Usurpation de l'identité citoyenne dans l'espace public: Astroturfing, communication et démocratie
Par Sophie Boulay
()
À propos de ce livre électronique
La parole citoyenne, symbolisant l’opinion publique aux yeux de plusieurs, bénéficie d’une grande crédibilité au sein des sociétés. Plusieurs acteurs décident ainsi de se l’arroger, espérant atteindre plus facilement leurs objectifs communicationnels. Ce type de fraude, sans être nouveau, connaît une recrudescence grâce au Web et à l’appropriation du 2.0.
Cet ouvrage révèle 99 cas d’astroturfing qui ont été dénoncés au cours des 25 dernières années. Leur analyse permet de dresser un portrait de ces stratégies, de leurs initiateurs, de leurs objectifs, de leurs cibles et des moyens de communication employés. Utilisé autant par les entreprises privées que par les partis politiques et les gouvernements, l’astroturfing influence les agendas public, médiatique et politique, ce qui lui octroie un rôle de premier plan dans la gouvernance des sociétés.
Parce que l’astroturfing corrompt l’espace public et mine le processus de délibération inhérent à la création de l’opinion publique, il importe de le connaître, de le reconnaître et de le dénoncer.
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Avis sur Usurpation de l'identité citoyenne dans l'espace public
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Aperçu du livre
Usurpation de l'identité citoyenne dans l'espace public - Sophie Boulay
Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : 418 657-4399 Télécopieur : 418 657-2096 Courriel : puq@puq.ca Internet : www.puq.ca
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Boulay, Sophie, 1978-
Usurpation de l’identité citoyenne dans l’espace public : astroturfing, communication et démocratie
(Communication, relations publiques)
Présenté à l’origine par l’auteur comme thèse (de doctorat — Université du Québec à Montréal), 2012.
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-7605-4206-8
1. Médias – Aspect politique. 2. Espace public (Science politique). 3. Publicité mensongère. 4. Relations publiques. I. Titre. II. Collection : Collection Communication et relations publiques.
P95.8.B68 2015 302.23 C2014-942264-4
Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.
Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.
Conception graphique Richard Hodgson
Image de couverture iStock
Mise en pages Le Graphe
Conversion au format EPUB Samiha Hazgui
Dépôt légal : 1er trimestre 2015
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
©2015 – Presses de l’Université du Québec
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Préface
Ce livre que vous commencez à lire, c’est une bombe. Son contenu sera pour plusieurs d’entre vous déstabilisant, choquant, voire révoltant. Ce livre fait le récit de la duperie érigée en système et du mensonge comme pratique professionnelle. Ce livre est un réquisitoire contre la fausseté, un appel à l’éveil des consciences. Son auteure nous appelle à la vigilance.
Ce à quoi Sophie Boulay vous convie dans les pages qui suivent est un nécessaire exercice de mise en lumière de pratiques douteuses de communication et de relations publiques. Pour la première fois dans un ouvrage francophone, Sophie Boulay démystifie le troublant phénomène de l’astroturfing. Le terme anglophone réfère à l’AstroTurf®, une surface de gazon artificiel qui recouvre de nombreux terrains sportifs. Cette solution est privilégiée, car elle est moins coûteuse en entretien et imiterait la sensation de la pelouse. Plusieurs sportifs ne sont toutefois pas de cet avis, ces surfaces artificielles étant fréquemment source de brûlures et d’éraflures sérieuses produites à la suite de chutes. L’imitation végétale implique donc certains risques pour ses utilisateurs.
Dans son application au monde des communications, l’expression est utilisée en référence à des pratiques qui s’opposent à des mouvements dits de « grassroots », c’est-à-dire des initiatives citoyennes, ou qui les imitent. Concrètement, faire de l’astroturfing en communication implique de créer de toute pièce un faux mouvement citoyen afin d’atteindre des objectifs de mobilisation ou de conditionnement de l’opinion publique. Par la tromperie et l’usurpation d’identité, ces actions stratégiques concertées sont mises au service de groupes d’intérêts, de lobbys, de partis politiques, d’entreprises, de gouvernements ou d’associations qui veulent modifier les attitudes, les opinions et les comportements de citoyens ou d’institutions réfractaires à leurs intérêts. Ces manipulations insidieuses de l’opinion publique ne se déroulent pas dans des régimes totalitaires. Comme nous l’illustrent les nombreux exemples mis en lumière par Sophie Boulay, elles sont menées tous les jours au sein de régimes démocratiques industrialisés. Chez vous ! Et elles sont le fruit du conseil professionnel de communicants, de relationnistes ou de consultants en communication œuvrant au sein des plus grandes firmes de communication et d’affaires publiques. Certains de ces praticiens font fi de toute règle élémentaire d’éthique, méprisent les citoyens et vendent du mensonge. La démocratie, la vérité, la connaissance n’ont aucune valeur à leurs yeux. Ce livre, cette bombe que vous vous apprêtez à lire, c’est la mise en accusation de ces stratégies mensongères et trompeuses, qui minent une industrie entière.
L’association entre le mensonge et la communication n’est pas nouvelle, en particulier en ce qui concerne la communication politique. Dans son essai Le syndrome de Pinocchio¹, publié en 1997, le journaliste André Pratte soulignait brillamment le recours argumentaire perpétuel des politiciens aux diverses formes du mensonge. De l’usage de la demi-vérité au mensonge par omission en passant par l’opaque langue de bois, Pratte rappelait à ses lecteurs que les politiciens sont les maîtres toutes catégories de la duperie et des faux-semblants. Un titre bien triste à porter. Néanmoins, Pratte laissait ses lecteurs sur une note optimiste en disant espérer que la vérité triomphe et que les citoyens fassent preuve de courage en devenant plus exigeants envers leurs dirigeants afin d’éviter que le règne du mensonge ne vienne inexorablement pourrir la démocratie et « émasculer l’État² ». L’ouvrage de Pratte se faisait sonnette d’alarme, alertant la population à ce syndrome de la tromperie qui mine la vie politique et lançant un appel à la mobilisation citoyenne contre ce régime du mensonge politique.
Le livre de Sophie Boulay doit être reçu de la même façon. Les nombreux exemples de pratiques mensongères et d’actions antidémocratiques et trompeuses qu’il décrit permettent de bien saisir l’étendue et la diversité du phénomène. Ces gestes d’astroturfing sont autant d’atteintes à la démocratie. Ces initiatives pervertissent l’engagement civique, dupent les consommateurs, trahissent la participation citoyenne. À l’instar des sportifs qui subissent les blessures du gazon artificiel, les citoyens ne sortent pas indemnes de la tromperie communicationnelle de l’astroturfing. Des entreprises et des lobbys déploient actuellement au Québec des stratégies de communication afin de limiter l’action de véritables mouvements citoyens mobilisés contre certains projets dans les domaines de l’énergie, du développement et de l’exploitation des ressources naturelles. Ces plans de communication ont tous en commun d’avoir comme objectif premier d’orienter le débat public et de conditionner l’opinion. Plusieurs font d’ailleurs la promotion d’activités d’astroturfing pour atteindre cet objectif. De la tenue de fausses manifestations d’appui en passant par des campagnes concertées d’envoi massif de courriels aux élus, rien n’arrête ces organisations dans leur quête d’intérêts. Le seul rempart à leurs actions orwelliennes demeure la connaissance par chaque citoyen de ces tactiques trompeuses, de ces mensonges antidémocratiques. Ce savoir est consigné ici. Il contribuera à démystifier une réalité encore inconnue pour la plupart des lecteurs. La prise de conscience collective à laquelle vous convie Sophie Boulay dans cet ouvrage est salutaire, essentielle.
Au terme de votre lecture, vous vous sentirez déstabilisés, choqués, voire révoltés. Vous aurez compris ce qu’est l’astroturfing, qui sont ses acteurs et leurs stratégies. Vous aurez trouvé de nombreuses réponses et serez habités par de nouveaux questionnements. Néanmoins, vous pourrez reconnaître les manifestations de communication trompeuses et distinguer les véritables initiatives citoyennes de leurs imitations artificielles et fallacieuses. Au terme de votre lecture, vous serez devenu un meilleur citoyen.
Thierry Giasson
Professeur et directeur Groupe de recherche en communication politique Université Laval
Québec, le 28 novembre 2014
1. André Pratte, Le syndrome de Pinocchio. Essai sur le mensonge en politique, Montréal, Boréal, 1997.
2. Ibid., p. 159.
Table des matières
Préface
Liste des figures
Liste des tableaux
Introduction
Chapitre 1
Astroturfing, une usurpation de l’identité citoyenne
1.1. L’État des connaissances sur l’astroturfing
1.1.1. Les conceptions de l’astroturfing dans les écrits scientifiques
1.1.2. Les groupes astroturfs
1.1.3. Les actions astroturfs
1.1.4. l’émergence et les raisons d’être de l’astroturfing
1.1.5. La forte présence des TIC
1.1.6. Les conséquences potentielles de l’astroturfing
1.1.7. Un secret de Polichinelle dont la réglementation est émergente
1.2. La nécessité d’une définition pour un phénomène aux mille visages
1.2.1. Une définition inclusive pour un phénomène aux confins de plusieurs champs
1.2.2. L’astroturfing : au-delà de la propagande
1.2.3. Pourquoi s’intéresser à l’astroturfing aujourd’hui ?
Conclusion
Chapitre 2
Astroturfing, une stratégie de communication à examiner
2.1. l’Exploration obligée d’un phénomène occulte
2.1.1. Les défis que pose l’étude de l’astroturfing
2.1.2. Les assises de la recherche : objectifs, questions et hypothèse
2.1.3. La sélection des variables
2.2. Une méthodologie mixte
2.2.1. Le design de recherche
2.2.2. La création du corpus
2.3. Une Analyse en trois temps
2.4. La quête de la validité d’une recherche exploratoire
Conclusion
Chapitre 3
Présentation du phénomène d’astroturfing
3.1. Un Portrait des sources de cas d’astroturfing étudiés dans la recherche
3.2. Le Processus de dénonciation de l’astroturfing
3.3. Le Processus de création de l’astroturfing
3.4. L’astroturfing : cibles, objectifs et moyens de communication
3.5. Un modèle pour l’étude de l’astroturfing
3.6. Une Typologie du phénomène d’astroturfing
Conclusion
Chapitre 4
Portrait de l’astroturfing sur le terrain
4.1. Un Portrait des quatre types de stratégies d’astroturfing
4.1.1. Les actions astroturfs
4.1.2. Une analyse des campagnes astroturfs
4.1.3. Le groupe astroturf conjoncturel
4.1.4. Le groupe astroturf pérenne
4.2. Un Portrait des stratégies d’astroturfing selon leur initiateur
4.2.1. L’astroturfing des initiateurs corporatifs
4.2.2. L’astroturfing des acteurs liés à la politique partisane
4.2.3. L’astroturfing des acteurs gouvernementaux
4.2.4. L’astroturfing des groupes astroturfs
4.2.5. L’astroturfing des initiateurs OBNL
4.2.6. L’astroturfing des initiateurs citoyens
Conclusion
Chapitre 5
Fonctions de l’astroturfing dans les sociétés démocratiques
5.1. Des Ancrages conceptuels pour l’interprétation du rôle de l’astroturfing
5.1.1. Une description des agendas politique, public et médiatique
5.1.2. L’influence et l’interinfluence des agendas
5.2. L’astroturfing, une stratégie de mise à l’agenda
5.2.1. L’agenda public
5.2.2. L’agenda politique
5.2.3. L’agenda médiatique
Conclusion
Chapitre 6
Critique de l’astroturfing
6.1. Non authentique et non éthique, l’astroturfing mine la communication
6.2. L’idéal habermassien d’espace public corrompu par l’astroturfing
6.2.1. La notion d’espace public
6.2.2. Une critique de l’astroturfing à l’aune de l’espace public
6.2.3. L’espace public contemporain : des conditions favorables à l’astroturfing
6.3. L’astroturfing, un indésirable en démocratie
Conclusion
Conclusion
ANNEXE 1
ANNEXE 2
ANNEXE 3
1. Types de moyen de communication et types d’objectif
2. Types d’objectif et types d’initiateur
3. Types d’objectif et types de cible
4. Types de moyen de communication et types de cible
5. Types d’initiateur et type de cible
6. Types d’objectif et types d’initiateur
ANNEXE 4
ANNEXE 5
Bibliographie
Liste des figures
Figure 3.1 Sources de dénonciation et véhicules communicationnels de prédilection
Figure 3.2 Modèle pour l’étude du phénomène d’astroturfing
Figure 4.1 Faits saillants de l’analyse des actions astroturfs
Figure 4.2 Faits saillants de l’analyse des campagnes d’astroturfing
Figure 4.3 Faits saillants de l’analyse des groupes astroturfs conjoncturels
Figure 4.4 Faits saillants de l’analyse des groupes astroturfs pérennes
Figure 4.5 Portrait de l’astroturfing des initiateurs corporatifs*
Figure 4.6 Portrait de l’astroturfing des acteurs liés à la politique partisane
Figure 4.7 Portrait de l’astroturfing des initiateurs gouvernementaux
Figure 4.8 Portrait de l’astroturfing des groupes astroturfs
Figure 4.9 Portrait de l’astroturfing des initiateurs OBNL
Figure 4.10 Portrait de l’astroturfing des initiateurs citoyens
Liste des tableaux
Tableau 2.1 Liste des variables
Tableau 2.2 Grille d’analyse de contenu des cas d’astroturfing
Tableau 3.1 Lieux géographiques
Tableau 3.2 Dates de dénonciation
Tableau 3.3 Comparaison des dates de mise en action et de dénonciation
Tableau 3.4 Types de sources dénonciatrices
Tableau 3.5 Types de véhicules communicationnels de dénonciation
Tableau 3.6 Types de véhicules communicationnels de diffusion
Tableau 3.7 Comparaison des types de véhicules communicationnels de dénonciation et de diffusion
Tableau 3.8 Types d’initiateurs
Tableau 3.9 Types d’intermédiaires exécutants
Tableau 3.10 Types de cibles
Tableau 3.11 Types d’objectifs
Tableau 3.12 Types de moyens de communication
Tableau 3.13 Types de moyens de communication regroupés selon leur caractéristique dominante
Tableau 3.14 Définition des types de stratégies d’astroturfing
Tableau 3.15 Types de stratégies d’astroturfing
Tableau 5.1 Influence interagendas : théories et concepts
Tableau 6.1 Articles du Code d’éthique professionnelle de la Société canadienne des relations publiques (SCRP) auxquels contrevient directement l’astroturfing
Tableau 6.2 Articles du Code d’Athènes auxquels contrevient l’astroturfing
Introduction
En 1986, le sénateur texan Lloyd Bentsen utilise le terme astroturf pour qualifier une campagne de communication. L’AstroTurf®¹ est un revêtement synthétique imitant presque à la perfection les terrains de jeu gazonnés utilisés pour les sports amateurs et professionnels. Par ce jeu de mots, le sénateur distingue alors les efforts de citoyens, de type grassroots, des efforts d’intérêts corporatifs prétendant parler au nom des citoyens. Plusieurs aspects de la campagne ont éveillé l’esprit critique et la méfiance du sénateur : l’ampleur de la campagne de communication, son aspect manufacturé et son orchestration professionnelle notamment. Bentsen pointe alors un phénomène appelé à se développer. « [A]stroturf activities are by no means marginal and have been acknowledged to be the most popular political strategy [used] in the 1990s » (Keim, 1996, p. 17). Cet ingénieux néologisme fut d’ailleurs adopté par de nombreux élus, professionnels et journalistes.
L’astroturfing est une stratégie de communication dont la source réelle est occultée et qui prétend à tort être d’origine citoyenne. Il se réalise à travers une panoplie de moyens de communication (Web, documents imprimés, faux groupes d’intérêts, sollicitation frauduleuse d’appuis à une cause, etc.) qui laissent entendre qu’ils sont d’origine citoyenne ou qu’ils défendent les intérêts des citoyens. Ils sont plutôt l’œuvre d’un autre acteur, qui garde secrète son identité réelle et a ses propres visées, en fonction d’objectifs non avoués publiquement. Depuis le début des années 2000, l’expression est plus couramment employée dans les médias, sur le Web et sur les autres plateformes nourrissant l’espace public. Plusieurs acteurs dénoncent ce qu’ils considèrent comme étant de l’astroturfing. Les exemples suivants en font foi. Un billet intitulé « I was a political astroturfer » a été publié sur le site salon.com (Gittlitz, 2013). L’auteur y explique qu’il est rémunéré par des agences pour aller manifester quelques heures par semaine en soutien à différentes causes. Ainsi, lorsqu’il milite devant les institutions législatives, il le fait en premier lieu parce qu’il s’agit de son emploi rémunéré. Pourtant, aux yeux des médias et des élus, la manifestation semble spontanée et d’origine citoyenne. Oostveen (2008) raconte qu’en tant que bénévole pour la campagne de John McCain, elle a dû rédiger des lettres de soutien au candidat, adressées aux médias. Le ghost-writing consiste à rédiger des textes qui seront signés par des personnages fictifs ou par des personnes réelles, de manière volontaire ou non. En effet, il est courant de voir des équipes électorales utiliser l’identité de leurs supporters et envoyer des lettres en leur nom à leur insu. La bénévole a ainsi prétendu être tantôt une mère, tantôt un homme millionnaire ! On observe aussi la présence de l’astroturfing dans les rubriques d’offres d’emploi. Des organisations et des entreprises privées cherchent des blogueurs pour rédiger des commentaires positifs ou négatifs à propos de leurs produits sur des plateformes contributives. Cet approvisionnement par la foule, aussi désigné par l’expression crowdsourcing, est l’une des tactiques d’astroturfing les plus courantes. Il existe des agences spécialisées en astroturfing sur les sites contributifs (Simonite, 2011), qui rémunèrent leur personnel en fonction de la quantité de commentaires écrits. La plateforme Twitter est aussi ciblée par les astroturfers. Des mises en garde concernant l’authenticité de tweets sont d’ailleurs présentes sur le Web (Melanson, 2010). Ainsi, plusieurs dénonciations d’astroturfing sont lancées dans l’espace public. Leurs formes sont multiples et elles pointent parfois non seulement une action, mais aussi des organisations.
En somme, au regard des dénonciations, l’astroturfing serait un leurre, une imposture, une stratégie de communication mensongère et trompeuse qui s’opère dans l’espace public des sociétés. Soulignons les deux caractéristiques principales d’une stratégie d’astroturfing : d’une part, la communication astroturf est sciemment mensongère quant à sa source ; d’autre part, elle s’approprie illégitimement la crédibilité citoyenne, ce qui peut entraîner des déséquilibres relativement au poids, à la portée et à la valeur accordés à la voix citoyenne². Reposant sur de la fausse représentation, l’astroturfing se fond dans l’ensemble des innombrables stratégies de communication publique, promotionnelle et politique réalisées quotidiennement dans l’espace public.
Le tournant des années 2000 montre une conjoncture particulièrement pertinente pour s’intéresser à l’astroturfing. Certes, l’astroturfing était déjà partie prenante de certaines pratiques de relations publiques dès la première moitié du xxe siècle :
In the 1930s, public relations pioneer Carl Byoir is reputed to have invented the bogus grassroots campaign by setting up dummy organizations such as the National Consumers’ Tax Organization to lobby against special taxes on chain stores, a tactic which was carried out at the behest of his client, grocery giant A & P (Parsons, 2010, p. 6).
Toutefois, les sociétés occidentales vivent actuellement des changements majeurs sur le plan communicationnel, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’astroturfing. Les citoyens sont submergés d’informations provenant d’innombrables sources. Les nouvelles technologies de l’information et des communications (TIC) structurent des changements très influents. Par exemple, elles modifient la vitesse à laquelle l’information est transmise et consommée, obligeant un renouvellement et une mise à jour constants. De plus, les outils informatiques mis à la disposition de tous (ordinateurs, logiciels, téléphones intelligents) et les nouvelles plateformes d’échanges (Web, Web 2.0) facilitent non seulement la création de contenus et leur diffusion, mais aussi leur accessibilité. Les médias sociaux offrent, quant à eux, de nouveaux modes d’échanges (blogues instantanés, privés, publics, crowdsourcing, crowdfunding, etc.), qui induisent de nouveaux comportements communicationnels (Millerand et al., 2010). Pour leur part, les médias traditionnels poursuivent aujourd’hui de nombreux buts, souvent à caractère commercial, loin de ceux que leur octroient les théoriciens des médias, comme être le chien de garde du gouvernement, offrir un lieu d’expression des idées, représenter l’opinion publique, etc. (Siebert et al.,1984). En tant qu’entreprises visant à réaliser des profits, les médias vivent des transformations majeures, imposées par leur environnement tant social qu’économique et technologique. Somme toute, les communications individuelles, médiatiques et publiques se redéfinissent actuellement.
De plus, des théoriciens de la communication (Breton et Proulx, 1994, 2002 ; Wolton, 1997, 2000) font remarquer qu’au cours des trois dernières décennies les communications publiques se sont développées de manière exponentielle. Plusieurs indicateurs le révèlent. La création de programmes d’études universitaires en communication³, la hausse des budgets investis par les entreprises et institutions (CICQ, 2009 ;Davis, 2002), de même que l’augmentation constante du nombre de professionnels embauchés dans ces secteurs (Davis, 2002 ; Emploi-Québec, 2011), sont particulièrement révélatrices à cet égard. Nous en déduisons une constante augmentation du nombre de stratégies de communication déployées dans nos sociétés. Cette explosion des communications, qui n’est pas étrangère au développement fulgurant des TIC, offre un contexte propice à l’éclosion de nouvelles pratiques de communication. À l’instar de toutes les stratégies de communication, l’astroturfing est susceptible de bénéficier de ce