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La communication de crise à l'ère du numérique: Stratégies, processus et pratiques
La communication de crise à l'ère du numérique: Stratégies, processus et pratiques
La communication de crise à l'ère du numérique: Stratégies, processus et pratiques
Livre électronique568 pages4 heures

La communication de crise à l'ère du numérique: Stratégies, processus et pratiques

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage est le fruit de travaux de recherche menés depuis plus de 10 ans dans le domaine des relations publiques et de la communication organisationnelle. Il présente les grands concepts qui irriguent le champ de la communication de crise à l’ère du numérique et illustre les meilleures stratégies et pratiques développées et appliquées tant en Amérique du Nord et en Europe que dans le reste du monde. Il a pour ambition d’offrir aux étudiants, aux professionnels de la communication et à la communauté scientifique un état des connaissances théoriques et pratiques dans un contexte marqué par l’émergence de crises locales et planétaires atypiques et durables. Deux entrevues issues d’un projet de recherche (programme Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines [CRSH]) sur l’évolution des pratiques de communication numérique – avec Santé publique Ottawa et le gouvernement ouvert du Canada – ainsi que le récit de l’expérience de la directrice de la communication de crise de la Gendarmerie royale du Canada y sont également présentés.

L’usage des plateformes numériques et des médias sociaux à des fins de communication de crise occupe une place centrale dans cet ouvrage et en constitue le fil rouge grâce à l’analyse d’exemples tirés de l’actualité. Les théories et les concepts abordés sont systématiquement appliqués et illustrés à travers des études de cas.

Ivan Ivanov, titulaire d’un doctorat en communication organisationnelle de l’Université de Toulouse (France), est professeur agrégé au Département de communication de l’Université d’Ottawa. Auteur de plusieurs travaux scientifiques dans le domaine des relations publiques, il s’intéresse à l’évolution des pratiques de communication et aux transformations des compétences professionnelles des communicants à l’ère du numérique. Ivan Ivanov a également été journaliste professionnel et praticien des relations publiques, notamment dans le domaine de la communication interne et des relations médias.
LangueFrançais
Date de sortie8 sept. 2021
ISBN9782760555563
La communication de crise à l'ère du numérique: Stratégies, processus et pratiques
Auteur

Ivan Ivanov

Ivan Ivanov, titulaire d’un doctorat en communication organisationnelle de l’Université de Toulouse (France), est professeur agrégé au Département de communication de l’Université d’Ottawa. Auteur de plusieurs travaux scientifiques dans le domaine des relations publiques, il s’intéresse à l’évolution des pratiques de communication et aux transformations des compétences professionnelles des communicants à l’ère du numérique. Ivan Ivanov a également été journaliste professionnel et praticien des relations publiques, notamment dans le domaine de la communication interne et des relations médias.

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    Aperçu du livre

    La communication de crise à l'ère du numérique - Ivan Ivanov

    INTRODUCTION

    La communication de crise est une locution constituée par deux mots inséparables dont l’union cherche toujours un amarrage sémantique commun. Elle décrit des situations organisationnelles et des contextes socioculturels particuliers ; elle conjugue l’action individuelle et l’action collective ; elle encode des messages et des alertes instantanés afin de préserver la vie humaine ; elle agit sur le monde matériel et technique ; elle configure les représentations professionnelles et sociales entre le monde d’« avant » et celui d’« après »… La communication de crise est-elle ainsi devenue une métaphore du mode d’existence sociale et organisationnelle actuel ?

    Les grandes crises, comme la crise de la COVID-19, et les transformations sociotechniques qu’elles entraînent, révèlent le rôle de la communication dans la traversée des océans agités de la nouvelle réalité mondiale où mener le bateau à bon port n’est plus l’objectif principal : construire le bateau en traversant la tempête est plus que jamais nécessaire. Nourrie d’événements imprévus, de situations inattendues et des risques non maîtrisés, la crise (re)configure les relations humaines et les pratiques professionnelles, qui sont ainsi constamment déconstruites, réajustées et reconstruites. Au-delà des impératifs de vivre dans des « bulles sociales » et de travailler à distance, d’autres facteurs sociotechniques esquissent de nouveaux défis pour la communication de crise. L’isolement social, les relations familiales, la santé mentale, le décrochage scolaire, l’enseignement à distance, la fragilisation des populations, la grogne sociale, la violence familiale, la perte d’emploi, la spéculation immobilière, la crise financière, la dette publique, les risques sanitaires, etc. : la crise ne vient jamais seule, elle est toujours mal accompagnée. Ses mauvaises fréquentations compliquent la traversée, mais dotent la communication d’outils et de dispositifs plus adaptés permettant aux communicants de construire et de perfectionner le bateau en train de naviguer.

    Pourquoi est-il toujours aussi difficile de réussir une stratégie de communication de crise ? Il est évident que si la communication de crise cherche toujours son ancrage sémantique, elle fait appel à une multitude de compétences, d’habiletés et de savoirs qui découlent de théories et de pratiques multi et pluridisciplinaires. Aucune démarche isolée ou autocentrée ne saurait permettre de répondre aux « mauvaises fréquentations » des crises actuelles ou à venir. Aucun domaine ou groupe professionnel ne possède la primauté du savoir communicationnel dans le processus de gestion de crise, même si cette dernière a parfois été considérée comme l’apanage des gestionnaires et des agences de relations publiques. À tort.

    Nous sommes ici face à un domaine professionnel complexe, qui doit être pris au sérieux. Ce livre soutient que seule une approche constructive et processuelle des stratégies et des pratiques de communication de crise est capable d’englober leur complexité et de les mettre au profit des publics et des parties prenantes qui traversent la crise et dont la vie est fortement altérée, perturbée, transformée.

    Une ouverture interdisciplinaire de l’horizon professionnel des communicants s’impose. La communication de crise émerge au croisement d’une multitude d’expertises qui découlent de disciplines et de domaines professionnels différents et complémentaires. Aucun n’est plus central qu’un autre, aucun n’a le privilège de la meilleure façon de faire (one best way). Ce qui l’emporte est leur combinaison, le degré de leur mobilisation et les contributions collaboratives qu’ils apportent aux humains pour traverser la crise vers le monde de demain. La communication de crise est ici un processus et non pas une fonction, une pratique « en train de se faire » et non pas un résultat final.

    Dans ce livre consacré à l’étude de la communication de crise, l’accent ne sera donc pas mis sur l’étude des « bonnes » ou des « mauvaises » pratiques ni sur les « formules du succès », mais sur l’enchaînement de compétences et de savoir-faire permettant au communicant de bâtir, d’ajuster et de conduire la communication dans les eaux troubles de la crise.

    Le présent livre présente les théories et les pratiques de communication de crise et aborde un grand nombre de cas actuels de crises nord-américaines, européennes et mondiales qui illustrent, à chaque étape de l’ouvrage, les stratégies et les pratiques abordées. Un effort systématique de synthèse et d’application des concepts et des théories abordés est aussi respecté. Chaque chapitre se termine par une synthèse des points centraux à retenir et propose au lecteur d’appliquer les connaissances acquises grâce à l’étude d’un cas final.

    Ce livre débute par la définition des concepts de « communication » et de « crise » afin de poser les bases théoriques de la communication organisationnelle et de démontrer que la crise est une représentation individuelle d’une réalité subjectivement vécue et non pas un fait universel. Elle dresse ensuite le panorama de l’étude des publics et des parties prenantes, qui sont essentiels pour toute stratégie et pratique de planification. La connaissance des individus et des groupes humains, qui constituent les publics et parties prenantes, nécessite un processus long et systématique d’analyse de la situation et du contexte organisationnels, qui fournit des informations relatives aux problèmes et aux risques déjà rencontrés par l’organisation dans le passé. À l’issue de ce processus, le communicant a la capacité de formaliser l’axe central de communication de crise et de le décliner en messages opérationnels, qui sont diffusés par les canaux de communication adaptés une fois la crise survenue.

    Ce travail de modélisation de l’axe et des messages est préalable à la planification de la communication de crise, qui est un processus dynamique, flexible et continu, et qui clarifie les stratégies de réponses en situation de crise. Ce livre détaille ainsi les rôles et les expertises des membres de l’équipe de gestion de crise, qui sont chargés de préparer la prise de décision et de l’application d’actions concrètes lors de la phase aiguë de la crise. Les stratégies possibles sont nombreuses et très variées et, sans prétendre à en faire une revue exhaustive, ce livre recense les réponses les plus utilisées, en insistant sur le fait qu’elles sont toujours combinées et appliquées de différentes manières en lien avec le développement de la crise vécue.

    L’usage de plateformes numériques et de médias sociaux à des fins de communication de crise occupe une place centrale dans ce livre. Il est explicité tout au long des chapitres, grâce aux études de cas et aux exemples tirés de l’actualité, mais est aussi détaillé dans le chapitre 6, qui aborde les différents types de plateformes et de réseaux sociaux. Une illustration éloquente de l’usage du numérique dans la gestion de la pandémie de COVID-19 est, par la suite, détaillée grâce à l’étude du cas de Santé publique Ottawa, qui gère la communication de crise contre la pandémie pour la Ville d’Ottawa. Un deuxième cas, celui du gouvernement ouvert du Canada, est aussi présenté afin de démontrer comment la crise de la COVID-19 a permis d’ajuster l’usage de plateformes et d’outils d’engagement et de dialogue avec les citoyens canadiens. Ce livre se termine avec le récit du parcours personnel et professionnel de la directrice de la communication de crise de la Gendarmerie royale du Canada, qui gère depuis plus de 20 ans des crises majeures liées, entre autres, à la gestion d’événements majeurs comme les sommets du G8¹–G20² et les Jeux olympiques. Elle livre de nombreux conseils pratiques aux actuels et futurs communicants et explique pourquoi la communication de crise est un métier de passion.

    L’objectif ultime de ce livre est de montrer que l’étude de la communication de crise peut faire cohabiter les praticiens et les chercheurs universitaires pour apporter une connaissance empirique, théorique et pratique fine des phénomènes humains et techniques qui caractérisent les défis et des enjeux de ce domaine d’études.

    1. Groupe des Huit.

    2. Groupe des Vingt.

    LA COMMUNICATION DE CRISE

    Du vu jàdé aux épisodes cosmologiques

    Résumé

    Ce chapitre fait le point sur un nombre de théories, de concepts et de notions qui abordent l’étude de la communication de crise en tant que pratique organisationnelle. L’objectif essentiel est de démontrer que la gestion de crise est guidée par des faits scientifiques et empiriques avant d’être conduite sur le terrain des organisations comme une pratique de communication. Ce chapitre répond ainsi aux questions suivantes : Qu’est-ce que l’information et la communication ? Quel est leur rôle dans la gestion des crises ? Comment appréhender la crise à travers la communication en tant qu’une pratique contextuelle ? Quels sont les éléments fondamentaux qui décrivent et définissent les crises ? Comment distinguer la maîtrise des risques et la gestion des crises à travers la communication ?

    L’union entre la communication et la crise est plus qu’une affaire d’interdisciplinarité. La communication de crise est évoquée partout : dans les discours politiques, les articles de presse, les médias sociaux, dans pratiquement chaque site Web d’agence de relations publiques qui vend des services ad hoc. Elle est même devenue une expression courante dans la langue de tous les jours, qui désigne les efforts d’une personne ou d’une organisation pour sortir d’une situation difficile, dangereuse, indésirable, qui menace sa propre existence, mais aussi la santé et la vie des personnes concernées par la crise. Nous parlons des crises dans les relations personnelles, des crises familiales, des crises au travail, des crises dans la politique du gouvernement, des crises financières, etc. La crise semble exister partout, et en parler, en expliquer les causes, est souvent la première chose à faire pour l’affronter, quel que soit le domaine concerné.

    Cette appropriation de la crise dans la langue courante est facilitée par la nature profane des deux parties de cette union. La communication est souvent décortiquée de sa teneur savante et découronnée de sa valeur disciplinaire, car tout le monde sait parler, discuter, écrire, clavarder, gesticuler – communiquer ! Nous sommes tous des experts de la communication. L’apprentissage du langage et des messages verbaux et non verbaux nous accompagne dès notre première bouffée d’oxygène sur la terre. La communication est à l’intérieur de nous et nous baignons dans la communication. Nous sommes capables de lire et de décoder des messages qui nous parviennent sous des formes et des canaux différents, à destination de destinataires multiples. L’arrivée d’un événement dangereux – un phénomène climatique extrême, un incendie urbain, un accident industriel, une tuerie perpétrée en pleine ville, etc. – laisse des traces visibles que nous savons reconnaître et lire parce qu’elles sortent de l’habituel, de l’ordinaire, de la vie ordonnée.

    Nous savons dès lors que quelque chose est en train d’arriver et nous agissons rapidement pour nous mettre à l’abri, chercher de l’aide ou prévenir nos proches. Dans ces situations, nous avons une certaine aisance et facilité (pour le moins ressenties) à communiquer grâce aux technologies à portée de main comme les téléphones intelligents, les tablettes, les ordinateurs, les médias sociaux, les applications mobiles qui informent nos proches que nous sommes en sécurité. Les technologies numériques facilitent la communication humaine et l’incorporent, un peu plus chaque jour, dans notre vie quotidienne : envoyer des courriels, répondre aux commentaires sur Facebook et Instagram, tweeter sur notre dernière activité, publier la vidéo de notre dernière sortie sur YouTube, parler à nos amis sur LinkedIn de notre dernière promotion au travail… Les compétences communicationnelles ne semblent plus échapper à personne.

    Rien d’étonnant alors, lorsque nous sommes en danger, à ce que cette compétence profane soit l’arme la plus redoutable pour nous en sortir. Répondre à une critique personnelle, éteindre le feu d’une controverse, démentir une rumeur sur les réseaux sociaux, apporter une clarification à un quiproquo : toute crise naît, vit et vieillit avec et par la communication. Même le refus de parler de la crise est un acte de communication. Tout comme le silence, qui dit tant de choses en si peu de mots…

    Pourquoi alors la communication ne résout-elle pas chaque crise ? L’aggravation de la crise, malgré nos efforts pour communiquer, est-elle le signe du manque de compétences communicationnelles ? Certainement pas, car nos messages sur Facebook et nos commentaires sur Twitter sont toujours aussi bien écrits et ciblés.

    Et si la communication n’était pas la simple compagne profane de la crise ? Et si la crise n’était pas toujours une partenaire fidèle de la perfection communicationnelle ? Et si cette union n’était finalement qu’une affaire d’adultère ? Y a-t-il d’autres fréquentations moins évidentes et plus occultées qui régulent cette union, au premier abord si harmonieuse ?

    1.1. LES SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION ET LA PRISE DE DÉCISION

    La communication de crise est, au-delà d’une pratique professionnelle, fondée sur les bases solides des sciences de l’information et de la communication (Miège, 2004) qui sont influencées tant par les sciences humaines et sociales – comme la psychologie, la sociologie ou encore l’anthropologie –, que par les sciences exactes – comme la mathématique et l’ingénierie. Appréhender la gestion de la crise à travers les théories de l’information et de la communication permet de comprendre que l’issue de la crise dépend de la construction momentanée et distribuée des pratiques et des outils de communication et non pas de la recherche et d’application de solutions sociotechniques existantes et « prêtes à emploi ». Si chaque crise est particulière et unique, sa gestion ne peut pas être conçue et conduite comme si les outils et les supports de communication étaient des panacées. La communication de crise doit être construite comme un processus singulier, permanent et flexible dont les bases sont théoriques, avant d’être pratiques.

    1.1.1. LA « BONNE » ET LA « MAUVAISE » COMMUNICATION DE CRISE

    Au cœur de chaque gestion de crise se trouve la communication. Une idée largement répandue dans le monde des organisations – et nourrie constamment par les objectifs des communicants fixés par les gestionnaires – est celle de la communication comme outil de gestion qui joue un certain rôle positif : contribuer à éliminer la crise et à atténuer ses conséquences et ses répercussions négatives. La fonction de la communication serait donc d’assurer la bonne gestion de la crise. Sur le terrain, les communicants se heurtent souvent à des arguments managériaux du type bien communiquer, préparer un excellent communiqué, envoyer les messages au bon moment, contacter en priorité les bonnes personnes…

    Tout ce qui permettrait de résoudre la crise serait lié aux adjectifs tels « bon », « excellent », « efficace », « convenable », « parfait », etc., et, vice versa, la communication qui échouerait à améliorer la gestion de la crise serait qualifiée de « mauvaise », de « moyenne », de « mal conçue », de « pauvre », d’« incomplète », de « nulle », d’« inefficace », de « ratée ». Une situation de stress, vécue par chaque chargé des relations avec la presse, qui touche les limites de l’angoisse professionnelle, est une conférence de presse sans journalistes (ou avec peu de journalistes), alors que la direction a demandé d’en contacter et d’en faire venir un maximum. Même si le chargé des relations avec la presse a bien fait son travail – il a minutieusement préparé un bon communiqué et l’a envoyé aux bonnes personnes et au bon moment –, il se peut qu’aucun journaliste ne se présente dans la salle de presse pour suivre la conférence. Les raisons d’un tel échec peuvent être multiples et indépendantes des qualités professionnelles du communicant et de son travail (par exemple, il y a un contre-événement lié à la crise, ou bien le directeur a insisté pour que la conférence se tienne à une heure qui convient peu aux horaires de travail des journalistes). Peu importe les causes externes d’un tel échec, pour la direction, la conclusion qui s’impose est que le communicant n’a pas bien communiqué. Telle est la conclusion fréquemment évoquée pour décrire l’échec d’une conférence de presse…

    Dans la communication de crise, comme dans chaque autre sphère de la communication des organisations, la vision fonctionnaliste et normative est dominante (Ivanov, 2013). Il sera, encore et encore, demandé aux communicants de bien communiquer pour bien gérer la crise. Cette manière d’appréhender la communication de crise est illustrée dans un des plus anciens modèles de communication, qui au départ n’a pas été créé en tant que modèle de communication de crise, mais qui a été conçu, tout de même, au lendemain d’une crise internationale majeure : la Seconde Guerre mondiale.

    ENCADRÉ 1.1

    Qui sont Claude Shannon et Warren Weaver ?

    Claude Shannon, ingénieur en génie électrique et mathématicien, et Warren Weaver, chercheur en mathématiques appliquées, publient, en 1949 le livre The Mathematical Theory of Communication, précédé un an plus tôt par un article fondateur, écrit par Claude Shannon, portant le même titre, dans la revue Bell System Technical Journal. Bien que cette théorie ne soit pas initialement destinée aux études des communications, le modèle qui en découle est largement repris par les sciences humaines et sociales.

    Le populaire modèle de Shannon et Weaver (figure 1.1) porte plusieurs noms (modèle télégraphique, canonique, technique, linéaire), mais il s’agit au fond d’une manière très simple et fonctionnelle de concevoir la communication. Si nous admettons que l’émetteur est tout individu, groupement d’individus, d’organisation, voire de pays concernés par l’éclatement d’une crise, il découle de ce modèle que le récepteur est le destinataire des messages qui peut être aussi un individu, un groupe, une organisation ou un pays. Ce modèle sous-entend que l’émetteur et le récepteur se connaissent bien et que, notamment parce qu’ils sont bien déterminés et connus, ils se sont initialement engagés dans un processus de communication. Ces deux acteurs ont à leur disposition un ou plusieurs canaux de communication qui leur sont familiers et communs, donc accessibles, et qui sont des outils techniques comme le fil télégraphique, le téléphone ou, encore, l’écran d’ordinateur ou le Web et, plus récemment, les médias sociaux.

    FIGURE 1.1

    Le modèle de communication proposé par Shannon et Weaver

    Source : Adapté de Shannon et Weaver, 1949.

    Dans une situation de crise, l’émetteur communique sciemment avec le récepteur afin de lui transmettre des informations permettant de mener à bien la gestion de la crise. L’émetteur communique grâce aux messages officiels dont l’origine est nécessairement interne : la volonté de communiquer émerge dans sa conscience (dans sa « tête ») en tant qu’idée qu’il met par la suite en forme grâce à un code (le langage, par exemple). L’émetteur encode le message avant de le transmettre au récepteur. Il en découle deux choses essentielles pour la gestion de la crise : il y a manifestement une volonté de transmettre ce message – et pas un autre – à ce récepteur exactement, qui connaît le code utilisé pour pouvoir comprendre le message. Il y a ici une intention de communiquer avec des interlocuteurs bien déterminés (les journalistes invités à une conférence de presse, par exemple) et le message est destiné à provoquer l’effet désiré (une couverture médiatique plutôt favorable). Les messages transmis sont jugés bons pour provoquer l’effet désiré (revenons à l’idée de la bonne communication en temps de crise). Ce modèle peut être compris à travers le principe de la coopération (Grice, 1967), selon lequel la situation de communication dépend de l’intention du récepteur de communiquer avec l’émetteur. Si l’émetteur en situation de crise reconnaît le récepteur et son intention de communiquer, il est fort probable que le premier réussisse la communication, car les deux parties prenantes s’attendent à ce que chacune d’entre elles contribue au processus de communication de manière rationnelle.

    Si la rationalité et la volonté de communiquer sont au centre de ce modèle, l’intention des interlocuteurs n’est pas le seul enjeu de réussite de la communication en situation de crise. Dans le modèle de Shannon et Weaver, c’est bien le code qui joue un rôle essentiel. Leur idée est simple : si le récepteur ne connaît pas le code, il ne sera pas en mesure de décoder le message et donc de le comprendre, même si l’intention de communiquer n’est pas remise en question. Décoder un message initialement encodé serait la seule manière de transformer son contenu en idée dans la « tête » du récepteur. Selon la connaissance du code, la communication entre l’émetteur et le récepteur est plus ou moins bonne et plus ou moins réussie. À titre d’exemple, si un journaliste ne comprend pas ou comprend mal le message émis, il y a de fortes chances qu’il ne se présente pas à la conférence de presse ou qu’il publie un article dont le message essentiel et l’angle d’attaque ne reprennent pas les informations transmises par le communicant au sujet de la crise. Et le communicant serait certainement qualifié de mauvais.

    La réussite de la communication en situation de crise, selon le modèle de Shannon et Weaver, dépend aussi de la réduction du « bruit » qui peut perturber la qualité des informations transmises et en affecter la quantité. Le « bruit » peut être défini comme toute chose qui perturbe la transmission et la compréhension du message. Le bruit technique, par exemple (incident ou défaillance technique), est un facteur externe (causé par une tempête, un tremblement de terre ou une explosion dans une usine de produits chimiques) ou interne (engendré par une grève ou un mouvement social) qui peut affecter les informations dans le processus de transmission et ainsi leur compréhension par le récepteur. Diminuer le bruit dans la communication permettrait non seulement d’augmenter les chances de réussir une bonne communication en situation de crise, mais aussi de collecter des indicateurs sur la réussite de la communication (rétroaction ou feedback) afin de les analyser, les intégrer dans la formulation de nouveaux messages et améliorer ainsi le processus de communication entre l’émetteur et le récepteur pour continuer à gérer la crise de la meilleure manière possible.

    1.1.2. ON NE PEUT PAS NE PAS COMMUNIQUER

    Bien que le modèle de Shannon et Weaver soit toujours actuel et usité dans les organisations en temps de crise, il est évident qu’il est limité par sa vision linéaire et rationnelle de la communication. Or la communication ne se limite pas uniquement au comportement verbal et au langage. Ce modèle n’intègre pas, entre autres, le rôle du comportement non verbal en tant que source de messages. Les situations de crise sont particulièrement révélatrices d’informations non pas à travers ce que les protagonistes disent, mais grâce à ce qu’ils font. Lorsque le président des États-Unis, Bill Clinton (figure 1.2), affirme en conférence de presse devant les journalistes et le peuple américain qu’il n’a jamais eu de relations sexuelles avec Monica Lewinsky¹, son comportement raconte une tout autre histoire. Le doigt levé et pointé vers l’auditoire à plusieurs reprises afin de ponctuer son discours, les hochements de tête répétitifs qui l’aident à s’exprimer plus facilement, la tonalité de la voix peu convaincante qui ne suscite pas la confiance chez le spectateur – son comportement contredit constamment son discours. Et la suite des événements montre que son corps a eu raison de son langage.

    Les messages émis par le corps ne sont pas volontaires ni rationnels dans le sens où Bill Clinton ne souhaite pas consciemment faire parler son corps en conférence de presse. Mais la communication se produit, même lorsque les interlocuteurs ne le souhaitent pas. Il en résulte qu’au-delà de l’intentionnalité des émetteurs, la communication prend corps et se passe ici et maintenant. Même si ce discours de Bill Clinton pourrait être jugé bon et convaincant, l’effet provoqué chez le récepteur n’est probablement pas aussi positif.

    Il est évident que coller de « bonnes » et « mauvaises » étiquettes à la communication lors de la gestion de la crise est difficile, voire impossible, car la communication reste bonne ou mauvaise uniquement par rapport au résultat recherché et attendu, mais elle est loin d’être réussie lorsqu’il s’agit de la compréhension et de l’interprétation des émetteurs. Au bout du compte, il y a toujours une distorsion plus ou moins importante entre le sens initial du message transmis et la signification de ce dernier lorsque le récepteur l’interprète. La gestion des crises à travers la communication ne dépend pas uniquement des intentions des interlocuteurs, mais doit prendre en compte de nombreux autres facteurs culturels et symboliques.

    FIGURE 1.2

    Le président des États-Unis, Bill Clinton, et la première dame, Hillary Clinton, devant la Maison-Blanche, le 13 juin 1994

    Source : Shutterstock, photo no 1339948373, 1994.

    Paul Watzlawick, idéologue et pionnier de l’école de Palo Alto, soutient que la communication est un processus permanent, ininterrompu et sans fin. Même quand une organisation se mue dans le silence lorsqu’une crise éclate, ce comportement « silencieux » possède une signification, car il transmet des informations importantes qui peuvent être interprétées de différentes manières par le public et les médias. Tout comportement, indépendamment de la communication verbale qui pourrait l’accompagner, est porteur de messages. Les récepteurs les absorbent de manière non intentionnelle lorsqu’ils sont en interaction et observent les comportements des émetteurs. Il en résulte qu’en situation de crise une organisation doit impérativement porter son attention non seulement sur ce qu’elle dit, mais aussi sur ce qu’elle fait. Si le comportement verbal et non verbal des protagonistes transmet les mêmes informations, cela permet de réaffirmer la force des messages destinés à gérer la crise. Si, en revanche, les discours et les comportements corporels sont contradictoires, c’est-à-dire portent des messages différents ou opposés, la force persuasive de la communication de crise sera flouée et diminuée.

    ENCADRÉ 1.2

    L’école de Palo Alto

    L’école de Palo Alto est un courant de pensée scientifique qui commence à émerger dans les années 1950 en Californie, aux États-Unis. Elle réunit plusieurs scientifiques provenant de différentes disciplines connexes comme la mathématique, la logique, la sociologie, l’anthropologie, la psychologie et l’économie. L’influence de l’école de Palo Alto sur le développement des sciences de l’information et de la communication est considérable.

    Appréhender les comportements des individus et des organisations en temps de crise comme porteurs de messages signifie que l’origine de la communication est externe aux individus, c’est-à-dire que les messages ne sont pas nés des idées émergentes dans les « têtes » des émetteurs. Ce n’est pas la communication qui « coule » dans les individus, ce sont les individus qui « nagent » dans la communication. La compréhension des messages n’est donc pas liée à la connaissance du code, ni à la réduction du « bruit », comme le soutient le modèle de Shannon et Weaver, mais à l’influence de la culture qui entoure les individus dès leur naissance. Les comportements sont continuellement appris, intériorisés, appropriés à travers les différentes phases de l’apprentissage, et sont conditionnés par la culture qui est la matrice de la communication (Winkin, 1996). Chaque comportement porte des messages liés aux pratiques individuelles, collectives, culturelles, organisationnelles, institutionnelles et sociales qui dominent toute communication verbale, tout acte de la parole. Toute communication de crise a donc un niveau pragmatique (du grec pragma – action), qui est fondé sur la pratique et l’action en situation de crise plutôt que sur la simple transmission de bonnes informations, au bon moment et au bon interlocuteur.

    1.1.3. COMMUNIQUER POUR AGIR SUR LA CRISE

    Communiquer, c’est agir ! Voici deux verbes que nous utilisons souvent comme des synonymes. Agir sur autrui, sur les organisations, sur la société, sur le monde qui nous entoure et ainsi sur les crises. En agissant sur la réalité, les individus lui donnent un sens particulier, une direction nouvelle et originale (pour ne pas dire subjective). La communication permet ainsi de forger les perceptions, les représentations et les opinions individuelles et collectives. Agir, c’est influencer ! Au-delà d’une vision largement dépassée de la communication comme un outil de propagande ou de communication de masse (Bernays, 1923), tout acte de communication est en effet une tentation d’influence interpersonnelle ou collective (Mucchielli, 2000) qui est tant perceptible dans les discours politiques lors d’une campagne présidentielle que dans le silence initial et persistant d’une organisation qui est en train de subir une des pires crises de son existence.

    ENCADRÉ 1.3

    L’origine du terme « communiquer »

    Le terme « communiquer », qui est apparu dans la langue française au XIVe siècle, provient, selon Yves Winkin (1981), du latin communicare, qui signifie mettre en commun, être en relation. Au XVIIe siècle, la signification de communiquer évolue et le mot commence à être utilisé pour désigner l’acte de partager, mutualiser, faire part de quelque chose. C’est ainsi que la transmission, la diffusion ou encore le transfert d’idées et d’informations commencent à être associés à la communication.

    Le processus de mise en commun, évoqué par Yves Winkin, est la construction et le maintien du lien communicationnel, que nous appelons communément la relation, et qui est constamment mis à l’épreuve par l’apparition d’événements endogènes (internes à l’organisation) et exogènes (externes). Lorsque les individus communiquent pour agir sur leurs relations, ils sont en interaction avec les autres individus grâce aux objets techniques. Ils agissent ainsi non seulement sur autrui, mais aussi sur le monde matériel qui les entoure. La communication en tant qu’interaction est l’influence réciproque que l’émetteur et le récepteur exercent sur leurs comportements et pratiques respectifs (Goffman, 1973) grâce aux objets et aux ressources matérielles qui les entourent.

    Communiquer, c’est donc faire agir quelqu’un ou quelque chose sur une partie tierce. Lors de la gestion de crise, les communicants possèdent une multitude d’outils qu’ils instrumentalisent pour agir à distance sur les événements en cours et les conséquences de la crise. Puisque les individus communiquent grâce au monde matériel et technique qui les entoure (bâtiments, espaces professionnels, ordinateurs, écrans, téléphones, plateformes, réseaux sociaux, etc.), les objets techniques usités sont eux-mêmes chargés de forces communicationnelles et agissent à la place de leurs créateurs (disons les communicants) à distance, à travers le temps et l’espace, le moment venu. Lors d’une situation de crise, un site Web développé à l’avance et prêt à devenir fonctionnel est un outil puissant qui peut contribuer à la gestion de la crise. Il en est de même avec les communiqués de presse, les capsules vidéo, les balados, les courriels, les reportages, les messages institutionnels, etc. Le monde social et organisationnel est habité par des humains, mais est aussi rempli d’objets techniques qui participent aux interactions et transforment la réalité (Latour, 1994, 2012).

    1.1.4. COMMUNIQUER POUR FAIRE LA DIFFÉRENCE

    Si la communication est un acte d’influence interpersonnelle et organisationnelle, elle est aussi une transformation, un changement d’état : elle fait la différence (Cooren, 2013). C’est ainsi que la communication agit sur le monde : il y a toujours du nouveau après l’acte de communiquer, même lorsqu’il n’y a que peu de nouveauté dans les informations transmises (on y reviendra quand nous traiterons des notions d’« actualité » et de « nouveauté »). La communication de crise fait une différence entre les points A et B, entre l’état initial de la crise et le développement de la situation. Mesurer systématiquement l’écart entre les points A et B permet non seulement de peser l’efficacité de la stratégie communicationnelle, mais aussi de prévoir la prochaine longueur pour relier les points B et C. Tout acte de communication est évalué, mesuré, audité : voici une de ses particularités essentielles qui marque une différence fondamentale avec l’acte d’informer (on reviendra également sur la distinction entre informer et communiquer).

    La nature constructive (et destructrice dans bien des situations) de la communication est bien celle qui apporte une plus-value essentielle et fait la différence lors de la gestion des crises sociales et organisationnelles. Si la communication est un acte d’influence qui configure la réalité grâce aux interactions, elle est un outil par excellence permettant d’affronter l’inconnu et de recréer le sens perdu de la réalité face à l’incertitude.

    ENCADRÉ 1.4

    Définir l’incertitude

    L’incertitude concerne l’impossibilité de décrire avec précision des événements qui ne se sont pas encore produits ou ne sont pas accessibles à la mesure (mesure elle-même généralement entachée d’une incertitude). Elle peut tout aussi bien concerner l’imprécision des connaissances sur la valeur de certains paramètres que l’aléa, c’est-à-dire l’occurrence et l’amplitude d’événements aléatoires, prévisibles ou non. (Bouzon, 2004, p. 54)

    De nombreux événements viennent perturber les routines et le sens que les gens donnent aux situations quotidiennes. L’exemple le plus éloquent est l’arrivée de la COVID-19 en 2020 et de la pandémie qui a aboli l’ordre mondial établi. Au-delà des recherches sur le vaccin et des médicaments pour prendre en charge cette maladie, c’est bien la communication qui a apporté la plus forte contribution pour contrer la propagation de la maladie. Au Canada, nous citerons en guise d’exemple la publication rapide et quotidienne de données ouvertes (nombre de malades, centres de dépistage, précautions à prendre, consignes à respecter, aides publiques d’urgence, etc.), les points de presse réguliers pour transmettre des messages et des informations importantes, la mise en place d’applications d’alertes et de prévention de la COVID-19, les messages publicitaires sur les médias classiques et les réseaux sociaux, etc. S’il y a une chose qui a permis d’éviter beaucoup plus de victimes et de dégâts humains et matériels durant la pandémie de COVID-19, c’est bien la force de la communication pour affronter l’inconnu et sa capacité à modeler les connaissances, les représentations et les opinions du public sur la maladie. C’est ainsi que la communication permet de bâtir le sens de la situation en contexte de crise, même lorsqu’elle est complètement inattendue et inconnue et qu’elle dépasse largement la sphère purement communicationnelle.

    1.1.5. LA COMMUNICATION ET LES NIVEAUX DE SENS

    Sur les terrains de la crise, il y a une confusion inextricable entre l’acte d’informer et l’acte de communiquer, même si dans la pratique, l’information et la communication sont insécables. L’information véridique et transparente – que l’organisation doit à ses publics et dont la transmission rapide peut éviter des dégâts supplémentaires et sauver des vies humaines – est souvent difficile, voire impossible, à transmettre par l’organisation, car elle la mettrait en péril ou bien aggraverait la situation déjà difficile à gérer. Puisque l’information peut être gardée, stockée, archivée, distribuée ou sécurisée (ce sont ses caractéristiques essentielles), la question qui se pose parfois en situation de crise est : Peut-on rendre les informations publiques ou pas ? Le choix est souvent tacite mais difficile, et c’est ainsi que la communication prend le devant de la scène.

    Il n’est pas question de suggérer que la communication est la dissimulation d’informations essentielles, ou bien un outil d’instrumentalisation et de brouillage des faits saillants. Il est vrai que dans de nombreuses crises, les organisations préfèrent dissimuler, supprimer ou simplement passer sous silence de multiples informations (rappelons les conséquences causées par le fait de passer sous silence l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en avril 1986²). Il est encore moins question de penser que la communication peut exister sans l’information, et vice versa. Dans la réalité, elles ne sont pas séparables et font front commun face à la crise. En revanche, face à la crise et à ses conséquences prévisibles, la communication peut prendre le dessus, car elle permet d’agir plutôt

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