DES HOMMES ORDINAIRES
Ailleurs, on n’appellerait pas la police pour
si peu. Mais dans ce quartier pavillonnaire de Créteil, en banlieue parisienne, les haies sont bien taillées, les passages piétons bien tracés et les poubelles bien alignées les jours de ramassage. Alors ce matin de juillet vers 8 heures, quand un honnête père de famille dépose son enfant à la crèche et remarque deux individus gantés dans une Clio noire dont la plaque d’immatriculation a été manifestement fixée à l’aide de ruban adhésif, il compose le 17. Des agents débarquent. À l’intérieur du véhicule, deux hommes: l’un vêtu tout de noir ; l’autre, cagoule baissée sur le cou et des boules de coton dans les oreilles. Inspection de l’habitacle : un téléphone, des bouchons antibruit, un boîtier GPS et, au pied du siège passager, un sac. Stupeur : celui-ci contient un pistolet Browning 9 mm chargé, ainsi qu’un silencieux bricolé avec un emballage de compote. La journée s’annonce longue...
Les deux suspects se laissent interpeller sans résistance. Ils remettent aussi leurs couteaux à cran d’arrêt puis déclinent leurs identités. Le chauffeur se prénomme Carl: il a 25 ans, une tête d’ange et un petit air sûr de lui ; le passager s’appelle Pierre: il a 28 ans, une moustache fine et les yeux tombants. Navrés, mais ils ne peuvent en dire plus. « Faut que j’attende de voir avec ma hiérarchie », déclare Carl. En l’occurrence, précise-t-il, la direction générale de la sécurité extérieure – la DGSE. Pardon ? Des espions ? La brigade criminelle prend le relais, seule habilitée à enquêter sur des opérations couvertes par le secret-défense. Durant son transfert, Pierre s’emploie à rassurer tout le monde : son contact au sein des services va les sortir de ce mauvais pas. D’ailleurs, il préfère devancer la question : si son camarade et lui se trouvaient là ce matin, c’est parce qu’ils étaient en mission « homo », pour homicide, comme on dit entre agents. Pour être tout à fait précis, ils devaient éliminer une espionne du Mossad...
Attendez une seconde : la DGSE ne mène pas d’attaques en France avec des CLIO VOLÉES et des emballages de POM’POTES, si ?
Nouveau moment de flottement. Attendez une seconde : la DGSE ne mène pas d’attaques en France avec des Clio volées et des emballages de Pom’Potes, si ? On dépêche quand même une équipe pour vérifier le profil de la « cible ». Elle s’appelle Marie-Hélène Dini, a 54 ans, des boucles grises et des pattes d’oie au coin des yeux. Elle mène une vie à peu près paisible de coach en entreprise, pratique l’hypnose et la programmation neurolinguistique, deux disciplines à la mode dans son secteur. Il y a bien des concurrents qui lui gâchent le plaisir mais c’est la vie des affaires. Ah si, un souvenir lui revient : en octobre 2019, deux malfrats l’ont agressée en pleine rue et lui ont volé son sac.
Pendant ce temps, l’interrogatoire des deux prétendus agents secrets se poursuit. L’un et l’autre travaillent bien à la DGSE où ils possèdent le modeste grade de caporal. Ils ont des alias – « Adelar » pour Carl et « Dagomar » pour Pierre – mais leur activité quotidienne n’a pas grand-chose à voir avec celle du ils passent l’essentiel de leur temps à surveiller l’entrée d’un camp militaire près d’Orléans. En tout cas, ils ne sont certainement pas autorisés à tuer de sang-froid au nom
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