La transparence dans l’espace numérique: Principes, développements, enjeux
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À propos de ce livre électronique
Ce livre porte précisément sur ce changement, auquel s’est ajoutée une importante dimension technologique. Le « toujours-plus-de-transparence » s’inscrit dans une transformation sociétale qui s’accélère au fil des innovations technologiques.
Le présent ouvrage fournit des clés de compréhension en présentant les types de transparence et les enjeux propres à l’environnement numérique. Il ouvre la discussion sur le niveau idéal de transparence à atteindre, l’efficacité des mesures prises en la matière et la nécessité d’étendre le débat aux différentes approches relatives à l’ouverture administrative. Ce livre s’adresse aux étudiants et étudiantes ainsi qu’aux chercheuses et chercheurs intéressés par cette thématique, de même qu’aux gestionnaires publics confrontés à la question de la transparence administrative dans leurs activités quotidiennes.
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Avis sur La transparence dans l’espace numérique
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Aperçu du livre
La transparence dans l’espace numérique - Vincent Mabillard
INTRODUCTION
«L’information est la clé du pouvoir.»
Confucius
L’État a longtemps maintenu un fort contrôle de l’information relative à son fonctionnement, aux dépens des citoyens, mais aussi des hommes et des femmes politiques censés le diriger. Contrepied moderne de cette réalité, la transparence est devenue une obligation légale dans de nombreux pays. Ce changement de paradigme a provoqué maintes conséquences sur les administrations, qui doivent désormais composer avec ce nouveau mode opératoire. Il est ainsi devenu essentiel de montrer ce qui est fait en interne à l’ensemble des acteurs du débat social. Cet ouvrage porte précisément sur ce profond changement culturel, auquel s’est ajoutée, depuis quelques années, une dimension technologique aussi visible qu’essentielle. Au centre de nombreuses discussions, le «toujours-plus-de-transparence» s’inscrit dans une transformation sociétale qui s’accélère au fil des innovations technologiques successives.
Dans le secteur public, la transparence est vantée pour ses nombreux mérites, supposés ou réels. Elle serait même, selon certains auteurs, «consubstantielle» à la démocratie, formant un pilier de la bonne gouvernance, et devrait être recherchée par tout système qui se veut vertueux (Stiglitz, 1999). Sa popularité repose en grande partie sur sa capacité à réduire la corruption, à accroître la confiance des citoyens, à améliorer l’efficacité des administrations et à permettre une plus grande participation des individus à l’élaboration des politiques publiques et à la prise de décision. Ces attentes sont formulées et reprises par de nombreux acteurs, notamment politiques, pour qui il devient presque impossible d’échapper à ces dynamiques.
Au Canada, le premier ministre Justin Trudeau avait mis la transparence des institutions au cœur de ses promesses électorales. Il affirmait en 2014 vouloir «accroître le degré de transparence et de responsabilisation de l’ensemble des institutions publiques canadiennes [car c’est] ce qu’il convient de faire et c’est une nécessité¹». Il marchait alors dans les pas de l’ancien président états-unien Obama, qui souhaitait créer l’«administration la plus transparente de l’histoire du pays», par l’intermédiaire d’une démocratie plus connectée et d’une plus grande efficacité des institutions (Coglianese, 2009). Au Québec, le gouvernement promet régulièrement plus de transparence dans certains dossiers. Au niveau local, plusieurs élus veulent «restaurer une démocratie municipale plus saine» basée sur le principe de transparence, favorisant les délibérations publiques et la participation, aussi bien des minorités politiques que du public au sens large (Beaudin et Proulx, 2020). La transparence est ainsi devenue une valeur cardinale du fonctionnement des États démocratiques, soutenue par des arguments tant juridiques (droit d’accès à l’information) que moraux (droit de participation sur base de jugements éclairés). Or, et dans tous les cas, la concrétisation de ces déclarations est très inégale et semble rarement faire l’objet d’évaluations.
Cette demande de transparence émane aussi d’autres acteurs, notamment des organisations non gouvernementales (ONG), très actives dans certains cas. Transparency International, par exemple, combat la corruption en promouvant les pratiques de transparence et d’imputabilité. De nombreuses autres organisations se mobilisent régulièrement autour d’enjeux spécifiques. Ainsi, Human Rights Watch considère que la transparence est centrale dans la production et l’approvisionnement des produits thérapeutiques, d’autant plus lorsque ceux-ci ont été largement financés par les États. Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, de nombreuses ONG ont réclamé une transparence absolue, indispensable selon elles pour permettre l’accès équitable et abordable aux vaccins. Plusieurs gouvernements ont déjà répondu à ces demandes par la négative, arguant que le secret des affaires et l’achat à «un bon prix» requerraient une grande discrétion. De telles réponses illustrent bien la tension importante et quasi permanente qui existe entre les logiques de transparence et de secret.
Cette exigence de transparence n’est toutefois pas propre au domaine de la santé publique ni à une crise sanitaire. Elle résulte d’abord d’une longue évolution, qui répond au besoin de rééquilibrer les échanges d’information entre gouvernants et gouvernés. Elle marque aussi la volonté de renforcer les dynamiques de participation citoyenne et les logiques d’imputabilité publique. Plus généralement, elle est perçue comme essentielle dans la mesure où les réseaux de gouvernance, qui régissent de manière croissante le fonctionnement de nos sociétés, dépendent fortement de la qualité des relations entre les différents acteurs. Or la transparence doit conduire, du moins en théorie, à l’augmentation de la confiance de ces acteurs (Worthy, 2010), et à une meilleure productivité de leurs échanges. Elle traduit enfin, aujourd’hui, une transformation vers un mode toujours plus numérique des mécanismes de gestion des organisations publiques tant à l’interne qu’entre les administrations et les citoyens.
La transparence, louée pour son pouvoir émancipateur, permettant d’éclairer les débats et de mieux évaluer l’action des autorités publiques, a ainsi souvent accompagné les mouvements de démocratisation. Au cours des décennies 1990 et 2000, la libéralisation politique en cours dans les anciens pays satellites de l’Union soviétique a favorisé l’émergence de sociétés plus ouvertes et plus transparentes. Ce phénomène se retrouve aussi dans la construction d’institutions internationales comme l’Union européenne (UE). La transparence permet alors d’accroître la légitimité du projet politique d’intégration à l’échelle continentale. Le Conseil de l’Europe a d’ailleurs édicté plusieurs principes relatifs à la bonne gouvernance, dont font partie la transparence et l’imputabilité, essentielles aussi à la légitimité du projet européen.
Il reste toutefois difficile d’évaluer l’évolution de la transparence dans son ensemble, car celle-ci peut prendre différentes formes. La confusion qui règne autour de sa définition (Pasquier, 2013), ainsi que le traitement souvent unidimensionnel du concept, amène souvent à une lecture/compréhension erronée du principe de transparence. Sa portée symbolique, extrêmement forte, participe aussi de cette confusion. Ainsi, il nous apparaît primordial de définir et de différencier les types de transparence. On parlera dans cet ouvrage des formes active, passive et impromptue que peut prendre la transparence.
D’abord, la transparence active fait référence à la diffusion volontaire d’informations officielles sur les divers canaux à la disposition des organisations publiques. Si le cadre réglementaire exige souvent une communication sur les «enjeux d’intérêt public», la codification de ce type de transparence reste assez floue. Elle tend à se développer massivement grâce aux opportunités offertes par les nouvelles plateformes technologiques. Dans une perspective plus juridique, la transparence passive correspond à la communication d’information sous forme de réponse adressée par les administrations aux requérants. Ce type d’échange entre l’État et les citoyens est le plus souvent régi par une loi d’accès à l’information, dont peut se saisir tout individu intéressé par un document non publié par un organisme public. Enfin, la transparence impromptue est caractérisée par la fuite non maîtrisée d’informations officielles, le plus souvent par le biais d’agents étatiques (Hood, 2011). Il existe de nombreux exemples récents, le plus médiatisé étant probablement le cas d’Edward Snowden.
Ces divers types de transparence nécessitent une approche précise et différenciée, car ils mettent en exergue des enjeux certes transversaux dans certains cas, mais également spécifiques dans d’autres. Leur combinaison, que plusieurs organisations appellent de leurs vœux pour créer une véritable «culture de la transparence», ne va pas de soi. Toutefois, privilégier un type de transparence au détriment d’un autre n’est pas sans risque. Penser la création d’une culture de la transparence à partir d’un seul type de transparence ne semble pas réaliste non plus (Mabillard et Keuffer, 2022). Ainsi, il convient de réfléchir à une approche englobante de la transparence, au sein de laquelle ces différents types doivent coexister de manière efficace et contribuer à l’amélioration de l’ouverture administrative envers leur population.
Au-delà de ces considérations historiques et ontologiques, cet ouvrage se penche plus en détail sur les impacts récents de la transition vers le numérique, qui affecte directement l’expression de la transparence et, plus généralement, le fonctionnement des administrations publiques et le rapport État-citoyens. Nous définissons le terme «numérique» comme «un espace issu de l’intégration des nouvelles conventions engendrées par les interactions entre les technologies de l’information et des communications et les comportements humains» (Caron, 2021, p. 68), en ligne avec les autres contributions de cette collection.
La transparence est aujourd’hui avant tout numérique. L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) monopolise désormais l’attention, en particulier les réseaux sociaux (Feeney et Porumbescu, 2021) et l’intelligence artificielle (IA) (Jacob et Souissi, 2022). Souvent présentées de façon positive, les TIC permettent dans certains cas d’augmenter le niveau de transparence, par l’intermédiaire d’une information globalement plus accessible et plus rapidement diffusable. Elles facilitent également la dématérialisation de certains services, rendant ces prestations plus accessibles et plus faciles à utiliser pour le citoyen. Néanmoins, le danger de tomber dans les travers du technodéterminisme demeure, en sous-évaluant plusieurs écueils relatifs au fonctionnement et à l’implémentation des technologies. En effet, la focalisation sur les possibilités offertes par les TIC ne permet pas toujours de distinguer l’outil de l’usage, les défis liés à leur adoption et à leur utilisation. Elle tire profit, en ce sens, trop fortement du pouvoir transformateur de la technologie.
Les TIC créent aussi des difficultés de gestion pour les administrations, notamment la création, le stockage, le suivi, l’analyse et la distribution de l’information. Par exemple, l’immédiateté induite par les réseaux sociaux, ainsi que les nouveaux codes et modes de communication sur ces plateformes, soulève des questions sur la capacité effective des administrations de donner réponse à des demandes dans des délais toujours plus courts. Il reste donc essentiel de se pencher sur ces questions relatives à ce que l’on qualifie ici de «transparence 2.0», suivant le terme déjà utilisé par Davis et Cuillier (2014).
Le passage au numérique génère plusieurs enjeux. Technologiques d’abord, puisqu’il s’agit tout à la fois de s’équiper et de se familiariser avec de nouveaux outils, de garantir la sécurité en ligne et d’éviter la «fracture numérique» entre les usagers. Enjeux de diffusion ensuite, car la communication doit échapper au piège du trop-plein d’information, paradoxalement nuisible au principe de transparence. Or la quantité d’informations ne fait que croître avec le développement des TIC. Les enjeux managériaux se rapportent à la transformation des modes de production, de gestion, de diffusion et de consommation de l’information. La formation du personnel, la coordination dans la création, le stockage et le partage de l’information ainsi que la réponse apportée à de nouvelles formes d’imputabilité se retrouvent au centre des questionnements relatifs à la transformation numérique en cours dans les administrations publiques. Enfin, des enjeux liés à la réception de l’information émergent avec les TIC: comment s’assurer de la compréhension des contenus diffusés, de leur interprétabilité (Caron, 2021, p. 17)? Comment rendre les données ouvertes (ré)utilisables? Ou encore, comment mobiliser les citoyens sur les réseaux sociaux?
Tous ces éléments visent la communication d’un nombre toujours plus grand d’informations, suivant la tendance à réclamer la communication de tout, à tous et en tout temps. Mais une telle position, parfois qualifiée de «transparence nue» (Lessig, 2009), comporte plusieurs biais et défauts. Les défis éthiques propres à la diffusion d’information, et plus spécifiquement la protection de la sphère privée, sont dangereusement éludés par cette position. Ainsi, les employés des administrations revendiquent légitimement un certain respect du droit à la vie privée, sans se retrouver sous la surveillance permanente du public (Janssen et Van den Hoven, 2015).
Un autre aspect fait référence au trop-plein d’information («infobésité»: Pasquier et Villeneuve, 2007) et à l’absence de contextualisation des messages diffusés. Une telle situation ne permet pas une plus grande compréhension des enjeux et peut saper la légitimité d’une organisation publique ainsi que la confiance placée par les citoyens dans cette organisation, causant parfois des dommages sur le long terme. À ce propos, la focalisation sur des informations négatives, souvent sensationnalistes, se fait souvent au détriment de nouvelles plus positives et plus représentatives des opérations d’une organisation (Grimmelikhuijsen et al., 2017). Ainsi, la transparence ne peut pas être évaluée à l’aune de simples considérations quantitatives (nombre de documents mis à disposition). Il s’agit donc plutôt de parvenir à un équilibre entre une potentielle «dictature de la transparence» (Pingeot, 2016) et la persistance du secret, portée par la protection de l’intérêt national et de la propriété intellectuelle notamment.
Pour autant, cette approche équilibrée et précautionneuse ne doit pas occulter d’autres réalités, plus stratégiques. En effet, nous faisons face à une politisation forte du thème de la transparence et à un décalage plus marqué entre promesses et réalisations. Un décalage expliqué certes par le peu d’entrain de la machine politique à financer et à activer les mécanismes essentiels à la transparence (voir les tentatives peu fructueuses à Ottawa et à Québec de moderniser les lois correspondantes), mais aussi par le biais de résistances opposées par les administrations à une plus grande ouverture (Pasquier et Villeneuve, 2007). Des routines, fort ingénieuses parfois, se sont installées pour contourner la transparence (Comeau, 2013, p. 128).
Ainsi, la transparence engendre des débats sur son étendue, sa pertinence et son utilisation. Elle soulève plusieurs grandes questions qui seront traitées dans cet ouvrage. La première d’entre elles concerne le rapport État-citoyen: une approche optimiste et enthousiaste de la transparence repose souvent sur le fait que les actions entreprises permettront de créer une véritable «culture de la transparence» (Harris et Merrett, 1994), qui s’imposera d’elle-même. Or, nous voyons que le droit à l’information n’est pas considéré de la même manière partout, et que les citoyens ne recourent pas à ce droit avec la même intensité dans tous les pays. Utilisée de manière importante au Canada, la législation sur la transparence administrative est moins prisée dans certains États européens, comme la Suisse. Paradoxalement, cette situation peut profiter à certains intervenants plus actifs dans l’acquisition d’informations gouvernementales. La forte croissance des nouvelles technologies pose ensuite de nombreuses autres questions de communication pour le secteur public. Pour n’en retenir que quelques-unes: comment garder le contrôle sur la continuité de l’information? Comment gérer les fuites sur l’activité gouvernementale, diffusées sur des plateformes numériques et reprises par les médias? Comment articuler la mise à disposition de contenu en ligne et la mise en œuvre efficace du droit d’accès à l’information? Comment contrer l’utilisation des réseaux sociaux comme terreau fertile pour la propagation du populisme et des fausses nouvelles (Sgueo, 2018)? Enfin, des questions de nature éthique et managériale: doit-on tout dire? Faut-il passer au tout-numérique, et si oui, comment? Et plus généralement, tous ces efforts visant à accroître l’ouverture administrative sont-ils efficaces?
Cet ouvrage vise à apporter des éclairages sur ces différentes questions afin de mieux comprendre les enjeux à venir aux niveaux législatif et administratif et de proposer des pistes de réflexion. Pour ce faire, nous présentons tout d’abord la trajectoire historique de la transparence, de ses origines aux développements plus modernes du principe (chapitre 1). Nous passons ensuite en revue les divers types de transparence: active, passive ou impromptue (chapitre 2). Pour chaque type, nous examinons les principales évolutions apportées par l’implantation des TIC, la manière dont les administrations répondent aux défis posés par ces évolutions, les problèmes auxquels les organismes publics sont confrontés, les mesures qui ont déjà été prises et les questions qui restent en suspens. Les défis propres à la transformation numérique sont ainsi commentés plus en profondeur dans le chapitre 3. Enfin, le chapitre 4 se concentre sur les grandes questions concernant l’étendue et l’efficacité du principe de transparence pour le secteur public.
RÉFÉRENCES
Caron, D. J. (2021). Écosystème de la transformation de l’administration publique vers le