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LES ETATS STRATEGES: Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse
LES ETATS STRATEGES: Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse
LES ETATS STRATEGES: Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse
Livre électronique498 pages5 heures

LES ETATS STRATEGES: Nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse

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À propos de ce livre électronique

Le phénomène est important : depuis 2008 – et encore davantage avec l’avènement de la crise sanitaire –, les gouvernements interviennent de plus en plus dans l’économie. Ce n’est pas qu’ils avaient cessé de le faire, c’est simplement qu’ils intensifient leur action. En Écosse et au Québec, deux nations subétatiques, ces investissements sont plus importants qu’ailleurs et diffèrent en cela des modèles libéraux britannique et canadien qui les englobent. L’auteur de ce livre analyse l’évolution des politiques de ces deux nations, qu’il qualifie d’« États stratèges », dans les secteurs de la finance entrepreneuriale et du capital de risque en particulier. Par ailleurs, et c’est là la clef de voûte de son ouvrage, il soutient, preuves à l’appui, que le développement de ces écosystèmes régionaux est fortement influencé par la prévalence du nationalisme économique. Ce nationalisme minoritaire induit des impératifs institutionnels et des préférences idéologiques qui expliquent les hauts niveaux d’investissement public écossais et québécois, de même que l’unicité des modèles économiques de ces deux nations.
LangueFrançais
Date de sortie10 mars 2022
ISBN9782760645189
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    Aperçu du livre

    LES ETATS STRATEGES - X. Hubert Rioux

    X. Hubert Rioux

    Les États stratèges

    Nationalisme économique

    et finance entrepreneuriale

    au Québec et en Écosse

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Les États stratèges: nationalisme économique et finance entrepreneuriale au Québec et en Écosse / Hubert Rioux.

    Autres titres: Small nations, high ambitions. Français

    Noms: Rioux, Hubert, 1988- auteur.

    Collections: Politique mondiale (Presses de l’Université de Montréal)

    Description: Mention de collection: Collection Politique mondiale | Traduction de: Small nations, high ambitions: economic nationalism and venture capital in Quebec and Scotland. | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210066156 | Canadiana (livre numérique) 20210066164 | ISBN 9782760645165 | ISBN 9782760645172 (PDF) | ISBN 9782760645189 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Capital à risques—Politique gouvernementale—Québec (Province) | RVM: Capital à risques—Politique gouvernementale—Écosse. | RVM: Investissements publics—Politique gouvernementale—Québec (Province) | RVM: Investissements publics—Politique gouvernementale—Écosse. | RVM: Nationalisme—Aspect économique—Québec (Province) | RVM: Nationalisme—Aspect économique—Écosse. | RVM: Québec (Province)—Politique économique. | RVM: Écosse—Politique économique.

    Classification: LCC HC117.Q4 R5214 2022 | CDD 330.9714—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 1er trimestre 2022

    Bibliothèque et Archives nationales spandu Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2022

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Préface

    Le phénomène est important, mais passe largement inaperçu: depuis 2008 les gouvernements interviennent de plus en plus massivement dans l’économie. Ce n’est pas qu’ils avaient cessé de le faire, c’est simplement qu’ils le font davantage. Comme l’explique X. Hubert Rioux, ce retour de l’État se fait notamment par l’entremise de banques publiques d’investissement et par la création ou la redéfinition des mandats de sociétés d’État. Il y a environ dix ans, les actifs totaux des fonds souverains représentaient 10% du PIB mondial, nous dit Rioux – une part gigantesque. Depuis, elle a plus que doublé. Ces fonds souverains, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), et ces sociétés d’État, comme Investissement Québec (IQ), qui se consacrent au financement d’entreprises et à l’aide aux exportations sont maintenant largement plus nombreux qu’il y a vingt ou même dix ans, comme le sont d’ailleurs les banques publiques d’investissement. Parmi celles-ci, plusieurs ont été mises sur pied par des gouvernements non souverains, comme ceux du Québec et de l’Écosse. Cette transformation est importante et nous permet déjà de tirer des leçons sur la mondialisation et sur la relation entre le nationalisme et le développement économique.

    Une des conséquences de ces transformations est que la mondialisation, qui avait atteint des sommets juste avant la crise de 2008, bat en retraite depuis. Un auteur néerlandais, Adjiedj Bakas, a même inventé l’expression slowbalization pour décrire le phénomène. Pour le mesurer, on utilise l’indice de l’ouverture commerciale (trade openness index), qu’Our World in Data définit comme la somme des exportations et des importations internationales totales divisée par le PIB mondial. Juste avant la récession de 2008, l’indice n’avait jamais été aussi élevé. La récession de 2008 et le retour de l’État ont eu pour effet notable de renverser la tendance. En effet, l’indice de l’ouverture commerciale est descendu à 53,5% en 2017, un recul d’environ 12% par rapport à 2008. Il s’agit du premier recul mesuré de cet indice depuis la Seconde Guerre mondiale. Selon l’Organisation mondiale du commerce, alors que 0,6% des importations mondiales étaient touchées par des mesures restrictives en 2009, plus de 7,5% l’étaient en 2018, une augmentation de 1 250%. Les investissements directs étrangers (IDÉ) suivent la tendance et sont passés de 3,5% du PIB mondial en 2007 à 1,3% en 2018, une chute de 63%.

    Un des changements les plus significatifs se produit en Chine. Comme on le sait, la Chine est souvent le dernier maillon de plusieurs chaînes de valeur mondiales. Ainsi, même si un produit porte l’étiquette Made in China, cela ne signifie pas que la Chine en produise l’essentiel de la valeur ajoutée. Le gouvernement chinois est conscient de cette situation et cherche depuis plusieurs années à la corriger par la politique Made in China 2025, lancée en 2015. Ce programme stratégique a pour finalité d’accélérer la production, en Chine, de composantes qui entrent dans l’assemblage de divers produits, de l’iPhone aux semi-conducteurs. Pour ce faire, le gouvernement chinois cherche, par l’entremise de ses banques d’investissement et de ses sociétés d’État, à devenir un chef de file mondial dans les domaines des énergies vertes, de l’aérospatial, des semi-conducteurs, des biotechnologies et des nouvelles technologies de l’information.

    Cette politique vise à affranchir la Chine de sa trop grande dépendance envers les fournisseurs étrangers. On ne sait pas si elle portera ses fruits, mais il est évident que les règles du jeu de la concurrence mondiale ont changé. Depuis 2008, les exportations de la Chine sont passées de 31% de son PIB à 18% en 2020, un recul très important de 42%. Cette politique Made in China 2025 a provoqué plusieurs réactions autour du monde. Par exemple, la Commission européenne a publié un rapport qui presse l’Union européenne (UE) d’augmenter ses financements en recherche et développement (RD), notamment dans le domaine industriel, et d’établir des stratégies commerciales afin d’égaliser les conditions de la concurrence entre les entreprises européennes et chinoises.

    Cette politique a également provoqué un durcissement des relations avec les États-Unis. Parmi les actions entreprises par le gouvernement américain figurent ses stratégies de réindustrialisation – tout comme la Chine, l’objectif fondamental est de moins dépendre des approvisionnements extérieurs, notamment dans le domaine de la défense et, depuis la crise sanitaire, de la santé –, ainsi que d’importantes baisses d’impôts pour les entreprises, un élargissement des mesures Buy American pour les marchés publics et une hausse marquée du budget de la défense et des subventions industrielles de divers types. Même si on note un changement de ton de la part de l’administration Biden, il existe un fort consensus bipartisan sur les relations entre la Chine et les États-Unis. Les investissements publics massifs du gouvernement et la politique Build Back Better de l’administration Biden confirment le retour de l’État aux États-Unis également.

    L’autre leçon importante porte cette fois sur le nationalisme et son influence sur l’intervention de l’État dans l’économie. Les théories économiques contemporaines sont incapables de saisir l’importance du nationalisme comme moteur de l’intervention de l’État en général, et plus encore pour de petites nations comme l’Écosse et le Québec. La réaction classique de nombreux observateurs économiques est de présenter le (mauvais) nationalisme comme l’opposé du (bon) libéralisme. Un peu court… Cette situation n’est pas nouvelle et ne se limite pas aux économistes. Au début des années 1960, déjà, Judy LaMarsh, une des toutes premières femmes à avoir été nommées au sein du Cabinet fédéral, sous Lester B. Pearson, craignait qu’avec la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec, la province ne se transforme en pays totalitaire. Elle déclarait alors: «La puissance d’un gouvernement disposant d’autant d’argent serait effarante. En contrôlant les capitaux d’investissement, il serait en position de dominer les affaires. On risquerait de déboucher sur une sorte de national-socialisme tel qu’il s’exerçait dans l’Allemagne nazie1.»

    Une autre erreur majeure de nombreux chercheurs, notamment ceux qui s’intéressent à la variété des modèles de capitalisme, est, paradoxalement, de succomber au nationalisme méthodologique. Celui-ci suppose, dans les faits, qu’on ne se concentre que sur les pays souverains et qu’on gomme les variations régionales ou infranationales. En procédant de la sorte, ces chercheurs réifient de manière excessive les caractéristiques des modèles. Comme le montre de manière plus que convaincante X. Hubert Rioux, on trouve au sein des modèles libéraux britannique et canadien les modèles québécois et écossais, qui ne s’alignent pas sur la logique institutionnelle du reste du pays. Au Québec et en Écosse, le nationalisme minoritaire exerce sur les politiques d’innovation et de soutien entrepreneurial des effets concrets et très importants, qui les différencient des approches qui prévalent dans le reste du Canada et du Royaume-Uni.

    Et c’est bien ici la contribution la plus importante de ce livre: étudier avec précision et compétence un secteur habituellement négligé des sciences sociales et, en particulier, des études sur le nationalisme, celui des sociétés d’État et des fonds publics d’investissement qui participent à la finance entrepreneuriale. L’auteur montre que le facteur explicatif fondamental pour comprendre la divergence entre les politiques et les écosystèmes du Québec et de l’Écosse, d’une part, et la norme libérale qui prévaut au Canada et au Royaume-Uni, d’autre part, concerne les logiques et les effets du nationalisme économique. C’est ce nationalisme minoritaire qui explique en quoi ces nations non souveraines sont si uniques sur le plan des politiques de développement économique.

    Pour ces raisons, ce livre représente un véritable tour de force. Les universitaires comme les praticiens du secteur de la finance entrepreneuriale le liront avec le plus grand profit.

    Stéphane Paquin

    Professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique

    Montréal, 1er mai 2021


    1. http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/20411.html

    Introduction

    Dès 2009, le grand spécialiste des banques publiques d’investissement et du capital de risque (CR) Josh Lerner, professeur à la Harvard Business School, remarquait que:

    la crise financière de 2008 a ouvert la porte à des interventions étatiques massives dans les économies occidentales. Dans de nombreux pays, les gouvernements ont réagi aux menaces d’illiquidité et d’insolvabilité en investissant massivement dans des entreprises en difficulté et en y prenant souvent des participations importantes (Lerner, 2009, p. 1, notre traduction).

    Toutefois, comme il l’explique ensuite, la plupart de ces interventions, au lendemain de la crise, ont consisté dans les faits à sauver ou à acquérir des institutions financières et des entreprises en difficulté; elles étaient donc, essentiellement, de nature réactive et ciblée. En revanche, dans d’autres régions du monde – notamment en Asie de l’Est depuis la crise financière asiatique de 1997 –, l’intervention gouvernementale dans l’économie et le soutien public aux entreprises en croissance ou aux «champions nationaux», par le biais de fonds d’investissement détenus ou soutenus par l’État, ont persisté et se sont même accentués (Carney, 2018). Le cas de la Chine est bien sûr frappant à cet égard, car l’influence et les activités de ses gigantesques fonds publics d’investissement n’ont jamais cessé de croître, sur le plan interne et maintenant sur les marchés étrangers – et, de plus en plus, occidentaux.

    Depuis une dizaine d’années, bien avant que la crise de la COVID-19 ne vienne renforcer la tendance (Mertens et al., 2020), cet activisme et cet interventionnisme financiers du secteur public, par l’intermédiaire de sociétés d’État et de fonds d’investissement soutenus par les gouvernements, se répandent également dans les économies occidentales. Les tendances à la libéralisation qui dominaient les décennies précédentes s’estompent progressivement, tandis que les politiques jugées «protectionnistes», «illibérales» ou «nationalistes» se multiplient rapidement et dépassent même, en volume, les mesures de libéralisation mises en œuvre (OCDE, 2018a). Parmi ces politiques, les mesures qui ont connu la croissance la plus rapide ne sont d’ailleurs pas les barrières tarifaires ou non tarifaires au commerce et à l’investissement, mais plutôt divers types de subventions aux industries et à l’exportation, allouées notamment par un nombre croissant d’organismes gouvernementaux et de banques publiques d’investissement (OCDE, 2018b). Au début des années 2010, même en excluant les sociétés chinoises, les sociétés d’État représentaient déjà plus de 10% du produit intérieur brut (PIB) mondial, et cette proportion n’a cessé d’augmenter depuis (Bernier et Reeves, 2018; OCDE, 2016, 2017). De même, les actifs détenus par des fonds souverains ont plus que doublé entre 2007 (3,3 billions de dollars US) et 2018 (7,8 billions de dollars US), car les gouvernements nationaux du monde entier ont acquis des quantités rapidement croissantes d’actifs par l’achat d’actions (Carney, 2018).

    Ainsi, non seulement le recours aux sociétés d’État est en progression, dans les pays membres de l’OCDE et le monde entier, depuis la crise financière de 2008, mais le secteur financier est clairement celui dans lequel se concentre aujourd’hui la plus forte proportion (plus de 25%) d’entre elles (Bernier et Reeves, 2018). Les banques publiques d’investissement et les agences gouvernementales qui se consacrent au financement des entreprises, au crédit à l’exportation ou, plus généralement, au développement économique se sont en effet multipliées. Des estimations indiquent que le monde compte maintenant plus de 500 banques publiques de développement, dont au moins un cinquième a été créé depuis l’éclatement de la bulle technologique, au début des années 2000 (O’Toole, 2018). Puis, à la suite de la crise financière de 2008, une seconde vague très importante de capitalisation de ces banques a déferlé. Dans leurs rangs, on compte un bon nombre, toujours croissant, de banques publiques d’investissement «vertes», expressément consacrées à la transition énergétique et au développement d’éco-infrastructures. Plusieurs d’entre elles opèrent à l’échelle infranationale, telles que la California Infrastructure and Economic Development Bank, la Connecticut Green Bank ou la New York Green Bank, aux États-Unis. En outre, un nombre croissant intervient activement dans les marchés du CR et du capital de développement (CD; OCDE, 2018b). Les pôles de CR émergents les plus dynamiques – tels que la Silicon Valley, Tel Aviv ou Singapour – ont tous profité (et continuent de le faire) d’un soutien important du secteur public, sous de nombreuses formes qui vont des investissements directs aux subventions pour la création de fonds de co-investissement hybrides réunissant l’État et des partenaires privés (Lerner, 2009).

    De nombreux facteurs économiques expliquent cette implication croissante des États dans le financement des entreprises et le CR, depuis la nécessité de combler les lacunes du marché privé jusqu’à la volonté stratégique de créer de nouveaux marchés pour des technologies, des produits ou des services prometteurs et innovants, mais encore non rentables (Mazzucato, 2014). Ce livre, cependant, s’attarde à l’autre côté de la médaille, soit aux justifications idéologiques et politiques de l’intervention des États, puis à leurs répercussions sur les formes et les objectifs propres à cette intervention. Bien qu’un certain degré de soutien public dans ces secteurs s’observe maintenant presque partout, en raison de l’importance de l’entrepreneuriat et de l’innovation technologique pour le développement et la croissance économiques (OCDE, 2018b), le fait est qu’il subsiste divers modèles produisant différents niveaux et moyens d’intervention. Dans certains cas, la participation de l’État est ancienne et étendue; dans d’autres, elle est relativement récente et limitée, voire marginale. Essayer de comprendre cette situation, l’origine de cette diversité des modèles et les variables économiques et politiques qui affectent ces trajectoires nationales est un défi intéressant. Dans le contexte actuel, il s’agit également d’un objet d’étude particulièrement important pour les économistes et les chercheurs en sciences sociales.

    La contribution de ce livre repose sur l’étude du cas spécifique et spécialement intéressant de deux États qui, en raison de leur petite taille et de leur statut constitutionnel, ont échappé à l’attention des spécialistes de la finance entrepreneuriale, en général, et du CR, en particulier. Les cas du Québec et de l’Écosse présentent effectivement de l’intérêt à bien des égards. Premièrement, les chercheurs doivent tenir compte du fait que, dans un nombre croissant de pays, la participation du gouvernement au financement des entreprises (y compris dans le domaine du CR) s’opère de plus en plus souvent à l’échelle infranationale. Deuxièmement, et par conséquent, même si le financement des entreprises par l’État central se pratique certainement au Canada et au Royaume-Uni – on peut penser aux activités de la Banque de développement du Canada (BDC) et de la British Business Bank (BBB), notamment –, les écosystèmes québécois et écossais de la finance entrepreneuriale, tels que décrits en détail dans cet ouvrage, divergent de façon importante des modèles canadien et britannique par l’ampleur et les formes de la participation du secteur public.

    Troisièmement – c’est peut-être le plus important –, le Québec et l’Écosse constituent des cas spécialement intéressants pour une étude sur les déterminants idéologiques et politiques de la finance entrepreneuriale et des politiques publiques en matière de CR. L’influence d’un fort courant nationaliste dans les deux régions, qui favorise leur autonomie politique, économique et institutionnelle au sein du Canada et du Royaune-Uni (R.-U.), permet d’étudier les répercussions d’un ensemble précis de préférences politiques et idéologiques qui sous-tend ce que l’on peut qualifier de «nationalisme économique». Dans le contexte où les récents référendums sur la sécession en Écosse (2014) et en Catalogne (2017), le «Brexit», et la présidence de Donald Trump aux États-Unis ont mis en évidence la résurgence à la fois du nationalisme minoritaire et du nationalisme économique dans le monde, tenter de circonscrire certains des effets du nationalisme économique minoritaire sur l’élaboration des politiques publiques paraît utile. En outre, de nombreux indicateurs suggèrent que le secteur de la finance entrepreneuriale est remarquablement perméable aux considérations politiques nationalistes, comme l’illustre l’exemple du puissant écosystème du CR aux États-Unis.

    En effet, l’intervention stratégique de l’État dans le financement des entreprises et du CR a une longue histoire, y compris aux États-Unis. Dans son ouvrage The Entrepreneurial State, par exemple, l’économiste Mariana Mazzucato – par ailleurs membre du Conseil économique du gouvernement écossais –, qui étudie l’énorme succès commercial d’Apple depuis le début des années 2000, met en évidence les réalités suivantes:

    Apple a pu surfer sur une vague d’investissements massifs de l’État dans les technologies «révolutionnaires» qui sous-tendent l’iPhone et l’iPad: Internet, GPS, écrans tactiles et technologies de communication… Si ces produits doivent leur superbe design et leur intégration parfaite au génie de [Steve] Jobs et de sa grande équipe, presque toutes les technologies de pointe présentes dans l’iPod, l’iPhone et l’iPad sont le produit des efforts de recherche et du soutien financier souvent négligés ou ignorés du gouvernement et de l’armée (2014, p. 88, notre traduction).

    En fait, si l’importance centrale du financement de l’État fédéral pour l’émergence et le succès d’Apple n’est pas souvent reconnue, on peut en dire autant de l’écosystème américain du CR et, plus généralement, du secteur de la haute technologie et de la fameuse Silicon Valley elle-même (Lerner, 2009). Comme l’observe le sociologue de l’économie Fred Block (2008), il subsiste un fossé profond entre, d’une part, le discours public dominant sur l’entrepreneuriat américain, centré sur le «libre-marché» et le leadership du secteur privé et de l’entrepreneur individuel; puis, d’autre part, le rôle historique joué par les initiatives gouvernementales dans l’émergence de la recherche et du développement (RD), ainsi que de l’industrie du CR, aux États-Unis. Un «État développementaliste caché» existe aux États-Unis depuis les années 1960, avec la multiplication des programmes gouvernementaux et militaires pour la commercialisation de la RD et le soutien à l’entrepreneuriat, en particulier technologique (Block, 2008).

    Le programme fédéral Small Business Investment Company (SBIC), par exemple, lancé par le gouvernement américain en 1958 afin de stimuler la croissance de l’industrie nationale du CR, a soutenu la plupart des investissements en CR des années 1960 (Florida et Kenney, 1988). Gérés par la Small Business Administration (SBA), les SBIC sont des fonds privés de CR qui bénéficient de prêts garantis par le gouvernement fédéral équivalant jusqu’à deux tiers de leur budget d’investissement, en échange d’un engagement à financer les petites entreprises admissibles. Entre 1958 et 2019, la SBA a accordé des licences à plus de 2000 fonds, ce qui a généré au total plus de 168 000 investissements d’une valeur de plus de 72 milliards de dollars américains. Entre 2015 et 2019 seulement, près de 3 000 financements totalisant 5,8 milliards de dollars américains, dont plus d’un milliard pour la Californie2, sont octroyés dans le cadre de ce programme. L’Advanced Research Program Agency du Pentagone, lancée également en 1958 et connue aujourd’hui sous l’acronyme DARPA, a contribué au développement de l’informatique personnelle et, surtout, de l’Internet (Block, 2008). L’idée derrière la DARPA était de financer la commercialisation de la RD afin de fournir à l’armée américaine des technologies de pointe et de favoriser la concertation entre le secteur public, le milieu scientifique, les investisseurs, le complexe militaro-industriel et les entreprises (Mazzucato, 2014).

    Cette concertation donne lieu à un autre programme du secteur public pour la RD et le soutien aux entreprises en 1982, lorsque la SBA forme un consortium avec de grands organismes et ministères gouvernementaux, tels que le ministère de la Défense, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et le ministère de l’Énergie, pour créer le programme Small Business Innovation Research (SBIR). Chaque agence ou ministère qui participe au SBIR doit désormais consacrer 3,2% de son budget annuel de RD au financement de projets de petites entreprises du secteur privé. Comme pour la DARPA, l’effet du SBIR s’étend toutefois bien au-delà du financement, allant du soutien logistique aux entreprises en démarrage à la mise en relation d’entrepreneurs avec des investisseurs en CR, puis à l’ouverture de voies d’accès privilégiées aux marchés publics. En outre, depuis les années 1980, de nombreux programmes de soutien à l’entrepreneuriat à forte intensité technologique ainsi que plusieurs fonds publics de CR ont été créés à l’échelle infranationale, souvent en étroite coordination avec le SBIR et la DARPA, par des États fédérés et même par certaines grandes agglomérations.

    Malgré les apparences, les principales motivations ayant présidé à la création de ces programmes aux États-Unis ne sont pas l’innovation technologique ou la création d’effets de levier en tant que tels, mais bien des préoccupations de sécurité nationale et des objectifs stratégiques de substitution des importations. Les effets de ce «nationalisme économique» – entendu au sens classique d’«ensemble de politiques économiques visant à desserrer les liens organiques entre les processus économiques qui se déroulent à l’intérieur des frontières d’un pays et ceux qui se déroulent au-delà de ces frontières» (Heilperin, 1960, 27, notre traduction) – constituent donc les facteurs oubliés, ou du moins négligés, qui expliquent l’avènement d’un «État développementaliste caché» au sein d’une économie par ailleurs libérale et traditionnellement orientée vers le libre marché comme celle des États-Unis (Lerner, 2009, p. 32-35). Le SBIC et la DARPA sont en effet des réponses politiques directes au lancement réussi du satellite Spoutnik I en 1957, perçu à la fois comme une menace pour la sécurité nationale américaine et comme un signe inquiétant de la supériorité technologique de l’Union soviétique (Mazzucato, 2014). La DARPA a donc toujours été «énergiquement orientée vers des missions» définies politiquement (Mazzucato, 2014, p. 104, notre traduction), tout comme le SBIR émane de projets menés sous les administrations de Richard Nixon, de Jimmy Carter et de Ronald Reagan en réponse à la compétitivité déclinante des États-Unis devant le Japon dans les secteurs de haute technologie (Keller et Block, 2013).

    Le fait qu’un tel État développementaliste caché puisse émerger même aux États-Unis n’est donc pas si surprenant lorsqu’on tient compte de la variable du nationalisme économique. Même pendant le renforcement des processus de mondialisation, le nationalisme demeure une motivation et une justification puissantes de l’intervention étatique dans le développement industriel (Helleiner et Pickel, 2005). C’est particulièrement évident dans le cas de la finance entrepreneuriale et du CR, puisque ces secteurs se consacrent à la création, au développement et à la croissance d’entreprises locales dans des domaines où la valeur ajoutée et l’intensité technologique sont élevées. En outre, l’esprit d’entreprise et l’innovation technologique constituent des piliers fondamentaux du capitalisme en tant que système économique, lui-même enraciné (sans doute depuis toujours) dans des impératifs de croissance et de compétition alimentés en partie par le nationalisme et le système des souverainetés nationales (Greenfeld, 2001).

    C’est le cas non seulement durant la seconde moitié du 20e siècle, alors que les enjeux de sécurité nationale et le nationalisme économique motivent fortement le soutien étatique aux entreprises aux États-Unis et, dans une plus large mesure encore, dans les pays d’Asie du Sud-Est – Corée du Sud, Taïwan, Japon, Singapour, Malaisie, Hong Kong et Chine –, mais encore aujourd’hui, notamment avec le «capitalisme d’État» et le «techno-nationalisme» chinois. En effet, la «promotion vigoureuse des technologies nationales en tant que standards industriels» est, en Chine, un élément central du «Plan national à moyen et long terme pour le développement de la science et de la technologie (2006-2020)» (Chen, 2011; Zheng et Pan, 2012). À l’inverse, dans certains cas, le nationalisme économique oriente les politiques économiques et industrielles dans des directions opposées et même contradictoires. C’est le cas au Japon, où un certain degré de libéralisation et de retrait de l’État, dans l’industrie et le commerce, ont été perçus comme des impératifs nationaux à partir du milieu des années 1990, mais où l’implication de l’État s’est accrue dans d’autres secteurs stratégiques à forte valeur ajoutée tels que la haute finance, la RD de haute technologie, les technologies vertes et l’aérospatiale (Ozaki, 2012; Suzuki, 2012).

    L’argument selon lequel le soutien public aux secteurs de haute technologie, aux entreprises et aux entrepreneurs est en partie alimenté par le nationalisme économique et la «course» à la compétitivité industrielle et technologique est loin d’être nouveau. On a même montré que le nationalisme, le progrès scientifique et l’innovation technologique ont été consubstantiels au processus d’émergence du système capitaliste lui-même. S’appuyant sur les thèses du sociologue Max Weber au sujet du développement de l’«éthique» et de l’«esprit» du capitalisme, par exemple, la sociologue américaine Liah Greenfeld (2001) soutient que la montée du nationalisme en tant que phénomène idéologico-culturel, mais surtout, en tant que système (géo)politique a été et demeure la principale force motrice des impératifs de croissance perpétuelle constitutifs du capitalisme. Le nationalisme, c’est-à-dire la définition de la communauté et du corps politique en tant que «nation», a permis le développement d’un «système de stratification sociale flexible» au sein duquel les citoyens pouvaient désormais aspirer à la mobilité sociale et économique grâce à l’effort individuel (Greenfeld, 2006, p. 69). La recherche scientifique et l’innovation technologique, à leur tour, restent au cœur de cette conjonction entre nationalisme et capitalisme, notamment en raison des avantages industriels et militaires qu’elles peuvent procurer aux États-nations sur leurs rivaux économiques et géopolitiques (Greenfeld, 2001).

    Cette coextensivité du nationalisme, du capitalisme et de l’innovation technologique a donné lieu à un grand éventail de modèles, et même à des «variétés de capitalisme» (Hall et Soskice, 2001) plus ou moins interventionnistes qui persistent à ce jour. L’une des contributions majeures des travaux récents sur le nationalisme économique est d’avoir montré qu’on ne doit pas nécessairement l’associer au protectionnisme ou au collectivisme, mais plutôt l’étudier du point de vue de l’intention et du contenu des politiques. En d’autres termes, plutôt que de l’aborder comme un ensemble prédéfini de politiques incompatibles avec le libéralisme, «l’étude du nationalisme économique suppose que l’on examine comment les identités nationales et le nationalisme façonnent les politiques et les processus économiques» (Helleiner, 2005, p. 221, notre traduction). Le développement des politiques d’innovation aux États-Unis, par exemple, s’est déroulé sous l’influence des impératifs de sécurité nationale et de substitution des importations, d’une part, mais aussi de l’enracinement de l’identité américaine dans des principes libéraux, d’autre part, principes qui simultanément découragent l’intervention de l’État et contribuent à la restreindre à des formes relativement décentralisées et à des niveaux relativement bas (Block, 2008).

    Le nationalisme agit donc parfois concrètement sur les politiques économiques, notamment en incitant les gouvernements à s’impliquer en innovation et en soutien entrepreneurial, même dans des pays connus pour leur approche libérale du développement. Cependant, dans les États fédéraux ou les systèmes décentralisés, les écosystèmes du CR gagnent à être étudiés dans une perspective infranationale, à la fois en raison de la tendance de l’industrie du CR à la concentration géographique et pour mieux comprendre les modèles institutionnels qui distinguent ces écosystèmes au sein de chaque pays. De ce point de vue, une étude des États, des provinces ou des régions où le nationalisme minoritaire est une force politique saillante devient spécialement intéressante. Les derniers référendums sur la sécession au Québec, en Écosse et en Catalogne ont provoqué un regain d’intérêt pour les économies et les modèles de développement de ces régions, ce qui en a incité plus d’un à examiner en détail les trajectoires de leurs politiques publiques dans divers secteurs. La manière dont leurs modèles de développement économique diffèrent de ceux de leur pays respectif, l’ampleur de ces différences ainsi que leurs conséquences institutionnelles et politiques sont des objets d’étude de plus en plus courants depuis les années 1990 (Boylan, 2015; Haddow, 2015; Gibb et al. 2017).

    Pourtant, même parmi les chercheurs en sciences sociales qui s’intéressent à la fois à l’économie politique et aux minorités nationales, le secteur de la finance entrepreneuriale a été largement ignoré, malgré son importance croissante au sein des stratégies de développement. Or, un coup d’œil rapide aux cas du Québec et de l’Écosse, deux régions qui évoluent également dans le cadre d’économies de marché «libérales» – le Canada et le R.-U. –, suffit pour soulever des questions intéressantes. Les industries du CR québécoise et écossaise sont en effet particulièrement dynamiques (graphique I.1): mesurées à l’aune de la valeur annuelle des investissements en CR en proportion du PIB, la taille relative du secteur du CR en Écosse (0,16%) atteint en moyenne, au cours des vingt dernières années, plus d’une fois et demi celle du R.-U. (0,10%), tandis que l’industrie du CR québécoise (0,24%) se révèle supérieure de 50% à celle du Canada (0,16%) et se rapproche ainsi davantage (à l’image de l’Écosse, plus récemment) des proportions du puissant écosystème américain (0,32%). Ces proportions ont tendance à varier d’une année à l’autre, mais il reste que le Québec et l’Écosse ont longtemps bénéficié d’une part nettement plus importante des investissements totaux en CR du Canada et du R.-U. que leur poids économique ou démographique au sein de ces pays ne le justifierait. En

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