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Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition: Une approche de création de valeur
Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition: Une approche de création de valeur
Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition: Une approche de création de valeur
Livre électronique1 437 pages16 heures

Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition: Une approche de création de valeur

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À propos de ce livre électronique

L’éthique en affaires peut-elle l’emporter sur la soif du gain ? Depuis la publication de la première édition du présent ouvrage, de plus en plus d’organisations possèdent en effet leur propre code de gouvernance qu’elles rendent public. Mais la gouvernance n’est pas qu’un simple exercice de préparation de documents, elle est surtout une question de conviction et d’attitude : la conviction que la manière la plus payante de faire des affaires à long terme est de respecter les règles de confiance et d’éthique ; et l’attitude qui consiste à accepter de traduire les principes de gouvernance en règles de gestion.

Ce livre présente la gouvernance comme un système à mécanismes multiples qu’il convient de manier efficacement pour atteindre les meilleurs résultats. L’auteur passe en revue les mécanismes internes des organisations : ceux institutionnels, tels l’assemblée des actionnaires et le conseil d’administration et ses comités ; ceux opérationnels, le contrôle des revenus et des dépenses et le système de gestion des risques ; et ceux informationnels, les méthodes de divulgation de l’information aux investisseurs. Il s’applique ensuite à décrire les mécanismes externes de la gouvernance, que ce soit les autorités financières ou encore les normes comptables internationales.

Avec l’évolution fulgurante des pratiques entrepreneuriales, évolution beaucoup plus rapide que celle qu’ont pu connaître les régimes de surveillance et d’encadrement, il est primordial que les entreprises se dotent d’un cadre de gouvernance définissant formellement l’orientation éthique de la conduite des affaires. Cette deuxième édition, mise à jour et augmentée de trois nouveaux chapitres, présente un modèle de gestion enraciné dans la responsabilité sociale, dont la finalité est la création durable de la richesse par la recherche de l’équité, de l’efficacité et de la maîtrise des risques.
LangueFrançais
Date de sortie26 août 2015
ISBN9782760542761
Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition: Une approche de création de valeur
Auteur

Ahmed Naciri

Ahmed Naciri est président du Centre international de gouvernance de Montréal. Professeur à l’Université du Québec à Montréal, il collabore également à l’enseignement de certains cours à l’Université McGill, l’Université du Maryland et l’ESSEC de Paris. Il a reçu le prix d’excellence de l’Association des sciences administratives du Canada.

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    Traité de gouvernance d'entreprise 2e édition - Ahmed Naciri

    valeur.

    1.1. LES MÉCANISMES DE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE ET LEURS INTERCONNEXIONS

    Aujourd’hui, à la suite des graves malversations dont de grandes sociétés et institutions du monde entier ont été le théâtre, la gouvernance est devenue une forte revendication sociale et, peut-être, un puissant moyen de créer de la valeur. En effet, la gouvernance d’entreprise peut jouer un rôle vital, même s’il n’est pas toujours bien compris, notamment dans le développement économique d’un pays et de ses organisations. La plupart des travaux sur la gouvernance d’entreprise se sont toutefois concentrés sur ses mécanismes classiques et immédiats qui sont inévitablement intérieurs à l’organisation, comme la structure du conseil d’administration et de ses comités, l’indépendance des administrateurs, etc. En outre, la plupart des écrits consacrés au sujet ont adopté dès le départ une orientation étroite visant à assurer que les sociétés sont fondamentalement gérées pour le bénéfice de leurs actionnaires, souvent au mépris de toute considération sociale. Or la justification théorique d’une telle orientation repose sur l’hypothèse restrictive de l’existence d’un marché parfait, alors que tout le monde sait qu’un tel marché n’existe pas. Une vision plus large de la gouvernance d’entreprise tend cependant à émerger. Cette vision consiste à assurer une utilisation efficace et conforme à l’éthique des ressources organisationnelles ; c’est elle que nous proposons d’adopter dans ce livre.

    La complexité dynamique de la gouvernance d’entreprise ne peut être bien cernée qu’à travers la compréhension d’une série de mécanismes et l’évaluation de leur impact sur la stratégie de l’organisation et sur sa valeur au marché. Une telle compréhension doit aller au-delà des mécanismes de gouvernance traditionnels et immédiats, telles la structure du conseil ou l’indépendance de ses segments ; elle doit surtout s’étendre à d’autres horizons essentiels : l’impact du marché de la prise de contrôle, le rôle des agences de notation de crédit, l’impact de la gestion organisationnelle sur l’environnement socioéconomique, etc. Comme nous allons le voir, les mécanismes de gouvernance organisationnelle sont nombreux et se distinguent par leur diversité (Naciri, 2009) ; outre les mécanismes internes, d’autres sont d’ordre opérationnel, institutionnel ou même environnemental. Cependant, tous sont liés et produisent un impact global sur le destin de l’organisation. Chacun de ces mécanismes peut contribuer à renforcer et à améliorer la gouvernance.

    Précisons que tout au long de ce livre, nous prendrons pour point de départ l’hypothèse de la maximisation de la richesse des actionnaires, tout en la critiquant à l’occasion, bien que cette hypothèse ne soit ni très représentative ni universellement admise. Tel le fil d’Ariane, elle servira à expliquer, ainsi qu’à relier entre elles, toutes les actions organisationnelles, surtout celles qui favorisent la bonne gouvernance. Dans ce livre, nous considérons la bonne gouvernance organisationnelle comme un outil de performance et de création de valeur ; à ce titre, la gouvernance doit être vue comme un solide instrument de renforcement de l’efficacité et de l’éthique au sein des sociétés, qu’elles soient publiques, privées ou d’État.

    1.2. LA SOCIÉTÉ

    La « société » ou « compagnie », un regroupement de personnes aux intérêts communs habilitées à agir à titre individuel au sein d’un ensemble, existe sous une forme ou une autre dans la plupart des civilisations anciennes. En effet, l’humanité a découvert très tôt les vertus de la mise en commun des moyens de production et des ressources, sous la forme d’une organisation, ce qui lui a permis de réussir à mettre les sociétés au service de son bien-être collectif. Les résultats obtenus l’ont amenée à faire des sociétés le principal moteur de son progrès. Ce n’est toutefois qu’au xive siècle, que l’aventure des sociétés en tant que systèmes d’entreprise organisés a vraiment pris son essor, soit plus précisément lorsque les gouvernements coloniaux de l’époque ont eu recours à des sociétés afin d’entreprendre des tâches coloniales qui paraissaient alors trop risquées ou trop coûteuses à mettre en œuvre par des particuliers. Aux xviie et xviiie siècles, l’emploi nettement plus généralisé de la structure de la société par les puissances coloniales l’a bien renforcée et lui a donné un second souffle.

    Le concept de société n’a cependant atteint son apogée qu’au cours des xixe et xxe siècles, lorsque la société est devenue la seule façon légale ou presque et la plus efficace de faire des affaires, d’accumuler des richesses et d’accaparer pouvoir et contrôle. Une des raisons de cette expansion exponentielle réside dans les droits et les privilèges accordés, dès ses débuts, à la société, dans le but de lui permettre de jouer efficacement et pleinement son rôle originel, un rôle essentiellement politique qui, semble-t-il, n’est devenu économique que progressivement. Parmi les privilèges et les droits avantageux concédés à la société, nous remarquons la responsabilité limitée et le privilège de la perpétuité ; il s’avère que ces deux avantages ont des ramifications insoupçonnées et profondes, qui vont jusqu’à bouleverser radicalement le paysage financier de la planète.

    Au chapitre 2, nous nous étendrons sur les privilèges de la société ; notons déjà que celui de la responsabilité limitée, par exemple, permet la négociation anonyme des titres de la société et simplifie grandement cette négocia­tion, allant jusqu’à libérer la société du fardeau du consentement de ses créanciers lors de l’émission de nouvelles actions financières. En revanche, le droit à la responsabilité limitée restreint en fait le montant que peut perdre tout investisseur dans le cadre de sa participation au capital-actions de la société. Ce dernier droit a eu un impact déterminant et réel sur l’ensemble du paysage financier, particulièrement en permettant aux sociétés de lever des fonds considérables par la conjugaison de capitaux provenant de différents actionnaires issus d’horizons variés. Il n’est même plus nécessaire que ces actionnaires se connaissent les uns les autres pour faire partie d’une même organisation. Leur nombre se trouve donc fortement augmenté, tout comme le montant qu’ils sont en mesure d’investir ensemble. Cela contribue en plus à réduire le risque que chacun doit assumer et finit par faciliter l’accessibilité des marchés et améliorer leur liquidité. Par ailleurs, le privilège de perpétuité permet aux structures organisationnelles et aux actifs d’une société de survivre à chacun des propriétaires et des autres parties prenantes ou agents. Il en résulte une stabilité accrue et une accumulation des capitaux pouvant servir à financer un nombre croissant de projets, toujours plus importants et à plus long terme que les précédents. Bon nombre de mégaprojets devant lesquels on s’émerveille aujourd’hui seraient impossibles sans les avantages de la ­responsabilité limitée et de la perpétuité qui sont consentis aux sociétés.

    Il faut bien le reconnaître, les sociétés se sont montrées à la hauteur des défis à relever, mais aussi en mesure de tirer habilement parti du statut spécial qui leur a été accordé. Tout allait bien, si ce n’est qu’au fil du temps, le modèle des sociétés a gagné en arrogance, au point que celles-ci se sont considérées comme étant en pleine légitimité lorsque, récemment, elles ont défendu l’idée qu’une société n’a de comptes à rendre à personne et ne doit pas être mue par une quelconque considération sociale. Ainsi, ni le volume exorbitant et inimaginable de la richesse accumulée, ni le niveau élevé de la concentration des pouvoirs ne devraient être perçus comme étant inquiétants ou problématiques. Déjà à l’époque d’Adam Smith, une telle vision plaçait l’opportunisme des relations d’affaires au premier plan de l’analyse économique, alors que l’on croyait encore que la société ne pouvait durer que si chacun de ses membres se souciait du sort de ses semblables et avait la conviction que l’ordre social dépendait de son propre comportement, lequel était censé être naturellement altruiste. Il est regrettable de constater que le modèle de Smith est si souvent mal interprété, en ce sens que même si, selon Smith, les individus chercheraient délibérément à satisfaire leurs intérêts personnels et à mettre à profit tous les moyens disponibles à cette fin, ils sont également censés avoir fait en sorte que leurs efforts en faveur de leurs intérêts personnels soient poursuivis dans un cadre éthique, nourri de compassion pour les autres.

    En outre, les moyens employés pour atteindre les objectifs individuels ne sont réputés légalement acceptables ou permissibles que s’ils sont efficaces sur le plan socioéconomique, c’est-à-dire si les actions de l’individu contribuent réellement à l’amélioration du bien-être général. Le modèle de Smith semble donc se détourner de ces élans d’enrichissement abusif, voire frauduleux, qui passent souvent par l’exploitation des autres humains dans le seul but de satisfaire l’ego individuel. Smith reconnaît cependant que dans certaines situations, chaque individu peut se révéler extrêmement utile aux autres par le simple fait qu’il s’aide lui-même : il lui suffit de poursuivre ses propres intérêts en toute éthique. Il n’y a là aucune contradiction, comme nous allons le voir.

    Il est intéressant de constater que l’humanité semble avoir été conciliante à l’égard de ses valeurs morales et sociales chaque fois que des intérêts pécuniaires étaient en cause. C’est ainsi que, jusqu’à tout récemment, on a essayé de présenter l’efficacité et l’éthique des affaires comme deux notions inconciliables, dont il fallait choisir l’une au détriment de l’autre. Par conséquent, les sociétés modernes nous ont convaincus qu’il leur fallait harnacher tous les moyens de maximiser la richesse, sans s’encombrer d’onéreuses considérations éthiques. Cette argumentation a évidemment donné lieu à bien des comportements fondés sur l’astuce, la fraude et l’hypocrisie. Cette philosophie des affaires a été mise en place lentement mais sûrement, et depuis si longtemps qu’il semble aujourd’hui presque impossible d’imaginer que les sociétés puissent se comporter autrement.

    C’est ainsi que, très rapidement, la société en tant que forme d’entreprise s’est imposée partout dans le monde comme le modèle dominant des affaires. En un laps de temps tout aussi court, les gestionnaires de sociétés ont pris presque totalement en main le destin des sociétés, au détriment des propriétaires légitimes que sont les actionnaires et, parfois, au mépris de l’intérêt général. On appelle « gouvernance organisationnelle » ou « gouvernance d’entreprise » la discipline qui traite de l’autorité au sein des entreprises. Cette discipline porte sur la façon dont les dirigeants d’organisations se comportent dans l’exercice de leurs fonctions, en leur qualité de délégués des actionnaires. En conséquence, la gouvernance organisationnelle se doit d’aller au-delà de la relation des actionnaires avec les dirigeants de leur société et de l’encadrement qu’ils y exercent, pour s’étendre à d’autres dimensions qui seront abordées plus loin dans ce livre.

    Bénéficiant d’une évolution historique favorable, les sociétés ont fini par dominer l’ensemble des activités économiques humaines. De fait, elles jouent aujourd’hui un rôle crucial au sein de toutes les économies modernes, qui ont placé leur destin entre leurs mains, que ce soit pour réaliser leurs objectifs de développement ou pour asseoir leurs politiques de régulation des investissements ou la sécurisation de leurs revenus. Il n’est donc pas étonnant de se rendre compte qu’une bonne gouvernance d’entreprise peut être considérée aujourd’hui comme une condition essentielle au bien-être économique et social, par une vaste et sans cesse croissante majorité de la population, et qu’elle devient un enjeu majeur des politiques publiques. Un tel intérêt pour la gouvernance s’est vu exacerbé par les préjudices économiques et sociaux inéquitables qu’ont récemment occasionnés les malversations ouvertement commises par des sociétés peu soucieuses de l’éthique.

    Après tout, la crise financière récente, causée par la faible gouvernance des institutions, pourrait avoir pour conséquence positive insoupçonnée d’attirer l’attention sur l’impérieuse nécessité de corriger un comportement organisationnel et institutionnel abusif et dangereux. La gouvernance pourrait s’avérer très salutaire et bénéfique aux organisations et institutions elles-mêmes, si seulement leurs dirigeants se rendaient compte à quel point elle est susceptible de contribuer à l’amélioration de leur compétitivité et au ­renforcement de leur prospérité à long terme.

    1.3. LE COCKTAIL EXPLOSIF DU PROGRÈS DES SOCIÉTÉS ET DE LA SPÉCIALISATION DES MARCHÉS

    Si les privilèges fondamentaux accordés aux sociétés ont eu l’effet qu’on leur connaît aujourd’hui, c’est parce qu’un marché bien adapté a été créé spécialement pour elles. Pour cette raison, les progrès enregistrés sur le plan de la gestion des sociétés et la spécialisation des transactions boursières qui les ont accompagnés ont eu de profondes répercussions sur la gouvernance des organisations. Le résultat fut l’avènement d’un nouvel ordre financier, principalement caractérisé par l’énorme volume des transactions, elles-mêmes marquées par une spécialisation extrême, mais également, comme on peut le déplorer, par leur contribution essentielle à l’avènement d’une ère de fraudes sans précédent. Il en a résulté une sorte d’ouragan financier (figure 1.1) impossible à maîtriser, du moins jusqu’à présent, et dont on n’a pas encore découvert toutes les conséquences.

    Figure 1.1. L’ouragan financier

    En effet, les grandes métamorphoses organisationnelles avaient grandement contribué au développement des marchés financiers et boursiers, dont les opérations avaient subi de véritables explosions. À titre d’exemple, le groupe mondial NYSE Euronext, né en 2007 de la fusion de la Bourse européenne Euronext et de la Bourse de New York, a réalisé en juin 2010 un volume moyen quotidien de 3 430 millions de contrats, soit un bond de 24,4 % par rapport à juin 2009 ; on a pu observer le même genre de situation pour d’autres produits et marchés. En fait, en créant de nouveaux instruments financiers comme les options, les produits dérivés ou les indices boursiers, on a fourni à l’ouragan financier le carburant susceptible d’accroître sa force destructrice. Ses opérateurs sont devenus des sortes de rapaces voraces, incapables d’attendre que les événements se produisent et que les proies se présentent pour encaisser leurs commissions ; ils ont plutôt appris à les téléguider, à les anticiper, à les simuler, voire à les falsifier dans l’espoir de rendements sans cesse plus élevés, mais pas toujours mérités. Ils ont ainsi engagé le marché dans une sorte de course folle au profit à tout prix, créant le plus souvent de fausses attentes aussi vides que préjudiciables, qui se sont traduites par bien des déceptions. Les fraudes des sociétés et des institutions ont fini par embraser l’ensemble du marché, l’entraînant dans une sorte de tourbillon dévastateur qu’on a encore peine à maîtriser aujourd’hui.

    Le déluge financier récent n’est que la conséquence naturelle d’un processus engagé depuis fort longtemps et à l’issue duquel le marché s’est imposé comme l’unique système de gouvernance organisationnelle (Clarke, 2005, p. 1410). Ce processus repose sur la loi de l’enrichissement à outrance des actionnaires (surtout les gros), au plus bas niveau de risque possible. Les chefs d’entreprise se sont ainsi retrouvés plus responsables vis-à-vis du marché qu’envers les actionnaires et encore moins envers les citoyens. En conséquence, l’organisation est devenue le terrain privilégié de la fraude, des détournements et des malversations en tous genres. Ces malversations sont à la fois difficiles à détecter et presque impossibles à prévoir, principalement en raison de la spécialisation croissante des processus transactionnels.

    Les organisations ont aussi appris à gagner de la puissance grâce à des activités de lobbying bien orchestrées, une sorte de système corrupteur, organisé et légal, visant principalement à décourager ou, du moins, à diluer toute loi, règlementation ou réforme n’ayant pas reçu leur aval et susceptible de s’avérer, ne serait-ce que marginalement, contraignante. Ces sociétés ainsi devenues incontrôlables se sont engagées dans des systèmes complexes d’interdépendance visant à camoufler les conflits d’intérêts. En fin de compte, pour le bon service qu’elles pouvaient rendre, les sociétés demandaient à être payées à prix d’or.

    1.4. LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE

    Le Toupictionnaire donne de la gouvernance la définition suivante : « L’ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d’information et de surveillance qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle d’un État, d’une institution ou d’une organisation, qu’elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou internationale¹. » Les définitions de la gouvernance d’entreprise varient considérablement ; dans le contexte de ce livre, la gouvernance est vue comme l’affectation optimale et éthique des pouvoirs au sein de l’organisation, de ses ressources humaines, matérielles et financières, dans le but d’engager un processus transparent, créateur de valeur responsable, pour tous les acteurs de l’entreprise et à tous ses échelons. Le but ultime est ­évidemment de maximiser la valeur au marché de l’organisation. La gouvernance, c’est aussi un ensemble de principes, de mécanismes, de processus et surtout d’attitudes qui sont mis à contribution afin de régir l’organisation, aujourd’hui et dans l’avenir, sur le plan de l’efficacité et de l’éthique. Elle a pour but « de fournir l’orientation stratégique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, que les risques sont gérés comme il le faut et que les ressources sont utilisées dans un esprit responsable² ». La gouvernance d’entreprise traite aussi de la manière dont les dirigeants des organisations se gouvernent eux-mêmes. C’est aussi et avant tout une question de conviction et de valeurs personnelles.

    Pour bien comprendre le concept de gouvernance, un bref historique serait utile. Le mot lui-même est apparu en français au xve siècle ; il a rapi­dement traversé la Manche afin de s’intégrer au vocabulaire anglais de l’époque, sous la forme governance, tout en gardant d’ailleurs le même sens qu’en français. Une fois anglicisé, le terme fut mis au rancart pendant plusieurs siècles, et ce n’est que récemment qu’il s’est refait une jeunesse.

    Tout a commencé à la fin des années 1980, lorsque les organisations internationales, sérieusement découragées et secouées par les échecs à répétition de leurs programmes d’ajustement structurel, se sont mises à la recherche de solutions miracles. Elles décidèrent alors d’utiliser à nouveau le vocable governance, dans sa version anglaise. En fait, les responsables de la Banque mondiale dénigraient les cadres supérieurs des pays en développement qu’ils appuyaient et les accusaient, avec un certain flegme anglais, de weak governance ou « faible gouvernance ». Ce terme a par la suite servi à qualifier une action en amont, qui devait porter sur le mode de gouvernement des administrations publiques des pays concernés. En fait, le statut d’institution internationale de la Banque mondiale lui interdit expressément d’intervenir dans les affaires politiques de ses pays clients, alors que les systèmes politiques peuvent avoir une incidence déterminante sur le succès de ses programmes structurels. Et c’est ainsi, comme une sorte d’illumination, que le terme « gouvernance » a été appelé à la rescousse. Considéré comme un terme technique, il permet à la Banque de contourner les questions politiques. La gouvernance est alors définie comme la façon dont le pouvoir est exercé pour la gestion et le développement des ressources sociales et économiques d’un pays. Une telle définition devient fonctionnelle une fois qu’on l’a décomposée en une série d’éléments, plus faciles à définir qu’à mettre en œuvre. L’orientation de la restructuration du modèle de la Banque mondiale allait tout de même inspirer la plupart des initiatives législatives de gouvernance d’entreprise subséquentes, en ­particulier la loi Sarbanes-Oxley des États-Unis (SOX, 2002).

    On se rappelle qu’à la fin des années 1990, de nombreux pays asiatiques ont été confrontés à une grave crise financière ; de nouveau, les experts internationaux se sont laissé convaincre que la crise était principalement causée par un manque d’éthique dans les affaires en Asie du Sud-Est ; l’absence de transparence et de divulgation efficace a été montrée du doigt. La crise financière asiatique a effectivement mis la gouvernance à l’ordre du jour de bon nombre d’organisations internationales et tout particulièrement à celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette organisation a d’ailleurs publié, dès 1998, ses propres principes de gouvernance, qui seront aussi abordés au chapitre 4. L’initiative de l’OCDE était axée sur les économies en développement et en transition ; il a fallu ­l’implosion d’Enron et la série noire de scandales financiers pour faire passer aux puissances économiques du monde le message que les pratiques irrégulières des sociétés et des institutions n’étaient pas l’apanage des pays en développement, loin s’en faut ; on s’apercevait qu’elles gagnaient même en sophistication dans les milieux industrialisés. Plus grave encore, ces agissements malfaisants n’étaient pas des actes aléatoires, étant pour la plupart perpétrés à l’intérieur d’un cadre juridique qui les autorisait. Les grands scandales financiers ont tous mis en évidence les conséquences dramatiques que peut avoir une faible gouvernance organisationnelle et institutionnelle, de même que l’urgence de chercher des solutions.

    Considérée comme le texte législatif le plus restrictif de l’histoire des États-Unis, la loi Sarbanes-Oxley est une réponse directe et immédiate, peut-être pas la plus efficace, aux scandales financiers qui ont secoué le pays au début de la décennie 2000. Elle s’intéresse surtout à la qualité des états financiers publiés par les entreprises. Bien qu’elle se soit concentrée principalement sur les failles du système en vigueur avant sa publication, elle a eu de larges échos dans le monde entier.

    La loi Sarbanes-Oxley et les autres lois nationales et internationales qui l’ont suivie ont été mises en pratique sous forme de lignes directrices établies par des marchés boursiers et des commissions de valeurs mobilières et complètement transformées par la suite en occasions d’affaires très lucratives par de grands bureaux comptables et juridiques, souvent ceux-là mêmes qui étaient responsables de leur application. Les exigences de la loi Sarbanes-Oxley ont donné lieu à une nouvelle forme d’outils de gestion des affaires axée sur le contrôle interne et la gestion du risque, comme elle a ouvert de nouveaux horizons à la gouvernance. Comment ne pas voir là l’œuvre de lobbyistes, bien qu’elle semble salutaire cette fois ?

    1.5. LES PARTIES PRENANTES À LA GOUVERNANCE

    La gouvernance d’entreprise peut être largement affectée par les relations entre les divers acteurs dans l’organisation. En effet, les parties suivantes ont leur mot à dire dans le processus de gouvernance (OCDE, 2004) :

    Les actionnaires de contrôle, qu’il soit question de particuliers, d’intérêts familiaux, de détenteurs de grands blocs d’actions, de holdings ou de participations croisées, peuvent influer sensiblement sur la ­gouvernance d’entreprise.

    Les actionnaires institutionnels, en tant que propriétaires de capitaux propres, sont de plus en plus exigeants et tiennent à avoir leur mot à dire dans la gouvernance d’entreprise.

    Les actionnaires individuels, tout en donnant l’impression de ne pas rechercher l’exercice d’un contrôle quelconque sur l’entreprise, peuvent être très soucieux de bénéficier d’un traitement équitable de la part des actionnaires de contrôle.

    Les créanciers peuvent également jouer un rôle important dans un certain nombre de systèmes de gouvernance d’entreprise, notamment celui d’encadreurs externes, poussant l’entreprise à accroître son ­efficacité et à améliorer sa gouvernance.

    Les employés et autres parties prenantes jouent un rôle important en contribuant à la réussite à long terme et au rendement de la société.

    Les gouvernements doivent établir le cadre institutionnel et juridique général de la gouvernance d’entreprise.

    Bien d’autres intervenants peuvent s’ajouter, comme nous le verrons dans ce livre.

    Le rôle de tous les participants à la gouvernance d’entreprise et leurs inter­actions peuvent varier considérablement d’un pays ou d’une région à l’autre, parce que ces rôles font l’objet d’un encadrement juridique et règlementaire ou de mesures d’adaptation volontaires, imposées surtout par les forces du marché. Jusqu’à récemment, les efforts des juristes et des théoriciens visant à éradiquer la mauvaise gouvernance étaient presque tous issus des États-Unis et portaient naturellement sur la sauvegarde du système américain. Or les conditions de l’environnement américain ne se retrouvent pas nécessairement dans d’autres régions du monde, où la propriété familiale et la prépondérance du secteur public sont la règle. Parce qu’elle impose des mesures du rendement à atteindre et qu’elle requiert une délimitation des responsabilités ainsi qu’une transparence dans la distribution équitable des richesses, la gouvernance d’entreprise a des conséquences profondes sur les systèmes économiques et sociaux et sur le bien-être collectif. Elle vise également un équilibre entre les objectifs individuels et collectifs (Clarke, 2005).

    1.6. LES DIVERS MÉCANISMES DE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE

    Bien des abus de la gouvernance d’entreprise ont été perpétrés et parfois découverts – leur incidence semble même être en hausse – parallèlement à la levée des obstacles mis en place pour les décourager (Bakan, 2004). À cela il faut ajouter que les personnes chargées de garantir et de renforcer la confiance dans le système financier (vérificateurs, agences de notation de crédit, banques d’affaires, conseils d’administration, avocats, comptables, etc.) ont servi d’instruments de facilitation, sinon de collaborateurs, de la fraude. Ce n’est que dernièrement que les gouvernements, sous la pression de la colère publique, ont été contraints d’agir. Ainsi, différents mécanismes de défense contre la faible gouvernance d’entreprise ont été suggérés. Cherchant la meilleure façon de rétablir la confiance perdue dans le système financier, les organes législatifs ont adopté divers moyens d’imposer aux organisations des comportements marqués au sceau de la bonne gouvernance. Comme l’indique la figure 1.2, de nombreux mécanismes cohabitent, certains d’origine interne (institutionnels, opérationnels et informationnels), d’autres provenant d’horizons externes (marché, agence de notation de crédit, banques d’affaires). Aucun mécanisme n’est gratuit, cependant, et tous partagent le même objectif : accroître la valeur de l’entreprise par l’amélioration de son efficacité à l’intérieur des frontières éthiques.

    Figure 1.2. Le classement des mécanismes de gouvernance d’entreprise

    La restauration de la confiance détruite des investisseurs dans le marché financier, par le biais de la bonne gouvernance des entreprises, est devenue non seulement une priorité, mais aussi une question extrêmement sensible dont dépend l’avenir de tout le système financier, surtout dans notre ère de mondialisation. En effet, beaucoup d’initiatives ont été mises en œuvre afin d’assurer les entrepreneurs que les activités économiques productives continueraient de voir les capitaux affluer. Ces initiatives visent toutes le renforcement de la confiance des investisseurs, aussi bien sur les marchés que dans les institutions, mais aussi dans leur capacité à évaluer efficacement le potentiel productif des actifs. Les mécanismes institutionnels de gouvernance d’entreprise ont été principalement imposés par des lois, surtout ceux qui touchent la structure interne de l’entreprise, tels les droits des actionnaires et la structure du conseil d’administration et de ses comités. De leur côté, les mécanismes opérationnels, de nature endogène, se sont essentiellement consacrés au contrôle interne et à la gestion du risque. Enfin, les mécanismes externes de gouvernance sont extérieurs à l’organisation ; ce sont notamment les vérificateurs externes, le marché pour le contrôle des entreprises, les agences de notation de crédit et les banques d’affaires. Quel que soit leur groupe d’appartenance, cependant, tous les mécanismes partagent le même objectif, celui d’accroître la valeur de l’entreprise au bénéfice de ses propriétaires. Un tel objectif est d’ailleurs censé être atteint par la maximisation de la valeur marchande de la société. Si ce point de vue est contesté par plusieurs, il n’en constitue pas moins le paradigme dominant.

    En soi, cependant, aucun des mécanismes de défense de la gouvernance d’entreprise n’a été totalement efficace. Les mécanismes institutionnels seuls ne se sont pas révélés assez forts pour assurer l’honnêteté et l’efficacité au sein de l’organisation. Les lois et règlements qui imposent un modèle de gouvernance particulier n’ont pas non plus réussi à assurer la pratique de la bonne gouvernance dans les entreprises. Cette pratique aura de meilleures chances de fonctionner si chaque catégorie de mécanismes de gouvernance est construite dans le but de constituer un ensemble cohérent avec les autres catégories. Ensemble, ces mécanismes visent à former un tout cohérent, une sorte de « forfait » diversifié, ayant pour objectif d’assurer l’efficacité et l’éthique de l’organisation et de lui permettre de maximiser la valeur au marché de ses actions. Le poids relatif d’une composante donnée de ce forfait peut toutefois varier selon la nature de ses relations avec l’environnement.

    1.7. COMMENT LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE PEUT ACCROÎTRE LA VALEUR ORGANISATIONNELLE

    La finance moderne soutient fermement que les intérêts des actionnaires sont servis au mieux par des décisions propres à maximiser la cote boursière de leurs actions. Elle prétend que le prix actuel d’une action reflète pleinement la meilleure estimation de la valeur au marché de son titre. Ce point de vue ne fait cependant pas l’unanimité. Certains, en effet, remettent en cause la capacité des cours boursiers actuels des actions d’indiquer avec un degré de fiabilité suffisant la valeur future et le rendement du capital investi, qualifiant la situation de « myopie du marché ». Quoi qu’il en soit, on réclame dorénavant davantage de responsabilité sociale de la part de l’entreprise. On estime que, si celle-ci existe, c’est parce que la société en a décidé ainsi, surtout en lui garantissant les conditions nécessaires à sa réussite. De ce point de vue, une société doit non seulement assurer un rendement à ses actionnaires, mais aussi s’imposer un objectif communautaire significatif.

    Après avoir essuyé un refus catégorique de la part des défenseurs de la maximisation, l’idée que la société doit s’imposer un but social, au-delà de la maximisation de la richesse de ses actionnaires, commence à faire son chemin. Le phénomène a atteint un point tel qu’il est actuellement très courant de rencontrer des gens qui croient que les sociétés ne doivent exister que pour le bien-être de l’ensemble de la collectivité. L’une des conséquences directes d’un tel changement d’attitude est que les entreprises et leurs administrateurs font aujourd’hui l’objet d’une révision majeure de leurs responsabilités et se trouvent soumis à des pressions toujours croissantes qui les poussent à chercher à atteindre un objectif plus large que celui de maximiser la richesse de leurs actionnaires.

    Comme l’indique la figure 1.3, tous les mécanismes de défense de la gouvernance d’entreprise, qu’ils soient d’ordre institutionnel, opérationnel, informationnel ou externe, tendent à vouloir partager le même objectif : optimiser le cours du marché des actions. Bien que, comme nous l’avons déjà mentionné, ce ne soit pas là la seule vision, une étude récente réalisée par McKinsey & Co. (cité dans Deloitte, 2004) révèle ce qui suit :

    57 % des investisseurs institutionnels reconnaissent que la bonne gouvernance d’entreprise est déterminante pour l’augmentation ou la diminution de valeur de leur participation dans une société ;

    selon le pays d’origine, jusqu’à 41 % des investisseurs sont prêts à payer une prime pour la bonne gouvernance ;

    une société peut s’attendre à réaliser un gain de 10 à 12 % de sa valeur au marché si elle améliore sa gouvernance d’entreprise en la faisant passer du pire au meilleur.

    Les théoriciens de la finance soutiennent que l’amélioration de la rentabilité ne peut se réaliser que par l’atteinte d’un équilibre optimal entre le risque et le rendement. Les gestionnaires qui recherchent une interprétation souhaitable des chiffres comptables peuvent effectivement orienter l’interprétation de ces chiffres par les investisseurs en agissant sur la synchronisation ou la restructuration de certaines transactions. Remarquons que cela ne serait pas possible si les marchés étaient réellement efficaces, surtout que les cours du marché (ou la richesse des actionnaires) durant une période donnée sont

    Figure 1.3. Les objectifs supposés des mécanismes de gouvernance d’entreprise

    toujours liés au rendement du marché lui-même³ ; ils peuvent de ce fait être affectés par l’information financière. En effet, on a constaté que les politiques de gestion des chiffres comptables, telles que le revenu, le bénéfice net ou les dividendes, peuvent effectivement influer sur les rendements au marché et, partant, sur la valeur marchande de l’entreprise et de ses émissions publiques. C’est que les chiffres comptables ont également une corrélation significative avec les prix du marché et son taux de rendement, de sorte qu’ils peuvent avoir un effet important sur les cours boursiers. Cette conclusion nous amène à constater que la valeur au marché d’une entreprise peut être favorablement influencée par de bonnes marges brutes, des taux de croissance élevés et de solides bénéfices.

    La figure 1.3 met en lumière le fait que les mécanismes institutionnels et informationnels de gouvernance ont tous pour objectif d’assurer une qualité de gestion qui optimiserait l’équilibre risque-rendement, dans le but de maximiser la valeur marchande. Ces mécanismes ne sont cependant pas exempts de coûts et doivent être soutenus par une valeur ajoutée.

    Le raisonnement qui sous-tend cette affirmation est que les mécanismes de gouvernance sont censés améliorer la capacité de l’entreprise à recueillir les fonds nécessaires à son développement, réduisant ainsi ses risques financiers et d’exploitation et provoquant par là même une baisse du taux de rendement requis par les investisseurs, c’est-à-dire du coût du capital pour l’entreprise. Compte tenu, cependant, de la rareté des recherches sur le sujet et même si, logiquement, on peut s’attendre à ce que la gouvernance ait un effet positif sur la valeur d’une organisation, il n’est pas possible de le prouver empiriquement. Entre autres raisons, on avance un mauvais balisage du paysage théorique de la gouvernance, qui demeure faiblement structuré.

    La responsabilité de la gouvernance relève de l’assemblée des actionnaires, qui la délègue cependant au conseil d’administration. Il est alors crucial pour les actionnaires d’être assurés de l’efficacité et de la crédibilité du conseil d’administration dans l’atteinte d’une gouvernance efficace. Le conseil et ses différents comités doivent se préoccuper non seulement d’accroître la valeur marchande de leur organisation, mais aussi de savoir comment se réalisera effectivement ce gain de valeur. Autrement dit, le conseil doit s’assurer que la voie suivie pour atteindre ce but passe par l’éthique et le respect des autres, par l’entremise d’une structure de gouvernance appropriée. Une organisation ne peut créer plus de richesse, pour elle-même et pour l’ensemble de la collectivité, qu’en adoptant des stratégies conformes à l’éthique, assurant à l’organisation une réputation d’intégrité et de justice. Le conseil devrait opter pour une structure institutionnelle permettant d’harmoniser les intérêts des actionnaires et des gestionnaires et offrant aux responsables de l’organisation des incitations adéquates à agir dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires. Une telle structure devrait inciter à la collaboration et dissuader la confrontation. Il devient évident que dans une économie de plus en plus mondialisée, où la concurrence s’intensifie sans cesse, une bonne gouvernance peut faire la différence.

    Sur le plan opérationnel, l’entreprise peut maximiser sa valeur au marché en mettant en place des mécanismes opérationnels efficaces de gouvernance, en particulier un ensemble performant de contrôles internes comprenant une bonne stratégie de gestion des risques et un système de divulgation efficace. Les contrôles internes sont destinés à aider l’organisation à atteindre son objectif avec une efficacité et une transparence optimales. Afin de mieux saisir la situation, prenons par exemple une entreprise qui, grâce à l’adoption d’une bonne gouvernance, fait passer son état des résultats de la situation 1 à la situation 2, ainsi qu’on le voit au tableau 1.1.

    Tableau 1.1. L’état des résultats avant et après l’application d’une politique de bonne gouvernance (en milliers de dollars)

    1. L’entreprise est supposée être en mesure de faire des économies sur ses charges fixes grâce à ses politiques de bonne gouvernance.

    2. Les créanciers peuvent exiger une rémunération moindre sur leur prêt d’une entreprise mieux gérée et donc moins risquée.

    3. On suppose des capitaux propres de 50 000 000 $.

    Ainsi, l’entreprise est capable d’améliorer la rentabilité pour ses actionnaires, car elle la fait passer de 24 % à 35,2 %. Par ailleurs, en admettant le coefficient de levier comme méthode facultative de mesure du risque, nous pouvons aussi constater une baisse du risque entre l’état « avant » et l’état « après » de l’entreprise. Pour ce faire, nous calculons le ­coefficient de levier combiné (CLc) de la façon suivante (tableau 1.2).

    Tableau 1.2. Le coefficient de levier combiné

    Le coefficient de levier donne une approximation raisonnable de la sensibilité des revenus ou de leur réaction aux variations du chiffre d’affaires découlant supposément de l’évolution de la situation économique. Nous constatons dans cet exemple que le risque de l’entreprise a subi une baisse de 32 %, soit (182/267) – 1.

    À notre avis, l’objectif du système de contrôle interne devrait aller au-delà de l’objectif classique de l’assurance de la qualité de l’information et inclure la recherche de l’efficacité organisationnelle. Cela ne peut se faire qu’en contrôlant les recettes, les coûts et les processus. Le système devrait également être capable de repérer rapidement les faiblesses significatives du contrôle interne et de prendre les mesures correctives qui s’imposent. La sécurisation de l’efficacité du marché, la maîtrise des risques, l’absence de fraude et la qualité de l’information financière publiée ne peuvent que rehausser la valeur au marché de l’organisation, comme l’indique la figure 1.4.

    Figure 1.4. Les objectifs du contrôle interne

    On peut tirer un certain nombre de conclusions de la figure 1.4 en ce qui concerne la relation entre les mécanismes opérationnels de gouvernance d’entreprise, les perspectives risque-rendement et la valeur marchande.

    Tout d’abord, pour être capable de gérer efficacement ses coûts, l’entreprise doit avoir en place un processus permettant de contrôler les différents coûts de sa présence dans le monde des affaires. La gestion des coûts ne se réalise jamais isolément ; elle s’effectue habituellement en liaison étroite avec la gestion des revenus et des bénéfices. Souvent, afin d’améliorer les revenus et les profits, des gestionnaires acceptent délibérément de payer des frais supplémentaires. La gestion des coûts et des revenus est généralement une décision stratégique de la direction, qui estime que l’accroissement de la valeur pour les clients et la réduction des coûts de produits et services font partie intégrante de la stratégie générale de maximisation de la valeur.

    De plus, tout système efficace de contrôle interne a pour corolaire une gestion efficace des risques. La gestion des risques sera abordée en détail dans un chapitre ultérieur, mais nous pouvons déjà affirmer qu’elle passe par la prudence et le souci de la rentabilité. Les préférences du marché vont vers des taux de rendement élevés et stables sur chaque dollar investi, alors que l’organisation a pour objectif de veiller à ce que l’investissement respecte ses objectifs de croissance. Dans la pratique, un tel objectif est atteint, dans un premier temps, par l’analyse approfondie de chaque élément de risque auquel l’entreprise est exposée, puis, dans un second temps, par l’évaluation de l’impact et de la probabilité de chacun des risques. En agissant de la sorte, l’entreprise espère bien entendu répondre aux attentes du marché quant à la stabilité et, si possible, la croissance des rendements. Les systèmes de gestion des risques et de contrôle interne sont comparables aux deux faces d’une même pièce. Si le risque est la possibilité que le rendement de l’entreprise soit compromis par une action ou un événement inattendus, le contrôle interne est le processus par lequel l’entreprise s’assure que les risques encourus sont maintenus au plus bas niveau possible. La direction doit, par conséquent, équilibrer efficacement ses risques et ses contrôles. Les procédures de contrôle doivent être conçues de manière à ramener les risques à un niveau auquel la direction acceptera d’être exposée. Les contrôles internes et les politiques de gestion des risques sont plus efficaces lorsqu’elles sont proactives et qu’elles induisent une valeur ajoutée.

    L’efficacité et la gestion intelligente du risque peuvent s’avérer inutiles si elles ne sont pas portées à l’attention des investisseurs. Pour bien informer et convaincre les investisseurs, individuellement et collectivement en tant que marché, de ses efforts d’efficacité et de ses mesures de contrôle (gestion efficace des risques, des revenus et des coûts), l’organisation doit mettre en place un système d’information efficace et transparent. En effet, les investisseurs expriment leur (in)satisfaction à l’égard de l’entreprise par le taux de ­rendement qu’ils exigent d’elle, lequel se reflète dans le cours boursier des actions de l’entreprise. Le taux de rendement exigé intègre généralement un élément de risque informationnel, associé à l’asymétrie de l’information, mais il peut être réduit par l’adoption d’une stratégie de gestion fondée sur la transparence. Le doute quant à la qualité de l’information financière de l’entreprise se traduit inévitablement par un accroissement du risque global de l’entreprise et aboutit par conséquent à une augmentation du taux de ­rendement exigé par les investisseurs.

    La qualité de la gouvernance informationnelle dépend cependant du niveau d’efficacité des autres mécanismes de gouvernance internes (Healey et Palepu, 2001). La figure 1.5 aide à comprendre pleinement l’importance de la transparence des entreprises. Dans le modèle IEM qui y est représenté, I représente l’investisseur, E, l’entreprise et M, le marché. L’axe EM décrit les flux d’information, alors qu’IM décrit le processus d’évaluation ; enfin, IE décrit le processus de décision. La figure 1.5 montre que, comme le faisceau de lumière émis par une lampe de poche, les informations émanant de l’entreprise (EM) seront prises en considération par les investisseurs, et se reflèteront donc sur la valeur des actions (MI), uniquement si le miroir, représenté par le marché, ne déforme pas cette réalité, c’est-à-dire si l’information est fiable et transparente.

    Figure 1.5. Le triangle de la prise de décision financière (modèle IEM)

    C’est à l’entreprise que revient l’initiative de divulguer l’information ; le filtre de la transparence est matérialisé par les exigences législatives, règlementaires, culturelles et éthiques qui visent à assurer la qualité de l’information divulguée et sa disponibilité en temps opportun. La transparence voit actuellement s’élargir sa sphère, jadis limitée au respect des lois et des normes. Aujourd’hui, la perception de son existence exige que rien n’entrave le flux de l’information issue de l’entreprise. Une information transparente est donc, par définition, accessible, complète, de haute qualité, pertinente et fiable (ICCA, 2013, chap. 1000). Le législateur comptable s’est efforcé de définir les caractéristiques qualitatives de l’information. L’information est dite pertinente lorsqu’elle est susceptible d’influer sur les décisions prises par son utilisateur, alors que sa fiabilité dépend de sa solidité et de sa capacité à représenter la réalité économique qu’elle décrit. Les récents événements ont montré qu’au-delà de tout cela, la transparence passe aussi par l’honnêteté et l’équité. Il est admis aujourd’hui que le bon comportement d’une organisation, en termes de transparence, ne peut être jugé sur la seule base des qualités décrites précé­demment ; même si elle a été négligée temporairement, la dimension éthique de la transparence est présente depuis longtemps dans les discussions théoriques.

    L’Accounting Principles Board (APB) définit le terme « informations utiles » comme des renseignements visant un objectif général d’éthique et de « justice », accepté comme tel par l’ensemble de la collectivité. L’APB va encore plus loin : il place les objectifs éthiques et la pertinence sur un pied d’égalité, accordant autant d’importance aux uns qu’à l’autre. De ce point de vue, l’APB s’approche beaucoup de la vision européenne de la transparence et semble s’éloigner de la position du Financial Accounting Standards Board (FASB). Pour des raisons pratiques, dans le FASB 2, ce dernier met surtout l’accent sur la pertinence, ce qui inspirera par la suite le Conseil des normes comptables internationales (CNCI). Pour le FASB et le CNCI, la pertinence d’une information financière peut se définir comme étant sa capacité à faire la différence dans le processus décisionnel de l’utilisateur et à l’aider à analyser les événements passés, présents et à venir. L’utilisateur peut aussi en faire l’usage afin de confirmer (ou infirmer) et de corriger ses prévisions (APB 4). Chaque fois que la transparence fait défaut, cela indiquerait que l’entreprise est en mesure de manier la lampe de poche à sa guise et d’envoyer à l’utilisateur le message voulu. À l’autre extrême, le marché fonctionne comme un miroir : chaque fois que le signal émis par l’entreprise est un faux, sa réflexion du ­faisceau de lumière reçu sera loin d’être fidèle.

    Transparence et efficacité sont donc les deux piliers de la divulgation financière. Complémentaires et interdépendantes, ces deux notions ne peuvent être traitées que de concert. Les efforts en vue de l’amélioration de la transparence doivent par conséquent viser à la fois les mécanismes de divulgation de l’information et l’amélioration de la capacité du marché à décoder le contenu et à refléter fidèlement et adéquatement l’esprit du message reçu. Malheureusement, les récents événements montrent qu’aucune de ces deux conditions n’est encore pleinement remplie. C’est pourquoi la gouvernance du marché est aussi importante, sinon plus, que la gouvernance d’entreprise.

    1.8. LES MÉCANISMES EXTERNES DE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE

    Les mécanismes externes de gouvernance d’entreprise, bien que localisés à l’extérieur de l’entreprise, sont susceptibles d’avoir des effets significatifs sur sa gestion, son efficacité et son risque. Ils peuvent forcer l’entreprise à adopter des règles de gestion rationnelles et éthiques. Le marché du contrôle des entreprises peut, compte tenu de la possibilité du transfert de propriété qu’il permet, amener la direction d’une entreprise à se comporter de manière efficace et à la gérer dans le meilleur intérêt de ses actionnaires (maximisation du rendement et réduction du risque). Toute défaillance de la direction à cet égard peut être interprétée comme une occasion d’investissement à saisir. Ce genre de défaillance donne à des prédateurs l’occasion d’acquérir à bon prix des entreprises mal gérées ou sous-évaluées, quitte à remplacer leurs dirigeants inefficaces par d’autres, plus performants, qui remettront l’entreprise sur le chemin de la rentabilité et de l’efficacité.

    Les agences de notation de crédit évaluent la probabilité que le débiteur d’une créance soit en mesure de faire face, en temps opportun, à ses paiements sur une dette donnée. Elles peuvent influer favorablement sur l’amélioration et la maîtrise de la gouvernance d’entreprise. Par leur capacité à évaluer la solvabilité, les notes de crédit sont souvent considérées comme un indicateur du risque de faillite d’une organisation. Les agences de notation peuvent donc être considérées comme un mécanisme externe influent de gouvernance d’entreprise.

    Les normes internationales d’information financière (NIIF) peuvent également avoir un impact significatif sur l’amélioration de la gouvernance d’entreprise partout dans le monde et plus particulièrement dans les pays en développement. En effet, l’harmonisation comptable internationale, par l’emploi universel des NIIF, peut influer positivement et d’une manière incontestable sur la transparence financière dans le monde. À leur tour, les NIIF peuvent être considérées comme un mécanisme externe de gouvernance des plus efficaces.

    La plupart des mécanismes de gouvernance d’entreprise accusent rapidement leurs limites ; c’est là que la confiance est appelée en dernier recours. C’est le cas chaque fois que de nombreuses solutions sont proposées pour un même problème, mais d’une façon qui rend impossible tout choix rationnel ; c’est aussi le cas dans des situations où les structures formelles ne peuvent expliquer les comportements individuels ; enfin, cela s’observe dans les cas d’arrangements contractuels incomplets, où toutes les possibilités ne peuvent pas être couvertes et réglées par contrat. Alors que la théorie managériale de l’agence met l’accent sur des mécanismes formels et des dispositions contractuelles fondées sur un encadrement, sur des récompenses et des sanctions, la confiance, elle, met l’accent sur des mécanismes informels qui ne nécessitent rien d’autre que de la bonne foi. Dans la plupart des environnements, la confiance et d’autres valeurs sociales similaires peuvent jouer un rôle ­important en tant que mécanismes externes de gouvernance d’entreprise.

    Les mécanismes de gouvernance d’entreprise, qu’ils soient d’ordre institutionnel, opérationnel ou externe, ont des effets similaires sur le rendement et les risques des entreprises. Alors que les mécanismes institutionnels et opérationnels ont un effet direct sur la gouvernance d’entreprise, les mécanismes externes ont des effets indirects. À terme, tous les mécanismes ont le même objectif : encourager les entreprises à répondre aux attentes des investisseurs et du marché en matière de risque et de rendement. Les entreprises n’ont toutefois pas de levier direct sur leur valeur au marché. Elles doivent recourir à des processus complexes d’émission de signaux, faire du charme et manœuvrer à la conviction, mais elles peuvent également se fixer des critères de performance qui démontreront au marché combien leurs efforts sont à la fois sérieux et efficaces.

    L’analyse qui suit suppose l’existence, entre autres, de mécanismes tels que :

    un marché efficient ;

    un actionnariat diffus ;

    des entreprises caractérisées par leur grande taille.

    Ce sont évidemment là des conditions qui ne sont remplies que par un petit nombre d’environnements économiques. La plupart des autres environnements sont toujours captifs de leur histoire et montrent des conditions différentes :

    la prépondérance de la propriété familiale ;

    des transactions basées sur les relations et la parole donnée ;

    la prépondérance d’un secteur public inefficace.

    Nous croyons que nos conclusions peuvent s’adapter à tout environ­nement, en apportant les ajustements nécessaires en fonction des conditions locales qui s’expriment notamment à travers les valeurs culturelles, les progrès réalisés par le marché et le niveau de développement économique atteint.

    1.9. POURQUOI LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE PEUT AMÉLIORER LA VALEUR MARCHANDE

    En ce qui concerne l’efficacité de l’organisation, il est facile de comprendre, au moins sur le plan théorique, qu’une culture de la gouvernance d’entreprise pourrait présenter de multiples avantages, pour l’organisation elle-même comme pour les collectivités où elle opère. Bien que l’objectif principal des sociétés demeure la maximisation de la richesse de leurs actionnaires, il devient progressivement évident que, pour se concrétiser, l’objectif de maximisation de la richesse doit respecter les intérêts de toutes les parties prenantes, y compris ceux de la collectivité. Ces divers intérêts doivent être non seulement protégés, mais également conciliés. En effet, une organisation n’est susceptible de créer davantage de richesse, pour elle-même et pour sa collectivité, que par une stratégie éthique et une gestion efficace. Elle se taillera alors une réputation d’intégrité et d’efficacité susceptible d’avoir un impact positif et direct sur sa valeur marchande.

    En leur qualité d’agents des actionnaires, les membres du conseil d’administration sont supposés jouer un rôle crucial et déterminant dans le renforcement de la gouvernance de leur entreprise. Ils doivent être eux-mêmes transparents, et cette transparence doit se manifester, en premier lieu, dans les critères de sélection des administrateurs eux-mêmes. La transparence du conseil d’administration peut également justifier qu’il impose une séparation entre la gestion et la propriété du capital, tout en évitant de négliger les intérêts des actionnaires et en respectant les droits des autres parties prenantes. Le non-respect de ces droits, comme nous le savons, serait susceptible d’affaiblir l’engagement des employés envers l’entreprise et de nourrir le scepticisme des clients et des fournisseurs. Le conseil d’administration devient alors un créateur de valeur, bien qu’on puisse déplorer (jusqu’à récemment) l’absence d’intérêt à cet égard.

    En ce qui concerne les marchés financiers, les écrits sur la finance abondent en arguments relatifs à l’impact positif d’une bonne gouvernance sur l’entreprise, sur la répartition des ressources rares, sur les mouvements de capitaux et sur l’efficacité économique générale, d’autant plus que la composante principale de la gouvernance, en l’occurrence la transparence financière, rend les investissements plus productifs, donc plus efficaces et plus aptes à assurer la croissance. Mais l’avantage le plus remarquable de la gouvernance réside dans le coût élevé que peut présenter son absence. En effet, l’absence de gouvernance, corolaire des excès de la corruption et de la fraude, conduit à la dilapidation de ressources rares qui auraient pu servir au développement économique.

    Sur le plan social, la bonne gouvernance d’entreprise a pour effet de conforter les personnes honnêtes dans leur honnêteté et de faire réfléchir celles qui manquent de conviction à cet égard avant de s’engager à transformer, par des actes frauduleux, leur organisation en entreprise individuelle de maximisation de l’utilité personnelle, créant ainsi un climat entrepreneurial nocif, caractérisé par l’injustice et les frustrations.

    Comme la loi Sarbanes-Oxley a pour orientation initiale exclusive la qualité de la divulgation financière et ne traite que des mécanismes de gouvernance exclusivement internes, ce livre vise à combler cette lacune par une approche systémique. Il aspire à donner une image globale des fondements théoriques de la gouvernance, en mettant l’accent sur la double ­dimension interne et externe de celle-ci.

    1.10. L’APPROCHE FONDÉE SUR LES PRINCIPES ET L’APPROCHE FONDÉE SUR LES RÈGLES

    Deux approches théoriques peuvent servir à l’élaboration de règles de gouvernance d’entreprise : l’une est fondée sur les principes, l’autre sur les règles. Nous définirons d’abord chacune de ces deux approches, avant d’en présenter une troisième, récemment suggérée par le personnel de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis : l’approche orientée vers les objectifs (objectives-oriented approach).

    L’approche fondée sur les principes vise l’exhaustivité et l’uniformité dans l’établissement des règles et normes de gouvernance, dans le but d’éviter que leur énonciation soit une source de confusion et qu’elles aient l’apparence d’une série de recommandations éparses et sans dénominateur commun. Fondamentalement, cette approche favorise un traitement cohérent et intégré des problèmes de gouvernance d’entreprise. Reposant sur des principes, elle permet également de faire face à des problèmes de gouvernance futurs et établit un cadre approprié à cette fin. L’approche fondée sur les principes n’impose essentiellement aucune norme minimale. Les règles peuvent cependant être modifiées et leur nombre peut augmenter avec le temps, selon les besoins.

    Quant à l’approche fondée sur les règles, elle repose sur des règles détaillées. Dans ce cas, le processus d’adoption des principes de gouvernance est qualifié de « normatif ». Les règles sont définies ici dans leur sens large, qui englobe tous les règlements contenus dans un système déterminé ; elles sont principalement centrées sur les méthodes d’application (critères particuliers, limites quantitatives, exceptions, options, restrictions, etc.). Par ailleurs, un système de gouvernance fondé sur des règles n’exclut pas que l’on s’appuie sur des principes pour établir les règles ; il s’agit simplement que les règles aient la préséance. On croit que le législateur américain a toujours penché vers l’approche fondée sur les règles, dont il a toujours assuré le respect par un ensemble de lois fondamentalement antagonistes (Tweedie, 2002). On croit que la vision américaine est le produit de l’environnement dans lequel les normes se sont développées, un milieu qui vise la protection, la propriété et la richesse des actionnaires au sein d’un marché des capitaux supposé efficace.

    L’approche fondée sur les règles présente comme difficulté supplémentaire l’exigence d’établir des normes minimales de pratique. En effet, pour qu’une norme reçoive l’approbation d’une majorité d’utilisateurs, son application concrète est généralement réduite à un seuil minimal acceptable. Par exemple, selon les règles de la Bourse de New York, un administrateur indépendant est une personne qui a reçu de son entreprise un salaire annuel inférieur à 100 000 $. Fait à déplorer, l’approche fondée sur les règles tend généralement à inciter à contourner les règles et à leur trouver des failles. Par ailleurs, les gestionnaires sont probablement plus enclins à manipuler des normes fondées sur des règles précises que sur des principes. L’application du principe de préséance de la substance sur la forme (substance over form) permet cependant au normalisateur américain de lutter contre la manipulation des chiffres comptables, qu’on appelle aujourd’hui la « comptabilité créative ».

    En fin de compte, il est possible qu’un excès de règles puisse donner l’impression d’une conformité limitée à la lettre de la norme, au détriment de son esprit. Cette situation peut malheureusement constituer une invitation ouverte à gérer les chiffres comptables avec l’intention manifeste de les manipuler. Quand les normes ne prévoient pas de règles bien délimitées, les gestionnaires sont probablement moins enclins à se livrer à des manipulations comptables, car ils ne sauraient délimiter avec précision les zones grises, et leurs manipulations risquent de s’avérer coûteuses (Nelson, Elliot et Tarpley, 2002). Lorsque les normes comptables sont vagues, la manipulation des revenus et des coûts devient en effet plus attaquable que si ces normes sont claires et précises. Avec des normes fondées sur les principes, les gestionnaires sont probablement obligés de justifier leur gestion des revenus et de convaincre leurs vérificateurs de la rationalité de leur interprétation des normes. Le comportement en matière de gestion des états financiers sera donc moins agressif dans le cadre de normes fondées sur des principes. L’un des effets recherchés de la gestion des états financiers est la stabilité ou la croissance des revenus, que ne pourrait d’ailleurs expliquer une quelconque réalité économique sous-jacente. Le but ultime est d’influer sur la perception qu’a le marché de la performance de la société, une perception susceptible d’être plus rémunératrice pour les gestionnaires.

    La troisième approche en matière d’élaboration des normes a été avancée par des membres du personnel de la SEC qui étaient d’avis que les approches fondées sur des principes ou des règles nuisent à la comparabilité des entreprises déclarantes. Ces spécialistes avancent en outre qu’un recours accru au jugement des préparateurs et des vérificateurs pourrait accroître le risque de désaccords rétrospectifs sur les traitements comptables, ce qui, à son tour, pourrait entraîner un surcroît de litiges avec les organismes de règlementation (SEC, 2003a). Pour pallier ces faiblesses, la SEC a donc présenté une troisième approche normative, l’approche orientée vers les objectifs, selon laquelle les normes élaborées doivent avoir les caractéristiques suivantes (SEC, 2003a) :

    être fondées sur l’amélioration et appliquées conformément au cadre conceptuel comptable ;

    énoncer clairement l’objectif de la norme ;

    fournir tous les détails et la structure nécessaires à la mise en œuvre et à l’application uniforme de la norme ;

    réduire au minimum les exceptions à la norme ;

    éviter de citer des chiffres ou pourcentages susceptibles de permettre d’atteindre la conformité technique avec la norme tout en contournant son esprit.

    Les normes axées sur les objectifs devraient permettre aux utilisateurs, organismes de règlementation et autres parties intéressées par la divulgation financière de bien évaluer la qualité des informations communiquées par la direction et attestées par les vérificateurs. En cas de négligence, elles fournissent le moyen de tenir la direction et les vérificateurs responsables de la substance des transactions.

    L’approche Sarbanes-Oxley pour l’élaboration des normes de gouvernance semble émaner d’une approche fondée sur les règles. Son incidence décisive sur la plupart des réformes mises en œuvre de par le monde favorise en quelque sorte l’approche fondée sur les règles. Il n’est pas certain, cependant, que la gouvernance d’entreprise puisse être améliorée uniquement par des mesures législatives et des règles. Une approche fondée sur les principes (ou, du moins, sur une combinaison de principes et de règles) pourrait s’avérer beaucoup plus efficace en sensibilisant les gestionnaires à leur responsabilité sociale à l’égard du préjudice insidieux que leur cupidité éventuelle pourrait occasionner. C’est par le biais de crises et de scandales que la dimension éthique de la gestion s’est imposée aux directions d’entreprises ; très peu de gestionnaires sont arrivés à ce résultat par conviction personnelle ou par un processus d’analyse logique et raisonné. Il y a sûrement beaucoup à gagner à enseigner la manière humaine de faire des affaires, ce qui peut se faire selon une approche fondée sur les principes.

    1.11. UNE VUE D’ENSEMBLE DU LIVRE

    L’histoire récente de l’étude de la gouvernance d’entreprise montre que l’essentiel de cette étude a porté sur les grandes sociétés cotées en Bourse, sans aucun effort de raisonnement systémique. Elle a été menée dans le contexte typiquement américain que reproduit fidèlement la célèbre loi Sarbanes-Oxley (SOX). Le modèle adopté par la SOX est rapidement devenu un modèle dominant, exerçant une influence sur toutes les tentatives de réformes de gouvernance subséquentes. Cette situation conduit inévitablement à la promotion de mécanismes de gouvernance principalement internes, tels que le conseil d’administration, l’équipe de direction, etc., et au délaissement de mécanismes externes qui n’en demeurent pas moins importants. Allant plus loin que le courant dominant, ce livre, dans son exploration de la gouvernance d’entreprise, adopte une approche systémique. Il élargit le champ de la gouvernance afin d’adjoindre à ses mécanismes classiques et fondamentalement internes des ressorts externes, en insistant sur les interdépendances entre ces deux types d’outils. Il leur découvre un fil conducteur commun, l’optimisation de l’efficacité organisationnelle dans un cadre éthique. Très précisément, ce livre présente une dimension nouvelle de la gouvernance d’entreprise.

    La gouvernance d’entreprise, telle qu’elle s’enseigne de plus en plus dans les programmes universitaires, souffre d’une insuffisance flagrante de sources documentaires et de manuels scolaires. Ce livre se veut une réponse à cette pénurie. À notre connaissance, c’est le premier du genre ; il se compose de 21 chapitres comprenant chacun un texte, un cas d’approfondissement et des exercices et problèmes d’application.

    Dans ce premier chapitre, nous avons présenté au lecteur la gouvernance des entreprises et élargi son champ d’application, en plus de faire ressortir le lien commun entre tous ses mécanismes, qu’ils soient d’ordre institutionnel, opérationnel ou informationnel, intérieurs ou extérieurs à l’organisation. Nous avons démontré qu’un tel lien doit se manifester quotidiennement par

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