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Gouverner en temps de pandémie: L'État québécois face à la crise
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Gouverner en temps de pandémie: L'État québécois face à la crise
Livre électronique438 pages4 heures

Gouverner en temps de pandémie: L'État québécois face à la crise

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À propos de ce livre électronique

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé déclarait que l’épidémie de COVID-19 s’était transformée en pandémie. Deux ans après le signalement des premiers cas, plus de six millions de personnes sont décédées et, encore aujourd’hui, les efforts de vaccination mondiale sont insuffisants pour enrayer la catastrophe. La vélocité de propagation du virus, la hausse de la détresse psychologique de la population ainsi que la décision des gouvernements d’avoir mis l’économie sur pause alors que le Québec fait face à une pénurie de main-d’œuvre font partie des nouvelles variables avec lesquelles les décideurs doivent composer.

Cet ouvrage porte sur la gouvernance en temps de pandémie ainsi que sur le rôle de l’État par rapport à la crise. Divisé en 17 chapitres, il permet de mieux comprendre la crise, ses conséquences sur les institutions, la société, l’éducation, le développement économique et les finances publiques, pour ne nommer que ces secteurs d’activité. Il s’adresse à tous ceux qui participent de près ou de loin à la prise de décisions gouvernementales en temps de crise, que ce soit à titre de hauts fonctionnaires ou de politiciens. Les étudiants en administration publique et en science politique y trouveront également leur compte.
LangueFrançais
Date de sortie27 avr. 2022
ISBN9782760556850
Gouverner en temps de pandémie: L'État québécois face à la crise
Auteur

Robert Bernier

Robert Bernier a enseigné pendant plusieurs années aux adultes à mieux comprendre la peinture. Il est l'auteur de nombreux textes destinés à des catalogues d'exposition, à des revues et à des journaux. Il est le fondateur, le directeur et le rédacteur en chef de la revue Parcours. Il a publié cinq ouvrages aux Éditions de l’Homme sur la peinture au Québec et une biographie sur Paul Tex Lecor aux Éditions Québec-Amérique.

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    Aperçu du livre

    Gouverner en temps de pandémie - Robert Bernier

    Introduction

    Lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare, le 11 mars 2020, que l’épidémie de COVID-19 est devenue une pandémie, la crise sanitaire frappe déjà l’ensemble de la planète. Deux ans après le signalement des premiers cas, plus de six millions de personnes sont décédées et, encore aujourd’hui, les efforts de vaccination mondiale sont insuffisants. L’idée voulant que la population doive apprendre à cohabiter avec le virus se répand progressivement. C’est la vélocité de sa propagation ainsi que la décision des gouvernements de mettre l’économie sur pause pendant une partie de la crise qui rendent cette pandémie unique.

    Cet ouvrage, qui a été rédigé avant la vague Omicron, porte sur la gouvernance en temps de pandémie ainsi que sur le rôle de l’État face à la crise. Le chapitre 1 (Paquin) met en évidence le fait que la pandémie est l’exemple parfait d’un problème pernicieux en politiques et gestion publiques. Un problème pernicieux est complexe et, en raison de l’enchevêtrement des enjeux et de l’interdépendance des acteurs, il est difficile, voire impossible à résoudre. C’est pour cela que les directeurs de l’ouvrage se sont entourés de la meilleure expertise disponible, appuyée par un sondage de la firme CROP, afin de mieux comprendre la réalité de cette crise et la perception de la population à son égard.

    Le chapitre 2 (Rey) s’intéresse au rôle que l’OMS a joué sur le plan international dans la gestion de la pandémie. La performance du Québec dans la gestion de la crise constitue l’ossature du chapitre 3 (Audet, Coulombe, Hémond et Mouton). Le chapitre 4 (Lacroix et Beaulieu) nous rappelle que l’utilisation de masse des ressources technologiques pour la formation en ligne au cours de la pandémie a mis en lumière les écarts considérables liés à une intégration efficace des activités pédagogiques aux apprentissages destinés à la réussite. Dans le chapitre 5 (Divay), un regard critique est posé sur les dérives managérialistes de l’État dans la gestion de la crise. La gestion complexe du déconfinement, qui repose sur l’adhésion de la population, la capacité d’appliquer les règles et la conformité aux mesures, fait l’objet d’une analyse en profondeur au chapitre 6 (Normandin). L’hécatombe qui s’est produite dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), au Québec, avec le taux de mortalité le plus élevé au Canada, voire l’un des plus élevés au monde chez les personnes âgées, ainsi que des pistes de solution afin d’éviter que ce drame se reproduise sont étudiées en profondeur au chapitre 7 (Hébert).

    Les conséquences de la pandémie sur le travail, l’emploi et la formation de la main-d’œuvre nous incitent à constater, dans le chapitre 8 (Bernier), que des efforts considérables seront nécessaires pour s’adapter à la nouvelle réalité. Les mesures d’intervention gouvernementales pendant la crise font l’objet d’une analyse au chapitre 9 (Robert-Angers, St-Cerny et Godbout), qui porte sur leur ampleur et leur nécessité au cours de cette période. Les effets de la crise sur les finances publiques québécoises ainsi que les modifications à apporter pour y remédier sont au cœur du chapitre 10 (Joanis). La relocalisation de nos industries au Québec ainsi que la substitution des importations afin d’accroître notre autonomie sur le plan économique font l’objet d’une analyse complète au chapitre 11 (Rioux). Les leçons non apprises de la gestion de la crise de la COVID-19 par l’État québécois apparaissent au chapitre 12 (Coulombe, Hémond, Audet, Alalouf-Hall et Mouton).

    Enfin, la conclusion générale (Bernier et Paquin) expose les considérations stratégiques et les résultats de l’enquête d’opinion réalisée auprès de la population québécoise sur les sujets de l’ouvrage.

    Chapitre 1 /

    Gouverner en temps de pandémie

    Un problème pernicieux

    Stéphane Paquin

    En matière de politiques et de gestion publiques, un problème pernicieux, ou « wicked problem » selon l’expression anglaise, représente un problème extrêmement complexe qui apparaît difficile, voire impossible à résoudre (Rittel et Webber, 1973). En raison de l’enchevêtrement des enjeux et de l’interdépendance complexe entre les acteurs, la résolution d’un aspect d’une crise peut révéler, ou encore créer, un nouveau problème qui s’avère également très difficile à résoudre (Segers, 2019). Un enjeu pernicieux est un problème pour lequel il n’y a pas de solutions simples issues des pratiques du passé. Il est largement unique et il existe toujours plus qu’une seule solution aux problèmes en raison des nombreux points de vue contradictoires à l’égard de la situation. Un événement extraordinaire, comme une pandémie, représente un cas parfait de problème pernicieux (Waddock et al., 2015 ; Weber et Khademian, 2008).

    Dans la gestion d’un problème pernicieux, chaque décision entraîne une cascade de répercussions qui sont parfois aussi indésirables que le problème lui-même. Dans le contexte de la gestion de la crise de la COVID-19, cela peut signifier, par exemple, que pour faire de la place dans le réseau hospitalier aux personnes infectées par le virus, il est nécessaire de délester les opérations chirurgicales non liées à la COVID-19, alors que l’on sait très bien que ce délestage aura pour conséquence de raccourcir l’espérance de vie de nombreuses personnes, dont des patients plus jeunes que ceux typiquement admis en raison de la COVID-19 (Radio-Canada, 2021). Aussi, pour mettre en œuvre des pratiques de distanciation physique entre les personnes, il peut être nécessaire de placer l’économie en coma artificiel. Ce brutal arrêt de l’économie provoquera une hausse marquée des faillites d’entreprises et du chômage. Sans une intervention massive de l’État, notamment par l’endettement public, cette crise économique risque de se transformer en crise financière, puis sociale. En outre, les cas de maladie mentale connaissent une forte croissance, tout comme les cas de violence conjugale. Tous les efforts du passé pour réduire la dette publique s’évaporent en quelques mois. Et si les taux d’intérêt augmentent dans le futur, la marge de manœuvre des gouvernements pour financer de nouvelles mesures publiques se trouve contrainte d’autant. Dernier exemple : pour favoriser l’augmentation du taux de vaccination, le gouvernement doit se résoudre à fixer des ultimatums qui entraîneront non seulement un mouvement de contestation de la part d’antivaccins, mais aussi des poursuites devant les tribunaux. Si le gouvernement, sous la pression, repousse ses ultimatums, c’est sa crédibilité, tout comme celle de la santé publique, qui est remise en question, ce qui affaiblit à long terme sa capacité à gérer la crise.

    Les décideurs publics aux prises avec un problème pernicieux comprennent rapidement que des interventions faites dans l’urgence nécessiteront de nouvelles actions dans un avenir relativement rapproché. L’incapacité des gouvernements à agir sur tous les aspects du problème avec une solution définitive les contraint à faire des choix à partir d’une analyse basée sur la « balance des inconvénients », pour reprendre l’expression maintes fois utilisée, pendant la crise, par le premier ministre du Québec, François Legault. Puisqu’un problème pernicieux ne possède pas de solution facilement identifiable, il n’existe aucune façon de prédire quand se terminera la crise. Ainsi, un problème pernicieux ne se règle pas facilement ; il se gère dans la durée.

    Malgré ces constats assez pessimistes et après 16 mois de crise, le niveau de satisfaction des Québécois par rapport à la performance globale du premier ministre François Legault dans la gestion de la pandémie est très largement positif (en juin 2021, c’est-à-dire avant la vague causée par le variant Omicron). Pas moins de 73% des Québécois ont une opinion positive du premier ministre, selon un sondage CROP commandé par Robert Bernier et Stéphane Paquin de l’École nationale d’administration publique (ENAP) et réalisé du 15 au 21 juin 2021 sur un échantillon de 700 répondants et avec une marge d’erreur de 4%, 19 fois sur 20. Les Québécois qui se disent « très satisfaits » représentent même 29% des personnes sondées contre 16% de répondants « peu satisfaits » et seulement 9% qui ne sont « pas du tout satisfaits ». Parmi les répondants très satisfaits, ce sont les 55 ans et plus qui apprécient le plus les actions du premier ministre, 43% d’entre eux se disant « très satisfaits » et 42%, « assez satisfaits », pour un total d’opinion positive de 85%. Le niveau d’opinion positive s’établit à 71% pour les 35-54 ans et à 57% chez les 18-34 ans. C’est également le groupe d’âge des plus jeunes qui inclut le plus d’opinions négatives avec un taux de 39%, comparativement à 27% pour les 34-54 ans et à 15% chez les 55 ans et plus. Notons que les répondants ayant des enfants sont plus insatisfaits (35 %) que ceux qui n’en ont pas (21%). Mais dans tous les cas, la gestion de la crise a été bien reçue par la population, du moins pour le moment.

    L’objectif de ce chapitre est de proposer une analyse de la crise de la COVID-19 à partir de trois niveaux d’analyse, soit ceux du Québec, du Canada et de l’international, afin d’exposer l’enchevêtrement des enjeux et l’interdépendance des acteurs dans la gestion de cette crise en vue de mieux comprendre les décisions prises par le gouvernement du Québec.

    1 / Le gouvernement du Québec

    Selon Alec Castonguay (2021), ce n’est que le 9 mars 2020 que le bureau du premier ministre, la ministre de la Santé, Danielle McCann, et quelques hauts fonctionnaires sont informés de l’importance de la situation de la COVID-19 par le directeur de la santé publique du Québec, le docteur Horacio Arruda. Lors de cette rencontre, le docteur Arruda presse le gouvernement d’agir pour éviter un scénario à l’italienne, où la crise est déjà sévère. Très tôt au début de la crise, le bureau du premier ministre se met en mode gestion de crise, ce qui se traduit par une hypercentralisation du système autour du premier ministre, de ses conseillers, de quelques ministres, dont celle de la Santé, ainsi que de quelques hauts fonctionnaires (Castonguay, 2021).

    En temps normal, quatre organismes centraux sont fondamentaux pour comprendre le fonctionnement du gouvernement : 1) le bureau du premier ministre ; 2) le ministère du Conseil exécutif ; 3) le Conseil du trésor ; et 4) le ministère des Finances. Le bureau du premier ministre est au service du premier ministre. Il est constitué du « personnel politique » qui n’est pas assujetti aux règles d’embauche de la fonction publique. Le bureau du premier ministre est responsable de la planification stratégique et des politiques, de la coordination des priorités gouvernementales, des relations avec les organismes centraux, mais aussi des relations avec les ministres et leur cabinet ainsi qu’avec les membres du caucus et du parti, de la communication et de la liaison avec la presse, des relations publiques, de même que de la correspondance, du protocole et de la sécurité. La concentration du pouvoir au bureau du premier ministre s’explique par le fait qu’il est au cœur de toutes les décisions, mais également des nominations, notamment des ministres et d’autres fonctions parlementaires, des sous-ministres et des dirigeants des organismes publics.

    Le ministère du Conseil exécutif est composé de fonctionnaires d’expérience qui rendent des comptes au premier ministre. S’il doit théoriquement être neutre du point de vue de la politique, ce ministère agit néanmoins en soutien à la prise de décisions au sein du gouvernement du Québec. Il analyse, conseille et favorise la coordination des actions du premier ministre et du Conseil des ministres. Il assume également la responsabilité de dossiers jugés prioritaires par le gouvernement. Ce ministère est dirigé par le secrétaire général et greffier du Conseil exécutif, soit le plus haut gradé de la fonction publique québécoise. Ce ministère fournit notamment des conseils impartiaux au premier ministre et au Conseil des ministres. Il facilite le processus décisionnel au sein du bureau du premier ministre et la cohérence de l’action gouvernementale, s’assure du bon fonctionnement du Conseil des ministres et constitue le lien fondamental entre le premier ministre et la fonction publique.

    Le Conseil du trésor, que certains nomment le comité de gestion du gouvernement, est un comité permanent du Conseil des ministres. Il réunit cinq ministres et est présidé par le ministre responsable de l’Administration gouvernementale et du Conseil du trésor. Les membres se rencontrent régulièrement, généralement le mardi matin, et les décisions se prennent par consensus. Le président du Conseil du trésor a pour mandat de soutenir les ministères et organismes en matière de gestion des ressources. Il représente le gouvernement dans son mandat d’employeur du personnel de la fonction publique, et il organise et coordonne les négociations dans les secteurs public et parapublic. Il est également chargé d’élaborer le budget des dépenses annuelles du gouvernement.

    Le ministère des Finances, pour sa part, a comme fonction d’élaborer le budget du gouvernement, le cadre financier dans lequel s’inscrit l’ensemble des dépenses gouvernementales. Il joue aussi un rôle fondamental en matière de politique économique. Contrairement aux autres organismes centraux, il ne remplit pas le même rôle de coordination ; il est plutôt au cœur des décisions stratégiques puisque les initiatives gouvernementales d’importance reposent sur une attribution de crédits.

    Selon Alec Castonguay (2021), la traduction dans les faits de la gestion de la crise provoque une très forte centralisation des décisions au bureau du premier ministre québécois. Horacio Arruda est même invité à déplacer son bureau près de l’équipe de conseillers du premier ministre afin de favoriser et d’accélérer la communication et les décisions. Au début de la crise, sept noms sont inscrits sur une liste d’urgence. Il s’agit des sept conseillers les plus importants du premier ministre, qui forment le noyau de l’équipe de gestion de crise : Martin Koskinen, directeur de cabinet du premier ministre, Claude Laflamme, directrice adjointe de cabinet, Stéphane Gobeil, conseiller spécial qui rédige notamment les discours du premier ministre, Pascal Mailhot, directeur de la planification stratégique, Benjamin Bélair, directeur des relations internationales et intergouvernementales, Manuel Dionne, directeur des relations avec les médias, et Guillaume Simard-Leduc, directeur des communications. Ensemble, ils forment le cœur de la cellule décisionnelle de la gestion de la crise (Castonguay, 2021, p. 21-22).

    Les décisions sortent rapidement du bureau du premier ministre. Le gouvernement met en place une série de restrictions qui évolueront en fonction, notamment, des recommandations des autorités de la santé publique. Le 12 mars 2020, même si Québec ne recense que 13 cas de COVID-19, les rassemblements de plus de 250 personnes sont interdits et la quarantaine obligatoire est imposée aux employés du gouvernement qui ont séjourné à l’étranger. Le 13 mars, Québec déclare l’état d’urgence sanitaire, comme le lui permet la Loi sur la santé publique de la province, et les écoles et garderies ferment. Le 14 mars, les visites sont interdites dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Le 16 mars, 1,8 million de Québécois passent au télétravail. Le 17 mars, les travaux sont suspendus à l’Assemblée nationale. Le 19 mars, Québec interdit les déplacements vers les régions éloignées. Le 21 mars, on interdit tous les rassemblements au Québec. Le 22 mars, les centres commerciaux et salons de coiffure ferment à leur tour. Le 24 mars, le premier ministre met le Québec « sur pause », selon son expression. Tous les commerces et services non essentiels sont alors fermés jusqu’à nouvel ordre (Castonguay, 2021, p. 373-379).

    Pour faire face à la tempête, le réseau de la santé, passablement affaibli par les multiples réformes des dernières années, doit être mobilisé. La réforme mise sur pied par l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette, sous le gouvernement de Philippe Couillard, a forcé un brassage de structures qui a laissé le réseau largement déstabilisé. Et la centralisation a atteint de tels excès dans le réseau que la direction du ministère est incapable de dire ce qui se passe à la base. De nombreux CHSLD sans responsables se trouvent dans une zone de non-gouvernance, abandonnés à leur sort par le système. Lorsque la COVID-19 se répand comme une traînée de poudre dans les CHSLD, la population québécoise découvre avec effroi les conditions inhumaines des personnes qui y vivent (voir le chapitre 7). C’est, encore aujourd’hui, le plus grand scandale de la pandémie (Gagnon, 2021 ; Protecteur du citoyen, 2020).

    Mais il y a plus. Malgré une forte centralisation, la qualité de l’information sur l’approvisionnement médical est défaillante, pour utiliser un euphémisme. Peu de statistiques fiables existent au ministère de la Santé, où le télécopieur est toujours de mise pour transmettre de l’information cruciale, comme le nombre de décès dus à la pandémie. En janvier 2020, au moment où l’information commence à circuler au gouvernement au sujet d’une pandémie qui se développe à partir de Wuhan, en Chine, le ministère de la Santé envoie une note au bureau de la ministre, Danielle McCann, pour l’informer que le « réseau de la santé dans son ensemble possède des réserves d’EPI [équipements de protection individuelle] suffisantes pour répondre aux besoins usuels des deux prochaines années » (Castonguay, 2021, p. 68). Quelques semaines plus tard, ces estimations se révèlent être fausses et aucun fichier centralisé n’existe pour obtenir cette information. Dans un contexte où ni le Québec ni le Canada ne possèdent de réserve stratégique, cette information était pourtant capitale. Au bureau du premier ministre, les décisions doivent donc se prendre dans un brouillard complet. Lorsque la pandémie frappe de plein fouet le Québec, le réseau utilise chaque jour l’équivalent de deux semaines de matériel en temps normal ! Et parce que tous les pays de la planète veulent la même chose en même temps, le marché mondial de matériel médical se transforme en véritable Far West (Larouche et Vailles, 2020).

    Vient également le problème de l’approvisionnement en matériel essentiel pour affronter la crise. Ainsi, les inquiétudes sont grandes quant à l’approvisionnement du gouvernement en matériel sanitaire, mais également en denrées alimentaires. Assez rapidement, des cadres du gouvernement s’inquiètent de l’autonomie alimentaire du Québec. On craint, avec raison, la réaction que pourrait avoir le président américain Donald Trump dans les circonstances. On redoute que, pour affronter la tempête, le président, dont les penchants protectionnistes sont bien connus, interdise l’exportation de fruits et de légumes, mais aussi de matériel sanitaire vers le Canada (Timm, 2020).

    L’inquiétude se porte également sur l’accès aux médicaments puisque plusieurs proviennent de la Chine, de l’Inde, mais aussi des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest. Que se passera-t-il avec les asthmatiques, les diabétiques et les malades chroniques si le Québec vient à manquer de tout ? Comment seront-ils soignés dans un réseau de la santé qui sera débordé avec les patients atteints de la COVID-19 ? Dès le début de la crise, une directive provenant du ministère de la Santé interdit de renouveler les prescriptions au-delà de 30 jours pour éviter que les patients fassent des réserves, ce qui ne ferait qu’accentuer la crise (Castonguay, 2021, p. 19).

    Avec le confinement de la population, une nouvelle crainte apparaît : le réseau de communication résistera-t-il ? À partir de la mi-mars 2020, près de 40% de la population active se retrouve en télétravail, tout comme une grande partie des étudiants. Les bandes passantes sont rapidement saturées, mais tiendront-elles le coup ? Est-ce qu’Info-Santé connaîtra des pannes ? Comment communiquer avec la population si les lignes sont toutes occupées ? On redoute, pendant un temps, un effondrement du système. Le gouvernement demande aux opérateurs comme Vidéotron et Bell de prioriser Info-Santé (811) ainsi que les services de police et d’incendie (Castonguay, 2021, p. 21).

    La réaction des citoyens face à la crise est un autre problème fondamental. Si des Québécois sont prêts à en venir aux coups pour mettre la main sur des rouleaux de papier de toilette, la situation peut facilement dégénérer. Les conférences de presse quotidiennes du premier ministre, de la ministre de la Santé et du directeur de la santé publique, qui sont mises en place au début de la crise, permettent de rassurer la population, mais également d’éviter un grave problème de gestion de la crise. Si le gouvernement n’occupe pas l’essentiel de l’espace médiatique, les journalistes vont le remplir avec des nouvelles souvent très pessimistes. La capacité du bureau du premier ministre à donner des conférences de presse quotidiennes lui permet non seulement de meubler l’espace médiatique disponible, mais aussi de s’adresser directement à la population. Au début de la crise, en avril 2020, plus de trois millions de Québécois regardent les conférences de presse télévisées du premier ministre et du directeur de la santé publique (Castonguay, 2021, p. 9).

    Un autre enjeu de taille repose sur la relation entre la santé publique et le bureau du premier ministre. Pour résumer le problème simplement, les autorités de la santé publique manquent de précision dans leurs recommandations selon plusieurs personnes au bureau du premier ministre. Les experts en santé publique adoptent leurs recommandations en s’appuyant sur les meilleures études disponibles, mais les données relatives à la pandémie évoluent rapidement. De plus, ils n’ont pas le mandat de se soucier du réalisme et de la cohérence de leurs recommandations, ni de la façon dont elles seront reçues par les Québécois. Avec le temps, des recommandations se contredisent, par exemple sur la question du port du masque. De plus, de nombreuses mesures sont difficiles à mettre en œuvre. Il arrive à plusieurs reprises que le premier ministre choisisse, par souci de cohérence, des normes plus sévères que les recommandations des autorités de la santé publique (Castonguay, 2021, p. 182-183).

    Étant donné l’interdépendance entre les paliers de gouvernement, un autre enjeu majeur réside dans la gestion de la relation avec le gouvernement fédéral. Ce dernier est responsable de la gestion de la frontière, de nombreuses mesures financières et économiques, mais aussi de l’approvisionnement en vaccins à l’international lorsque ces derniers seront disponibles. Dès le début de la crise, la relation entre le gouvernement du Québec et le fédéral est difficile. Ce dernier, tout comme plusieurs provinces, croit, au tout début de la pandémie, que le gouvernement du Québec exagère la menace. Celui-ci s’inquiète, et avec raison, de l’inaction des autorités fédérales, qui tardent à imposer des mesures plus sérieuses aux passagers qui reviennent de pays où les cas d’infection sont très élevés. Les demandes répétées et publiques du gouvernement du Québec de fermer la frontière sont reçues avec scepticisme à Ottawa. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et l’administratrice en chef de la santé publique du pays, Theresa Tam, plaident plutôt pour maintenir la frontière ouverte. C’est également la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le 11 mars, le gouvernement fédéral est complètement pris par surprise par la décision de Donald Trump de fermer la frontière avec 26 pays européens (Timm, 2020). Mylène Drouin, directrice régionale de la santé publique de Montréal, partage les inquiétudes de Québec en ce qui a trait à la nonchalance des autorités fédérales. Dès le 16 mars, elle décide d’envoyer des équipes à l’aéroport afin d’accentuer la pression sur Ottawa pour que le gouvernement réagisse, et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, se joint à l’opération. Le gouvernement fédéral change de position au courant de la journée du 16 mars. Le 18 mars, les gouvernements du Canada et des États-Unis annoncent la fermeture de la frontière pour les voyages non essentiels entre les deux pays. Le gouvernement du Québec est alors médusé par le peu de suivi que fait le gouvernement du Canada des Québécois qui reviennent des États-Unis en voiture. À partir du 28 mars, des points de contrôle policiers sont installés près de la frontière américaine afin d’informer les Québécois de retour des États-Unis des mesures sanitaires à respecter pour éviter de propager l’épidémie (Fortier, 2020).

    2 / Le gouvernement fédéral

    Le rôle du gouvernement fédéral dans la gestion de la crise est central pour les Canadiens et les Québécois. Il est intervenu sur au moins trois plans : 1) l’économie ; 2) la santé publique ; et 3) l’approvisionnement, notamment en vaccins. Comme l’expliquent Michaël Robert-Angers, Suzie St-Cerny et Luc Godbout dans ce livre (voir le chapitre 9), l’adaptation des politiques publiques a nécessité un effort énorme de la part de tous les ordres de gouvernement au Canada. En deux mois, le produit intérieur brut (PIB) réel du Québec est amputé d’un gigantesque 23%, contre environ 18% pour le Canada. Le gouvernement fédéral et la Banque du Canada interviennent rapidement pour stabiliser l’économie et venir en aide aux Canadiens. Le gouvernement fédéral est également l’acteur central dans l’achat de vaccins. Puisque le Canada ne les produit pas, il s’entend avec des entreprises situées à l’extérieur du territoire canadien. Aussi, malgré les mesures de restriction aux exportations provenant du sud de la frontière, le gouvernement réussit, après des débuts difficiles, pour ne pas dire laborieux, à s’approvisionner en vaccins, ce qui permet au Canada d’être l’un des pays les plus vaccinés au monde selon les statistiques comparatives du site Our World in Data.

    L’action du gouvernement fédéral connaît cependant d’énormes défaillances en matière de prévention, notamment en raison de problèmes considérables provenant de l’Agence de la santé publique du Canada. La vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, déclare même être « découragée de constater que l’Agence de la santé publique du Canada n’a pas agi pour régler des problèmes de longue date, dont certains ont été signalés à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies » (Vérificatrice générale du Canada, 2021a).

    Parmi ces problèmes majeurs, la vérificatrice générale note une incapacité à

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