Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le système financier international et les crises
Le système financier international et les crises
Le système financier international et les crises
Livre électronique1 251 pages7 heures

Le système financier international et les crises

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage analyse les causes de la fragilité et de l’instabilité du système financier international contemporain. Il applique cette analyse à l’étude des crises à caractère systémique des vingt dernières années, notamment la crise asiatique, la crise des subprimes et la crise de la Zone euro.
LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2013
ISBN9782312011554
Le système financier international et les crises

Lié à Le système financier international et les crises

Livres électroniques liés

Affaires pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le système financier international et les crises

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le système financier international et les crises - Jean-Marie Le Page

    000-0-000-00000-0

    Introduction

    Les crises financières qui se sont multipliées depuis trente ans sont le symptôme des dysfonctionnements majeurs du système économique mondial (à la différence des récessions qui font partie de « l’ordre des choses »). Elles révèlent donc les faiblesses de ce système. Dans cette perspective, cet ouvrage étudie trois aspects du système financier contemporain : ses déséquilibres et incohérences, le déroulement des crises qui en découlent ainsi que les explications théoriques au moins partielles que l’on peut donner de ces crises.

    Cet ouvrage est donc consacré à l’étude de l’architecture financière mondiale au sein de laquelle s’inscrivent la politique économique des États et les mouvements de capitaux.

    Le système financier international a fondamentalement changé depuis vingt-cinq ans. Deux évolutions majeures doivent être soulignées. Il s’agit de la « financiarisation » de ce système ainsi que de sa fragilité croissante. Nous reprendrons ces deux points dans une première partie avant d’aborder la question de la multiplication des crises financières internationales qui en résulte dans une deuxième partie.

    I Financiarisation et fragilité du système financier international

    La financiarisation est une caractéristique essentielle du système contemporain aussi bien au niveau interne qu’au niveau externe.

    Commençons par aborder la question du financement externe. Dans les années quatre-vingt, l’essentiel du financement externe était assuré par des crédits bancaires internationaux. Mais à partir de la décennie suivante, les financements faisant appel aux marchés financiers se sont multipliés. Les principaux bénéficiaires de ces prêts auraient dû être les pays émergents. Les pays émergents sont ceux qui sortent du sous-développement tout en conservant d’importantes faiblesses structurelles en matière de formation de la main-d’œuvre, d’infrastructures, de système bancaire, d’organisation des industries etc. Ces pays souffrent en principe, d’une insuffisance d’épargne domestique qui les oblige à recourir de façon massive au marché international des capitaux. Toutefois, certains pays comme la Chine d’aujourd’hui ne sont pas dans cette configuration et sont confrontés à un excédent d’épargne. Quoiqu’il en soit, cette financiarisation pose plusieurs problèmes cruciaux :

    - Globalement, les flux de capitaux se dirigent davantage vers les pays développés et plus particulièrement vers les marchés financiers des pays anglo-saxons. Les investisseurs recherchent en effet des produits à court terme, liquides et à rendements élevés. Or, les pays émergents ont besoin de capitaux à long terme et d’investissements directs qui constituent des placements peu liquides.

    - De plus, depuis 1980, les émissions de titres des pays émergents ont crû bien plus vite que les crédits bancaires syndiqués. Ces derniers ont généralement été supplantés depuis le début des années quatre-vingt-dix par les émissions obligataires et les financements par émissions d’actions. Mais ces types de financement par émission de titres sont souvent instables et à la merci des anticipations capricieuses des marchés financiers. Si l’on se fonde sur les statistiques du FMI (rapport sur la stabilité financière), les crédits syndiqués ne représentaient en 2012 que 34,5 % des financements extérieurs des pays émergents contre 49,2 % pour les financements par titres et 16,3 % pour les émissions d’actions. Et même si avec la crise financière internationale, le pourcentage des crédits internationaux était remonté à 64,6 % en 2008 (contre 11,9 % pour les actions et 23,4 % pour les émissions obligataires), cette remontée s’expliquait sans doute essentiellement par l’effondrement des marchés financiers. Quoiqu’il en soit, les supports de financement se sont diversifiés (obligations, bons du Trésor en monnaie nationale ou en devises, papier commercial etc.) ainsi que les créanciers.

    - C’est cette financiarisation de la dette extérieure qui favorise une diversité des créanciers très difficiles à coordonner ce qui semble avoir changé en profondeur le système économique international depuis les années quatre-vingts. Elle induit une certaine instabilité des flux de capitaux. Ainsi, après la crise asiatique, les capitaux internationaux ont massivement été rapatriés des pays émergents vers les pays occidentaux (phénomène de fuite vers la qualité). Une bulle financière s’est ainsi formée dans le monde développé. Son ampleur fut d’autant plus grande que beaucoup d’investisseurs ont surestimé les perspectives des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). La crise de confiance dans la sincérité des comptes de grandes entreprises, les doutes sur la reprise américaine et les tensions entre les États-Unis et l’Irak firent éclater cette bulle, ce qui provoqua la crise financière de l’année 2002. Cette dernière et les crises financières des pays émergents sont des phénomènes liés. En effet, les capitaux internationaux qui ont quitté les zones émergentes après la crise asiatique ont favorisé l’ampleur de la bulle spéculative sur les marchés financiers internationaux.

    De plus, le déroulement des crises boursières mondiales suggère comme dans le cas des pays émergents l’apparition de phénomènes nouveaux, le krach brutal tel qu’il avait pu se produire en 1929 ou 1987 paraissant être remplacé par une interminable érosion des cours sur fond de volatilité extrême. Dans le cas de la crise boursière de 2002, c’est la possibilité même de déterminer la valeur fondamentale de certains titres qui semblait remise en cause et l’on a retrouvé la même incertitude totale en 2008-2009 et en 2011. On note également qu’au cours de cette période puis durant la crise des subprimes, la transmission de la sphère financière à la sphère réelle s’est faite au travers de la brusque raréfaction des financements bancaires accordés aux entreprises.

    - Au cours de la décennie écoulée, les États des pays développés se sont considérablement endettés en particulier en faisant appel à l’épargne internationale. Selon l’OCDE, la dette brute des administrations publiques en pourcentage du PIB était ainsi de 69,2 % (57,3 % pour la France) dans la Zone euro en l’an 2000, de 85,7 % en 2010 (82,4 % en France) et de 92,8 % en 2012 (90,7 % en France)… Un tel endettement provoque un climat de défiance et a été à l’origine d’une forte hausse des taux d’intérêt pour les pays les plus endettés ou les plus fragiles (Grèce, Italie, Espagne, Irlande, Portugal).

    Sur le plan du financement interne, on remarque aussi que la financiarisation a été très marquée. Le graphique ci-dessous l’illustre clairement. Il montre que dans les 14 pays développés¹ dont les données de ce graphique sont issues, le rapport crédit global/masse monétaire n’a cessé de croître depuis les années cinquante. Ce phénomène traduit non seulement un accroissement de l’effet de levier financier mais aussi et surtout un développement de plus en plus marqué des ressources non monétaires des banques. Ces dernières ont de plus en plus fréquemment fait appel aux marchés financiers pour y trouver des ressources non monétaires.

    Figure 1 Évolution du rapport crédit/masse monétaire dans 14  économies développées de 1870 à 2008

    source du graphique : Figure 2 de l’article de M.

    Schularick

    et A. M.

    Taylor

    , « Credit Booms Gone Bust : Monetary Policy, Leverage Cycles and Financial Crises, 1870-2008 », American Economic Review, vol. 102, 2, 2012, page 1035.

    La financiarisation de l’économie a joué un rôle important dans le déroulement des crises non seulement pour les pays émergents mais aussi pour les pays développés puisque par exemple, dans le cas des prêts subprimes aux États-Unis, c’est la titrisation² de crédits immobiliers à des personnes à faible solvabilité qui a déclenché un processus baissier. En effet, cette financiarisation s’est souvent organisée sur la base de produits complexes et parfois mal maîtrisés par ceux qui les émettaient ou les achetaient… De plus, la financiarisation impliquait l’existence d’asymétries d’informations que les agences de notation étaient censées diminuer alors même que la fiabilité des jugements qu’elles portaient a souvent été remise en cause.

    Sous l’influence du développement des thèses libérales, la financiarisation s’est développée dans le cadre d’une globalisation financière caractérisée par trois éléments :

    - la flexibilité du taux de change

    - l’indépendance des banques centrales

    - la liberté des mouvements de capitaux.

    Un tel système a trois avantages³ :

    - il est automatique ;

    - chaque zone économique fixe sa politique monétaire ;

    - la masse des capitaux disponibles est tellement importante que la contrainte extérieure est desserrée en dehors des périodes de crise.

    Mais en contrepartie, un tel système est instable car il est peu régulé et soumis aux mouvements souvent erratiques des anticipations des opérateurs des marchés financiers.

    Pour toutes ces raisons, le nouveau système apparaît comme fragile. Depuis une vingtaine d’années en particulier, les crises financières internationales (dont les principales seront étudiées aux chapitres 3, 4 et 5) ont été nombreuses. La liste de ces crises est longue : faillite des caisses d’épargne américaines de 1987, crise mexicaine de 1994, crise asiatique de 1997, crise russe de 1998, crise brésilienne de 1999, crise turque de la fin de l’année 2000, crise argentine de 2001, scandales des firmes Enron et Worldcom, puis crise boursière en 2001-2002, nouvelle crise turque en 2006, crise des subprimes (qui fut de loin la plus grave) en 2007-2008, crise de l’euro en 2010-2011-2012.

    La fragilité du système financier international apparaît actuellement à plusieurs niveaux : dérégulation, accumulation spectaculaire des réserves de change, endettement extérieur considérable des États-Unis, importantes créations de liquidité et crises des dettes souveraines dans la zone euro. De façon plus précise, quatre types d’inquiétude font douter de sa solidité.

    - Les facteurs d’inquiétude liés aux grands déséquilibres sont aujourd’hui nombreux et seront étudiés principalement au chapitre 1. Il s’agit en premier lieu de la faiblesse du contrôle du système financier mondial, de l’instabilité des taux de change, des risques de guerre monétaire et du niveau élevé de l’endettement des États. Il s’agit aussi du problème du financement du déficit courant des États-Unis qui alimente les craintes de nombreux macro économistes et de la perspective d’une crise du dollar qui sera étudiée au chapitre 2.

    - De plus, comme on l’a vu, la fragilité du système financier mondial est liée non seulement aux excès de la dérégulation mais aussi à l’utilisation mal maitrisée d’instruments financiers complexes qui ont été des vecteurs de la financiarisation excessive des dettes internes et externes.

    - L’endettement de la première puissance économique mondiale est auto-destructeur ; ce thème sera développé également au chapitre 2. L’endettement des États-Unis engendre en effet une certaine défiance vis-à-vis de la monnaie américaine qui est pourtant la principale réserve de valeur de l’économie mondiale. De plus, il est paradoxal dans la mesure où ce sont les pays émergents qui détiennent la plus grande partie des réserves de change mondiales et financent les pays industrialisés.

    - Un autre facteur de fragilité est la mise en œuvre de politiques monétaires d’assouplissement quantitatif qui, en créant des excès de liquidité, favorisent l’apparition de bulles spéculatives.

    Aussi la notion de risque de système qui désigne le danger d'existence d'un effet de domino dès lors qu’une crise financière apparaît en une région du monde développé ou émergent est-elle souvent évoquée dans la littérature économique⁴.

    II La multiplication des crises

    D'entrée de jeu, la question du risque systémique actuel est indissociable de la fragilité apparente du système financier mondial qui vient d’être évoquée. Les crises récentes révèlent la vulnérabilité de l’architecture financière car, dans le contexte actuel, elles ont le plus souvent présenté un caractère global. De plus, avant même le début de la crise actuelle, la fréquence de ces crises financières (qu’il s’agisse de crises de change, de crises bancaires ou de crises mixtes) avait doublé depuis la période de Bretton-Woods. Définie par le nombre de crises divisé par le nombre d’années lui-même multiplié par le nombre de pays pour chaque période, cette fréquence est passée de 6 % après la Seconde Guerre mondiale à 12 % de 1973 à 1997⁵. Deux économistes du FMI ont de même dénombré 124 crises bancaires entre 1970 et 2007 !⁶ Quant aux crises boursières qui ont été très rares dans les années cinquante, soixante et quatre-vingt-dix, elles sont réapparues dans les années 2000 avec deux crises importantes, la crise Internet et sa prolongation jusqu’en 2002 ainsi que la crise des crédits hypothécaires à risque dits subprimes elle aussi prolongée par celle des dettes souveraines. En tout état de cause, on peut considérer qu’il y a aujourd’hui une crise financière tous les quatre ou cinq ans.

    Il semble que les crises financières qui se multiplient depuis vingt ans soient l’aboutissement de nombreux déséquilibres financiers qui seront abordés dans les six chapitres : mouvements de capitaux spéculatifs incontrôlés, dérégulation, création de produits financiers trop sophistiqués, endettement excessif de certains agents économiques, utilisation à grande échelle des opérations hors bilan et désordre monétaire international.

    Cet ouvrage aborde donc finalement le thème de l’instabilité du système financier international contemporain en deux grandes étapes.

    Dans une première partie, consacrée à ce que l’on appelle la globalisation financière, nous étudierons les fragilités du système financier international contemporain, la question du dollar, les spécificités de ce financement international, les problèmes de l’ajustement de l’épargne et de l’investissement ainsi que les mouvements internationaux de capitaux d’aujourd’hui (chapitres 1 à 3).

    Nous rappellerons dans une deuxième partie le déroulement des grandes crises financières que le monde a connues depuis les années quatre-vingt aussi bien dans les régions émergentes que dans le monde occidental. Les liens entre les crises des pays émergents et les crises boursières seront soulignés à cette occasion (chapitre 4). La crise des subprimes qui fut la plus grave défaillance du système financier et économique depuis la grande dépression de 1929 sera étudiée au chapitre 5 et la crise des dettes souveraines qui la prolongea au chapitre 6.

    Chapitre I

    Globalisation financière et fragilité du système économique mondial

    Le monde actuel est caractérisé par une libéralisation quasi totale des mouvements de capitaux ; c’est pourquoi le terme de globalisation financière est si souvent employé pour le décrire. Cependant, des déséquilibres majeurs menacent en permanence la situation économique mondiale. Nous commencerons par définir la globalisation financière avant d’étudier les facteurs financiers puis réels de fragilité du système mondialisé.

    1. Les trois aspects de la globalisation financière

    La globalisation financière a trois dimensions : la désintermédiation, le décloisonnement et la déréglementation. Les deux premiers phénomènes n’ont cessé de progresser ; seul le troisième connaît un coup d’arrêt depuis la crise des subprimes qui fait l’objet du chapitre 5. Reprenons ces différents points.

    1.1 La désintermédiation

    On a observé depuis plus de deux décennies à une désintermédiation générale en ce sens que les agents économiques ont eu de plus en plus la possibilité de faire appel à des financements directs, sans être obligés de passer systématiquement comme il y a quelques années par des intermédiaires financiers. Par exemple, une entreprise choisira fréquemment si elle dépasse une certaine taille de financer un projet en faisant appel au marché euro-obligataire. Sur ces marchés, sont émis des titres de créance par un syndicat de banques internationales. Ils sont libellés dans la monnaie de l’emprunteur ou dans une autre devise. L’avantage de ce type de financement par rapport au crédit est qu’aucune contrainte de bilan (sous forme de ratios) n’est imposée à l’emprunteur. La seule obligation est le paiement des intérêts. Outre la légèreté de leur réglementation qui fragilise sans doute la finance internationale, ces marchés sont exemptés de taxes ; de plus, les souscriptions d’euro-obligations sont anonymes. Tous ces facteurs favorisent leur forte expansion. Il est vrai que ces marchés sont sélectifs : ils sont réservés à des emprunteurs présentant un faible risque. En raison du succès des émissions obligataires, les prêts ne représentent plus (en dehors de périodes exceptionnelles comme en 2008) qu’un pourcentage évoluant dans une fourchette de 30 à 45 % des financements extérieurs annuels des pays émergents.

    On notera aussi que les banques n’échappent pas à la désintermédiation puisqu’elles développent depuis les années quatre-vingts leurs activités de placement de titres.

    1.2 Le décloisonnement

    Les marchés financiers sont, en deuxième lieu, largement décloisonnés. On peut même dire que les marchés financiers, des changes, des options etc.… ne sont plus que des sous-ensembles d’un marché financier mondial. Il y a un continuum des opérations financières du court au long terme et des crédits en monnaie domestique aux crédits en devises⁷. Dès lors, tout déséquilibre apparu dans un compartiment de cet ensemble global contamine les autres compartiments. Le décloisonnement facilite donc la diffusion de tout événement apparu dans un compartiment des marchés financiers. Par exemple, la baisse des investissements directs dans les pays émergents constatée après la crise asiatique n’était pas sans lien avec les difficultés rencontrées par les monnaies d’un certain nombre de ces pays. De même, les difficultés du secteur immobilier américain à partir de 2007 ont affecté l’ensemble des marchés financiers au bout de quelques semaines. On peut également citer l’interdépendance entre le risque souverain et le coût du financement bancaire⁸. Ainsi, une montée des taux sur les obligations souveraines provoque des pertes sur les portefeuilles bancaires, diminue la valeur de leurs collatéraux pour obtenir des financements sur les marchés et fragilise les dispositifs étatiques de soutien au financement des banques. La globalisation financière permet aussi à des pays de supporter pendant des périodes anormalement longues des déficits de balances de paiement sans qu'un mécanisme correcteur soit enclenché. C'est ainsi qu'à la fin du vingtième siècle, la position extérieure nette des États-Unis était de l’ordre de -1 300 milliards de dollars. La situation a continué à se dégrader par la suite. En 2010, cette position extérieure nette atteignait -2 581 milliards de dollars, soit 18 % du PIB américain⁹.

    1.3 La déréglementation

    Historiquement, les périodes de faible contrôle des marchés et des mouvements de capitaux ont été associées à une fréquence élevée des crises financières, en particulier bancaires. En se contentant de remonter au début du XXe siècle et en se concentrant sur les seules crises bancaires au sein d’un échantillon de 66 pays, on constate que les périodes caractérisées par la multiplication des crises furent la panique de 1907, la Première Guerre mondiale, la crise de 1929, puis la période commençant au début des années soixante-dix jusqu’à nos jours¹⁰. Au contraire, au cours de la période des Trente Glorieuses, il y eut un nombre très faible de crises bancaires en raison non seulement de la vigueur de la croissance mais aussi d’un contrôle strict des marchés financiers et des mouvements de capitaux. Un puissant mouvement de déréglementation s’imposa dans la période suivante. La déréglementation a été une caractéristique majeure de l’évolution du capitalisme à la fin du vingtième siècle. L’ouverture des marchés financiers japonais à partir de 1983-84, la création d’un marché unique des capitaux en Europe communautaire en 1990, l’explosion des produits dérivés, l’abandon aux États-Unis en 1999 du célèbre Glass-Steagall Act de 1933 qui séparait totalement les activités de banque commerciale de celles de banque d’investissement sont des illustrations spectaculaires de cette tendance générale. La libéralisation financière a entraîné presque partout la suppression du contrôle des changes et la liberté de circulation des capitaux à court terme. Or, une telle liberté n'est évidemment pas compatible avec une politique monétaire autonome et des changes stables (triangle d'incompatibilité de Mundell). Ainsi, les pays du système monétaire européen qui ont essayé comme la France, la Grande-Bretagne et l'Italie de conserver une politique monétaire autonome en 1992-93 ont été confrontés à une spéculation contre leur monnaie qui les a obligé soit à abandonner l'autonomie de leur politique économique (France), soit à quitter le système monétaire européen (Italie, Grande-Bretagne).

    ENCADRÉ 1.1

    Le triangle d’incompatibilité de Mundell

    Selon l’économiste canadien Robert Mundell (Prix Nobel de l’année 1999), une zone économique ne peut bénéficier simultanément de la fixité du taux de change, d’une politique monétaire autonome et d’une liberté totale des mouvements de capitaux. Imaginons qu’un pays souhaitant bénéficier d’un taux de change stable et pratiquant une totale liberté des mouvements de capitaux veuille conserver l’autonomie de sa politique monétaire. S’il tente de la resserrer dans ce contexte, il provoque des entrées de capitaux (à cause de la hausse des taux d’intérêt) qui aboutissent à une expansion de la masse monétaire. Et si la Banque centrale vend des devises pour stériliser les entrées de capitaux, elle induit une appréciation du taux de change.

    Sur le plan interne, la déréglementation a favorisé le développement de la finance de marché qui a permis globalement d’accorder avant la « crise des subprimes » 32 dollars de crédit pour chaque dollar de capital là où la banque traditionnelle prêtait environ 12 dollars pour chaque dollar de capital¹¹. De même, les banques ont pris l’habitude de créer des véhicules logés hors bilan pour échapper à la réglementation et développer des produits financiers complexes comme les célèbres CDO qui ont joué un rôle majeur dans la crise financière de 2007-2008 comme nous le verrons au chapitre 5.

    On a toutefois assisté depuis 2010 à un recul de la déréglementation aussi bien avec les accords de Bâle III qui renforcent les fonds propres des banques qu’avec la loi Dodd-Frank sur la réforme financière votée aux États-Unis (voir chapitre 5) ou avec l’accord européen du 2 septembre 2010 entre les États, la Commission et le Parlement sur la nouvelle supervision financière (chapitre 6).

    En résumé, on peut affirmer que la globalisation financière a fragilisé le système financier global : la déréglementation en affaiblissant les contrôles de bilan et de solvabilité assurés auparavant par les banques, le décloisonnement en renforçant l’interdépendance de tous les compartiments des marchés ce qui favorise les phénomènes de contagion et la désintermédiation en favorisant un développement excessif d’une finance de marché peu surveillée. Cette dernière repose d’ailleurs de plus en plus sur des activités hors bilan.

    La globalisation financière n’est cependant pas le seul facteur de fragilisation de l’économie mondiale. Elle ne fait qu’amplifier des risques qui se sont greffés sur une structure financière mondiale déséquilibrée. On constate également que des éléments réels accroissent les risques à caractère systémique.

    2. Les facteurs de fragilité financière et réelle du monde contemporain

    Ces facteurs de fragilité sont nombreux. Nous distinguerons ici l’anarchie des régimes de change, le risque permanent de guerre des monnaies, la financiarisation des déficits des balances des paiements, l’évaluation des performances économiques des États, les pratiques abusives de marché, la question de la fiabilité des agences de notations ainsi que des normes comptables. Nous soulignerons aussi le fait que la répartition très inégale de l’épargne internationale aboutit à un partage paradoxal des capitaux internationaux alors même que l’endettement des grandes économies (à l’exception de la Chine) leur retire d’importantes marges de manœuvre.

    2.1 L’anarchie des régimes de change

    Depuis mars 1973, le régime des changes fixes a été abandonné dans la mesure où les banques centrales n’intervinrent plus lorsque le cours de leur monnaie s’écarta de plus de 2,25 % par rapport au cours pivot officiel vis-à-vis du dollar. En ce sens, on parle en général dans les manuels d’un flottement généralisé des monnaies. Cette situation appelle plusieurs commentaires.

    En premier lieu, les avantages présupposés du flottement des monnaies (parités déterminées par le marché et non par des décisions des banques centrales, disparition des interventions de ces dernières, autonomie de la politique monétaire, autolimitation des phénomènes spéculatifs) n’ont pas toujours été confirmés par les faits¹². À l’exception de la BCE qui n’est intervenue qu’une fois (à l’automne 2000, lorsque l’euro ne valait plus que 0,85 dollar), les banques centrales ont souvent été actives sur le marché des changes, notamment pour éviter une trop forte appréciation de leurs monnaies. Les interventions de la Banque centrale du Japon pour empêcher une forte hausse du yen ont par exemple été massives en 2003 et 2004 et ont repris le 15 septembre 2010 (pour la première fois depuis mars 2004). Ce jour-là, le Japon intervint à hauteur de 25 milliards de dollars, ce qui constituait un montant record. Il intervint de nouveau le 4 août 2011 en achetant 59 milliards de dollars en une seule séance et le premier novembre 2011 en achetant 100 milliards de dollars. Une nouvelle intervention eut lieu en février 2012 lorsque la Banque du Japon racheta pour 10 000 milliards de yens d’actifs ce qui fit provisoirement reculer la monnaie japonaise. De même, de nombreux dragons d’Asie ainsi que d’autres pays émergents comme le Brésil ont acquis en 2009-2010 des quantités considérables de dollars pour enrayer la hausse du cours de leurs monnaies. Dans ce contexte, on assiste à une très forte accumulation des réserves de change qui ont atteint en 2011 environ 15 % du PIB mondial s’accroissant au rythme de 16 % par an¹³ pour atteindre plus de 11 000 milliards de dollars dès le premier trimestre de 2013. Ces réserves dont les deux tiers sont en dollars sont aux deux tiers également concentrées dans les pays émergents. Quant à la thèse de la spéculation stabilisatrice de Milton Friedman¹⁴ selon laquelle des cours élevés incitent à la vente et des cours bas à l’achat, elle ne semble guère vérifiée. Le mimétisme qui règne sur les marchés pousse en effet beaucoup d’opérateurs à amplifier les hausses en achetant les devises dont les cours montent et à vendre celles dont la valeur diminue. Il en résulte une volatilité importante sur le marché des changes qui peut affecter négativement les stratégies des entreprises exportatrices (cas, par exemple, de l’industrie aéronautique ou des composants électroniques lorsque l’euro s’apprécie fortement).¹⁵ De même, le mouvement de ces monnaies peut entraver l’efficacité de la politique économique (donc son autonomie) lorsqu’elle est procyclique.¹⁶ Ce fut le cas de l’euro en 2000 (forte dépréciation) ou à l’automne 2010 (forte appréciation).

    En deuxième lieu, l’instabilité du système est sans doute favorisée par la diversité des régimes locaux de change (en dehors du flottement des grandes monnaies). Ainsi, en 2012, selon les statistiques du FMI, en allant vers une flexibilité croissante du taux de change, on constatait que¹⁷ :

    13 pays utilisaient la monnaie d’un autre (Équateur, Salvador, Panama, Zimbabwe…), 12 une caisse d’émission¹⁸ (comme la Bulgarie, la Bosnie…), 68 un taux de change fixe (pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’ouest, Argentine, nombreux pays producteurs de pétrole), 16 un ancrage sur une autre monnaie avec une bande de fluctuation, 15 un ancrage glissant ou assimilé¹⁹ (crawling peg comme dans le cas de la Chine ou de l’Argentine), 24 un régime intermédiaire entre l’ancrage glissant et le flottement impur (comme Singapour) 35 un flottement administré (Brésil, Indonésie, Singapour, Roumanie …) et 31 un flottement pur (pays de la zone euro, Royaume-Uni, Canada, Australie etc.).

    Il existe donc un très grand nombre de régimes de change et nul ne peut dire quelle est la logique d’ensemble de ce système qui ne comporte guère de régulateur… On peut craindre que l’instabilité des changes qui semble en résulter ne favorise dans certains pays émergents les phénomènes d’insolvabilité (par exemple dans le cas des agents débiteurs d’une devise forte et créditeurs d’une devise faible) et/ou d’illiquidité (par exemple lorsque les pertes de réserves de change diminuent ou ralentissent la création de monnaie centrale).

    2.2 Le risque permanent de guerre des monnaies

    En raison de leur sous-développement financier et de leur importante épargne excédentaire, certains pays d’Asie se sont lancés dans des politiques de change favorables à leurs exportations. La sous-évaluation du yuan a ainsi été un moyen pour la Chine de conquérir des marchés extérieurs. La réforme du régime de change de juillet 2005 a cependant provoqué une appréciation de 21 % en trois ans du yuan avant une stabilisation provisoire autour d’une valeur de 6,8, ce qui était sans doute insuffisant… Du milieu de l’année 2008 à juin 2010, le yuan fut indexé sur le dollar (avec une parité fixe de 6,83 yuans contre un dollar). Depuis, il put fluctuer de 0,5 % par rapport à un cours pivot que la Chine fixa initialement à 6,79 puis 6,7 puis 6,6 à partir de septembre 2010. Ce processus aboutit à un cours légèrement inférieur à 6,4 en octobre 2011 et à environ 6,3 au début de 2012. La marge de fluctuation du yuan par rapport au dollar passa alors à 1 % à partir de la mi-avril 2012 et il est clair que la Chine passera bientôt à une marge de flottement de 1,5 %, voire de 2 %. Le cours du yuan était ainsi inférieur à 6,15 dès le second semestre 2013. Cela ne représentait qu’une appréciation supplémentaire d’environ 10 % depuis juin 2010, mais de 30 % depuis 2005. La sous-évaluation du yuan est donc, selon le FMI, désormais modérée. La Chine a échappé dès les années quatre-vingt-dix aux crises de change en imposant un contrôle des capitaux qui devaient en tout état de cause prendre la forme d’investissements directs par nature non volatils. Elle a ainsi évité le piège du triangle d’incompatibilité de Mundell en privilégiant les pôles autonomie de la politique monétaire – stabilité du taux de change.

    De la même manière, le Japon a souvent utilisé l’arme du taux de change pour tenter de stabiliser sa croissance. De 2002 à 2004, il acheta ainsi des quantités considérables de dollars. Cette stratégie lui permit d’éviter l’appréciation du yen au moment où son économie redémarrait lentement et où la Fed baissait son taux directeur de 6,5 % début 2001 à 1 % à la mi-2003. Ce n’est qu’à partir de juin 2004 que l’institut d’émission américain a relevé ses taux (cinq fois en 2004, sept en 2005 et quatre en 2006 pour atteindre le niveau de 5,25 % en juin de cette même année 2006). À partir de 2005, les achats de dollars sont donc devenus moins nécessaires et le taux de change effectif réel du yen a poursuivi sa baisse quasi-ininterrompue du début du XXIe siècle à 2009. Cette évolution a permis au Japon de gagner des parts de marché dans des secteurs industriels clé comme l’automobile. Par exemple, Toyota reconnaissait en juin 2007 que chaque baisse d’un point de pourcentage du yen par rapport à l’euro accroît sa marge opérationnelle de 5 milliards de yens (30 millions d’euros à ce moment-là). Or, au seul premier trimestre 2007, l’euro s’était encore apprécié de 10 % par rapport à la devise nippone … En 2009, la hausse du yen par rapport au dollar fut substantielle jusqu’en décembre et se poursuivit en 2010. Le Japon fut alors tenté par de nouvelles interventions sur le marché des changes, ce qu’il fit en achetant massivement des dollars en septembre 2010 pour tenter d’enrayer cette hausse. Il recommença le 4 août 2011 en achetant 59 milliards de dollars en une seule séance pour mettre fin à la hausse du yen qui était proche de son niveau record de 76 yens pour un dollar. L’opération fut reconduite le premier novembre 2011 ; cette fois, ce sont 100 milliards de dollars qui furent achetés par la banque centrale du Japon ! Une nouvelle intervention eut lieu en février 2012. En décembre 2012, dès son entrée en fonction, le nouveau gouvernement japonais dirigé par Shenzo Abe réclama une baisse du yen en menaçant l’indépendance de la Banque du Japon (BoJ) si cette dernière ne prenait pas d’énergiques mesures aboutissant à ce résultat. En avril 2013, l’institut d’émission japonais décida ainsi de doubler le volume de la monnaie centrale en 24 mois en accroissant ses achats d’obligations d’État de toutes maturités jusqu’à 40 ans et en acquérant davantage d’actifs risqués tels que des fonds cotés en bourse ou des fonds immobiliers. Le yen avait pourtant déjà perdu plus en avril 2013 de 20 % de sa valeur face au dollar et à l’euro en cinq mois.

    2.3 La financiarisation des déficits de balance des paiements

    La forte financiarisation du financement des déficits de balance des paiements des pays émergents est un autre aspect fondamental du système financier contemporain. Ces pays ont fait de plus en plus appel à un financement obligataire au détriment du crédit bancaire qui représentait toutefois la moitié de la dette des emprunteurs privés de pays émergents à la fin du vingtième siècle.

    Or, les marchés financiers sont volatils et très sensibles aux mouvements internationaux de taux d’intérêt (risque de Sudden Stop, voir encadré ci-dessous). Dès que la situation financière mondiale devient plus incertaine, on assiste en premier lieu à une fuite des capitaux. À l’automne 2008, des pays comme l’Ukraine, la Pologne, la Hongrie ont par exemple souffert quand la crise financière s’aggrava et que le ralentissement économique mondial devint une certitude. L’Ukraine dont le déficit courant atteignait 7,2 % de son PIB obtint ainsi un prêt de 16,5 milliards de dollars du FMI de même que la Hongrie dont le déficit des comptes extérieurs était de 5,5 % de son PIB.

    ENCADRÉ 1.2

    Le Sudden Stop

    La libéralisation financière a abouti au placement de nombreux titres sur les marchés financiers. Dès lors, le financement des administrations et des entreprises de ces pays est désormais soumis aux brusques retournements des flux de capitaux²⁰. Selon Guillermo Calvo, au cours de la deuxième crise mexicaine, les sorties de capitaux ont ainsi atteint 6 % du PIB alors que les afflux de capitaux entre 1989 et 1994 avaient représenté 27,1 % de la production globale ! Ce phénomène de sudden stop est fréquent dans les pays émergents comme on l’a encore vu au cours de la crise financière mondiale où les pays émergents ont été victimes d’importantes fuites de capitaux entre l’automne 2008 et le printemps 2009²¹. L’arrêt brutal des entrées de capitaux à l’origine de difficultés de financement insurmontables pour les budgets publics des pays concernés. Une telle instabilité est favorisée par l’imperfection de l’information sur l’état de leur économie. D’où l’existence de comportements mimétiques due à l’extrême concentration des flux de capitaux sur un tout petit nombre de pays. Selon Bachellerie et Couillaud (2005), au cours des périodes normales, la moitié des émissions de titres publics ont été concentrées à la fin du XXe siècle sur le Brésil, le Venezuela, le Mexique et l’Argentine… Des travaux récents²² ont montré que le sudden stop est plus fréquent dans les pays où le rapport du déficit du compte courant à l’absorption ainsi que la dollarisation des crédits sont élevés. La contraction qui suit un tel phénomène est généralement sévère, de l’ordre de 10 % de baisse entre le pic et le creux. Ce type de récession évolue en fonction de l’interaction de deux facteurs : la dollarisation de l’économie et la dépréciation du taux de change réel (qui favorise une forte inflation, de l’ordre de 63 % dans l’étude citée de Calvo, Izquierdo et Talvi, au moment de la contraction).

    Inversement, dès que les inquiétudes du marché s’éloignent comme ce fut le cas pour les pays émergents à partir du printemps 2009, certains pays emprunteurs sont submergés par des entrées massives de capitaux. C’est ainsi que 47 milliards de dollars affluèrent sur les marchés d’actions de l’Inde, des Philippines, de la Thaïlande, de l’Indonésie et de Taïwan au cours des trois premiers trimestres de l’année 2009. De même, en 2010, des masses de capitaux à court terme furent investies en Asie (et au Brésil) en raison de la faiblesse des taux d’intérêt dans les pays occidentaux. Les monnaies de ces pays s’apprécièrent en conséquence de 10 à 15 %. C’est pourquoi le Brésil décida alors d’instaurer une taxe de 6 % sur les transactions financières des investisseurs étrangers portant sur le marché obligataire. Entre 2003 et 2011, la valeur du real doubla par rapport au dollar, ce qui favorisa une certaine désindustrialisation du pays… Mais lorsqu’à partir du mois de juin 2013, des rumeurs d’arrêt ou du moins de réduction du quantitative easing américain commencèrent à se répandre, de nombreux capitaux commencèrent à quitter brutalement l’Inde, les Philippines, l’Afrique du Sud, le Mexique ou le Brésil. Les taux d’emprunts de ces pays se tendirent et les cours de leurs devises diminuèrent sensiblement.

    En second lieu, les périodes d’instabilité financière s’accompagnent d’une montée sensible du risque-pays. Ce dernier désigne la prime de risque intégrée aux taux d’intérêt que doivent accepter de payer les pays emprunteurs. Concrètement, il s’agit de la prime de rendement (spread) que doivent offrir les obligations d’un pays émergent ou un pays en difficulté de financement par rapport aux obligations du Trésor américain. De 1990 à 2005, la prime de risque composite des pays émergents a évolué dans une fourchette de [300-1700] points. Par la suite, cette prime est descendue pendant deux ans environ à des niveaux généralement inférieurs à 300 points : l’indice EMBI global qui mesure le spread moyen par rapport aux emprunts d’État américains n’était plus que de 171 à la fin de 2006 et de 255 à la fin de 2007. Cependant, au cours de l’aggravation de la crise financière à l’automne 2008, la prime de risque augmenta fortement. Elle atteignit 449 points à la fin du mois de septembre 2008 et même 850 points au-dessus des bons du Trésor américain à la fin du mois d’octobre 2008. Mais son niveau revint à 294 points en 2009 et même 266 points en 2012. De nouvelles tensions apparurent à partir du mois de juin 2013 lorsque les marchés anticipèrent la fin prochaine du quantitative easing américain. Des pays comme le Mexique, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud qui avaient craint quelques années auparavant que la guerre des monnaies entre les grandes puissances n’aboutisse à une appréciation trop forte de leur propre devise commencèrent à redouter une fuite des capitaux. De mai à août 2013, le cours de ces monnaies baissa ainsi fortement : - 20 % en Inde, - 17 % au Brésil, , - 14 % en Indonésie, -13,5 % en Afrique du Sud, -11,9 % en Turquie et - 8,5 % en Malaisie. La banque centrale indienne, confrontée à de fortes sorties de capitaux dans un contexte de déficit de la balance courante et de situation budgétaire délicate, décida par exemple en août 2013 de réduire la liquidité bancaire par des rachats de bons du Trésor à moins d’un an pour faire remonter la roupie qui avait perdu 13 % de sa valeur depuis le début de l’année. De même la banque centrale turque confrontée à une inflation supérieure à 8 % et à une fuite de capitaux comparable à celle dont souffraient le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud commença-t-elle à relever ses taux directeurs en juillet et août 2013. À la fin du mois d’août 2013, la banque centrale brésilienne qui avait déjà augmenté plusieurs fois son taux directeur depuis le début de l’année annonça à son tour un programme de vente de 54 milliards de dollars pour soutenir le real.

    L’amélioration des conditions financières dont les pays émergents avaient généralement bénéficié avant la crise financière mondiale de 2007-2008 n’était pas due au hasard. À partir de 2004, la mise en œuvre de politiques monétaires et fiscales plus orthodoxes ainsi que l’explosion du prix des matières premières (dont les prix avaient parfois doublé depuis le début du siècle) avaient permis à ces pays de bénéficier de soldes courants positifs et d’accroissements spectaculaires des réserves de change. En 2006, seules l’Europe de l’Est et la Turquie avaient des soldes courants déficitaires parmi les pays émergents. Les soldes courants positifs de la Russie et des dragons d’Asie dépassaient 6 % du PIB. Même l’Amérique latine qui a éprouvé tant de difficultés dans ce domaine au XXe siècle est devenue excédentaire en ce début de XXIe siècle. Mais cet équilibre était fragile. Ainsi, au printemps 2006, avec les incertitudes sur l’orientation de la politique monétaire américaine, en février-mars 2007, avec le début de la crise des prêts immobiliers américains à haut risque et au printemps 2007, avec la brusque remontée des taux longs aux États-Unis, la prime de risque avait (certes faiblement) remonté avant de reprendre une tendance baissière. La nouvelle remontée de cette prime à l’automne 2008 correspondit à l’aggravation de la crise financière internationale et au brusque assèchement des entrées de capitaux dans certaines économies émergentes. Les conséquences de ces retraits se firent sentir sur les taux de change de pays comme les pays baltes (dont les déficits courants dépassaient 15 % du PIB), la Hongrie, la Pologne ou la République tchèque.

    La prime de risque atteint

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1