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Délinquance à l'adolescence: Comprendre, évaluer, intervenir
Délinquance à l'adolescence: Comprendre, évaluer, intervenir
Délinquance à l'adolescence: Comprendre, évaluer, intervenir
Livre électronique599 pages6 heures

Délinquance à l'adolescence: Comprendre, évaluer, intervenir

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À propos de ce livre électronique

Ce livre sur la délinquance à l’adolescence est le premier ouvrage en français, adapté au contexte sociopolitique québécois, qui traite des bonnes pratiques d’évaluation et d’intervention auprès des adolescents auteurs d’infractions. Il a été réalisé avec la collaboration de chercheurs et de cliniciens représentant différentes disciplines (criminologie, droit, psychoéducation, psychologie, travail social).

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première traite du contexte historique et sociolégal dans lequel les pratiques en délinquance des personnes mineures se sont développées et offre un portrait actuel de la clientèle visée par Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA). La deuxième partie aborde la question de l’évaluation et des meilleures pratiques en évaluation du risque et des besoins. La troisième partie explore les principales approches d’intervention qui ont fait leurs preuves auprès des adolescents auteurs d’infractions. Elle présente également des approches prometteuses pour travailler auprès de cette clientèle.

Délinquance à l’adolescence : comprendre, évaluer, intervenir s’adresse autant aux étudiants en formation qu’aux personnes expérimentées qui travaillent de près ou de loin avec les familles et les jeunes à l’adolescence faisant l’objet d’une intervention en vertu de la LSJPA. Cet ouvrage sera une référence pour les gestionnaires, les personnes travaillant en recherche et le corps enseignant qui y trouveront une synthèse des connaissances actuelles issues de recherches nationales et internationales, ainsi que de l’expérience clinique.
LangueFrançais
Date de sortie16 nov. 2022
ISBN9782760557673
Délinquance à l'adolescence: Comprendre, évaluer, intervenir
Auteur

Julie Carpentier

Julie Carpentier, Ph.D., est professeure au département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2009. Elle exerce comme criminologue auprès d’adolescents auteurs d’infractions sexuelles.

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    Aperçu du livre

    Délinquance à l'adolescence - Julie Carpentier

    Introduction

    Julie Carpentier, Catherine Arseneault et Marc Alain

    L’idée de ce livre est née en 2019, alors que les deux premières d’entre nous enseignaient des cours liés à l’évaluation et l’intervention en délinquance dans nos universités respectives. Depuis quelques années, nous étions activement à la recherche d’un ouvrage de référence à proposer à nos étudiants et étudiantes, faisant une synthèse des connaissances actuelles et des bonnes pratiques en matière d’évaluation et d’intervention auprès des adolescents auteurs d’infractions. La littérature scientifique anglophone foisonnait alors de références à ce sujet, mais très peu, voire aucune, n’était adaptée au contexte sociopolitique québécois, qui plus est, disponible en français. Nous avons donc entrepris ce projet de livre afin de soutenir la formation et l’enseignement collégial et universitaire sur ces aspects de la pratique clinique. Plus largement, nous souhaitons que ce livre devienne un ouvrage de référence pour les intervenants qui travaillent de près ou de loin avec les adolescents faisant l’objet d’une intervention en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lsjpa). La réalité des milieux de travail d’aujourd’hui (roulement et pénurie de personnel, manque de temps pour la formation des nouveaux employés et la formation continue, etc.) jumelée aux changements législatifs et sociétaux, à l’évolution rapide des pratiques et des paradigmes d’intervention, ainsi qu’aux enjeux liés à l’accessibilité des ressources disponibles pour les adolescents et leur famille, ont motivé notre désir de regrouper en un seul ouvrage les bases de ce que tout intervenant en délinquance devrait connaître, comprendre et éventuellement, s’efforcer de mettre en application dans le cadre de ses fonctions auprès des adolescents.

    Le thème de la délinquance des mineurs est vaste, et la littérature scientifique internationale est plus qu’abondante sur le sujet. Cette synthèse n’est donc pas exhaustive, et nous avons dû faire des choix concernant les approches et les thèmes sélectionnés dans ce livre. Les questions relatives à l’émergence des conduites délinquantes (facteurs associés), aux théories de la délinquance ou aux bonnes pratiques en matière d’intervention auprès de clientèles particulières ne trouveront pas nécessairement réponse ici puisqu’ils font déjà l’objet d’autres ouvrages.

    Définitions des termes

    Le terme « délinquance » est défini dans le dictionnaire Larousse (2022) comme l’« ensemble des infractions commises en un temps et en un lieu donnés », alors que le nom « délinquant » sert à désigner une personne qui a commis un délit. Le problème avec cette appellation réside dans le fait qu’elle réduit la personne, ici un adolescent, à une étiquette stigmatisante basée sur l’adoption passée d’un comportement illégal et souvent, assez isolé, sans égards aux caractéristiques de cet adolescent dans sa globalité, y compris les conduites prosociales qu’il a aussi pu maintes fois adopter au cours de sa vie. Réduire un jeune à la délinquance revient donc à signifier à un adolescent, à sa famille ainsi qu’à la société en général, que son identité se résume à sa mauvaise conduite et que, quoi qu’il fasse, cette identité le suivra, si ce n’est que dans les rapports et autres écrits qui auront été consignés à son propos. Considérant le lourd poids de l’étiquette ainsi apposée à un jeune en pleine période de développement (notamment sur le plan identitaire) et le stigma qui y est associé, nous avons choisi de privilégier l’utilisation du mot « délinquant » comme un adjectif plutôt qu’un nom (par exemple, « comportement délinquant », « conduites délinquantes » plutôt que « le ou les délinquants »), de même que les expressions « auteurs de délits » ou « auteurs d’infractions » pour désigner les adolescents sous la Lsjpa. Dans leurs différents chapitres, les auteurs utilisent ces expressions de façon interchangeable, mais elles réfèrent toutes à la même réalité. Tous avaient le souci d’éviter de stigmatiser davantage ces adolescents et adolescentes et de les considérer dans leur globalité plutôt que sur la seule base de leur conduite délinquante.

    Il convient de reconnaître que les termes « délinquants » ou « contrevenants » ont été volontairement utilisés dans les premiers chapitres de l’ouvrage puisqu’on y fait référence à l’histoire et qu’il s’agissait, à l’époque, de la manière de désigner ces adolescents auteurs d’infractions. Le lecteur verra donc évoluer l’utilisation des termes entre les premiers et les derniers chapitres de la première partie du livre, pour ensuite voir apparaître, dans la deuxième et la troisième partie du livre, l’utilisation d’expressions qui se veulent moins préjudiciables et en meilleure adéquation avec les connaissances actuelles concernant les trajectoires de délinquance individuelle.

    Nous avons privilégié l’utilisation du masculin de façon générale dans l’ouvrage de manière à ne pas alourdir le texte, même si plusieurs des éléments présentés à travers les chapitres sont applicables à la fois aux adolescents et aux adolescentes. Toutefois, nous reconnaissons que les adolescentes et leurs familles peuvent présenter des caractéristiques et des besoins différents des adolescents ou encore que ces besoins peuvent se manifester différemment. La littérature scientifique demeure malheureusement assez pauvre à ce sujet. Nous encourageons les lecteurs à consulter des ouvrages récents sur la question en complément à ce livre.

    Présentation du livre

    Des chercheurs et des cliniciens, experts dans leur domaine et représentant différentes disciplines (criminologie, droit, psychoéducation, psychologie, travail social), ont contribué à cet ouvrage de référence qui se veut une synthèse des connaissances actuelles sur la délinquance à l’adolescence (comprendre), ainsi que sur les bonnes pratiques pour évaluer et intervenir auprès des adolescents auteurs d’infractions et de leurs familles.

    Le livre est divisé en trois parties. La première partie, « Contextes historique, sociolégal et portraits de clientèles », a été entièrement écrite par Marc Alain. Elle débute, dans le chapitre 1, par une mise en contexte historique de l’évolution des mesures pénales visant les adolescents auteurs d’infractions au Canada entre le XIXe siècle et le début du XXIe siècle. Dans le chapitre 2, ce sont les spécificités du Québec quant à l’application des lois destinées aux mineurs qui sont présentées. Les résultats d’une étude qui s’est intéressée aux points de vue des différents acteurs concernant les changements législatifs apportés à la loi depuis l’adoption de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lsjpa) sont aussi résumés. Le troisième et le quatrième chapitre s’intéressent aux données officielles de la criminalité au Québec et en Ontario et brossent un portrait récent 1) des caractéristiques des adolescents et adolescentes sous la Lsjpa (chapitre 3), et 2) de la nature des délits qui leur sont reprochés ainsi que 3) des mesures pénales qui leur sont imposées (chapitre 4).

    La deuxième partie, « Évaluation », est composée de trois chapitres. Le chapitre 5, écrit par Julie Carpentier et Catherine Arseneault, dresse les grandes lignes directrices de l’évaluation dans un contexte prédécisionnel sous la Lsjpa. Les principes du modèle d’évaluation et d’intervention Risque-Besoins-Réceptivité de Andrews et Bonta (2006, 2017) et de son application dans le contexte légal actuel y sont présentés. Dans le chapitre 6, Julie Carpentier et Catherine Arseneault font un survol des différents types d’outils d’évaluation du risque en délinquance et décrivent quelques-uns des outils qui peuvent être utilisés auprès d’adolescents auteurs d’infractions. Au chapitre 7, Catherine Arseneault, Julie Carpentier et Jean-Yves Bégin présentent les bases théoriques, conceptuelles et cliniques du plan d’intervention et exposent, à l’aide d’un exemple concret, comment arrimer les résultats de l’évaluation et les objectifs de l’intervention.

    La troisième partie, « Intervention », comprend sept chapitres. Le chapitre 8, rédigé par Catherine Arseneault et Julie Carpentier, porte sur deux approches d’intervention ayant fait leurs preuves auprès des adolescents auteurs d’infractions, soit l’approche motivationnelle et l’intervention cognitive-comportementale. Dans le chapitre 9, Katherine Pascuzzo, Marie-Pierre Villeneuve, Sophie Couture et Marlene Moretti exposent les fondements théoriques et pratiques des interventions psychosociales et familiales et présentent des exemples de programmes implantés au Québec et offerts aux adolescents auteurs d’infractions et à leurs parents. Le chapitre 10 porte sur le Good Lives Model, une approche d’intervention positive et prometteuse qui peut être utilisée seule ou en complément au modèle Risque-Besoins-Réceptivité (RBR) pour favoriser le désistement de la délinquance des jeunes. Fabienne Glowacz, Bérengère Devillers et Rosa Puglia signent ce texte. Dans le chapitre 11, Denise Michelle Brend, Tristan Milot, Delphine Collin-Vézina et Marie-Ève Grisé Bolduc présentent les fondements des approches sensibles aux traumas et l’importance de changer ou d’ajuster sa paire de lunettes lorsqu’on intervient auprès d’adolescents en difficulté. Le chapitre 12, écrit par Julie Marcotte, Isabelle F.-Dufour et Natacha Brunelle, explore la période cruciale de transition entre l’adolescence et l’âge adulte et les enjeux particuliers qui sont vécus par les jeunes auteurs d’infractions, notamment sur le plan identitaire. L’intervention par l’utilisation de l’approche narrative est illustrée à l’aide d’un exemple, dans le but de favoriser le désistement de la délinquance. Dans le chapitre 13, Estibaliz Jimenez s’intéresse aux particularités de l’intervention auprès des jeunes auteurs d’infractions issus de l’immigration, des minorités ethnoculturelles et des Peuples autochtones. La surreprésentation de ces jeunes sous la Lsjpa à toutes les étapes du processus judiciaire, les facteurs explicatifs et les bonnes pratiques en matière d’intervention sont abordés. Enfin, le dernier chapitre, écrit par Denis Lafortune, scelle le livre en proposant une réflexion approfondie et des données à jour appuyant l’importance de l’alliance de travail dans l’ensemble du processus d’intervention auprès des adolescents auteurs de délits. Il y présente notamment des outils permettant de mesurer l’alliance et les grands principes à appliquer pour développer, maintenir et restaurer l’alliance de travail. Une conclusion écrite par Marc Alain termine l’ouvrage.

    Partie 1 /

    Contextes historique, sociolégal et portraits de clientèles

    Chapitre 1 /

    Une histoire des mesures pénales à l’endroit des mineurs auteurs d’infractions au Canada

    Marc Alain

    Que ce soit au Canada ou ailleurs, les politiques et mesures pénales destinées aux mineurs délinquants¹ font l’objet, dans l’histoire, de soubresauts, de modifications mineures ou majeures et d’amendements divers. Ces changements tirent parfois origine de l’évolution de la compréhension des phénomènes sociaux en général et de ce qui concerne plus particulièrement la délinquance des mineurs. Plus souvent qu’autrement, cependant, la plupart des changements apportés aux lois et règlements qui touchent au phénomène demeurent dictés par des impératifs politiques dont certains, parfois, prennent appui sur l’état des connaissances sans que ce soit nécessairement généralisé.

    En d’autres termes, et le Canada n’échappe absolument pas à cette trame générale, ce sont au gré des changements de régimes politiques qui se succèdent au pouvoir que les mesures destinées aux mineurs délinquants vont osciller en un mouvement de balancier entre deux positions pratiquement opposées. Il s’agit, d’une part, de la position qui considère le mineur comme peu responsable de ses actes et devant être entouré de mesures de resocialisation et de traitement tandis que, d’autre part et dans la position inverse, on tend à voir le délinquant mineur comme responsable de ses actions et devant, tout comme un adulte, reconnaître ses torts et, bien sûr, en assumer les conséquences punitives. Dans le premier cas, on intervient essentiellement pour « guérir », tandis que dans le second, on intervient essentiellement pour « punir ».

    On comprendra, bien entendu, qu’il s’agit ici de deux extrêmes, et que les politiques, quelles qu’elles soient, vont avoir tendance à s’approcher de l’un ou l’autre de ces extrêmes en un amalgame de compromis où il convient de tenir compte de ces deux positions. Or, paradoxalement, il demeure passablement fréquent – à la limite assez compréhensible – que l’adolescent sanctionné et soumis à une peine, qu’elle soit destinée à le « guérir » ou à le « punir », ait tendance à se sentir injustement traité, peu importe la raison du traitement qu’on l’oblige à subir… On comprendra aussi que le « temps » de l’appareil pénal n’est pas vraiment le même que celui de la vaste majorité des adolescents, ces derniers ayant tendance à considérer la vie à plutôt court terme. En conséquence, entre le moment de la commission d’un délit et celui où l’appareil pénal dicte la mesure qu’il juge appropriée, qu’il s’agisse d’une mesure « punitive » ou de « resocialisation », l’adolescent visé risque d’avoir depuis longtemps perdu de vue l’existence même de cette action qui l’a amené entre les « griffes » de la loi.

    C’est l’histoire de ces lois et de leurs modifications au Canada qui sera exposée tout au long du présent chapitre. Nous nous arrêterons rapidement, en premier lieu, aux traitements proposés aux mineurs délinquants pendant le Régime français, une période passablement dure où les notions d’enfance et d’adolescence n’étaient que fort peu prises en compte lorsque venait le temps d’administrer la justice pénale à une personne mineure. Nous verrons ensuite, en second lieu, comment le passage au Régime anglais va ou non changer les choses, et ce, jusqu’aux toutes premières mesures pénales distinctives pour les mineurs qui datent de 1892 au Canada. La troisième section de ce chapitre couvrira la toute première loi spécifiquement destinée à traiter la criminalité reprochée à des mineurs, soit la Loi sur les jeunes délinquants de 1908. Nous nous attarderons ensuite, en quatrième section, à documenter en quoi la publication du rapport extrêmement critique intitulé La délinquance juvénile au Canada et publié en 1965, le rapatriement de la Constitution canadienne et l’enchâssement en son sein de la Charte des droits et libertés vont teinter les tractations politiques qui vont mener à l’adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants de 1984. Puis, en cinquième section, il sera temps de nous arrêter à la toute dernière mouture législative destinée aux adolescents reconnus coupables d’un acte criminel, soit la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lsjpa), et les débats politiques et sociaux, notamment au Québec, qui vont mener à sa promulgation en avril 2003.

    1 / Sous le Régime français et le Régime anglais

    Cette idée qu’une période comme celle de l’enfance devrait être considérée différemment de celle de l’âge adulte est passablement récente dans l’histoire et apparaît véritablement au tournant de la fin de la révolution industrielle au XIXe siècle (D’Amours, 1986). Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, les conditions de vie particulièrement dures des colonies d’Amérique vont en quelque sorte dicter l’importance et la nécessité pour tous de respecter les règles sociales, adultes et enfants sans distinction. On sait bien peu de choses quant au traitement réservé aux mineurs délinquants sous le Régime français. Lachance (1996) nous apprend toutefois que les traitements punitifs réservés aux criminels, adultes et mineurs sans distinction véritable, étaient généralement des peines corporelles sévères et administrées promptement après l’interception par les milices tenant lieu de police à l’époque. L’emprisonnement est rare et considéré comme un traitement coûteux. Il n’y a donc que très peu de cellules de prison pendant cette période, celles-ci étant surtout réservées à abriter le détenu entre les séances de torture destinées à lui faire avouer son crime.

    De la fin du Régime français jusqu’à l’établissement du Dominion du Canada en 1867, il n’y a que très peu de différences entre les traitements pénaux réservés aux adultes et ceux réservés aux enfants reconnus coupables d’infraction criminelle, bien que le Common Law britannique reconnaisse le principe de doli incapax (littéralement l’incapacité de faire le mal ; Leon, 1977) qui empêchait des enfants de moins de 7 ans d’être reconnus coupables. Pour les enfants entre 7 et 14 ans, le même Common Law reconnait la possible défense du prima facie (à première vue ; ici l’idée que l’innocence de l’enfant et donc l’impossibilité qu’il puisse volontairement commettre le mal tient à la vue même de l’enfant en question), mais toujours selon la discrétion de la cour quant à déterminer la part de bien et de mal dans l’action du mineur. Les documents de l’époque montrent que les enfants étaient plus souvent qu’à leur tour astreints à des peines similaires à celles des adultes condamnés pour des délits semblables (Carrington et Schulenberg, 2004 ; Normand, 1999).

    Il faudra attendre le XIXe siècle pour voir se concrétiser les idées avancées auparavant par les penseurs du siècle des Lumières, les Bentham, Diderot, Hume, Beccaria et Rousseau (Vold et Bernard, 1986). Ces idées vont trouver application dans d’importantes réformes tant sociales que politiques et pénales. La criminologie d’alors, discipline naissante, propose notamment que les facteurs environnementaux et ceux liés aux étapes de développement de la personne diluent la part de responsabilité individuelle dans la commission d’un délit. En d’autres termes, l’idée même d’administrer au délinquant une peine proportionnelle à la gravité du délit perd de son sens à partir du moment où l’individu est plus ou moins responsable de l’action criminelle qui l’a conduit entre les mains du système pénal. C’est évidemment d’autant plus le cas lorsque le délinquant en question est une personne d’âge mineur. Il convient donc alors d’appliquer des interventions sociales destinées à traiter le jeune de manière, ultimement, à le « sauver » de la tentation du passage à l’acte. Mais il ne faut cependant pas croire qu’une telle manière de penser faisait consensus au XIXe siècle. C’est véritablement à cette époque qu’apparaît le phénomène du balancier que nous évoquions en introduction entre les tenants du « punir pour guérir » et ceux du « punir pour réprimer ». On assiste donc, sur le plan politique, à une joute entre les « réformistes » et les tenants des approches punitives, ces derniers allant jusqu’à plaider que les peines corporelles sévères étaient gages d’efficacité et de dissuasion, tant sur le plan individuel que sur le plan de la société, voire qu’elles étaient plus « économiques » en ce qu’elles permettaient à l’État de ne pas avoir à assumer les coûts de subsistance liés à l’incarcération des délinquants (Smith, 2012).

    2 / De 1892 à 1908, les premières mesures législatives spécifiques aux délinquants mineurs au Canada

    C’est dans les suites de l’adoption du tout premier Code criminel du Canada, en 1892, que vont être créées les premières institutions pénales réservées spécifiquement aux délinquants mineurs. Or, tant au Bas qu’au Haut-Canada, les reproches faits depuis fort longtemps aux prisons pour adultes vont très rapidement se voir confirmés de plus bel à l’endroit de ces « prisons pour jeunes ». En effet, elles semblent très peu décourager la récidive et elles constituent, selon des chroniqueurs de l’époque, de véritables « écoles du crime » en ce que les adolescents qui y sont envoyés finissent rapidement par développer des réseaux et, surtout, être mis au fait des toutes dernières « techniques » criminelles (D’Amours, 1986).

    Faisant écho à des initiatives développées en 1876 au Massachusetts, le Canada introduit, dans les suites de l’adoption du premier Code criminel en 1892, les premières sentences de probation. Celles-ci sont essentiellement destinées aux mineurs reconnus coupables d’un premier délit officiel qui se voient assigner un « agent » responsable de surveiller leur comportement et de les envoyer en prison à la moindre incartade. On retrouve, toujours dans ce premier code criminel canadien, les premières mesures pénales spécifiques aux délinquants mineurs, dont celle voulant que les mineurs de 15 ans et moins devaient faire l’objet d’un traitement judiciaire et pénal distinct de celui des adultes. Il était, de plus, dorénavant interdit de publiciser la condamnation des délinquants mineurs. Or, si l’on s’en tient aux débats politiques de cette époque de la fin du XIXe siècle, il est clair que tant les tenants de la gauche que ceux de la droite plus conservatrice trouvent à redire de ces propositions, les premiers les jugeant trop sévères, les seconds pas assez… Ce sont probablement dans les deux plus grandes villes de l’époque, Montréal et Toronto, qui constatent toutes deux des hausses significatives de criminalité, que l’on voit le plus ces tensions s’exacerber. À Montréal, les éditorialistes plaident que les délinquants mineurs, déjà aux prises avec d’importantes lacunes familiales, souffrent suffisamment pour qu’on les dispense de mesures punitives exagérées, tandis qu’à Toronto, on est d’avis qu’il convient d’exercer des mesures disciplinaires plus vigoureuses envers ces mêmes délinquants mineurs (Alain et Desrosiers, 2016).

    3 / 1908 : adoption et implantation de la Loi sur les jeunes délinquants (LJD)

    À la lecture de la toute première loi destinée spécifiquement aux délinquants mineurs dans l’histoire canadienne, il appert que ce sont finalement les chroniqueurs de la gauche qui semblent avoir réussi à faire pencher la balance politique du côté de leurs arguments. De fait, la notion même de responsabilité criminelle semble à peu près complètement absente du texte de la Loi et l’on y présente le jeune un peu comme une victime de circonstances familiales et sociales déficientes que le législateur a comme devoir ultime de compenser. C’est ainsi que les juristes proposent que la doctrine fondatrice de la Loi de 1908 s’articule autour du principe de parens patriae : la patrie a le devoir de se substituer à une famille naturelle absente ou déficiente, voire criminogène. La sentence de probation est considérée comme la plus propice à encadrer de telles mesures destinées, entre autres choses, à assister les parents pour qu’ils éduquent leur jeune en fonction des conduites sociales les plus exemplaires. Bien sûr, en cas de défaillance des parents à modifier leurs conduites d’encadrement, la loi prévoyait la possibilité, pour l’agent de probation, de diriger le jeune vers une résidence de transition où un travailleur social allait alors prendre en partie le relais de manière à ce que l’adolescent puisse intégrer une famille de substitution, cette dernière pouvant, à terme, devenir son foyer familial définitif. Au même titre que la Loi de 1908 ne proposait qu’un rapport très vague entre la gravité du délit et la sévérité de la sentence (c’est-à-dire le principe de proportionnalité), elle mettait à l’inverse un accent prépondérant sur la mise en place de mesures devant permettre à l’adolescent de « guérir », et ce, tant et aussi longtemps que son rétablissement le nécessitait. En d’autres termes, la Loi de 1908 ne proposait finalement que de très vagues consignes quant aux mesures à adopter, notamment sur le plan de l’étendue des traitements à réserver aux adolescents reconnus coupables d’une infraction criminelle. Comme nous allons maintenant le constater, cette imprécision allait entraîner son lot de problèmes…

    C’est au moment d’implanter la LJD dans les nouvelles provinces du Canada de cette époque que des différences majeures dans les modalités de traitement des mineurs délinquants apparaissent. En partie parce que la LJD n’encadrait que très peu les modalités de détermination des peines (sentencing) à réserver aux mineurs coupables de conduite criminelle, tout naturellement, ces provinces vont adopter des façons de faire taillées à la mesure de l’opinion de leurs populations. Or, ces façons de faire se traduiront finalement par d’énormes disparités non seulement d’une province à une autre, mais encore davantage entre les traitements « proposés » aux délinquants mineurs et ceux réservés aux adultes trouvés coupables d’infractions similaires (Doob, Marinos et Varma, 1995 ; Thorson, 1999). Ce sont ces disparités parfois énormes (on évoque – Thorson, 1999 – que dans plusieurs provinces, il valait carrément mieux être astreint à une peine pour adulte que d’être traité par l’intermédiaire de la LJD !), mais surtout qui vont s’accroître et perdurer, qui présideront à la tenue d’une vaste enquête pancanadienne dont les résultats seront publiés en 1965 dans le rapport intitulé La délinquance juvénile au Canada.

    3.1 / Les effets du rapport de 1965 et les circonstances de l’adoption de la Loi sur les jeunes contrevenants de 1984

    C’est à partir du début des années 1960 que le gouvernement canadien commence à soupçonner que tout ne va pas pour le mieux dans le monde du traitement des délinquants mineurs. Il faut ici comprendre que si la LJD est de juridiction fédérale, sa mise en application, et ce dès son adoption en 1908, est entièrement de compétence et de juridiction provinciale. C’est en grande partie ce qui explique les écarts très importants de son application, écarts que l’on constate rapidement, mais qui vont tout de même perdurer pendant pratiquement toute l’existence de la LJD. Dès 1961, les statistiques disponibles montrent que, si la population des adolescents a considérablement augmenté depuis la fin du deuxième grand conflit mondial – conséquence du fameux baby-boom de l’après-guerre –, la proportion de jeunes qui se retrouvent dans les filets du système de justice, elle, a cru sans commune mesure, soit, selon les chiffres avancés par le comité consultatif qui présentera son rapport en 1965, de près de 50 % entre 1952 et 1961². Or, de conclure le rapport, l’existence de traitements différentiels des délinquants mineurs selon les juridictions provinciales qui en avaient la charge constituait une marque d’injustice flagrante :

    Un adulte envoyé en pénitencier fédéral dans une région donnée du Canada recevra le même type de traitement s’il est assigné à un autre pénitencier ailleurs au pays. À l’heure actuelle, les enfants sont traités différemment. Le traitement et les services accordés à un enfant ayant été jugé délinquant selon des lois de statut fédéral sont entièrement sous la responsabilité d’autorités provinciales. Ce sont les niveaux de prospérité et de conscience sociale de la province de résidence de l’enfant qui vont généralement déterminer le type de traitement octroyé. (Ministère de la Justice du Canada, 1965, p. 26)

    Le rapport de 1965 va montrer qu’en dépit de modalités de traitement fort différentes d’une province à une autre, aucune n’est véritablement en mesure de démontrer que ses traitements parviennent mieux que d’autres à prévenir la récidive chez les adolescents, les taux étant remarquablement similaires d’une province à une autre.

    Mais ce sont sans contredit tous les travaux de documentation réalisés par la commission sur la question de l’étiquetage entraîné par l’application de la LJD qui vont probablement le plus écorcher l’administration de la justice envers les délinquants mineurs. Neuf années avant le retentissant « Nothing works » de Martinson aux États-Unis (voir encadré 1.1), le rapport de la commission canadienne fait état que :

    Pour un enfant et sa famille, il existe un écart très grand entre le fait pour cet enfant d’avoir commis un acte de délinquance et celui de se faire dire qu’il est dorénavant un « délinquant juvénile ». Il n’est pas rare, nous a-t-on informé, que les délits moins importants commis par des adolescents ne fassent pas l’objet de dénonciation par les autorités, essentiellement parce que tant la police, que les cours de justice et autres autorités rechignent à étiqueter un jeune de « délinquant juvénile » uniquement pour appliquer la loi. (…) La distinction entre être considéré comme un enfant « négligé » ou un enfant « délinquant » demeure passablement artificielle. Dans certaines provinces, un enfant issu d’un milieu où il a clairement souffert de privations diverses pourra être déclaré délinquant, tandis que dans d’autres provinces, ce même enfant pourra être pris en charge par les autorités de la protection de l’enfance en ce qu’il a souffert de négligence. Dans le premier cas, le fait d’être étiqueté – labelled – de délinquant pourra entraîner l’opprobre du public en ce qu’elle le voit en tant que malfaiteur. Dans le second cas, parce qu’il a été trouvé victime de négligence ayant besoin de protection, cet enfant s’attirera la compréhension et la sympathie du public. Pourtant, dans les deux cas, l’acte, l’erreur commise ou l’omission ayant attiré l’attention des autorités pourrait être le même. (Ministère de la Justice du Canada, 1965, p. 36-43)

    Encadré 1.1 / « Nothing works » ? Ce qu’a véritablement écrit Martinson

    On a longtemps reproché au chercheur américain d’avoir en quelque sorte dénigré l’ensemble du processus de réhabilitation criminelle sur le territoire des États-Unis. C’est une lecture un peu superficielle des travaux de Martinson qui a amené des commentateurs à déclarer que celui-ci considérait que « rien ne fonctionne ». Dans les faits (Annis, 1981), ses travaux allaient plutôt dans le sens de montrer qu’entre des traitements axés sur la resocialisation et la réintégration du délinquant et ceux axés sur une application sévère de la punition, au bout du compte, les effets demeuraient à peu près comparables et qu’à tout prendre, peut-être valait-il mieux privilégier les premiers que les seconds. Mais de savoir si on a véritablement écouté Martinson ou non suscite des débats encore de nos jours…

    Trois tentatives de réformes de la LJD vont se succéder pendant les 16 années suivant la publication du rapport de 1965, sans cependant affecter véritablement la Loi et les effets controversés de son application. C’est à partir de 1981 et dans la foulée du rapatriement de la Constitution de 1982³ que le gouvernement libéral de l’époque propose l’instauration d’une nouvelle loi qui, selon les termes utilisés par les représentants du gouvernement, se voulait ni plus ni moins que révolutionnaire dans le domaine de la délinquance des mineurs. Mais si la Loi de 1908 n’avait suscité que relativement peu de débats à la Chambre des communes, il faudra près de trois ans d’acrimonieuses discussions, entre parlementaires mais également avec de nombreuses associations de défense tant des victimes que des droits des personnes inculpées, pour que le gouvernement finisse par en arriver à une seconde loi touchant la délinquance des mineurs au Canada : la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC) de 1984.

    La LJC est finalement mise en application en avril 1984. Bien que, là encore, il revenait aux provinces de mettre en place les modalités d’intervention selon ce que préconisaient les principes de la LJC, la doctrine du parens patriae est mise de côté pour être remplacée par des principes plus pointus touchant à la fois la question des besoins de l’enfant, mais également toutes les questions relevant de ses droits constitutionnels, notamment celui d’une défense pleine et entière. On observait également l’introduction de grands principes visant la protection de la société et des mentions subtiles quant au respect du principe de proportionnalité, principe pratiquement inexistant sous la loi précédente. Les années 1980 vont voir s’instaurer un peu partout au Canada, mais de façon beaucoup plus marquée au Québec, une bureaucratie publique au sein de plus en plus de secteurs de la vie sociale. Le système pénal pour mineurs n’étant pas en reste, un flou croissant s’observe entre les mesures qui tiennent de la protection de la jeunesse et celles qui tiennent des mesures pénales. Dans les faits, cependant, une tendance claire et pancanadienne commence à s’établir à partir de la fin des années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990 : le nombre de personnes mineures incarcérées croît beaucoup plus vite que le prorata de cette couche d’âge dans la population. À la fin de 1993, le Canada affiche l’un des taux d’incarcération de mineurs parmi les plus élevés dans le monde occidental, surpassant même de façon significative celui affiché chez nos voisins du Sud (Bala, Carrington et Robert, 2009 ; Hogeveen, 2005, 2006).

    4 / De la fin des années 1990 à l’adoption de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en 2003

    Bien que les troupes du Parti libéral du Canada soient réélues pour une troisième fois consécutive aux élections de 2000, la fin des années 1990 a vu de forts courants de droite s’instaurer dans les provinces de l’ouest du pays, courants idéologiques qui vont se concrétiser par l’établissement du Reform Party. Bien que les statistiques commencent à montrer un déclin graduel du nombre de délits commis par des mineurs partout au Canada, les sondages, eux, montrent une hausse croissante du désir du public pour une loi et des mesures punitives plus dures à l’endroit de cette population (Corrado et Markwart, 2016). Or, le gouvernement libéral ne peut véritablement ignorer d’une part ce sentiment public, marqué par la hausse de l’appui populaire à l’endroit des idées conservatrices en provenance de l’ouest du pays, ni le fait d’autre part que les coûts liés à la mise sous garde des adolescents commencent à devenir de plus en plus difficiles à justifier, surtout en regard de la relative inefficacité de ces mesures à enrayer la récidive et de leurs conséquences néfastes sur la resocialisation des jeunes (Hartnagel, 2004).

    C’est donc dans un tel contexte que les deux ministres de la Justice qui vont se succéder à l’époque, M. Allan Rock et Mme Anne McLellan, vont lancer d’importants travaux de consultation sous la direction de deux des chercheurs les plus reconnus au Canada dans le domaine de la justice des mineurs, le professeur Nicholas Bala, de l’Université Queen, et son collègue, le professeur Antony Doob, de l’Université de Toronto. Ces consultations, menées auprès des autorités provinciales à travers le Canada, mais également auprès de plusieurs regroupements et associations professionnelles, vont finalement aboutir dans ce que les juristes vont considérer comme l’une des pièces législatives les plus complexes à émerger des officines gouvernementales (Corrado et Markwart, 2016). La Lsjpa propose un retour à l’équilibre entre les objectifs de resocialisation du jeune et la protection de la société. Contrairement aux deux lois précédentes, cette fois-ci la Lsjpa dicte des règles de sentencing beaucoup plus encadrantes avec, comme principe fondamental, que la personne mineure ne devrait jamais être astreinte à des peines plus ou aussi sévères que ce que l’on recommanderait pour un adulte. De manière à inverser la tendance, la Lsjpa fait en sorte de réserver les peines de mises sous garde fermée à des situations très spécifiques et limitées, soit essentiellement pour des multirécidivistes ayant commis des crimes contre des personnes. Le principe général de proportionnalité fait un retour marqué dans la Lsjpa, alors qu’il était pratiquement évacué de la LJC. Pourtant, assez curieusement, le discours politique qui émane alors d’Ottawa fait état d’une nouvelle loi beaucoup plus dure que la précédente, ce qui va entraîner une réaction particulièrement négative de la part des autorités du Québec (Trépanier, 2004). Celles-ci, en effet, mettent de l’avant l’expertise développée par les centres jeunesse de la province en matière de réinsertion des délinquants mineurs et le fait que les taux de mise sous garde y sont parmi les plus bas au Canada⁴ pour contester la présentation que fait Ottawa de la nouvelle loi. En cette matière comme en

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