L' AVENIR DU TRAVAIL POLICIER
Par Anthony Amicelle, Rémi Boivin, Benoit Dupont et
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À propos de ce livre électronique
Ce collectif réunit cinq chercheurs de grande réputation qui analysent et documentent la nature de cette évolution sociétale sur les organisations policières dans un contexte technologique en perpétuel mouvement. Il s’adresse particulièrement aux chercheurs et aux étudiants en criminologie et en science politique, mais aussi aux politiques, aux gestionnaires policiers et aux journalistes qui couvrent les affaires criminelles ; enfin à tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement de la police.
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Aperçu du livre
L' AVENIR DU TRAVAIL POLICIER - Anthony Amicelle
Benoît Dupont, Anthony Amicelle,
Rémi Boivin, Francis Fortin
et Samuel Tanner
L’avenir du travail policier
Les Presses de l’Université de Montréal
Titres parus
Délinquance et innovation
Sous la direction de David Décary-Hétu et Maxime Bérubé
Mille homicides en Afrique de l’Ouest
Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger et Sénégal
Sous la direction de Maurice Cusson, Nabi Youla Doumbia et Henry Boah Yebouet
Petit traité d’analyse criminelle
Rémi Boivin
Les réseaux criminels
Sous la direction de Rémi Boivin et Carlo Morselli
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: L’avenir du travail policier / Benoît Dupont, Anthony Amicelle, Rémi Boivin, Samuel Tanner, Francis Fortin.
Noms: Dupont, Benoît, 1972- auteur. | Amicelle, Anthony, 1983- auteur. | Boivin, Rémi, 1983- auteur. | Tanner, Samuel, 1975- auteur. | Fortin, Francis, 1974- auteur.
Collections: Collection Jean-Paul Brodeur.
Description: Mention de collection: Collection Jean-Paul Brodeur | Comprend des références bibliographiques.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210063599 | Canadiana (livre numérique) 20210063602 | ISBN 9782760644892 | ISBN 9782760644908 (PDF) | ISBN 9782760644915 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Police—Innovations. | RVM: Police—Pratique.
Classification: LCC HV7921.D87 2021 | CDD 363.2—dc23
Mise en pages: Folio infographie
Dépôt légal: 4e trimestre 2021
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2021
www.pum.umontreal.ca
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
Il est beau le progrès! Quand on pense que la police n’est même pas fichue de l’arrêter…
Pierre Dac
À la mémoire de Carlo Morselli, notre ami.
Préface
Patrouiller et enquêter dans une métropole où la criminalité est aussi évolutive et multiforme qu’à Montréal comporte son lot de défis quotidiens. On le sait, les policiers et les policières doivent s’adapter rapidement. La crise de la COVID-19 a d’ailleurs nécessité un ajustement quasi instantané. Néanmoins, on ne doit pas laisser le caractère fulgurant de cette situation inédite occulter le fait que les changements sont généralement plus lents et prévisibles, nous laissant le temps de déterminer nos orientations à la lumière des constats et analyses établis.
Certes, nous savions déjà que la radicalisation, la cybercriminalité, les contraintes procédurales et les algorithmes modifiaient le portrait de la criminalité et impliquaient de nouvelles façons de la combattre. En revanche, nous savions également qu’il nous fallait étoffer et documenter davantage notre perspective sur ces problématiques complexes.
Forte de ce constat, la Fraternité des policiers et policières de Montréal a demandé à des chercheurs du Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal de jeter un éclairage sur ces changements importants pour l’avenir du travail policier. Cette démarche s’est révélée très utile.
Le présent ouvrage enrichit nos réflexions et celles des autorités publiques, notamment en offrant un panorama pertinent des tendances et des réalités émergentes. Passant en revue les études publiées dans le champ en question, il avance de nombreux arguments pour une évolution soutenue des méthodes policières. Le très bas taux de déclaration des cybercrimes et l’augmentation importante du temps consacré aux tâches administratives en témoignent, tout comme le fait que les taux de criminalité déclarée soient loin de suffire à déterminer les besoins. Des réalités aussi fuyantes que la radicalisation méritent par ailleurs une attention toute particulière en cette ère des médias sociaux.
Fiers d’avoir permis au présent ouvrage de voir le jour, les policiers et policières de Montréal le considèrent comme un apport important à la réflexion que doit consacrer une société démocratique à l’évolution de sa police. Car, si, pour certains la sécurité est la première des libertés, tous conviennent minimalement de la nécessité de se donner les moyens de l’adapter aux défis de l’avenir.
Je tiens donc à remercier les chercheurs qui, de brillante façon, ont concouru à cet objectif.
Yves Francœur
Président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal
Introduction
Benoît Dupont
Dans un article publié il y a plus de quinze ans et consacré aux vagues de réformes ayant déferlé sur le Service de police de la Ville de Montréal entre 1987 et 2005, l’éminent criminologue Jean-Paul Brodeur (2005) mettait en parallèle le souci des organisations policières d’adapter leurs fonctions et leurs pratiques à un environnement politique et social en constante évolution – reprenant une approche trotskyste de la révolution, qui refuse de se contenter d’avancées minimes et énonce le besoin de poursuivre le changement une fois le pouvoir conquis. Loin de se réjouir aveuglément de cette propension des services de police à adopter à marche forcée des réformes importées parfois hâtivement de pays jugés à l’avant-garde, mais refusant par ailleurs de sombrer dans la critique systématique de toute tentative pour améliorer la qualité des services offerts à la population, Jean-Paul Brodeur procède à l’analyse rigoureuse des tensions qui rythment inévitablement les adaptations de l’institution policière aux soubresauts de son environnement externe. Son principal souci est de répertorier les pratiques permettant d’éviter un divorce désastreux entre les principes de sécurité et ceux de justice qui sous-tendent le travail policier dans les démocraties libérales.
Force est de constater qu’une telle démarche analytique reste d’une grande actualité face aux rapides et profondes transformations technologiques et sociales associées, depuis un quart de siècle, à l’avènement d’Internet et à la mondialisation des échanges. Le présent ouvrage rédigé à la demande de la Fraternité des policiers et policières de Montréal (FPPM) tente ainsi de mieux comprendre les principales tendances socio-techniques venant modifier le travail policier. À l’exception du rapport publié en 2014 par le Conseil des académies canadiennes sur les défis organisationnels que devaient relever les services de police au cours de la prochaine décennie (CAC 2014), aucun document, malheureusement, ne dresse, à l’heure actuelle, un portrait détaillé de ces tendances, qu’elles soient sociales, technologiques ou économiques. Pourtant, elles influencent et façonnent irrémédiablement les pratiques professionnelles au sein des institutions chargées de faire appliquer la loi et de garantir la sécurité des citoyens: dès lors, il est essentiel de documenter la nature de ces changements, ainsi que leur incidence anticipée sur les institutions policières dans les prochaines années.
Les auteurs du présent ouvrage sont tous affiliés au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, l’un des principaux regroupements de chercheurs spécialisés dans les phénomènes criminels et leur contrôle au nom de la sécurité. Ils y ont mis en place, depuis quelques années, des programmes de recherche ambitieux et novateurs sur la police, la sécurité, les stratégies de régulation et les nouvelles formes de déviance, et ont tenté, pour chacun de ces sujets, d’examiner en quoi l’accélération sans précédent des évolutions technologiques modifie les configurations traditionnelles du contrôle social. La collaboration avec la FPPM que l’ouvrage incarne vient donc consolider l’apport de ces recherches en proposant une analyse critique de cinq tendances émergentes étroitement associées à la révolution numérique qui secoue les sociétés occidentales: la radicalisation violente propulsée par les plateformes en ligne, l’avènement d’une cybercriminalité de masse, les nouvelles contraintes évaluatives du travail policier qu’ont générées les technologies numériques, l’explosion des médias sociaux et la nouvelle visibilité policière qui en découle, ainsi que l’automatisation du travail policier par les algorithmes. Pour chacune de ces tendances et des transformations qu’elles provoquent ou accélèrent, au sein des organisations policières comme sur le terrain au contact des citoyens, nous essayons de comprendre quelles nouvelles contraintes organisationnelles et professionnelles les accompagnent, quels nouveaux enjeux redéfinissent les contours du contrôle social, et quels effets contre-productifs émergent de ces configurations inédites.
Cet ouvrage se divise en cinq chapitres, rédigés chacun par un auteur qui mène depuis plusieurs années des recherches empiriques ciblées, ce qui explique les variations de style, de structure et d’approche. Cependant, une démarche commune les inspire tous, qui s’appuie sur une recension exhaustive de la documentation scientifique et professionnelle pour présenter les données quantitatives et qualitatives les plus significatives, examiner leurs répercussions actuelles et attendues sur les politiques et les pratiques policières, et discuter des modalités d’adaptation envisageables pour les organismes d’application de la loi.
Le premier chapitre dresse une vue d’ensemble des enjeux entourant le phénomène de la radicalisation appréhendé aussi bien sous l’angle de la cognition que dans le passage à l’acte. Loin de se limiter à une analyse de l’extrémisme violent centrée exclusivement sur le djihadisme, l’auteur prend également en considération d’autres déclinaisons du phénomène, comme les mouvements identitaires et les mouvements d’extrême droite. Le cadre de réflexion présenté s’applique tout autant aux études sur les groupes anticapitalistes et d’extrême gauche qu’aux mouvements antiféministes ou antispécistes. L’auteur explore le rôle que les organisations policières jouent dans la compréhension, la prévention et la régulation de la radicalisation. Tous les mouvements étudiés possèdent des dynamiques propres, bien distinctes les unes des autres, mais présentent un certain nombre de défis communs, notamment quant à l’anticipation sur les comportements radicaux et quant à leur prévention.
Le deuxième chapitre examine l’explosion de la cybercriminalité associée à la révolution numérique qui modifie en profondeur les relations économiques et sociales depuis un quart de siècle. Si les cybercrimes représentent maintenant près de la moitié des crimes commis dans les pays développés, l’expertise et les ressources policières mobilisées n’ont pas suivi la même croissance exponentielle. Les statistiques à propos de la cybercriminalité demeurent fragmentaires et manquent de fiabilité, ce qui ne favorise pas la redistribution des ressources policières que requiert une transformation aussi profonde de la délinquance. On peut toutefois discerner certaines tendances qui montrent la nécessité de renforcer considérablement l’expertise policière, aussi bien dans les unités d’enquête spécialisées que parmi les patrouilleurs en uniforme. Le rôle des partenaires du secteur privé et des organismes non gouvernementaux (ONG) dans la lutte contre la cybercriminalité est également un sujet susceptible de reconfigurer les paramètres de l’intervention policière.
Le troisième chapitre se penche sur les nouvelles contraintes procédurales et les outils d’évaluation venant encadrer le travail policier. Aucun métier ne suscite autant d’intérêt parmi la population que celui de policier, dont les représentations foisonnent dans la presse d’information et les œuvres de fiction. Pourtant, aucun n’est aussi encadré, que ce soit par les dispositions procédurales contenues dans le Code criminel canadien et la jurisprudence qui l’accompagne, par le Code de déontologie policière québécois ou encore par les règlements internes afférents aux procédures et à la discipline. La complexité de cet encadrement est accentuée par la forte pression qu’exercent les organisations policières depuis quelques années pour augmenter la productivité de leurs agents, parfois au détriment de leur autonomie. L’auteur examine la tendance à la quantification de chaque facette du travail policier, ainsi que les quatre dérives organisationnelles qui risquent d’en résulter: minimiser la complexité du travail policier, se focaliser sur le rendement plutôt que sur l’efficacité, dissuader les activités proactives, et encourager involontairement le profilage pour accélérer l’intervention policière.
Le quatrième chapitre analyse l’incidence des plateformes de médias sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn), omniprésentes dans notre quotidien, sur l’intervention policière. Cet effet est ambigu: d’une part, ces plateformes ont contribué à façonner un nouveau rapport à la visibilité et à la vie privée qui s’est traduit par l’accessibilité publique de vastes quantités de renseignements personnels continuellement mis à jour par les usagers. Les enquêteurs policiers peuvent consulter librement ces données, dont l’obtention aurait probablement été plus difficile il y a quelques années seulement. Mais si les médias sociaux permettent une collecte automatisée et à grande échelle du renseignement criminel, ils exposent aussi les policiers, qui en sont des utilisateurs tout aussi assidus que le reste de la population, à une visibilité accrue de leurs décisions professionnelles (systématiquement filmées et diffusées en ligne lorsqu’elles se déroulent en public), ainsi que de leur vie privée, visibilité qui peut motiver, à terme, des actes d’intimidation.
Finalement, le cinquième chapitre étudie l’incidence nouvelle des algorithmes sur le travail policier. En termes simples, un algorithme désigne une série d’instructions permettant de traiter de gigantesques quantités de données en vue d’obtenir un résultat. Les algorithmes permettent aux organisations d’augmenter considérablement le volume, la variété et la vélocité des données qu’elles collectent et qu’elles utilisent dans leurs différents processus de prise de décision. Après avoir présenté les implications générales de la diffusion des algorithmes dans les pratiques de surveillance et de renseignement, l’auteur montre comment on les utilise concrètement pour contrôler les flux de biens et de personnes ou les flux financiers, et passe au crible les promesses qu’ils renferment pour la police prédictive. Le chapitre se termine par une réflexion sur les points de friction qui se manifestent entre les attentes démesurées accompagnant généralement le déploiement des nouvelles technologies et la réalité de leur appropriation sur le terrain.
1. La police, le radicalisme
et l’extrémisme violent
Samuel Tanner
L’extrémisme violent provoque des bouleversements majeurs dans les sociétés qu’il frappe, sur le plan tant social et politique qu’en matière de santé publique. On observe une transformation des politiques publiques de sécurité, de prévention et de lutte contre le terrorisme, avec la mobilisation de nouveaux instruments et l’apparition de nouveaux acteurs de régulation dont les implications demeurent à évaluer. La manifestation de cet extrémisme force à l’action les organisations policières, dans un contexte où le socle de connaissances sur le phénomène est encore mouvant.
On envisage les attaques reliées à l’extrémisme violent comme le produit d’une radicalisation. Or, la notion de radicalisation, si elle exerce un fort impact sur le politique, nécessite une attention particulière pour saisir la réalité complexe qu’elle recouvre, autrement dit les dynamiques et les logiques par lesquelles elle est susceptible de mener à la violence. Présumant une dimension cognitive et un passage à l’acte dans son sens commun, la notion de radicalisation appelle à une analyse minutieuse.
Par ailleurs, la réflexion sur la radicalisation, tout comme sur l’extrémisme violent, cible encore largement le djihadisme. Une simple prise en considération de l’actualité révèle pourtant que d’autres déclinaisons et répertoires d’action s’observent dans nos sociétés, parmi lesquels les mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, les mouvements identitaires, anticapitalistes, antiféministes, les groupes aux préoccupations environnementales, les antispécistes ou, plus récemment, les mouvements citoyens s’opposant aux mesures sanitaires pour prévenir l’épidémie de COVID-19. Tous ces mouvements sont susceptibles de perturber le fonctionnement démocratique de nos sociétés. Pour y répondre, on met en place des politiques publiques de sécurité, de prévention et de lutte contre le terrorisme, dans un contexte où les connaissances sur ce phénomène sont encore embryonnaires et les ressources humaines, matérielles ou technologiques, encore limitées. Il est donc important de fournir une vue d’ensemble généraliste mais précise des enjeux entourant le phénomène de la radicalisation et de l’extrémisme violent, en examinant en particulier la question du rôle des organisations policières dans sa compréhension, sa prévention et sa régulation.
L’articulation entre radicalisation,
extrémisme violent et technologies numériques
Au cours des dernières années, la notion de radicalisation – forte d’une charge émotive mais aussi politique – a été mobilisée comme cadre d’appréhension et de compréhension de nombreux événements extrémistes qui ont marqué plusieurs sociétés. Or, dans son emploi de sens commun, cette notion est problématique puisqu’elle présuppose une transition automatique entre les deux axes qui la sous-tendent: la dimension cognitive et le passage à l’acte.
L’extrémisme violent est-il systématiquement le résultat d’une radicalisation? Et la radicalisation mène-t-elle automatiquement à l’extrémisme violent? Ces questions soulèvent des problèmes complexes qui nécessitent de distinguer les deux notions. Si l’extrémisme violent renvoie à une pensée dogmatique qui préconise des modes d’action violents (par exemple, dans le spectre de l’extrême droite ou du djihadisme), la radicalisation est plus complexe. Selon Crettiez et Sèze, celle-ci s’envisage comme:
[l]’adoption progressive et évolutive d’une pensée rigide, vérité absolue et non négociable, dont la logique structure la vision du monde des acteurs, qui usent pour la faire entendre de répertoires d’action violents, le plus souvent au sein de structures clandestines, formalisées ou virtuelles, qui les isolent des référents sociaux ordinaires et leur renvoient une projection grandiose d’eux-mêmes. Trois éléments fondent donc l’approche de la radicalisation: sa dimension évolutive, l’adoption d’une pensée sectaire, l’usage de la violence armée (2017: 10).
Ainsi, saisir la radicalisation – mais aussi l’extrémisme violent – pose un