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Vers une politique commerciale socialement responsable dans un contexte de tensions commerciales
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Livre électronique541 pages6 heures

Vers une politique commerciale socialement responsable dans un contexte de tensions commerciales

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À propos de ce livre électronique

Le contexte actuel de transformations multiples dans le monde du travail liées aux changements technologiques et climatiques ainsi qu’aux impacts de la pandémie de COVID-19 sur le commerce et la mondialisation provoque de grandes tensions au sein de nos sociétés et sur les dynamiques de la politique mondiale. La montée de ces tensions rend d’autant plus importante l’adaptation des politiques publiques et de la coopération internationale afin d’assurer le respect des droits du travail, l’élimination de la concurrence entre des systèmes de régulation du travail et une régulation adéquate des acteurs privés mondialisés. Moderniser la politique commerciale du Canada et assurer une convergence internationale vers une approche commune s’avère une trajectoire institutionnelle intéressante.

Cet ouvrage fait état de recherches, de formations et de consultations sur le thème « Vers une politique commerciale socialement responsable : un défi au Canada et ses partenaires commerciaux ». Ces activités se sont déroulées entre 2017 et 2019 dans le cadre d’une étape de développement du projet Gouvernance globale du travail du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) avec la participation de plusieurs experts en matière de politique commerciale. Une approche critique et constructive a permis de dégager certaines recommandations pour une meilleure prise en considération de la dimension sociale des accords commerciaux. Ce livre s’adresse aux organisations syndicales, aux organismes de la société civile, aux chercheurs postsecondaires, aux représentants des gouvernements et des organisations internationales, ainsi qu’à toute personne intéressée par l’« humanisation » des activités économiques mondiales.

Éric Boulanger est directeur adjoint du CEIM, codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est (OAE) et chargé de cours au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Michèle Rioux est professeure titulaire au Département de science politique de l’UQAM, ainsi que membre et directrice du CEIM.

Sylvain Zini, économiste et politologue, est membre du CEIM et chargé de cours à l’UQAM, à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec en Outatouais (UQO).
LangueFrançais
Date de sortie24 mars 2021
ISBN9782760554368
Vers une politique commerciale socialement responsable dans un contexte de tensions commerciales
Auteur

Éric Boulanger

Éric Boulanger est codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est (OAE) et chargé de cours en politique asiatique et en relations internationales au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il se spécialise dans l’économie politique asiatique et la politique intérieure et étrangère du Japon.

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    Aperçu du livre

    Vers une politique commerciale socialement responsable dans un contexte de tensions commerciales - Éric Boulanger

    Introduction

    Michèle Rioux, Sylvain Zini et Éric Boulanger

    Si la mondialisation a contribué à offrir une gamme sans cesse plus importante de produits et services aux consommateurs partout dans le monde, elle soulève des inquiétudes quant à ses conséquences sociales et politiques. Les travaux de Thomas Piketty¹, de James Galbraith² et de Joseph Stiglitz³ ont documenté une montée des inégalités depuis 40 ans, ce qui alimente les craintes à l’égard de la mondialisation. Ainsi, la théorie orthodoxe du commerce international, qui voit dans le commerce un moyen de croître et de prospérer tant pour les individus que pour les nations, est contredite par les faits puisque le commerce génère des gagnants et des perdants. La montée en puissance d’économies émergentes drainant une part croissante de la production en profitant de normes sociales moins élevées a largement contribué à un scepticisme de plus en plus généralisé à l’égard des bénéfices à retirer des processus de mondialisation et de libéralisation commerciale. La diffusion rapide des nouvelles technologies a facilité ces changements tout en suscitant de nouveaux questionnements sur la transformation du monde du travail en lien avec le commerce électronique et la robotisation des systèmes productifs.

    Depuis la naissance de l’Organisation internationale du Travail (OIT) en 1919, de nombreuses initiatives internationales ont visé à aider les États à concilier l’ouverture à la concurrence internationale et le progrès social. Lors de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cette question a resurgi et si aucune clause sociale n’a vu le jour sur le plan multilatéral, de nombreux chapitres ont traité du travail dans les accords commerciaux régionaux et bilatéraux, et cela, depuis l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) (1994), soit le premier accord régional à prévoir des accords parallèles sur le travail et l’environnement. Plusieurs pays se sont montrés en faveur d’une clause sociale dans les accords de commerce. Le Canada, les États-Unis, l’Union européenne, la Suisse, le Chili, la Norvège et la Nouvelle-Zélande ont été engagés dans ce groupe de pays cherchant à lier l’accès au marché au respect des droits des travailleurs. Plus récemment, depuis 2017, le Canada s’est engagé à élaborer et à promouvoir une politique commerciale progressiste et à défendre un certain nombre de principes en matière de droits des travailleurs, de respect de l’environnement, d’égalité des genres et des droits des Premières Nations.

    Depuis l’ALENA, le Canada a signé plusieurs accords qui intègrent des chapitres engageant les pays signataires à respecter les normes internationales du travail et à s’assurer de l’application des lois nationales dans le domaine du travail. Certes, les chapitres conférant aux entreprises des droits substantiels (investissement, propriété intellectuelle) ont contrasté avec les clauses visant le respect des droits des travailleurs qui ont été plus faibles, mais les choses ont évolué et les chapitres portant sur le travail négociés par le Canada sont de plus en plus étoffés en substance (obligations) et contraignants sur le plan de la mise en œuvre.

    Les nouveaux partenariats commerciaux (Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne [AECG] ou encore le Partenariat transpacifique global et progressiste [PTPGP]) et l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) vont de l’avant avec des chapitres sur le travail très ambitieux, notamment en ce qui concerne les mécanismes de coopération et de règlement des différends. On note également un renforcement de la participation de la société civile invitée à dialoguer et à participer à la mise en œuvre des accords commerciaux de diverses façons tout comme à des consultations visant à définir et mettre en œuvre des accords plus conformes aux attentes.

    C’est dans ce contexte que cet ouvrage a été réalisé afin de chercher des réponses aux questions suivantes :

    Qu’est-ce qu’une politique commerciale socialement responsable ? Est-ce que les politiques commerciales peuvent être socialement responsables ? Sinon, peuvent-elles être repensées en ce sens et, le cas échéant, comment les modifier pour en arriver à des résultats concrets ?

    Dans les accords commerciaux, les chapitres traitant des questions sociales représentent-ils des leviers pour le progrès social ?

    Tous les accords commerciaux se valent-ils en matière de vision progressiste et d’inclusion sociale ?

    Au-delà des accords commerciaux, est-ce que les systèmes généralisés des préférences et l’interdiction d’importer des produits incorporant du travail forcé sont des pistes intéressantes pour la mise en œuvre d’une politique commerciale socialement responsable au Canada et ailleurs dans le monde ?

    Dans une première partie, nous présentons des contributions qui ont documenté trois thèmes abordés lors des consultations canadiennes : les chapitres sur le travail dans les accords commerciaux, les systèmes généralisés des préférences et l’interdiction des importations incorporant du travail forcé. Dans un premier chapitre, Heysee Verdal se penche sur les différents modèles de clauses sociales en abordant le degré d’obligation, les mécanismes institutionnels favorisant la coopération, les mécanismes de sanction et, enfin, le degré d’implication de la société civile. Un deuxième chapitre, rédigé par Maud Boisnard, traite de la manière dont, depuis les années 1970, les pays développés se sont prévalus des dispositions de la partie IV de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) pour offrir des grilles préférentielles de tarifs douaniers aux pays en développement, soit des systèmes généralisés des préférences (SGP). Les États-Unis et l’Union européenne ont conditionné l’accès de leur SGP au respect d’un certain nombre de droits fondamentaux des travailleurs, est-ce que des petits pays comme le Canada devraient en faire autant ? Dans un troisième chapitre, Hughes Brisson revient sur les principaux instruments de politique publique qui ont pour objectif de bannir l’importation de produits faisant intervenir le travail forcé et les pires formes de travail des enfants (États-Unis, Royaume-Uni). Si aucun État ne fait la promotion active du travail forcé et des pires formes du travail des enfants, ces pratiques sont loin d’avoir disparu des chaînes de valeur des produits que nous consommons quotidiennement.

    La deuxième partie de cet ouvrage présente le rapport d’une consultation menée par le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) de l’UQAM ayant pour titre « Une politique commerciale socialement responsable : Un défi pour le Canada et ses partenaires ». On y trouve également les commentaires de plusieurs experts et acteurs de la société civile issus de dialogues tenus à Montréal en 2017-2018. Dans le quatrième chapitre, Michèle Rioux et Sylvain Zini font état des résultats des consultations pancanadiennes qui, mentionnons-le, ont été financées par le gouvernement du Canada (Emploi et Développement social Canada, EDSC). Le cinquième chapitre présente les commentaires d’experts invités lors d’un séminaire organisé par le CEIM en 2018 et le sixième chapitre présente ceux des participants issus du monde syndical.

    Une troisième partie est consacrée aux moyens de mettre en œuvre une politique commerciale socialement responsable ; ces moyens furent présentés et débattus en février 2019 lors de la conférence du CEIM intitulée « Une politique commerciale socialement responsable – au Canada et ailleurs dans le monde » qui a réuni près d’une centaine de participants. Dans le chapitre 7, Simon-Pierre Savard-Tremblay fait une critique des accords de libre-échange en les présentant comme un instrument d’un processus de constitutionnalisation du modèle économique néolibéral. Gavin Fridell, dans le chapitre 8, aborde la question des biais dans les accords commerciaux qui favorisent les entreprises et défend l’idée d’un transfert de préférences en faveur des travailleurs. Le chapitre 9 présente une analyse de Jean Dalcé, chercheur à la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Dans le chapitre 10, Kevin Kolben revient sur le rôle important des consommateurs comme acteurs centraux de tout processus menant à de politiques commerciales responsables. Au chapitre 11, Karen Curtis, conférencière d’honneur pour la célébration du centenaire de l’OIT lors de ce colloque, aborde les accords commerciaux et les défis de la gouvernance globale du point de vue de cette grande organisation internationale.

    Enfin, dans la conclusion de l’ouvrage, nous retraçons les principales propositions en vue d’arrimer ouverture commerciale et progrès social dans le cadre du cheminement vers une politique commerciale socialement responsable. Nous tenons à remercier le gouvernement du Canada, pour la contribution d’Emploi et Développement social Canada et la collaboration des nombreuses personnes qui ont été impliquées dans ce projet. Nous remercions également l’Institut d’études internationales de Montréal, la Faculté de science politique et de droit, le Service des relations internationales de l’UQAM pour leurs soutiens financier et logistique. Nous remercions également toute l’équipe du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation ainsi que tous les participants aux consultations et au débat qui ont eu lieu au cours des nombreuses activités organisées dans le cadre de ce projet vers une politique commerciale socialement responsable (PCSR 2017-2019). Finalement, il faut mentionner les contributions financières de l'Université York, de l'Université Saint Mary's, de la CSN, du Réseau québécois de l’intégration continentale (RQIC) et de la Rutgers Business School. Nous les en remercions.

    1 T. Piketty, Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013.

    2 J. Galbraith, Inequality and Instability : A Study of the World Economy Just Before the Great Crisis, Oxford, Oxford University Press, 2012.

    3 J. Stiglitz, Le prix de l’inégalité, Paris, Actes Sud, 2014 [2012] et People, Power and Profits : Progressive Capitalism for an Age of Discontent, New York, Norton, 2019.

    PARTIE I /

    THÈMES DES CONSULTATIONS

    CHAPITRE 1 /

    Les accords de commerce et le travail

    Heysee Verdal, en collaboration avec l’équipe du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation

    Alors que le commerce mondial devient important vers la fin du XIXe siècle, les pays qui exportaient des marchandises fabriquées par des prisonniers menaçaient la rentabilité des fabricants nationaux dans les pays importateurs. Pour des raisons morales et afin de réduire le risque de « dumping », un certain nombre de pays, principalement des pays du Nord, ont adopté des lois interdisant l’importation de produits fabriqués par le travail pénitentiaire, à commencer par les États-Unis en 1890. Le Canada a adopté une loi semblable en 1907. Après l’adoption de la Convention sur le travail forcé de l’Organisation internationale du Travail (OIT) en 1930, les États-Unis ont étendu ces lois plus généralement au travail forcé, en intégrant l’interdiction des marchandises produites par le travail forcé dans leur législation commerciale nationale. Ainsi, les politiques et les mesures visant à lier les normes du travail et les accords commerciaux existent depuis longtemps. Dès la création de l’OIT en 1919, on affirme que le travail n’est pas une marchandise et que tous les pays doivent respecter des normes internationales afin de participer aux efforts de paix et de justice dans le monde. Par contre, dans le domaine du commerce international, si l’adoption d’une clause sociale est à la table des discussions depuis de nombreuses décennies, ce n’est qu’en 1994 qu’un accord a fait émergence.

    Après la Seconde Guerre mondiale, la Charte de La Havane, qui se voulait le cadre d’une future organisation internationale du commerce, faisait explicitement référence au respect des normes du travail en tant que principe de base du système commercial. Toutefois, la charte n’a pas été ratifiée par les États-Unis et cette organisation n’a jamais vu le jour. Plus tard, en 1986, lors du cycle de l’Uruguay des négociations commerciales de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), un groupe de pays développés, dirigé par les États-Unis, a insisté pour que la question du respect des normes du travail soit incluse dans les négociations commerciales. Mais il n’y avait pas de consensus en la matière sauf en ce qui concerne l’article XX du traité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)¹.

    En général, les pays développés et les syndicats de travailleurs sont favorables aux clauses sociales, tandis que les pays en développement (PED) restent réticents à les négocier². De plus en plus, ces dernières années, les clauses sociales ont été intégrées dans les accords commerciaux bilatéraux et régionaux. Cependant, il existe des points de vue fort divergents sur leur efficacité : certains les considèrent comme un instrument efficace pour améliorer les droits des travailleurs tandis que d’autres les critiquent et les voient comme une domination « occidentale » ou un protectionnisme déguisé³. Les débats portent principalement sur les questions économiques et morales⁴.

    D’une part, une telle clause favoriserait une concurrence loyale entre les exportateurs des pays en développement en veillant à ce que ceux qui respectent les normes minimales du travail ne soient pas pénalisés pour leurs efforts de promotion du développement social. Selon Freeman, la clause sociale n’aurait pas d’effet sur la compétitivité des pays ou sur le commerce en général⁵. D’autre part, cela permettrait aux travailleurs de bénéficier d’un commerce accru. En l’absence d’une clause sociale, une concurrence internationale accrue pourrait conduire à un « nivellement par le bas » des normes du travail et des conditions de travail. Pis encore, les pays développés participeraient à l’exploitation des travailleurs dans les PED s’ils n’adoptaient pas de mesures respectueuses des normes minimales universelles du travail⁶. Les défenseurs de l’inclusion d’une clause sociale dans les accords commerciaux font valoir qu’une clause sociale atténuerait l’effet de la « concurrence déloyale », tout en étant un instrument de promotion des droits des travailleurs dans les PED⁷. Le mouvement syndical international dans son ensemble était fortement favorable à une dimension sociale pour le commerce, bien que les organisations syndicales de certains PED fussent plus ambivalentes⁸.

    Les pays en développement la perçoivent en général différemment. Ils estiment que l’inquiétude des pays développés en ce qui concerne les conditions de travail dans leur pays est surtout due à la pression croissante en faveur du protectionnisme engendrée par le taux de chômage élevé qui les afflige. Les pays en développement qui s’opposent à la clause sociale d’un accord de libre-échange (ALE) la considèrent comme une forme de protectionnisme déguisé qui entrave leur développement industriel et les prive de leur principal avantage comparatif : la main-d’œuvre à faible coût. Ils estiment qu’il s’agit d’une ingérence dans leurs affaires intérieures et trouvent injuste qu’on leur demande la réciprocité dans les obligations sociales en échange de concessions commerciales⁹. La logique implicite est que si une clause sociale est inscrite dans les accords, les pays en développement seraient obligés d’élever les normes salariales, permettant aux travailleurs des pays développés de regagner leur emploi¹⁰. Ils font également valoir que les conditions de travail s’amélioreront en favorisant la croissance économique et le développement, ce qui serait entravé si des sanctions commerciales étaient imposées pour des raisons liées aux normes du travail¹¹. Pour M. Khor, il serait possible que les pays en développement aient à payer les coûts d’une diminution de la compétitivité¹². Certains auteurs sont plus catégoriques dans leurs critiques et se demandent pourquoi certains pays qui estiment que le commerce international devrait être lié à des normes minimales du travail maintiennent des liens économiques et financiers avec des pays comme l’Afrique du Sud où les droits fondamentaux des travailleurs sont rarement respectés¹³.

    TABLEAU 1.1 / Pour ou contre les clauses sociales

    Depuis la signature de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), accord parallèle de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en 1994, l’inclusion d’une clause sociale dans les accords commerciaux est devenue fréquente¹⁴. Une clause sociale renvoie à une disposition juridique d’un accord commercial visant à conditionner l’accès au marché au respect de certaines normes du travail¹⁵. Il s’agit d’un mécanisme qui prévoit la création d’institutions pour promouvoir la coopération entre les parties signataires et assurer le respect de leurs engagements. Ces dispositions peuvent inclure un mécanisme de règlement des différends qui pourrait, dans certains cas, entraîner des sanctions monétaires ou commerciales.

    Van Liemt présente la clause sociale comme un mécanisme visant à améliorer les conditions de travail dans les pays exportateurs en autorisant l’imposition de sanctions aux exportateurs qui ne respectent pas les normes minimales. Une clause sociale dans un accord commercial international permet de restreindre ou de suspendre l’importation ou l’importation préférentielle de produits originaires de pays, d’industries ou d’entreprises où les conditions de travail sont inférieures à certaines normes minimales¹⁶. Ainsi, une clause sociale vise non seulement à protéger les droits des travailleurs, mais également à améliorer leurs conditions de travail. Les normes internationales du travail existent d’abord pour empêcher un nivellement par le bas, mais également pour engendrer une course vers le sommet, assurant que les conditions de travail s’améliorent parallèlement à la croissance économique dans tous les pays¹⁷.

    Les chapitres des accords commerciaux sur le travail contiennent généralement :

    Une liste de droits à respecter (souvent liée à un ensemble de conventions et d’instruments internationaux de l’OIT).

    Un engagement à l’application des lois du travail, y compris les mesures administratives appropriées.

    Un mécanisme de coopération entre les Parties signataires.

    Un mécanisme de règlement en cas de différend.

    Un engagement à promouvoir la transparence et la participation du public.

    On distingue par ailleurs deux approches quant au mécanisme de mise en œuvre : l’approche conditionnelle et l’approche promotionnelle. L’approche conditionnelle est généralement associée au modèle nord-américain (États-Unis et Canada) où le non-respect de la clause entraîne des conséquences très importantes, notamment la possibilité de recourir à des sanctions afin d’assurer l’application effective des obligations vis-à-vis des droits des travailleurs. D’autre part, l’approche promotionnelle, adoptée notamment par l’Union européenne, est fondée sur la coopération comme méthode d’application en vue de respecter les droits des travailleurs.

    1 / Quelles normes ?

    Dans le cadre des négociations commerciales portant sur les enjeux du travail, les Parties doivent s’entendre sur les droits à protéger. Les clauses sociales sont fondées sur un ensemble de droits, souvent inspirés des conventions fondamentales de l’OIT, couvrant des sujets considérés comme des principes et des droits fondamentaux du travail : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit à la négociation collective ; l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ; l’abolition effective des pires formes de travail des enfants ; et l’élimination de la discrimination à l’égard de l’emploi¹⁸. Depuis 1998, ces principes et droits fondamentaux concernent huit conventions dites « fondamentales » de l’OIT :

    Liberté d’association et protection du droit d’organiser la Convention, 1948 (Co. 87).

    Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (Co. 98).

    Convention sur le travail forcé, 1930 (Co. 29).

    Abolition de la Convention sur le travail forcé, 1957 (Co. 105).

    Convention sur l’âge minimum, 1973 (Co. 138).

    Convention sur les pires formes de travail des enfants, 1999 (Co. 182).

    Convention sur l’égalité salariale, 1951 (Co. 100).

    Convention sur la discrimination (emploi et profession), 1958 (Co. 111).

    Initialement, dans le cadre de l’ANACT – l’accord parallèle à l’ALENA -, le Canada et ses partenaires ont dressé une liste de droits, au nombre de 11, sans faire référence à l’OIT ni au droit international du travail. Depuis lors, le Canada a établi une liste de droits internationalement reconnus dans le domaine du travail et a fait référence à deux documents de l’OIT : la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi (1998) et la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008) tout en faisant mention de l’agenda pour le travail décent. Pour l’Union européenne, ceci est insuffisant : il conviendrait d’inclure une référence explicite aux Conventions de l’OIT, ce qui aurait l’avantage de rendre le mécanisme de suivi plus fort puisque les Conventions pertinentes de l’OIT constituent une base juridique universellement reconnue. Le Canada a accepté cette approche en signant l’Accord économique et commercial global (AECG).

    En ajoutant une référence additionnelle aux Conventions reliées à la Déclaration de 2008, on observe un élargissement du cadre restreint des conventions dites fondamentales, ce qui permet d’inclure des enjeux comme la mise en œuvre des « conditions de travail acceptables en ce qui touche au salaire minimum, aux heures de travail » ; la mise en œuvre des conditions de travail acceptables « en ce qui touche à la santé et la sécurité au travail » (et à l’indemnisation en cas d’atteinte à ce droit) ; « la reconnaissance aux travailleurs migrants des mêmes protections juridiques que celles dont jouissent les ressortissants de la Partie concernée en matière de conditions de travail ».

    Selon Hanami, la déclaration était une tentative de rétablir l’universalité des normes internationales en limitant la portée aux Conventions dites « centrales » (core) dans un contexte où l’idée même des droits de l’homme fut attaquée par le monde non occidental¹⁹. L’élargissement des droits et Conventions mentionnées dans les clauses sociales permettrait de répondre aux critiques de Déclaration de l’OIT de 1998, notamment le fait qu’une attention excessive soit portée à l’égard de principes plutôt qu’à des droits, un système qui invoque des principes indéfinis et qui ont été détachés de leur ancrage dans le droit international fondé sur le « promotionnalisme doux »²⁰. En général, les accords de libre-échange signés par le Canada font référence à deux documents principaux de l’OIT : la Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux à l’œuvre et son suivi (1998) et la Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (2008). Dans le cas de l’Union européenne, une référence à chacune des conventions de l’OIT est incluse et dans l’AECG, le Canada a accepté de les nommer explicitement. Avant 1998, les accords faisaient référence aux normes internationalement reconnues.

    TABLEAU 1.2 / Pour ou contre la référence aux conventions de l’OIT et leur ratification

    Dans les accords récents, on aborde de front de nombreuses nouvelles questions, notamment celle de l’égalité entre les femmes et les hommes qui, en 2017, est consacrée comme le cinquième des 17 objectifs de développement durable fixés par les Nations unies. Des études révèlent qu’en dépit de l’augmentation des taux de participation à la population active liée à la mondialisation, tant pour les femmes que pour les hommes, l’écart entre les salaires reste important. Une intégration claire des principes liés à l’égalité entre les sexes dans ces chapitres sur le travail améliorerait les chances que les organisations de la société civile s’engagent dans la conception et la mise en œuvre de ces accords. En plus des droits existants sur la discrimination, un article mentionnant l’engagement des parties envers l’égalité des sexes pourrait être ajouté au texte des accords. Tout manquement à cet engagement pourrait être soumis au mécanisme de règlement des différends. Certains accords intègrent des considérations de genre dans leurs mécanismes de renforcement des capacités. Par exemple, le Canada considère que les questions « liées au genre » font partie des domaines pouvant faire l’objet d’une coopération.

    TABLEAU 1.3 / Pour ou contre l’intégration du principe d’égalité des sexes dans les dispositions des accords

    Dans le cadre d’accords commerciaux, les dispositions visant l’égalité entre les femmes et les hommes devraient aussi assurer qu’elle soit rendue possible par l’action publique. En ce sens, il pourrait s’avérer pertinent de faire la promotion des programmes permettant de concilier la maternité, la vie de famille et l’accès au marché du travail²¹. Inclure un article à cet égard reconnaîtrait l’importance de l’accès au marché du travail pour les femmes, afin d’assurer une égalité réelle entre les femmes et les hommes. Un tel article pourrait indiquer que la mise en œuvre de politiques publiques est nécessaire pour garantir cette intégration au marché du travail. Enfin, il pourrait mentionner que la maternité doit faire l’objet d’une protection particulière et qu’elle ne doit en aucun cas être un motif de discrimination sur le marché du travail. Il faudrait évidemment planifier des activités de coopération pour informer chacune des parties contractantes des politiques instaurées à ce sujet. Comme chaque pays dispose de mécanismes spécifiques pour concilier la vie familiale et le marché du travail, une inclusion dans les accords commerciaux pourrait être l'occasion d'échanger des informations sur les pratiques des différents partenaires et éventuellement d'améliorer la conciliation travail-famille au Canada. Il serait ainsi possible de s’engager mutuellement à ratifier les Conventions reliées à la protection de la maternité et aux travailleurs ayant des responsabilités familiales ; les deux conventions n’ont pas encore été ratifiées par le Canada (Conventions 156 et 183). L’inclusion d’une telle thématique dans les accords commerciaux offrirait l’occasion de procéder à ces ratifications, outre d’inciter les partenaires commerciaux à y souscrire également.

    TABLEAU 1.4 / Pour ou contre l’inclusion de clauses visant les politiques assurant l’égalité entre les hommes et les femmes

    2 / Deux approches : coopération et coopération-sanction

    Dans les deux approches, il existe des mécanismes de coopération puisqu’il est supposé que les deux partenaires commerciaux ont la volonté de promouvoir le respect des droits du travail et d’améliorer les conditions de vie des travailleurs. Des programmes de coopération, mis en œuvre dans le cadre de la majorité des accords commerciaux, permettent aux partenaires de disposer des conditions nécessaires pour se conformer à leurs engagements. Cette coopération peut porter sur un plus grand respect des droits des travailleurs, sur la consolidation des moyens financiers et administratifs destinés à faire respecter la législation du travail (contrôle et inspection, lutte contre le travail informel) ou encore sur le renforcement des capacités ministérielles d’appréhender les réalités des travailleurs.

    Les gouvernements sollicitent parfois les membres de la société civile dans le but de contribuer à l’élaboration ou à la mise en œuvre de ces programmes de coopération. Par ailleurs, les dispositions des accords commerciaux portant sur la coopération confient aux institutions le rôle d’opérationnaliser ces programmes visant à améliorer les pratiques de chaque pays.

    À ce jour, différents types de coopération existent :

    L’aide financière,

    La coopération technique,

    Les programmes conjoints de recherche et d’étude,

    Le partage d’information.

    TABLEAU 1.5 / Pour ou contre l’inclusion de clauses visant les politiques en matière d’égalité entre les hommes et les femmes

    Les accords commerciaux prévoient la mise en place de mécanismes et d’institutions qui offrent un cadre formel afin de permettre aux États partenaires de discuter des enjeux reliés à la mise en œuvre et à l’application de la clause sociale. Il existe aujourd’hui trois types d’instances institutionnalisées en lien avec la clause sociale.

    Le Secrétariat permanent. Fermé depuis une dizaine d’années, le Secrétariat permanent de l’ANACT fournissait des rapports annuels et des recherches comparées sur le droit du travail ainsi que sur le marché du travail des pays partenaires, afin d’aider le Conseil ministériel à prendre des décisions informées. Le Secrétariat offrait aussi du soutien aux activités de coopération.

    Le Conseil ministériel. Chaque accord prévoit la création d’une instance permettant aux ministres du Travail (ou à leurs délégués) des États partenaires de se rencontrer sur une base régulière. Il s’agit de la principale instance décisionnelle pour la mise en œuvre de la clause sociale. Il sert de forum pour l’élaboration des activités de coopération, pour les négociations lors d’un différend et pour la définition des paramètres du mécanisme de résolution des différends. Par ailleurs, le Conseil ministériel évalue l’efficacité de la mise en œuvre et prévoit des mécanismes permettant la participation de la société civile (public, patronat, syndicats) à la prise de décision qui est faite en son sein.

    L’instance permanente de consultation interministérielle. Cette institution s’incarne de façon différente d’un accord à l’autre : les bureaux administratifs nationaux (BAN, ANACT), les secrétariats nationaux (Accord Canada-Chili) ou encore les points de contact nationaux (Accord Canada–Costa-Rica, etc). Ces instances servent de points de contact pour recevoir et évaluer les plaintes déposées par la société civile. Elles représentent un outil de coopération, car elles permettent aux partenaires d’échanger de l’information.

    Dans l’état actuel des choses, aucune instance indépendante permanente n’est chargée de veiller à l’application de la clause sociale prévue dans les accords. Un Secrétariat permanent, autonome et responsable de la mise en œuvre de la clause sociale, pourrait aussi avoir le pouvoir d’enquêter sur les violations et d’imposer des sanctions. Pour Banks, en permettant au Secrétariat de l’ANACT de s’atrophier, les parties ont laissé passer l’occasion de développer une expérience précieuse de révision systématique et transparente en matière de respect des normes du travail²². Les ressources financières fournies au Conseil ministériel ou au Secrétariat permanent ont été insuffisantes pour permettre de renforcer les capacités de ces institutions afin d’aider les parties à faire appliquer le droit du travail²³. Mais des limites flagrantes seraient le manque de transparence, de dialogue social et de participation de la société civile. Les Conseils ministériels prévoient des mécanismes de participation du public, mais ceux-ci sont peu connus. Une diffusion des informations portant sur ces mécanismes permettrait une participation plus soutenue de la société civile aux activités des Conseils ministériels, tout en augmentant la légitimité des décisions prises. Pour d’autres, plus critiques, notamment Finbow (voir sa contribution dans cet ouvrage), les accords commerciaux et les chapitres dans le domaine du

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