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Gestion financière des PME : théories et pratiques, 2e édition
Gestion financière des PME : théories et pratiques, 2e édition
Gestion financière des PME : théories et pratiques, 2e édition
Livre électronique768 pages11 heures

Gestion financière des PME : théories et pratiques, 2e édition

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À propos de ce livre électronique

Que peut-on dire de la gestion financière des PME ? Évaluer la qualité de leur gestion à la lumière de leur taux de fermeture pourrait nous amener à conclure qu’elle fait défaut. Or, ce serait inexact, car cela fait abstraction de certaines caractéristiques de ces entreprises, de la diversité de leur mode de fonctionnement et, surtout, de leur grande hétérogénéité. Parce qu’il n’existe pas de PME type, il n’existe pas non plus de comportement financier type pour l’ensemble des sociétés fermées.

Josée St-Pierre aborde les principales décisions financières dans les PME, les pratiques de gestion, les situations financières et l’environnement favorable ou restrictif dans lequel ces entreprises font des affaires. Au cours des quinze dernières années, ses recherches et l’analyse de travaux dans les domaines de la finance, de la psychologie, de l’économie et de la gestion lui ont permis de tirer une analyse nuancée de la réalité financière des PME. Le présent ouvrage montre le rôle central du chef d’entreprise, dont les objectifs teintent les décisions financières, et présente des comportements stratégiques amenant des entrepreneurs à exceller sur la scène mondiale. L’auteure démontre aussi les conséquences de choix mal éclairés mettant en péril des entreprises qui ne survivront pas aux défis de l’environnement d’affaires actuel, plus turbulent et incertain.

Cette deuxième édition, renouvelée de façon significative, conjugue la finance et l’entrepreneuriat pour mieux comprendre et expliquer la diversité des comportements financiers des PME, de même que pour stimuler les lecteurs à s’enrichir par le domaine de la finance entrepreneuriale grâce aux connaissances les plus à jour sur ces sujets.
LangueFrançais
Date de sortie30 oct. 2019
ISBN9782760548640
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    Aperçu du livre

    Gestion financière des PME - Josée St-Pierre

    lecture!

    PARTIE 1

    Les comportements financiers et les PME

    Pour gérer les ressources financières dans les entreprises, on peut utiliser différents modèles ou avoir recours à certaines théories précises que l’on trouve dans divers manuels. Ces modèles ont toutefois été développés pour la grande entreprise, par l’observation de son comportement, de ses ressources et de son environnement. Ils ne conviennent donc pas à la société fermée, aux ressources limitées et aux entreprises où le propriétaire-dirigeant est au cœur de l’activité. Son influence sur l’organisation de l’entreprise de même que sur son développement est telle que l’analyse de la gestion financière dans les PME ne peut se faire en en faisant abstraction. Cette première partie de l’ouvrage vise donc à initier le lecteur au contexte particulier des PME. Elle présente la grande diversité de ce type d’entreprises de même que la pluralité des situations possibles qui reflètent leur hétérogénéité, inhérente à l’influence de leur propriétaire-dirigeant. Les objectifs personnels de ce dernier, de même que son orientation stratégique, doivent être connus pour comprendre et apprécier ce qui se passe dans l’entreprise, comment les décisions financières sont prises et quelles sont les conséquences réelles sur l’organisation. On retiendra que le propriétaire-dirigeant de PME est motivé par une rationalité différente de celle du dirigeant d’une grande organisation, et que les raisons de cette motivation réduisent l’utilité des modèles financiers traditionnels dont les hypothèses de construction sont inopérantes dans le cas de la plupart des sociétés fermées. Ces deux chapitres sont essentiels pour établir le cadre dans lequel les décisions et les comportements financiers seront analysés dans les chapitres suivants.

    CHAPITRE 1

    Une introduction à la gestion financière dans les PME

    Alors qu’il est de plus en plus admis qu’une PME ne constitue pas une grande entreprise en «miniature», on assiste depuis quelques années à un foisonnement de travaux visant à mieux les connaître, à analyser leurs caractéristiques, à comprendre leurs comportements et ainsi à identifier ce qui les distingue des autres organisations. Bien que leur importance en nombre et en valeur économique fasse de plus en plus consensus, il est toutefois surprenant d’apprendre qu’un certain pourcentage d’entre elles, dont les plus dynamiques, font face à des contraintes qui les empêchent de se développer à leur plein potentiel ou qui réduisent le rythme auquel le propriétaire-dirigeant souhaiterait réaliser ce développement. On évoque, notamment, l’accès à un financement adéquat en quantité suffisante et à des conditions qui permettent de favoriser leur développement par différentes stratégies. À plusieurs reprises d’ailleurs, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (St-Pierre et Fadil, 2011) a lancé un appel aux chercheurs afin de trouver des solutions à ce problème d’accès à des ressources financières pour les entreprises en croissance et devant réaliser certains investissements ou soutenir leur fonds de roulement. Cette difficulté d’accès freine l’activité économique dans différentes régions. Notamment, on compte sur les PME pour prendre le relais des grandes entreprises pour la création d’emplois dans les pays développés, mais aussi pour soutenir l’activité économique des pays en développement en permettant aux citoyens de sortir de la pauvreté et d’assurer leur survie et celle de leur famille.

    Certaines PME sont aussi confrontées à des problèmes financiers, dont les causes sont toutefois nombreuses et impliquent tous les acteurs de l’écosystème d’affaires. Que ce soit les bailleurs de fonds, qui s’intéressent trop aux données financières pour évaluer le risque des PME alors que ces données ne sont pas toujours les plus pertinentes; ou les gouvernements, qui ont peut-être une image de la PME idéale qui est influencée par leur vision du développement économique et de la rationalité supposément adoptée par les entrepreneurs; ou les différents intervenants qui peuvent entraîner des PME dans des situations non optimales parce qu’ils n’auraient pas saisi la stratégie poursuivie par le propriétaire-dirigeant; ou même les propriétaires-dirigeants¹ de PME qui hésitent à partager toutes les informations requises aux bailleurs de fonds pour qu’ils puissent prendre une décision de financement «éclairée». Aucun de ces acteurs n’est responsable à lui seul des problèmes qui nous intéressent, alors que leurs comportements individuels sont expliqués par des connaissances probablement incomplètes sur la réalité et les besoins des autres acteurs². Comme nous le montrerons, il est nécessaire de créer un dialogue entre toutes ces parties prenantes, à la lumière des travaux réalisés dans les vingt dernières années et qui permettent de mieux comprendre les comportements de chacun.

    Le but premier de cet ouvrage est de favoriser une discussion plus large sur les comportements financiers des PME qui sont peu ou mal compris par de nombreux chercheurs et intervenants qui s’appuient notamment sur la théorie financière classique pour guider leur analyse. Or, comme cela a été soulevé de nombreuses fois depuis des années, les hypothèses sous-jacentes à cette théorie ne conviennent pas à la réalité de la plupart des PME et ne peuvent donc pas permettre de les analyser adéquatement. Colot et Michel (1996) rappellent par ailleurs que de simples adaptations ou modifications aux hypothèses de base à la source des développements théoriques financiers ne permettent pas de prendre en compte la réalité de ces entreprises. Comme ils l’affirment:

    [L]a modification de certaines hypothèses d’un modèle – qui aboutit de ce fait à la non-vérification de celui-ci – ne constitue pas en soi un progrès substantiel. Il convient à tout le moins de se demander si toutes les hypothèses à revoir ont fait l’objet d’un examen scrupuleux (Colot et Michel, 1996, p. 152).

    Vingt ans plus tard, on convient de la nécessité de développer une théorie financière propre aux sociétés fermées qui ont des caractéristiques distinctives de celles qui ont inspiré la plupart des modèles en finance, en ne visant plus une théorie financière «adaptée» aux PME, mais plutôt une théorie financière «appliquée» aux PME.

    St-Pierre et Fadil (2016) rappellent que «la théorie financière classique est basée sur le principe d’allocation optimale des ressources, dans un marché parfait, et dans un contexte où la gestion de celles-ci est assurée par des agents économiques ayant un certain comportement». Trois hypothèses sont formulées à l’égard des agents économiques et qui sont nécessaires à l’élaboration des modèles financiers:

    –les agents économiques sont rationnels: les divers agents cherchent toujours à maximiser leur satisfaction par leurs décisions et leurs comportements. Cette satisfaction est déterminée par l’enrichissement des agents, qui préfèrent plus de richesse à moins de richesse;

    –les agents économiques sont réfractaires au risque: cela signifie que, toutes choses étant égales, par ailleurs, les agents vont préférer un rendement maximum à un risque minimum. Ils voudront donc maximiser leur rendement en fonction d’un niveau minimum de risque ou minimiser le risque en fonction d’un niveau maximal de rendement;

    –étant donné leur comportement rationnel et leur attitude devant le risque, les agents économiques vont diversifier leurs avoirs en ne plaçant pas la totalité de leur richesse dans les mêmes actifs.

    Or, comme nous allons le montrer dans les prochains chapitres, les propriétaires-dirigeants de PME poursuivent une panoplie d’objectifs qui ne sont pas toujours de nature financière. Ils ne cherchent pas nécessairement à prendre des décisions purement rationnelles sur le plan économique; il existe une diversité d’attitudes face au risque, comme on peut le voir avec les propriétaires-dirigeants qui préfèrent travailler en zone de très faible incertitude laissant de côté des projets qui contribueraient à accroître leur richesse, mais qui exigeraient une certaine prise de risque. La plupart des propriétaires-dirigeants de PME disposent d’un patrimoine peu diversifié puisque leur capital intellectuel, leur capital physique et leur capital financier sont investis dans le même actif.

    Finalement, l’hypothèse de perfection des marchés, nécessaire à l’élaboration de différents modèles, est invalidée pour les marchés financiers auxquels s’adressent les PME. D’ailleurs, Seghers, Manigart et Vanacker (2009) rappellent que des projets jugés rentables devront être abandonnés étant donné un accès contraint aux ressources financières externes. Cet accès contraint implique que les fonds requis ne sont pas nécessairement disponibles, que ce qui est disponible peut ne pas couvrir l’ensemble des besoins (rationnement), que leur coût d’accès peut être important, ou encore que les conditions pour pouvoir les obtenir sont dissuasives pour nombre d’entreprises.

    Avec ces développements récents en arrière-plan, nous inscrivons notre ouvrage dans le nouveau champ de connaissance qu’est celui de la «finance entrepreneuriale», champ relativement jeune et qui se situe à la jonction de deux domaines, soit ceux de la finance et de l’entrepreneu-riat (Brophy et Shulman, 1992; Colot et Michel, 1996; Mitter et Kraus, 2011). Bien que les jalons pour la création de ce domaine de connaissances aient été définis il y a déjà plus de 30 ans par Pettit et Singer qui, dès 1985, plaidaient en faveur du développement de théories et de concepts en finance qui soient propres aux PME, on constate encore aujourd’hui que son développement est timide, même si on trouve de plus en plus de travaux qui s’intéressent aux problématiques financières des PME (St-Pierre et Fadil, 2016). Une grande partie de ces travaux, toutefois, adopte un cadre de référence fortement teinté par la finance traditionnelle et qui occulte ainsi certaines des particularités des PME. Les conclusions de ces recherches feront difficilement avancer la découverte de solutions véritablement adaptées à ces entreprises pour résoudre certains de leurs défis les plus importants concernant, notamment, l’accès à des ressources financières externes, et la mesure du risque réel qu’elles présentent pour les différents bailleurs de fonds afin d’établir les termes des contrats de financement.

    Nous comptons ainsi présenter un ensemble de travaux, qu’ils soient dans le domaine de la finance, du management ou de l’entrepreneuriat, afin de fournir les connaissances nécessaires pour mieux apprécier les comportements financiers des PME et, éventuellement, proposer de nouvelles avenues pour trouver des solutions à leurs difficultés.

    1.L’importance des PME dans l’économie

    Les PME sont devenues, avec les années, le principal moteur économique dans la plupart des régions du monde³ et constituent plus de 99% des entreprises du secteur privé (sans compter le secteur financier ni les sociétés d’État). Au Canada, d’après les statistiques publiées par Industrie Canada en 2015, on dénombrait 1,1 million de PME (moins de 500 salariés) qui embauchaient près de 10 millions d’individus en décembre 2015, soit 90% des emplois du secteur privé. Elles investissent presque autant que les grandes dans des activités de recherche et développement (R-D), mais sont moins présentes dans les activités internationales. Quant à leur contribution au produit intérieur brut (PIB), elle dépasse légèrement celle des grandes entreprises selon les années et selon les pays.

    Le tableau 1.1 montre cette diversité dans différents pays pour lesquels il a été possible de retracer des informations récentes. À noter que l’on ne retrouve pas de telles statistiques pour tous les pays, alors que les recensements de PME ne sont pas réalisés partout de façon méthodique et systématique chaque année. De sorte qu’il est impossible d’avoir une image complète et à jour de l’importance de ces entreprises dans l’économie mondiale. Mentionnons également que les modes de compilation peuvent différer entre les pays, impliquant que le tableau ne peut être utilisé qu’à titre illustratif pour rendre compte de l’ampleur de leur influence économique et, par le fait même, de l’intérêt qu’elles devraient susciter auprès des chercheurs pour tenter de mieux comprendre leur réalité, leurs défis et les entraves qu’elles peuvent rencontrer dans leur développement.

    TABLEAU 1.1.

    Importance économique des PME dans différents pays

    Source: Les informations présentées dans ce tableau ont été extraites des différents sites Web d’organismes gouvernementaux des pays identifiés.

    Par ailleurs, le terme PME illustre une impressionnante diversité de réalités, à tel point que certains chercheurs refusent de parler de «la» PME, préférant son pluriel soit «les» PME, ce à quoi nous souscrivons entièrement. La plupart des PME sont définies à partir de critères quantitatifs, dont le nombre d’employés, le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée ou une combinaison de ces trois variables. Les seuils établis pour identifier une petite, une moyenne ou une grande entreprise varient selon les pays, comme le montrent les données du tableau 1.2, mais aussi selon les besoins de divers organismes, tels que les gouvernements et les institutions financières. Il n’est donc pas surprenant de voir des critères différents, ce qui invite nécessairement tout lecteur à porter attention à la définition utilisée par les auteurs dans leurs écrits. Malheureusement, cette mise en garde n’est pas tout le temps suivie, de sorte qu’il est fréquent d’observer des discussions qui semblent «échevelées» entre des individus qui parlent de PME, sans évoquer le même objet!

    À ces critères quantitatifs s’ajoutent des critères qualitatifs, tels que la concentration de la propriété de l’entreprise qui implique un pouvoir décisionnel centralisé autour du propriétaire-dirigeant; l’indépendance décisionnelle (ne pas être filiale d’une grande organisation); la formalisation plus ou moins importante de la stratégie assurant flexibilité et capacité d’adaptation; la structure organisationnelle aplatie où on retrouve peu de niveaux hiérarchiques (formelle ou informelle); la proximité avec différentes parties prenantes; le marché plutôt concentré, etc. Ces critères sont appliqués sur des continuums où une entreprise peut prendre des positions variées pour chacun d’eux (Julien, 2005⁴), permettant de voir un nombre de positions infini, justifiant ainsi le fait que l’on dise souvent qu’il n’y a pas deux PME identiques.

    TABLEAU 1.2.

    Seuils utilisés dans divers pays pour classer les entreprises selon leur taille

    Source: Données tirées de OCDE (2016a).

    Ces entreprises peuvent également avoir des espaces de fonctionnement différents, contrairement à certains mythes qui les voient principalement dans un marché local. Torrès (1997) a présenté, il y a plus de 20 ans, une répartition des PME selon l’origine de leurs ressources ou la destination de leurs ventes, comme illustré à la figure 1.1.

    Cette figure est toujours d’actualité et s’il y avait un changement à apporter à partir de la présentation originale de Torrès, il concernerait la répartition des entreprises dans tous les cadrans. On retrouve, en effet, les PME de plus en plus internationalisées (volontairement ou obligatoirement) et l’internationalisation de leurs activités est aussi plus étendue et complexe. St-Pierre et al. (2012)⁵, à la suite d’une enquête réalisée auprès de 588 propriétaires-dirigeants de PME manufacturières québécoises pour mesurer leur degré d’internationalisation, montrent que ces entreprises sont engagées dans toutes les formes d’activités internationales alors qu’on les considérait plus souvent cantonnées dans les activités commerciales que sont l’exportation et l’importation. Le tableau 1.3 montre par ailleurs que la taille influence le degré d’engagement dans les différentes formes d’activités internationales et qu’un résultat agrégé sur des PME peut ne pas refléter adéquatement la réalité de l’ensemble de ces entreprises.

    FIGURE 1.1.

    Répartition des entreprises selon l’origine de leurs ressources ou la destination de leurs ventes

    Source: Julien et St-Pierre (2012, p. 213); adapté de Torrès (1997).

    TABLEAU 1.3.

    Diversité des activités internationales des PME selon leur taille (pourcentage d’entreprises engagées dans chaque type d’activité, sauf pour la colonne sur le nombre [N])

    Source: St-Pierre, Raymond, Laurin et Uwizeyemungu (2011, p. 17).

    2.Les PME et la gestion financière

    Dans cette introduction, nous voulons souligner l’importance d’accorder une attention particulière à la gestion financière dans les PME. La gestion financière ne concerne pas uniquement la gestion du financement des entreprises, mais principalement la gestion des flux monétaires et des conséquences financières des diverses décisions. Cela est particulièrement important pour les PME étant donné leurs particularités et l’environnement souvent contraignant dans lequel elles évoluent. En effet, l’accès limité aux ressources financières externes, la difficulté à séparer les ressources financières de l’entreprise et celles de son propriétaire-dirigeant, le manque de formalisation de certaines pratiques de gestion financières et la multitude d’objectifs poursuivis par le propriétaire-dirigeant, obligent à considérer les PME comme un ensemble d’entreprises distinctes et non comme un modèle réduit de la grande entreprise. D’ailleurs, comme le soulignent Beaver et Prince (2004), ne pas reconnaître la diversité des PME et le fait qu’elles constituent un ensemble d’acteurs économiques très hétérogène serait simplement naïf!

    Pour illustrer l’importance de la gestion financière, et aussi comment celle-ci peut être cruciale dans les PME qui ont rarement un spécialiste financier à leur emploi, décrivons quelques anecdotes réelles vécues dans des entreprises différentes. Ainsi, beaucoup d’entrepreneurs se font surprendre pour avoir négligé de penser aux conséquences financières de leurs décisions.

    –Une entreprise très prospère frôle la faillite après avoir entièrement modernisé ses installations de production, afin de réduire ses coûts de fabrication, et déménagé dans sa nouvelle usine. Les employés se sont retrouvés dans un nouvel environnement, ce qui a eu pour effet de réduire de façon temporaire leur niveau de productivité⁶. Cette baisse de productivité a affecté la qualité des pièces fabriquées, de telle sorte qu’il fallait produire plus d’unités pour avoir des pièces d’une qualité satisfaisante pour le client. L’augmentation de la production a obligé les employés à faire des heures supplémentaires, ce qui a augmenté les coûts de fabrication pour l’entreprise. Par ailleurs, comme la main-d’œuvre était très spécialisée, les mêmes employés se sont retrouvés en surcharge de travail pendant plusieurs semaines, entraînant, par le fait même, une augmentation des congés de maladie. En résumé: le déplacement des employés vers le nouveau lieu de travail a obligé une plus grande production d’unités pour obtenir la quantité désirée par les clients, ce qui a entraîné une augmentation des coûts d’approvisionnement, une augmentation des coûts de production, une augmentation des coûts de rejet des unités défectueuses, une augmentation des frais de main-d’œuvre et, finalement, une augmentation des coûts de formation de nouveaux employés pour remplacer ceux qui s’étaient absentés pour cause de maladie. En conséquence, l’entreprise a connu une réduction importante de ses liquidités pour couvrir l’ensemble de ces coûts supplémentaires. Résultat, après 30 ans de rentabilité constante, l’entreprise s’est trouvée au bord de la faillite et a dû chercher un nouveau partenaire financier. On doit donc prévoir, par une planification appropriée, qu’une modification à l’environnement de travail peut réduire de façon temporaire la productivité et qu’il faut alors disposer des liquidités nécessaires pour faire face à cette situation.

    –Une entreprise commerciale a éprouvé de sérieuses difficultés financières lorsque la jeune entrepreneure inexpérimentée a décidé de changer de fournisseur afin de profiter d’une réduction de prix pour certains produits spécialisés. Ce changement de fournisseur s’est fait à l’aube de la période de pointe et a obligé l’entreprise à vendre ses produits à rabais parce que la clientèle n’en était pas satisfaite. Malheureusement, les revenus tirés de la vente des produits à rabais ne permettaient pas de remplir les autres obligations financières, telles que le paiement des employés, les frais d’électricité, de chauffage, d’assurance, etc. Évidemment, la marge de crédit bancaire s’en est trouvée grandement affectée et la banque s’est mêlée du dossier, qui a exigé un réinvestissement de fonds dans l’entreprise, au grand désarroi de l’entrepreneure!

    –Une entreprise de vente en gros a été surprise par la réduction de son chiffre d’affaires à la suite de l’implantation d’un nouveau système informatique permettant de gérer les inventaires ainsi que les comptes clients et fournisseurs. Durant l’implantation de ce système, le travail des commis aux ventes a été considérablement ralenti et ils ont mis ainsi beaucoup plus de temps à répondre aux clients. Évidemment, les clients les moins patients ont changé de fournisseur, ce qui a eu un effet direct sur les ventes de l’entreprise et donc sur ses liquidités et sur ses profits. L’entrepreneur a dû injecter de nouveaux capitaux dans l’entreprise afin de satisfaire les exigences des banquiers. Heureusement, la situation s’est rétablie dans les mois qui ont suivi.

    Ces trois anecdotes réelles ont un point commun: les entrepreneurs n’ont pas tenu compte du fait que leurs décisions de gestion, soit de moderniser la production pour réduire les coûts, de changer de fournisseur pour économiser, d’implanter un système informatique pour faciliter la gestion, pouvaient avoir des conséquences financières dramatiques si tout ne se passait pas de la façon prévue. Le rôle du gestionnaire financier est justement de travailler avec cette incertitude en ayant continuellement à l’esprit qu’on ne peut jamais être totalement certain de ce qui va se passer dans l’avenir. Les trois entreprises mentionnées avaient accès aux liquidités nécessaires pour faire face à un contretemps temporaire. Mais ce n’est pas le cas de toutes les PME et, malheureusement, bon nombre d’entre elles font faillite parce qu’elles possèdent peu d’expertise en finance, mais surtout, parce qu’elles oublient de mesurer les répercussions de leurs différentes décisions sur leurs flux monétaires et leur trésorerie. Certains diront que cela fait partie de l’optimisme reconnu des entrepreneurs, alors que d’autres diront plutôt qu’il s’agit d’un manque de connaissances en gestion financière, expertise que possèdent peu d’entrepreneurs. Or, comme nous le verrons au chapitre 10, l’absence de compétences en gestion financière est identifiée comme étant une cause de faillite chez les PME dans de nombreux pays (Okpara et Wynn, 2007; Crutzen et Van Caillie, 2009; Hamrouni et Akkari, 2012) en plus de ralentir le développement des entreprises ou simplement de freiner l’ardeur de certains futurs entrepreneurs à vouloir mettre leur projet de création à exécution (Timmons et Spinelli, 2007).

    Eniola et Entebang (2016) présentent un portrait relativement pessimiste des conséquences des faibles connaissances en gestion financière dans les PME, dans un contexte où les pouvoirs publics coupent les services à ces entreprises, services qui visaient, notamment, à combler leurs compétences limitées. L’absence de certaines compétences peut aboutir à des décisions financières qui ne sont pas optimales, voire qui sont simplement erronées, et peut affecter la performance de l’entreprise, voire la placer en difficulté. Van Auken (2005) justifie certaines décisions financières risquées par l’incapacité des propriétaires-dirigeants d’identifier et d’analyser correctement l’information pertinente à la prise de décision. Il évoque notamment un choix de financement trop risqué par rapport au rendement attendu de certains projets convoités, situation pouvant miner les liquidités de l’entreprise et la placer en situation de détresse financière. Pour leur part, Seghers et al. (2012) observent auprès de dirigeants belges de firmes en démarrage que des connaissances en finance ou en comptabilité, de même qu’une expérience de travail dans ces domaines, permettent aux entrepreneurs d’avoir une meilleure idée des sources alternatives de financement et donc de faire des choix plus judicieux. On ajoute à ces connaissances des entrepreneurs l’appartenance à un réseau dans la communauté financière comme autre facteur positif favorable aux «bonnes» décisions de financement.

    Malgré leur bonne volonté et leur désir de croissance et de rentabilité, trop d’entrepreneurs considèrent que la finance ne concerne que le financement de l’entreprise: une fois qu’on a mis de l’argent dans l’entreprise pour démarrer, tout devrait bien aller! Ou encore, on vend, donc, on est rentable et on a de l’argent… Ces affirmations, que l’on entend parfois, caricaturent relativement bien le niveau de connaissances en gestion financière que l’on trouve dans certaines PME. L’entrepreneur qui manque d’expertise et qui est un peu plus ouvert procédera à l’embauche d’un adjoint⁷ à qui il déléguera la fonction financière. Une telle décision peut être intéressante, mais certainement pas parfaite, car le chef d’entreprise demeure au centre de toutes les décisions stratégiques et des connaissances minimales en gestion financière sont requises pour protéger l’entreprise de choix mal justifiés.

    En résumé, le responsable de la «fonction finance» dans l’entreprise doit remplir les rôles suivants.

    1.Trouver les fonds ou les ressources monétaires nécessaires au financement des activités de l’entreprise. Cela implique de connaître l’étendue de l’offre de financement à laquelle a droit l’entreprise ainsi que les exigences des différents intervenants sur le marché. On reconnaît ici que les entrepreneurs qui ont de faibles connaissances en finance sont peu familiers avec l’offre de financement et sont maladroits dans leurs discussions avec les bailleurs de fonds (Eniola et Entebang, 2016). Ce comportement méconnu par certains bailleurs de fonds pourra les amener à rejeter de bons projets à financer parce que ceux-ci ne leur auront peut-être pas été présentés dans un langage qui leur permettent d’en apprécier la juste valeur. Par ailleurs, le responsable financier aura aussi comme tâche de fournir aux éventuels bailleurs de fonds une information précise et complète pour réduire les difficultés induites par l’asymétrie de l’information⁸ pouvant affecter la décision des partenaires potentiels (Van Auken, 2005).

    2.Planifier l’utilisation des ressources limitées et allouer celles-ci aux activités les plus productives. On reproche parfois aux entrepreneurs un certain excès de confiance qui les amène à surévaluer l’ampleur des bénéfices attendus d’un projet, mais aussi à surévaluer leurs capacités à le réaliser avec succès (Trevelyan, 2008; Gartner, 2005). Cet excès de confiance est reconnu par certains auteurs comme l’une des causes pouvant provoquer la faillite (Gartner, 2005). Par ailleurs, moins les entrepreneurs ont de l’expérience dans le monde des affaires, plus il leur est difficile de planifier avec une grande précision les différentes activités ainsi que les mouvements des flux monétaires futurs. D’ailleurs, Fraser et Green (2006) confirment que l’optimisme des entrepreneurs et l’exagération dans leurs prévisions s’amenuisent à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience. Ucbasaran et al. (2010) précisent toutefois que les conséquences de l’expérience sur l’optimisme des entrepreneurs dépendront du type d’expériences vécues. Quelqu’un qui ne vit que des expériences positives n’aura pas tendance à modifier son attitude dans des contextes nouveaux, puisque rien ne lui suggère de le faire. Mentionnons que cette attitude «optimiste» a été remise en question dans différents travaux qui montrent plutôt une diversité d’attitudes allant de la prudence extrême dans la planification des activités jusqu’à un niveau parfois téméraire de prise de risque. Cette diversité se reflète dans la création d’entreprises dans des domaines où le degré d’incertitude sur l’avenir est très variable, ce qui exige donc une propension différente à assurer les risques auxquels sera confrontée l’entreprise (Carsrud et Brännback, 2011; Acar et Göç, 2011).

    3.Contrôler les flux monétaires et mesurer les conséquences des différentes décisions. L’un des soucis dans la gestion des PME, comme l’ont montré les trois anecdotes précédentes, est que les conséquences financières des différentes décisions sont rarement identifiées si elles ne concernent pas explicitement la fonction finance et font intervenir, dans le processus décisionnel, une personne ayant des compétences dans le domaine.

    Illustrons ce dernier rôle à partir d’une anecdote vécue par une PME manufacturière qui a voulu mettre à jour son parc technologique en investissant dans des équipements plus sophistiqués afin d’accroître son taux d’innovation et sa performance financière. Au temps 0, l’entreprise acquiert les nouveaux équipements. Le personnel, n’ayant pas beaucoup d’expérience avec ces équipements, ne maîtrise pas parfaitement leur utilisation, ce qui accroît le taux de rejets des pièces fabriquées au temps 1 et contribue à une augmentation rapide des coûts de production. Au temps 2, les délais de production sont accrus parce qu’il faut procéder à des corrections sur les produits défectueux, ce qui contribue à augmenter encore les coûts et le gaspillage. Au temps 3, on retrouve les délais habituels, mais le temps passé à atteindre cette performance a nui aux liquidités et à la capacité d’innovation, alors que les tensions financières s’accroissent. Finalement, la situation souhaitée se manifeste au temps 4, où les délais et les coûts sont réduits et le taux d’innovation augmente. Nous avons présenté cette situation sur le schéma suivant et identifié le temps sans en préciser la durée, celle-ci pouvant exprimer une période d’une journée, voire d’un mois ou d’un trimestre.

    Plus l’écart est important entre le degré de technicité des équipements en place et les nouveaux dans lesquels l’entreprise souhaite investir, plus les risques de voir des situations comme celle qui vient d’être décrite sont élevés. Et pourtant, ces situations sont vécues continuellement dans les PME. La meilleure façon d’en atténuer les conséquences est de réfléchir à toutes les modifications qui se répercuteront sur l’organisation à la suite de la mise en place de la décision. Pour cela, l’entreprise doit avoir des connaissances minimales en planification et peut-être aussi en gestion de projet. L’entrepreneur ou le responsable financier dans la PME aura donc besoin de connaissances variées pour éviter des situations fâcheuses. Outre la bonne connaissance des conséquences financières des décisions, il doit aussi maîtriser les notions d’incertitude et de risque, de même que l’importance de la valeur temporelle de l’argent.

    Les décisions prises par des gestionnaires ne présentent pas toutes le même niveau de risque. Il est certainement plus risqué de changer de fournisseur au moment où l’entreprise est dans son pic de ventes que d’attendre une période creuse pour tester si les nouveaux produits seront appréciés des clients. Par ailleurs, un entrepreneur ne doit pas procéder à l’acquisition d’équipement s’il n’a pas un minimum de certitude qu’il pourra rentabiliser cet équipement à l’intérieur d’un délai raisonnable. Finalement, il est financièrement plus intéressant de récupérer rapidement les produits de la vente de ses biens que d’attendre une longue période. On peut acheter plus de choses avec un dollar aujourd’hui qu’avec le même dollar demain, alors que le dollar à recevoir demain est plus incertain que le dollar encaissé aujourd’hui!

    Beaucoup d’ouvrages présentent les enseignements relatifs aux décisions et aux actions précédentes. Le gestionnaire peut ainsi utiliser des modèles, des théories ou des outils pour l’aider dans sa prise de décision et faciliter sa gestion. Dans le cas des PME, toutefois, ces ouvrages sont plutôt rares et parfois peu adaptés. La gestion financière de ces entreprises ne se fait pas de la même façon que pour la grande entreprise exploitée dans un environnement totalement différent et souvent moins contraignant que celui de la petite. On ne peut donc pas utiliser les connaissances élaborées pour la grande entreprise et les transposer directement aux PME. Or, c’est ce qui a longtemps été fait sous l’hypothèse que les petites entreprises deviendraient éventuellement grandes ou encore, qu’il n’y avait pas lieu de développer des connaissances particulières puisque leurs objectifs et leurs défis sont identiques à ceux des grandes. Grâce aux travaux de nombreux chercheurs sur ce sujet, ces deux hypothèses se sont révélées fausses, comme nous en discuterons tout au long de cet ouvrage.

    Ainsi, dès 1978, Walker et Petty montrent que les PME se distinguent de façon importante des grandes entreprises, alors que Pettit et Singer (1985) ajoutent plus tard que ces différences justifient un développement de théories et de concepts en finance qui leur soient propres. Ces invitations à tenir compte de la particularité des PME pour développer des cadres théoriques adaptés ont été relancées en 1991 et en 1992 par James Ang, dont la contribution essentielle au champ de la finance entrepreneu-riale sera abondamment utilisée dans cet ouvrage. En 1997, Torrès évoque le courant de la spécificité pour remettre en cause la prémisse selon laquelle les petites entreprises deviendraient grandes, ce qui est soutenu par Spence en 1999 qui, comme Tilley (2000) prônent également le développement d’un courant de recherche propre aux PME. Pour leur part, Schubert, Fisher et Leimstoll (2007) vont plus loin et invitent les gouvernements et les décideurs politiques à développer des programmes propres aux PME en ce qui concerne l’implantation d’innovations. Tout comme Beaver et Prince (2004, p. 35), ils affirment que «small firms are not simply a scaled-down versions of large ones».

    Mais que nous disent les travaux des chercheurs dans le domaine de la finance entrepreneuriale? Sont-ils tous ajustés à la réalité des PME? Non, si l’on en croit une analyse des travaux publiés sur plus de 15 ans par St-Pierre et Fadil (2011). Une recension de 770 articles publiés en français et en anglais entre 1996 et 2010 montre la domination des travaux portant sur le financement des PME et la structure du capital (74%), alors qu’un faible pourcentage concerne la «solvabilité et la liquidité» (12%). Aussi, peu de chercheurs se sont intéressés à l’évaluation du risque global des PME tandis que ce risque est présumé élevé par les institutions de financement alors que ses déterminants demeurent encore flous et méconnus. La jeunesse du champ de connaissance de la finance entrepre-neuriale souffre ainsi de certaines lacunes. Parmi celles-ci, on constate la concentration des travaux sur des sujets qui sont d’un faible intérêt pour la majorité des PME (inscription en Bourse et accès à du capital-risque), ce qui peut être expliqué, notamment, par la formation des chercheurs et leurs connaissances «approximatives» des PME, étant souvent distants du terrain et ayant peu d’expériences concrètes avec ces entreprises.

    Ces explications sont issues d’une enquête réalisée par St-Pierre et Fadil (2016) auprès de chercheurs ayant publié des travaux liés à des questions financières dans les PME et à laquelle ont participé 149 chercheurs provenant de 28 pays. Cette enquête a été motivée par le renouvellement d’un appel lancé par l’OCDE afin que les chercheurs en finance entrepre-neuriale s’attardent à trouver des réponses satisfaisantes au problème récurrent de PME qui doivent mettre de côté d’importants projets faute de financement. Les résultats révèlent une concentration des travaux sur le financement des PME (offre, structure de financement, coût du capital) alors que peu s’intéressent à la demande de financement ainsi qu’aux préférences financières des entrepreneurs, déterminant clé de leur taux d’endettement comme nous le verrons aux chapitres 7 et 8. Aussi, une grande partie des travaux font appel à des études quantitatives sur d’importantes bases de données, qui visent à vérifier ou à confirmer des relations. St-Pierre et Fadil (2016, p. 61) attribuent ces choix aux contraintes de publication que subissent les chercheurs qui

    se concentrent [ainsi] sur les approches qui reçoivent le plus la faveur des périodiques spécialisés en finance […] [alors que leurs approches] occultent, dans de nombreux cas, certains facteurs de contingence, gomment les spécificités des PME et négligent le rôle dominant du propriétaire-dirigeant.

    Pourtant plusieurs questions cruciales demandent plutôt à être «explorées» par des entretiens ou des études de cas afin de recueillir l’opinion et le vécu des entrepreneurs pour mieux comprendre ce qui se passe réellement dans les PME. Il est toutefois intéressant de noter que les chercheurs qui ont eu des expériences ou qui ont été en relation avec des entrepreneurs font appel plus souvent à des méthodes de recherche qualitatives par l’entremise, notamment, d’entretiens. Mais le faible nombre d’études et leurs observations sur un petit nombre de PME ne permettent pas de généraliser les conclusions à l’ensemble des PME.

    Après avoir décrit plusieurs situations permettant d’illustrer des réalités contrastées chez les PME, nous allons consacrer la prochaine section à une présentation de certaines de leurs caractéristiques, ce qui permettra de faire ressortir leurs particularités afin de mieux analyser les questions financières qui les concernent.

    3.Les caractéristiques propres aux PME liées à leur comportement financier

    Dans deux articles fondamentaux qui ont incité les chercheurs à s’intéresser aux problèmes financiers des PME pour l’élaboration d’un nouveau paradigme, Ang (1991, 1992) affirme que les petites entreprises n’ont pas les mêmes problèmes de gestion financière que les grandes et que, de plus, elles forment un ensemble fortement hétérogène qui empêche de les considérer dans un regroupement unique. Il illustre son affirmation par un ensemble de situations mettant en évidence les caractéristiques spécifiques et propres aux PME. Il aborde, entre autres, les éléments suivants:

    –l’intégration parfois totale entre les ressources financières de l’entrepreneur et celles de l’entreprise, de sorte que le risque d’affaires de l’entreprise est associé au risque personnel de l’entrepreneur. La faillite de l’entreprise entraîne d’ailleurs souvent celle de l’entrepreneur;

    –une espérance de vie plus courte: une petite entreprise peut interrompre ses activités pour différentes raisons liées à sa fragilité (le départ d’un employé clé, la perte d’un client important, un arrêt de travail temporaire, etc.);

    –les problèmes de succession qui peuvent rendre le développement de l’entreprise incertain;

    –l’ampleur des relations informelles et la présence de contrats implicites liés à une préférence marquée de certains entrepreneurs pour ce qui n’est pas officialisé;

    –un risque d’erreurs très grand en raison soit d’un manque d’expérience, d’un manque d’expertise ou simplement d’un optimisme exagéré de l’entrepreneur;

    –enfin, le fait que l’entreprise de petite taille soit souvent considérée comme le prolongement de l’entrepreneur, et non comme une entité distincte.

    Dans le même ordre d’idées, McMahon et al. (1993) affirment que certains problèmes financiers semblent communs aux PME:

    –sous-capitalisation initiale;

    –difficultés récurrentes à assurer le service de la dette;

    –problèmes récurrents de liquidités;

    –marge de profit inadéquate;

    –incapacité à obtenir du financement externe à des conditions acceptables;

    –difficulté à optimiser l’utilisation des actifs.

    En plus des problèmes précédents, on décèlerait différentes lacunes dans les pratiques de gestion financière:

    –informations comptables inadéquates, incomplètes ou absentes;

    –système de contrôle des coûts absent ou ne convenant pas aux besoins des entreprises;

    –absence de documents financiers utilisés pour la gestion;

    –incapacité d’analyser et d’interpréter les états financiers;

    –attention insuffisante accordée à la gestion du fonds de roulement;

    –évaluation peu structurée des projets et des décisions d’investissement;

    –connaissances limitées des différentes formes de financement;

    –absence fréquente de planification financière;

    –expertise financière limitée de l’entrepreneur.

    Tous ces éléments nous incitent à voir la gestion financière dans les petites et moyennes entreprises comme étant différente de celle qui est pratiquée dans les grandes sociétés. Toutefois, gardons-nous de généraliser ces observations faites il y a plus de vingt ans, bien qu’elles occupent encore l’esprit de certains gestionnaires. Depuis ce temps, plusieurs travaux ont permis d’enrichir nos connaissances sur les PME et de remettre en question un certain nombre d’affirmations sur leur expertise en gestion financière de même que sur les façons qu’elles ont de gérer leur financement. L’étude réalisée par Fadil et St-Pierre (2016) sur le financement de la croissance montre comment un groupe de 50 PME manufacturières québécoises ont pu augmenter leur chiffre d’affaires pendant trois années consécutives sans avoir recours à une marge de crédit! L’utilisation de certaines pratiques de gestion et stratégies visant à contrôler les coûts, à favoriser la circulation des stocks et à impliquer leur personnel dans la gestion a permis à ces entreprises d’autofinancer une grande partie de leurs activités. On est bien loin du profil dépeint dans les travaux précédents qui est devenu, au fil du temps, une surreprésentation des mythes qui peuvent nuire au développement des PME. D’autres travaux seront présentés dans les prochains chapitres, en souhaitant qu’ils permettent de mener à une image plus nuancée des caractéristiques financières des PME et de leurs déterminants.

    Même si la recherche sur la gestion financière des PME s’est développée de façon marquée pendant les dix dernières années, on trouve encore peu d’articles théoriques permettant de prévoir ou de prédire le comportement financier des entrepreneurs. Les observations empiriques sur ces questions ne sont pas toujours suffisantes pour en dégager des théories. Nous verrons toutefois, dans cet ouvrage, que certains faits permettent de relever des comportements généralisables, alors que d’autres demeurent encore trop ciblés aux échantillons étudiés.

    Par ailleurs, les différentes théories sur la finance développées depuis 30 ans ont néanmoins produit certains modèles utiles à l’étude du fonctionnement des PME. Le plus important de ceux-ci concerne la théorie de l’agence⁹.

    4.La théorie de l’agence pour aider à comprendre les décisions financières dans les PME

    La théorie de l’agence, qui est certainement la théorie la plus utile pour la compréhension des comportements divers des PME (Colot et Michel, 1996), considère une entreprise comme un ensemble de contrats qui lient différentes parties, et voit comment les intérêts de chacune d’elles sont protégés les uns par rapport aux autres. Les parties pouvant être intéressées à l’entreprise, que l’on qualifie de parties prenantes (stakeholders), sont les propriétaires, les gestionnaires, les créanciers, les clients, les employés, les membres de la famille et la société en général. Les relations entre les trois premières parties ont fait l’objet de nombreux écrits dans la littérature financière.

    Le problème central qui concerne la théorie de l’agence est que la gestion quotidienne de l’entreprise est soumise au contrôle de quelques individus qui sont souvent les propriétaires-dirigeants (PME) ou les dirigeants professionnels, alors que les ressources de l’entreprise ont pu être fournies par d’autres individus, groupes d’individus ou institutions. On parle alors des problèmes entre agent et principal, où l’agent est celui qui exerce le contrôle sur l’utilisation des ressources, alors que le principal est celui qui a fourni les ressources financières. Parce qu’on suppose que tout agent économique est rationnel, on suppose aussi qu’il prend des décisions dans le but de maximiser sa propre fonction d’utilité¹⁰ ou sa satisfaction. Cela peut par contre se faire au détriment des intérêts d’autres agents économiques. C’est ce qu’on appelle les relations d’agence.

    Les problèmes les plus importants qui découlent d’une relation d’agence sont les suivants.

    Asymétrie de l’information. Dans un tel cas, l’agent (ou le propriétaire-dirigeant) possède des informations sur les résultats financiers (ou des considérations financières concernant l’entreprise) qui sont inconnues du principal (l’actionnaire, le prêteur, le bailleur de fonds). L’obtention de ces informations est coûteuse pour le principal, et parfois impossible dans le cas des PME qui, comme il a été dit précédemment, peuvent présenter certaines lacunes quant à la production et à la diffusion d’information financière.

    Risque moral. Ici, l’agent utilise les ressources de l’entreprise autrement qu’aux fins pour lesquelles elles avaient été sollicitées, et ce, au détriment du principal. Par exemple, un emprunt sollicité pour acheter de l’équipement est plutôt utilisé pour couvrir un déficit du fonds de roulement étant donné des difficultés à gérer efficacement le recouvrement des sommes dues par les clients. Les conditions de financement ayant été définies à partir d’un besoin précis sur lequel le risque a été calculé, le principal pourrait se retrouver dans une position vulnérable si les fonds octroyés ne sont pas alloués aux activités prévues. Parce que le principal n’est pas toujours certain du comportement que va adopter l’agent, il le pénalisera par différentes clauses restrictives inscrites dans les contrats de financement.

    Anti-sélection (ou sélection adverse). Dans cette situation, le principal n’est pas en mesure d’évaluer les compétences techniques de l’agent qui a le contrôle sur les ressources. Un manque de compétences conduirait forcément l’agent à ne pas utiliser de façon optimale les ressources dont il a la responsabilité, ce qui risquerait de réduire la valeur marchande de l’entreprise.

    Une façon de réduire les risques de gaspillage de la part de l’agent est, pour chaque principal, d’accroître ses exigences en termes de rendement sur les ressources allouées aux activités de l’entreprise. Par ailleurs, il peut supporter différents frais de surveillance qui seront transférés à l’entreprise, ou mettre en place des mécanismes de contrôle ayant un effet sur la liberté du dirigeant et sa capacité à utiliser impunément les ressources de la firme de façon non optimale.

    Surveillance (monitoring). Ces activités sont destinées à améliorer l’accès aux informations sur l’entreprise, afin de mieux évaluer la qualité des décisions et l’utilisation des ressources et intervenir au besoin. Quelques exemples: créer un conseil d’administration et contrôler l’horaire et la fréquence des réunions; exiger la production fréquente de documents financiers; réclamer que les états financiers soient régulièrement «audités» par des professionnels externes à l’entreprise, etc.

    Contrôle ou limitation (bonding). L’utilisation des contrats est favorisée afin de permettre de faire coïncider les intérêts des deux parties. Des sanctions seront prévues dans les cas où le dirigeant dévierait des objectifs définis par le financier. Quelques exemples: les contrats de rémunération des dirigeants où une partie de la rémunération annuelle est liée aux résultats financiers; les contrats rédigés par les institutions financières prévoyant les restrictions sur l’utilisation des ressources de l’entreprise (versement de dividendes, augmentation du salaire des dirigeants, etc.).

    Peu importe la solution envisagée pour réduire les problèmes d’agence, cette solution n’est pas gratuite et pourra engendrer des frais plus ou moins élevés selon la qualité de la relation entre l’agent et le principal.

    Coûts directs. Coûts de financement plus élevés; coûts pour réduire le problème d’information asymétrique; coûts de rédaction et de préparation des contrats; coûts liés à une politique de rémunération «incitative».

    Coûts indirects. Gaspillage de ressources par l’agent; coûts d’opportunité liés à des décisions non optimales (décisions d’investissement moins risquées que ce qui serait souhaitable selon les critères de rentabilité habituels, tels que la valeur actuelle nette).

    La théorie de l’agence permettra d’analyser les décisions financières des entrepreneurs que nous expliquerons plus loin dans cet ouvrage. Nous y ferons souvent allusion pour mieux comprendre l’entrepreneur et ses choix financiers, ainsi que les comportements des différents bailleurs de fonds qui mettent leurs ressources à la disposition de sociétés fermées. Ne pouvant surveiller tout ce qui se passe à l’intérieur de l’entreprise, ces bailleurs de fonds adopteront alors des attitudes spécifiques visant à protéger leur capital. Par ailleurs, ces différences de réactions entre entrepreneurs et dirigeants de grandes entreprises font d’ailleurs dire à différents bailleurs de fonds que les PME sont beaucoup plus risquées que leurs homologues de grande taille et qu’elles font souvent preuve de négligence dans leur gestion. Nous commenterons ces affirmations dans les prochains chapitres.

    5.L’asymétrie de l’information entre les bailleurs de fonds et les PME

    Comme mentionné dans la théorie de l’agence, la faible circulation de l’information sur l’entreprise, de même que le fait que celle-ci soit très souvent asymétrique, c’est-à-dire que les parties impliquées ne disposent pas toutes de la même information, accroît le risque que présentent les PME pour ses éventuels partenaires financiers. Cela les amène alors à augmenter le rendement qu’ils vont exiger de leur investissement et à fixer des conditions qui peuvent parfois sembler sévères, tout

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