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LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES: Rétrospective et avenir
LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES: Rétrospective et avenir
LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES: Rétrospective et avenir
Livre électronique436 pages5 heures

LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES: Rétrospective et avenir

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À propos de ce livre électronique

Existe-t-il un modèle de gouvernance québécois ? D’après les auteurs de ce livre, oui, et le Québec s’en serait doté à partir de la Révolution tranquille. Ce modèle économique et social unique ne fonctionne pas selon la logique libérale propre à la norme canadienne, mais, au contraire, s’en émancipe toujours davantage. Peut-on toujours, plus de soixante ans après la Révolution tranquille, parler d’un tel « modèle québécois » ? Contrairement aux pires scénarios que certains avaient anticipés, ce modèle existe toujours. Il se caractérise par une plus grande intervention de l’État dans l’économie, par des programmes sociaux mieux financés, par une redistribution de la richesse plus importante et par une concertation sociale beaucoup plus large entre l’État, les syndicats, la communauté d’affaires, le secteur financier et la société civile qu’ailleurs au Canada.

Rassemblant les textes de divers spécialistes, cet ouvrage fait un bilan nuancé des évolutions de ce modèle ; il en présente les principales caractéristiques actuelles, mais aussi les défis auxquels il doit faire face, à court et à moyen termes, et propose des voies pour l’avenir.
LangueFrançais
Date de sortie17 janv. 2022
ISBN9782760645158
LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES: Rétrospective et avenir
Auteur

Stéphane Paquin

Stéphane Paquin et Luc Bernier sont professeurs à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Guy Lachapelle est professeur au Département de science politique de l’Université Concordia.

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    Aperçu du livre

    LA REVOLUTION TRANQUILLE 60 ANS APRES - Stéphane Paquin

    Sous la direction de

    Stéphane Paquin et X. Hubert Rioux

    LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

    60 ANS APRÈS

    Rétrospective et avenir

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: La Révolution tranquille 60 ans après: rétrospective et avenir / sous la direction de Stéphane Paquin, X. Hubert Rioux.

    Autres titres: Le modèle québécois de gouvernance soixante ans après la Révolution tranquille

    Noms: Paquin, Stéphane, 1973- éditeur intellectuel. | Rioux, X. Hubert, 1988- éditeur intellectuel.

    Collections: PUM.

    Description: Mention de collection: Collection PUM | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210063785 | Canadiana (livre numérique) 20210063793 | ISBN 9782760645134 | ISBN 9782760645141 (PDF) | ISBN 9782760645158 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Québec (Province)—Administration. | RVM: Québec (Province)—Politique et gouvernement—1960-

    Classification: LCC JL250.M63 2021 | CDD 351.714—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 1er trimestre 2022

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2022

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Introduction

    Stéphane Paquin et X. Hubert Rioux

    Jusqu’au milieu des années 2000, on ne comptait plus le nombre de publications portant sur le «modèle québécois» de gouvernance, dont l’apparition remonterait à la Révolution tranquille, dans les années 1960. En 2005, Louis Côté et ses collègues ont recensé plus de 200 publications sur le sujet. La signification même de ce qu’est le modèle québécois demeure d’ailleurs objet de discussions; le premier chapitre de cet ouvrage en fait état. Pour certains, le modèle québécois renvoie au fait que l’État québécois serait plus interventionniste que le gouvernement de l’Ontario, par exemple. Pierre Fortin, Louis Côté, Guy Lachapelle et Luc Godbout ont proposé des analyses selon cette optique. Pour d’autres, comme Gilles L. Bourque, Benoît Lévesque, Yves Vaillancourt ou encore Louis Favreau, c’est la participation de la société civile dans la gouvernance publique qui représente le cœur de ce modèle. Pour d’autres encore, comme Yves Bélanger ou X. Hubert Rioux, le modèle québécois est dans une certaine mesure un synonyme du «Québec inc.», c’est-à-dire un modèle axé sur la concertation entre les grands acteurs économiques et le gouvernement, qui vise à favoriser la croissance économique au Québec et la propriété francophone des entreprises. D’un point de vue critique, certains auteurs, tels Marcel Boyer, Jean-Luc Migué et Gilles Paquet, ont plutôt insisté sur les échecs bureaucratiques et fiscaux du modèle québécois, alors que d’autres encore se sont posés en défenseurs des vertus économiques et sociales de ce modèle, que ce soit Pierre Fortin, Nicolas Marceau ou encore Alain Noël.

    Peut-on toujours, plus de 60 ans après la Révolution tranquille, parler d’un tel «modèle québécois»? Contrairement aux appréhensions de nombreux chercheurs dans les années 1990, le modèle québécois n’a pas été la victime collatérale d’un «vent de droite qui provient de l’Ouest», pour reprendre les mots de Lucien Bouchard lors de la campagne référendaire de 1995, malgré quelques reculs à la marge. S’il est vrai que ce même Lucien Bouchard a été l’architecte du redressement des finances publiques – le fameux «déficit zéro» – ayant imposé de lourds sacrifices à la fonction publique dans la seconde moitié des années 1990, son gouvernement a également été à l’origine de la création de nombreux programmes sociaux et économiques structurants qui ont eu des effets positifs dont on ne prend qu’aujourd’hui la pleine mesure. Ainsi, contrairement aux pires scénarios anticipés, le modèle économique québécois n’a pas disparu après les années Bouchard, Landry, Charest ou même Couillard; bien au contraire.

    En effet, plutôt que de s’aligner sur la norme (néo)libérale canadienne ou encore nord-américaine, une crainte qu’exprimaient les opposants au libre-échange avec les États-Unis comme au «déficit zéro» dans les années 1990, le modèle québécois s’est affirmé et différencié encore davantage à partir de la seconde moitié des années 1990, avec l’implantation de plusieurs programmes sociaux d’importance, notamment en matière de petite enfance, d’égalité entre les hommes et les femmes, d’assurance médicament, etc. On peut en dire autant, d’ailleurs, du développement économique considérant la création, entre autres, de Fondaction, d’Investissement Québec, de Capital régional et coopératif Desjardins, des Fonds régionaux et locaux de solidarité, du Fonds d’investissement pour la relève agricole, et ainsi de suite.

    Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), élu à l’automne 2018 et ayant évidemment traversé une période de turbulences extrêmes dès sa deuxième année au pouvoir en raison de la pandémie de COVID-19, a investi lui aussi assez massivement dans la petite enfance, dans les maisons des aînés, puis dans la finance entrepreneuriale et le développement économique, tout au contraire des tendances canadienne et nord-américaine où l’État-providence et l’État-stratège demeurent peu (voire de moins en moins) financés comparativement au Québec. De plus, contrairement aux appréhensions de plusieurs, le modèle québécois a survécu à la marginalisation relative de la question nationale et au déclin électoral du Parti québécois (PQ). Il a ainsi résisté au déclin de son principal promoteur depuis les années 1970 et a même été enrichi de réformes et d’initiatives engagées par le Parti libéral du Québec (PLQ) entre 2003 et 2018, telles que les congés parentaux, sur le plan social, ou la capitalisation d’une foule de nouveaux fonds d’investissement publics ou soutenus par l’État, sur le plan économique.

    L’objet de cet ouvrage collectif est ainsi de faire le bilan nuancé de l’évolution du modèle québécois de gouvernance depuis la Révolution tranquille, d’en présenter les principales caractéristiques actuelles (tableau I.1), mais également d’analyser les défis auxquels il fait face à court et à moyen terme, puis de proposer certaines voies d’avenir. Dans un premier temps, Stéphane Paquin reconstitue et analyse l’histoire du modèle québécois depuis la Révolution tranquille. D’après lui, le Québec s’est effectivement doté, à l’époque de la Révolution tranquille, d’un modèle de développement économique et social unique qui ne suit pas les logiques libérales du «modèle canadien». Le modèle économique québécois s’est composé et recomposé depuis la Révolution tranquille, mais, plutôt que de s’aligner sur la norme libérale canadienne, il s’en est au contraire émancipé toujours davantage. Le modèle québécois, 60 ans après la Révolution tranquille, se caractérise encore par une plus grande intervention de l’État dans l’économie qu’ailleurs au Canada, par des programmes sociaux mieux financés, par une redistribution de la richesse plus importante et par une concertation sociale beaucoup plus développée entre l’État, les syndicats, la communauté d’affaires, le secteur financier et la société civile.

    Dans un deuxième temps, Luc Bernier et Daniel Latouche proposent une lecture de l’histoire récente (et future) de l’État québécois en retraçant l’évolution de ses formes. Bernier et Latouche rappellent d’abord que la Révolution tranquille a surtout été une entreprise de construction étatique, l’utilisation initiale du concept d’«État du Québec» lui-même remontant à 1961 et reflétant la motivation première des réformateurs d’alors, soit la mise en place d’un appareil gouvernemental fort et propre aux Québécois. Cet État, à la source des avancées majeures du Québec en matière de politiques publiques depuis les années 1960, aura traversé deux phases principales: une phase de «rattrapage», qui s’est étirée de 1960 à 1985 et en a établi les bases fiscales, financières, industrielles, bureaucratiques, territoriales et «régaliennes»; puis une phase de «correction» qui, depuis 1985, a vu se succéder des tentatives de libéralisation et de contraction de l’appareil étatique qui se sont soldées par quelques «ajustements» relativement marginaux, laissant subsister un modèle québécois fort et protecteur, redécouvert dans la foulée de la crise sanitaire de la COVID-19.

    Dans le troisième chapitre, Pierre Fortin propose une évaluation des contributions à la modernisation économique et sociale du Québec, à partir de 12 indicateurs clés et d’une comparaison systématique avec l’Ontario. Pour ces 12 indicateurs – éducation, emploi, chômage, niveau de vie, climat social, rémunération, productivité, langue, propriété des entreprises, inégalités, endettement et «bonheur» –, Fortin montre que le Québec a, depuis les années 1960 et à quelques exceptions près, soit rattrapé les niveaux ontariens, soit surpassé l’Ontario grâce à ses choix distincts en matière de politiques publiques. Alors que les Québécois se disaient généralement moins «heureux» que les Ontariens jusqu’au début des années 2000, ils se classent aujourd’hui au deuxième rang des peuples les plus heureux, tout juste derrière les Danois. Cela s’explique notamment, avance Fortin, par des taux d’éducation, d’emploi (notamment féminin), de chômage, de niveau de vie, de rémunération et d’inégalité en très nette amélioration depuis les années 1990, grâce aux politiques économiques, fiscales, sociales et familiales caractérisant le modèle québécois.

    Ce modèle est-il financièrement et fiscalement viable? C’est la question à laquelle répondent Luc Godbout et Michaël Robert-Angers dans le quatrième chapitre. Comme le rappellent les deux spécialistes des finances publiques, le développement de l’État-providence, du modèle économique interventionniste et de la présence internationale du Québec a creusé l’écart avec les autres provinces canadiennes en matière de dépenses publiques en proportion du produit intérieur brut (PIB) depuis les années 1960. En contrepartie, les recettes fiscales en proportion du PIB sont plus importantes au Québec (30%) qu’ailleurs au Canada (22%), ce qui signifie également que les possibilités de nouveaux recours à la taxation sont plus limitées au Québec. Depuis le milieu des années 1990, la Loi sur l’équilibre budgétaire et l’institution du Fonds des générations a permis de stabiliser les finances publiques, notamment par le contrôle et la réduction de la dette nette de la province en proportion de son PIB. Cet équilibre fragile pourrait toutefois être mis à mal en raison des investissements massifs qui seront requis à court et à moyen terme afin de relancer l’économie, de procéder au virage énergétique et de relever le défi que représente le vieillissement de la population.

    Ce dernier défi est toutefois particulièrement manifeste en périphérie des grands centres, alors que l’exode des capitaux et des populations continue de déstabiliser l’économie des régions. Que peut le modèle québécois dans ce contexte et, surtout, quelles ont été jusqu’ici les approches et les contributions en matière de développement territorial qui le caractérisent? Marc-Urbain Proulx s’attaque à ces questions dans le cinquième chapitre, faisant valoir que la dimension «territoriale» du modèle québécois apparaît dès les années 1960, alors qu’on crée notamment l’Office de planification et de développement du Québec. Les méthodes de planification et de développement territorial ont toutefois bien évolué depuis, passant successivement de l’approche par «pôles urbains» (années 1960) aux stratégies axées sur les régions administratives (années 1970 et 1980) et les municipalités régionales de comté (années 1990-2000) avant de s’orienter vers des politiques sectorielles plutôt que géographiques, se concentrant sur les zones spécialisées, les grappes industrielles et les créneaux d’excellence. Une lutte efficace contre l’exode démographique et financier régional devra toutefois désormais passer, selon Proulx, par une nouvelle phase de décentralisation qui accorderait notamment aux MRC les moyens et les pouvoirs d’une planification globale (industrie, emploi, transport, éducation, santé, culture, etc.).

    Les défis de la relance des économies régionales et de la transition énergétique, il faut par ailleurs le souligner, sont structurellement liés puisque ce sont les régions périphériques – agricoles, minières, forestières, côtières –, qui regorgent de ressources énergétiques vertes (énergie éolienne, biomasse, géothermie, hydrogène, biométhane, etc.), qui alimenteront les industries de demain. Faire face à ce double défi nécessitera toutefois la mobilisation de moyens financiers substantiels, et c’est d’ailleurs pourquoi, nous rappelle X. Hubert Rioux au chapitre 6, les banques publiques vertes d’investissement se sont rapidement multipliées, au cours des dernières années, à l’échelle du monde. Dans ce contexte, la grande réforme de la société d’État financière Investissement Québec (Loi no 27) mériterait d’être reconsidérée afin de doter le Québec d’une véritable banque nationale d’investissement dont les missions, structures et moyens seraient axés sur la revitalisation industrielle régionale par la transition énergétique. À cette fin, Rioux y va de plusieurs propositions stratégiques, telles que le lancement d’appels à projets centrés sur le développement régional et le virage énergétique par Investissement Québec et ses partenaires, l’émission d’obligations vertes ou durables par la société d’État, à être rachetées par des investisseurs institutionnels, ainsi que la création d’un conseil stratégique commun regroupant les grands investisseurs publics et parapublics québécois, qui serait notamment chargé de faire converger le capital vers ces deux grandes missions.

    Dans une contribution spéciale offerte au chapitre 7, le fondateur et ex-président-directeur général de Fondaction, le Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pour la coopération et l’emploi, propose une lecture similaire de la situation. Selon Léopold Beaulieu, en effet, émerge actuellement la nécessité d’une nouvelle Révolution tranquille et d’un renouvellement du modèle québécois de développement dans le sens du développement durable et de l’équité socioéconomique, passant par la sécurité alimentaire, l’inclusion sociale, la réduction des inégalités, le droit du travail et la responsabilité sociale des entreprises. Ainsi, les institutions financières publiques et parapubliques constituées dans la foulée de la Révolution tranquille et constituant le cœur du modèle québécois, telles qu’Investissement Québec ou les fonds de travailleurs, doivent œuvrer en ce sens et y consacrer leurs ressources en priorité. Les contributions de Fondaction sont à ce titre déjà substantielles, notamment dans les secteurs de l’immobilier abordable, de la protection des terres agricoles, de l’agroalimentaire durable et de la production d’énergies renouvelables. De récentes initiatives engageant Fondaction, telle la fiducie d’utilité sociale créée en collaboration avec l’Union des producteurs agricoles afin de protéger les terres contre la spéculation et de favoriser la relève agricole, renouvellent cet engagement en faveur d’un développement territorial durable.

    Les enjeux liés à la revitalisation territoriale, à la transition énergétique et, donc, à la reconversion industrielle orientée vers le développement durable devront toutefois mobiliser les acteurs et institutions du modèle québécois bien au-delà du secteur financier. Comme le font bien valoir Gilles L. Bourque et Robert Laplante au chapitre 8, le nécessaire renouvellement du modèle québécois s’inscrit dans le contexte d’un retour en force des politiques industrielles et de l’interventionnisme étatique dans les économies occidentales. Les politiques industrielles sont toutefois maintenant élaborées sur mesure: il n’y a pas de modèle unique, mais une multiplicité de modèles nationaux s’articulant tous plus ou moins autour de l’organisation en grappes industrielles. Il devient ainsi opportun de prioriser les créneaux d’excellence et les grappes québécoises présentant un potentiel important dans l’optique d’une transition vers le développement durable: le transport, l’habitation et le secteur énergétique devraient, dans cette perspective, selon Bourque et Laplante, faire l’objet d’une attention particulière et d’un effort partenarial que le modèle québécois rend possible, misant sur l’engagement non seulement de l’État, mais aussi du mouvement syndical, de la société civile et des entreprises.

    Qui dit politiques industrielles et virage énergétique dit également, bien sûr, hydroélectricité. Par conséquent, quel rôle envisager pour la société d’État Hydro-Québec, également au cœur du modèle québécois issu de la Révolution tranquille, en ce qui concerne les défis économiques à venir? Aujourd’hui, explique Marie-Claude Prémont dans le chapitre 9, le débat fait rage entre les partisans de la production d’électricité à des fins de développement industriel (modèle québécois original) et ceux qui privilégient la production à des fins commerciales (modèle en émergence), ces derniers arguant que la production industrielle à l’aide d’hydroélectricité subventionnée revient à exporter l’hydroélectricité indirectement, alors qu’on pourrait le faire directement. L’interdiction de l’exportation d’hydroélectricité, qui visait à maximiser les retombées de la nationalisation en matière de développement industriel, a été levée en 1983 dans un contexte de surplus de production et de libéralisation des échanges nord-américains. Cela allait marquer le point de départ d’une remise en question du modèle issu de la Révolution tranquille. Le retour à une production énergétique privée devant compléter le bloc patrimonial d’Hydro-Québec (notamment avec l’énergie éolienne), rachetée et distribuée par la société d’État, représente une seconde remise en question axée sur la commercialisation et l’exportation. S’agit-il de la meilleure approche pour favoriser la transition énergétique?

    Cette question renvoie elle-même, plus largement, aux politiques climatiques que favorise le Québec dans le cadre de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et le réchauffement de la planète. Selon Annie Chaloux, dont la contribution forme notre dixième chapitre, le Québec compte parmi les États fédérés les plus actifs du monde en ces matières, et il existe un modèle québécois de lutte contre les changements climatiques, qui est axé sur l’activisme à l’interne et sur la coopération internationale (approche «intermestique»). Ce modèle est passé par trois phases distinctes: une phase de développement de la «paradiplomatie climatique» québécoise, amorcée au Sommet de la Terre de Rio en 1992; une phase d’intensification des politiques publiques qui a démarré avec l’adoption de la Loi sur le développement durable en 2006 et a atteint son point d’orgue avec l’intégration et l’entrée en vigueur du «marché du carbone» entre 2008 et 2013; enfin, une phase d’intensification de la paradiplomatie climatique dans la foulée de la Conférence de Paris (2015), qui a notamment débouché sur les politiques énergétiques 2016-2030 et de mobilité durable 2018-2030. Bien que le bilan de réduction des émissions de GES du Québec depuis 1990 le place dans le peloton de tête des juridictions nord-américaines, beaucoup reste à faire pour atteindre les cibles ambitieuses fixées pour 2030 et 2050.

    Pour atteindre ces cibles, y compris, et peut-être surtout, dans le secteur des transports, le Québec devra, entre autres choses, miser sur l’innovation technologique. Or, dans ce secteur, entre autres, cette dernière aura également de multiples effets sur le marché du travail. Comme l’explique Diane-Gabrielle Tremblay au chapitre 11, le concept même de sécurité d’emploi, au cœur du modèle québécois depuis les années 1960, doit être redéfini. D’une situation de pénurie de main-d’œuvre, la crise de la COVID-19 a précipité le Québec dans une situation temporaire de pénurie d’emploi mais la rareté de main-d’œuvre émerge déjà dans certains secteurs. Cette situation risque cependant de réapparaître en raison des transformations que la crise a accélérées. Le passage à l’industrie 4.0 pourrait multiplier les emplois précaires et nomades, le travail à distance et les «microtâches» en ligne, mais aussi les obstacles à l’emploi pour les travailleurs peu qualifiés, en plus d’entraîner la segmentation du marché du travail entre différents profils de travailleurs, les femmes, les jeunes et les minorités ethniques étant relégués aux emplois secondaires, moins rémunérateurs. De nouvelles politiques devront donc être mises en œuvre pour réconcilier ce nouveau marché de l’emploi avec les valeurs d’égalité, de concertation, de conciliation travail-famille et de formation professionnelle caractérisant le modèle québécois.

    Ces transformations profondes auront évidemment pour effet d’élargir le domaine des luttes sociales et politiques, ainsi que l’explique Pascale Dufour au chapitre 12. Le régime de citoyenneté québécois s’est déjà fondamentalement transformé entre 1960 et les années 2000, sous l’impulsion de la question nationale. Or, depuis une vingtaine d’années, la marginalisation relative de cette question engendre de nouvelles transformations, qui se manifestent notamment dans la sphère des luttes sociales et sur l’axe gauche-droite. Les arrangements institutionnels issus de la proximité entre l’État et les groupes communautaires, qui ont soutenu le développement d’un modèle québécois fondé sur la coopération, la reconnaissance et le financement de ces groupes, ont été remis en cause à la suite de la montée en influence des fondations privées, de la cooptation des groupements contestataires en tant que partenaires du gouvernement québécois et de l’apparition de nouvelles luttes. Sous le coup de l’émergence de nouvelles stratégies d’action et de mobilisation notamment féministes, intersectionnelles, autochtonistes et écologistes, explique Dufour, nous assistons effectivement à la redéfinition graduelle du régime de citoyenneté québécois.

    Ce que les contributions des auteurs de cet ouvrage démontrent, en somme, est que, bien que ses formes aient évolué de diverses manières au cours des dernières décennies et que l’accession à la souveraineté nationale ne se soit jamais réalisée, l’État demeure l’acteur central et le maître d’œuvre du modèle québécois. Le néocorporatisme (S. Paquin), le régime de citoyenneté particulier au Québec (P. Dufour), la conciliation travail-famille unique en Amérique du Nord qui y a cours (D.-G. Tremblay), les niveaux élevés de redistribution par les dépenses et les services publics ainsi que les capacités fiscales particulières à ce modèle (L. Godbout, M. Robert-Anger, P. Fortin) dépendent tous de diverses manières des capacités et de la portée de l’État (L. Bernier, D. Latouche). Il en va de même de la modernisation et du rattrapage socioéconomique du Québec par rapport à ses voisins (P. Fortin) ainsi que des instruments et mécanismes financiers (X. H. Rioux, L. Beaulieu), territoriaux (M.-U. Proulx) et industriels (G. L. Bourque, R. Laplante, M.-C. Prémont) qui permettront au Québec de relever les défis de la transition économique et environnementale qui vient (A. Chaloux).

    C’est la démonstration de cette cohésion d’ensemble du modèle québécois, telle que l’État l’a permise et préservée, qui constitue la contribution unique de cet ouvrage. Contrairement aux travaux comparatifs récents ayant porté sur certains aspects distinctifs du modèle québécois ou secteurs particuliers des politiques publiques tout en dressant un tableau exhaustif des structures et du fonctionnement de l’État québécois, cet ouvrage privilégie l’approche de l’étude de cas et passe en revue les caractéristiques du modèle économique québécois dans différents secteurs. Il porte spécifiquement sur les formes et l’importance stratégique des contributions de cet État au modèle québécois en particulier. Il s’agit donc d’une synthèse originale de diverses perspectives.

    À la lumière des 12 chapitres de ce livre, qui présentent un tour d’horizon historique, sectoriel et prospectif de l’évolution du modèle économique québécois depuis la Révolution tranquille, une seule conclusion s’impose: malgré ses nombreuses transformations et en dépit des multiples défis auxquels il fait face, ce modèle demeure distinct et, à bien des égards, fidèle aux aspirations ayant fait advenir cette Révolution tranquille il y a plus de soixante ans. L’objectif était et demeure la constitution d’un État fort et pluraliste, en mesure de refléter le dynamisme, l’inventivité, la solidarité et l’esprit universaliste inhérents à la nation québécoise. La crise de la COVID-19 nous en aura fait redécouvrir certaines des vertus oubliées, les capacités gigantesques, mais aussi quelques limites et faiblesses. Nous espérons que cet ouvrage permettra aux lecteurs et aux lectrices de mieux comprendre en quoi l’existence même d’un modèle propre aux Québécois et aux Québécoises, ainsi que les réponses aux multiples défis auxquels il se trouve confronté, dépendent de cet État et de la volonté citoyenne de le voir évoluer dans le sens de l’intérêt collectif.

    CHAPITRE 1

    Qu’est-ce que le modèle québécois?

    Stéphane Paquin

    Les débats sur l’existence même de la Révolution tranquille et d’un modèle proprement québécois de gouvernance ont de quoi rendre perplexes les spécialistes de l’administration publique et des politiques publiques, en somme ceux qui étudient le Québec à partir du point de vue de l’État québécois. Pour de très nombreux spécialistes, notamment en histoire sociale, la Révolution tranquille relève fondamentalement du mythe. Depuis les années 1980, l’école dite «moderniste», dont font partie Paul-André Linteau, Jacques Rouillard ou Jocelyn Létourneau, soutient que le Québec suit un rythme de développement normal, voire comparable à celui d’autres sociétés occidentales. Le Québec constituait une société urbanisée, industrielle et moderne bien avant 1960. Pour les «modernistes», la Révolution tranquille n’est pas la responsable de l’entrée du Québec dans la modernité. Celle-ci existait bien avant. Même si la Révolution tranquille représente une étape importante dans l’histoire du Québec, Paul-André Linteau soutient que cette dernière a même quelque chose de l’«interprétation de l’équipe gagnante» (Linteau, 2000, p. 21-22).

    Ces travaux contredisent les recherches de nombreux auteurs qui soutiennent plutôt la thèse du «retard du Québec» d’avant 1960. Pour Fernand Dumont, Jacques Dofny et Marcel Rioux ainsi que Hubert Guindon, mais également pour les historiens de l’École historique de Montréal (Maurice Séguin, Guy Frégault, Michel Brunet) et de Québec (Fernand Ouellet), le Québec accusait un retard par rapport au reste du Canada et aux autres sociétés occidentales. Ce qui divise ces chercheurs, ce sont les causes de ce retard: la Conquête et ses suites pour les uns, la trop grande domination de l’Église catholique et la valorisation excessive des valeurs traditionnelles pour les autres.

    Ce qui surprend le plus les spécialistes de l’État, c’est que ce dernier est généralement absent de l’analyse. Étonnant puisqu’il y a un consensus pour affirmer que le point de départ de la Révolution tranquille est la prise du pouvoir des libéraux de Jean Lesage, le 22 juin 1960. C’est la conquête électorale d’un parti de toute évidence interventionniste qui sert de tremplin à la Révolution tranquille. Pourtant, l’importance de l’État est sous-estimée dans les écrits sur l’interprétation de cette dernière.

    De plus, les hypothèses au sujet de la modernité ou du retard du Québec posent de nombreux problèmes épistémologiques et méthodologiques. Elles renferment une conception évolutionniste du changement social, inspirée de la théorie du développement par étapes de Rostow, qui est complètement discréditée de nos jours. Les auteurs modernistes postulent, implicitement, que la modernité est un idéal-type vers lequel tendrait naturellement l’ensemble des sociétés occidentales, dont le Québec. L’idée est de déterminer si le Québec est en retard par rapport à la tendance ou s’il est une société comme les autres. Le concept de modernité fait référence, sans que ce soit explicite dans la majorité des textes, aux sociétés qui auraient accompli leur révolution industrielle. Cette industrialisation se serait accompagnée d’une accélération de l’urbanisation, d’un ralentissement de la croissance démographique, du progrès scientifique, de la montée de l’individualisme, du recul de la tradition, de la sécularisation de la société, de la libéralisation économique, de la bureaucratisation, de la centralisation des pouvoirs, etc.

    L’essentiel du problème provient du fait que le concept de modernité auquel se réfèrent les

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