Deux économistes à contre-courant: Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt
Par Michèle Rioux et Hughes Brisson
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À propos de ce livre électronique
Le récit édifiant qui résulte de leur engagement professionnel expose d’un même tenant les transformations politiques, économiques et sociales des cent dernières années ainsi que l’évolution de la pensée de deux intellectuelles animées par les idéaux de justice sociale qui ont marqué leur époque.
Michèle Rioux est professeure au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur la culture et le numérique, la gouvernance globale du travail ainsi que sur la régulation de l’économie politique internationale.
Hughes Brisson est un chercheur indépendant. Il travaille sur le droit de la consommation ainsi que sur le régime international de prohibition des drogues.
Michèle Rioux
Michèle Rioux est professeure titulaire au Département de science politique de l’UQAM et, depuis octobre 2011, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM). Elle s’intéresse, notamment, aux organisations internationales et à la gouvernance globale, aux firmes transnationales, à la concurrence, à la société de l’information, au régionalisme et à l’intégration économique.
En savoir plus sur Michèle Rioux
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Avis sur Deux économistes à contre-courant
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Aperçu du livre
Deux économistes à contre-courant - Michèle Rioux
Introduction
Femmes remarquables s’étant illustrées dans une discipline traditionnellement masculine, Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt sont deux grandes figures de l’économie politique canadienne. Cet ouvrage retrace leurs trajectoires respectives, sur près d’un siècle, et montre les liens étroits entre celles-ci et leurs contributions scientifiques. Ostry et Polanyi Levitt ont marqué les débats économiques qui ont accompagné la définition des politiques publiques et la coopération économique internationale au XXe siècle. L’excellence de leurs travaux et de leurs contributions s’est traduite par l’obtention de postes prestigieux et de multiples honneurs au Canada et ailleurs dans le monde.
Leurs enseignements et les perspectives qu’elles ont ouvertes sur les transformations que l’économie mondiale a subies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ont conservé tout leur intérêt pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Au cœur de leurs contributions, on retrouve une incessante réflexion sur la redistribution de la richesse. Quoi de plus pertinent en cette ère où le pouvoir, qu’il soit économique ou politique, est de plus en plus concentré, et alors que l’écart entre les plus riches et les pauvres devient de plus en plus préoccupant? Les idéaux à la base de l’ordre économique international qui fut érigé après 1945 s’inscrivent dans un courant de pensée fortement influencé par les travaux de John Maynard Keynes. Il fallait reconstruire le monde sur des bases solides constituées par l’interventionnisme des États et la coopération internationale au sein d’organisations économiques mondiales visant à stabiliser les économies, à soutenir leur développement et à les faire contribuer au plein-emploi alors un objectif prioritaire. En parallèle, on a vu émerger les théories économiques du développement, qui s’intéressaient aux moyens de stimuler la croissance des pays moins développés afin de tendre vers un rattrapage ou un rééquilibrage des relations économiques internationales. Les regards critiques de Sylvia Ostry et de Kari Polanyi Levitt nous rappellent, à plusieurs points de vue, que cet ordre s’est fragilisé sous le poids croissant de la pensée néolibérale qui a gagné en influence à partir des années 1970 et en raison des changements structurels liés à la mondialisation, lesquels remettaient en cause l’efficacité des interventions des États et de la coopération internationale. Leur posture critique les a conduites à identifier les faiblesses des politiques économiques et des relations commerciales internationales.
Kari Polanyi Levitt et Sylvia Ostry font partie des pionniers qui ont œuvré à la construction de politiques publiques et d’une tradition de coopération économique canadienne qui sont aujourd’hui devenues une partie intégrante de l’identité canadienne et ont contribué à la réputation internationale du Canada comme un pays d’ouverture. À l’intérieur de nos frontières, les idées de ces deux économistes ont influencé les institutions, les débats universitaires et la définition des politiques économiques du pays. Elles ont aussi rayonné à l’extérieur de nos frontières, dans les organisations internationales dans le cas d’Ostry et auprès des penseurs critiques du développement dans le cas de Polanyi Levitt.
En 2017, Kari Polanyi Levitt est toujours active en tant que chercheuse. Son approche non conformiste, inspirée, entre autres, des thèses de Marx et de Keynes, a fait d’elle une référence dans les courants critiques des différentes disciplines des sciences humaines au Canada. Fille du grand économiste hongrois Karl Polanyi, elle assiste dans sa jeunesse à la répression du mouvement ouvrier de 1934 à Vienne. Cette répression annonçait la fin de la mouvance socialiste autrichienne, qui avait dominé la vie politique viennoise depuis plus d’une décennie, tout en frayant la voie à l’arrivée au pouvoir des nazis en Autriche quatre ans plus tard. Réfugiée en Angleterre durant la guerre, Kari Polanyi Levitt étudie l’économie à la London School of Economics tout en fréquentant les cercles marxistes londoniens. Elle deviendra professeure à l’Université McGill où elle s’investira dans le développement d’outils statistiques destinés à la conception de politiques économiques pour les provinces maritimes. Quoiqu’elle ait pris sa retraite en 1991, elle continue toujours d’écrire et de participer à des conférences au Canada, dans les Caraïbes, en Amérique latine et en Europe.
Kari Polanyi Levitt est surtout connue pour avoir publié, en 1970, Silent Surrender (paru en français en 1972 sous le titre La capitulation tranquille), qui porte sur les conséquences de l’arrivée massive de multinationales américaines dans l’économie canadienne. Le livre, un classique de la littérature économique canadienne, sera réédité en 2002 et enrichi d’une nouvelle introduction de l’auteure et d’une nouvelle préface de Mel Watkins. Durant la seconde moitié des années 1970, l’auteure contribue au développement de la théorie de l’économie des plantations. Cette théorie propose un modèle qui introduit la notion de colonialisme et la traite des esclaves dans les études économiques de la région caribéenne. Cette innovation est importante puisqu’elle permet de se distancier des modèles théoriques provenant des métropoles, difficilement applicables aux particularités sociales, historiques et culturelles des pays caribéens. Depuis le décès de sa mère en 1978, Kari Polanyi Levitt s’occupe des archives de son père, l’éminent économiste et anthropologue Karl Polanyi. Après avoir passé plusieurs années à mettre de l’ordre dans une volumineuse bibliothèque remplie de correspondances et de textes non publiés, elle met à la disposition du public, grâce au Karl Polanyi Institute of Political Economy, l’ensemble de ses écrits et ceux de son père.
Sylvia Ostry, pour sa part, est surtout connue dans la haute fonction publique et pour son travail au sein de grandes organisations internationales. Elle a quitté la fonction publique en 1988 pour revenir à sa carrière universitaire à l’Université de Toronto. Elle a par la suite été chancelière de l’Université de Waterloo, tout en continuant d’exercer diverses fonctions de conseillère liées à son expertise en politiques économiques. Durant la dernière partie de sa carrière, elle se consacre à l’analyse du système commercial international. Elle a reçu de nombreux honneurs; elle est notamment titulaire de quatorze doctorats honorifiques d’universités canadiennes et américaines, elle a été reçue compagnon de l’Ordre du Canada en 1990, puis membre de la Société royale du Canada l’année suivante.
Née à Winnipeg, Sylvia Ostry a étudié à l’Université McGill et d’abord fait une carrière de professeure d’économie et de chercheuse. Ses recherches dressent un portrait du marché du travail au Canada grâce à des études statistiques poussées et innovatrices. Elle est ainsi la première à rassembler et à compiler des statistiques précises quant à l’arrivée des femmes sur le marché du travail du Canada. Ses recherches sont vite remarquées tant dans les cercles universitaires que dans les institutions gouvernementales. Statistique Canada, alors le Bureau fédéral de la statistique, l’invite à se joindre à son équipe pour faire de la recherche sur le travail et la main-d’œuvre. Ses qualités exceptionnelles de statisticienne ont tôt fait de convaincre Pierre Elliott Trudeau, alors premier ministre, de la nommer statisticienne en chef de Statistique Canada, ce qui fait d’elle la première femme au pays à occuper une responsabilité de sous-ministre. Elle a le mandat d’opérer d’importantes réformes qui mèneront à la renaissance de Statistique Canada et l’imposeront comme un chef de file international dans le domaine. Après avoir piloté la centralisation, au sein de Statistique Canada, des statistiques de l’ensemble des instances gouvernementales, Sylvia Ostry a ensuite contribué à y implanter une vision moderne en réalisant des analyses approfondies et en contextualisant les données produites. Ce faisant, elle changea de façon permanente la culture de l’organisation.
Lorsque Sylvia Ostry quitte Statistique Canada en 1975, elle s’intéresse de plus en plus au commerce international. Elle occupe différents postes d’importance, tant au Canada qu’à l’étranger. Elle est tour à tour directrice du Conseil économique du Canada, membre du Groupe des Trente, un think tank basé à Washington, et directrice du département des statistiques et de l’analyse économique à l’OCDE. Elle accède ensuite au poste qui lui vaudra le plus de reconnaissance, celui de représentante personnelle du premier ministre Mulroney lors des sommets des grandes puissances économiques. Elle devient ainsi une négociatrice mondialement respectée et grandement appréciée pour son expertise en économie et sa compréhension approfondie de la diplomatie commerciale. Ces qualités la placent souvent dans un rôle de médiatrice, et parfois même de leader,