplomatie est ainsi le produit de son ubiquité mondiale et des liens structurels qu’elle entretient avec les systèmes d’intégration régionale. À ceci s’ajoute la capacité d’adaptation réciproque des gouvernements non centraux et des États souverains. Alors que les premiers développent une véritable expertise internationale, entre autres par l’échange de bonnes pratiques avec d’autres gouvernements non souverains, les seconds prennent acte de la réalité répandue et irrépressible qu’est la paradiplomatie et entreprennent de reconnaître et/ou de réguler cette dernière.

    I.2.2 Le régime constitutionnel

    Ceci nous amène donc au second déterminant de la paradiplomatie, à savoir le régime constitutionnel qui structure les relations de pouvoir au sein des États. Les formes d’encadrement légal et institutionnel préconisées varient grandement d’un État à l’autre, selon leur régime (fédéral, décentralisé ou unitaire), leur système politique (démocratie, anocratie, autocratie) et leur contexte sociohistorique particulier. Certains États ont modifié leur constitution pour y enchâsser des responsabilités en politique étrangère pour leurs entités constitutives, comme en Autriche, en Allemagne et en Belgique, alors que d’autres maintiennent le monopole de l’État central sur les affaires extérieures, s’engageant ainsi dans de fréquents conflits avec leurs entités constitutives (Cornago, 2010, p. 29). Les fédérations et les États unitaires à structure décentralisée furent les plus touchés par la nécessaire redistribution et réévaluation de la souveraineté en contexte de mondialisation, alors que la déterritorialisation du politique et la compétition économique continuèrent d’exacerber la disparité régionale au sein des États (Keating, 1999, p. 2).

    Les liens entre la nature du régime constitutionnel et l’émergence de la paradiplomatie forment la plus grande part des travaux sur les relations internationales des régions, avec une attention particulière portée aux régimes fédéraux et décentralisés (Kuznetsov, 2015, p. 55), et pour cause : le déploiement d’activités internationales nécessite un degré minimal d’autonomie politico-légale ainsi que la possession de certaines ressources administratives et financières, tous déterminés par la constitution de l’État dans lequel évolue la région, alors que la répartition des pouvoirs entre l’État central et ses entités constitutives représente à la fois un incitatif et une légitimation pour la paradiplomatie (Lequesne et Paquin, 2017, p. 193). Cette distribution des prérogatives fut longtemps considérée comme une affaire de politique intérieure n’ayant aucune incidence sur le déroulement des relations internationales (Kuznetsov, 2015, p. 53). La vaste majorité des constitutions réservent la diplomatie et l’élaboration de la politique étrangère à l’État central, bien que cette vision des relations internationales comme chasse gardée des États soit désormais une distorsion de la réalité.

    L’autonomie politique au sein d’un État unitaire et le fédéralisme représentent les deux principaux modèles de décentralisation des pouvoirs favorisant l’émergence d’une paradiplomatie. Le premier consiste en une dévolution des champs de juridiction de l’État unitaire vers des régions administratives « autonomes », modèle que l’on retrouve aussi bien en Espagne qu’au Royaume-Uni. Dans un tel régime, l’État central demeure maître de sa constitution, qu’il peut modifier unilatéralement (Guibernau, 2004, p. 1260-1261). Le fédéralisme, lui, va plus loin puisqu’il implique une division de la souveraineté entre deux ordres de gouvernement, l’un fédéral, qui exerce ses prérogatives à l’endroit de tous les habitants du pays, et l’autre fédéré, dont les compétences sont limitées aux individus

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