ILS ONT PUBLIÉ DES LIVRES À SUCCÈS sur le tournant civilisationnel que représenterait la révolution numérique. Dans Homo numericus (Albin Michel), l’économiste Daniel Cohen, directeur du département d’économie de l’Ecole normale supérieure (ENS), se livre à une analyse inquiète des transformations en cours dans nos vies intimes comme professionnelles. Avec Apocalypse cognitive (PUF), le sociologue Gérald Bronner (par ailleurs chroniqueur à L’Express) ne se montre guère plus optimiste face au grand brouhaha numérique qui exploite nos instincts ancestraux. Professeur à l’université Paris Cité, il a par ailleurs dirigé la commission chargée de lutter contre les fake news sur Internet, dont le rapport vient d’être publié (Les Lumières à l’ère numérique, PUF). Tinder, complotisme, biais cognitifs…, le dialogue entre les deux hommes fut fécond.
Vos livres analysent les effets profonds provoqués selon vous par la révolution numérique. Est-ce un vrai changement civilisationnel?
Oui, c’est un changement civilisationnel qui se profile, au sens par exemple où la révolution industrielle du charbon et de la sidérurgie au XIX siècle en avait déjà produit un. A l’époque, l’exode rural et l’urbanisation avaient mis fin à plusieurs millénaires de vie agraire, instaurant une société d’un type totalement nouveau. Nous sommes aujourd’hui dans une révolution de même ampleur. La différence fondamentale, c’est que les révolutions industrielles précédentes, en comptant aussi celle de l’électricité, avaient transformé le rapport de l’homme à la matière. Leurs effets sociaux avaient été puissants, mais