L'univers des marques politiques: Stratégies médiatiques et techniques de mobilisation
Par Nicolas Baygert et Loïc Nicolas
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À propos de ce livre électronique
Les personnalités politiques sont-elles des marques comme les autres ? Dans quelle mesure est-il riche et fécond de les penser comme telles – c’est-à-dire de façon métaphorique ? La situation est-elle identique en Europe et aux États-Unis ? Est-ce un simple effet de mode ou le reflet d’une dynamique plus profonde ? Comment s’opère l’importation, d’une part des concepts, d’autre part des techniques et des outils propres au marketing commercial, à l’intérieur du champ politique ? Quelles sont les conséquences de cette importation sur les comportements électoraux, les partis et, en fin de compte, sur l’espace démocratique lui-même ? Les idéologies ont-elles encore leur place et leur pertinence dans l’univers des marques politiques ? Autant de questions qui sont au coeur de ce cinquième numéro des Cahiers PROTAGORAS. Dès lors, sur la base de cas concrets et à partir d’un arsenal théorique toujours solidement étayé, les études réunies ici s’attacheront à analyser les évolutions, permanences et tendances fortes de la communication politique et de ses artisans – les « fabricants de messages ». Les stratégies et les méthodes (qu’elles soient nouvelles ou non) de ces derniers feront l’objet de réflexions de fond capables de relever la valeur autant que la logique de la métaphore initiale. On verra alors que les marques politiques peuvent représenter – au moins dans une certaine mesure – un moyen de faire émerger du sens là où celui-ci, de plus en plus, paraît vacant.
Découvrez ce nouveau numéro des Cahiers Protagoras sur les marques politiques, leur dynamique et la place qu'elles occupent dans les sociétés démocratiques.
EXTRAIT
Les marques politiques ont ainsi vocation à investir la dimension relationnelle ainsi que l’imaginaire du citoyen-consommateur, ce dernier recherchant moins un projet politique découlant d’une conviction qu’un univers, une expérience le connectant à une communauté de consommateur. C’est ce caractère affectif et émotionnel – comme propriété supplémentaire de la marque politique – qui nous intéresse ici, dans ce qu’elle apporte au réenchantement global du politique par la consommation. De fait, l’émotion, qu’elle soit positive ou négative, déclenche des réactions, conduit les électeurs à sélectionner les informations qu’ils jugent pertinentes et légitimes de leurs choix (Marcus 2002).
Le marketing s’intéresse depuis longtemps au caractère affectif des marques (les consommateurs se prononçant, en partie, affectivement sur les marques, en convoquant différents registres : rationnel (en répondant à un argumentaire), émotionnel (en répondant à une séduction). L’émotion doit ici remplir le rôle de médium entre la marque et ses consommateurs. L’objectif est de mobiliser de manière durable.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Nicolas Baygert et Loïc Nicolas sont tous deux membres du laboratoire d’idées PROTAGORAS rattaché à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales – IHECS (Bruxelles).
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Avis sur L'univers des marques politiques
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Aperçu du livre
L'univers des marques politiques - Nicolas Baygert
Louvain
Préface
Pourquoi communiquer au
service de la chose publique
Bernard Motulsky
¹
Les quatre textes de ce cinquième numéro des Cahiers PROTAGORAS apportent un éclairage moderne à la politique. Ils l’abordent sous le prisme de la communication et des stratégies mises en place. Leur propos ne se situe pas du point de vue traditionnel des politologues, ou comme on disait autrefois des « politicologues ». Au contraire, l’analyse du phénomène politique – qu’il s’agisse des stratégies de communication, des outils utilisés, de l’usage qui en est fait par les citoyens à la fois récepteurs et participants – se place ici sous l’angle de la communication, et plus encore des « fabricants de messages ».
Force est de reconnaître que si on paraît tolérer une certaine manipulation de la communication commerciale, laquelle cherche à mettre en évidence les bons côtés d’une marque tout en gommant ses aspérités dans l’espoir de convaincre des consommateurs de se procurer ses produits – on parle alors de communication marketing, de publicité ou encore de réclame –, la communication propre au personnel politique reste, quant à elle, particulièrement suspecte. Les citoyens électeurs seraient-ils plus crédules et manipulables que les consommateurs ? C’est ce qu’on pourrait penser au regard de cette différenciation.
Afin de dépasser les idées reçues et les propos faciles, admettons qu’il est indispensable de mieux comprendre les intentions, les moyens et les résultats des gestes de communication posés par une série d’entrepreneurs de la scène politique française et internationale. C’est justement la voie qu’ont choisi d’emprunter les auteurs des textes réunis dans le présent volume. Sous la plume de Nicolas Baygert, Bryan Antoine, Xavier Desmaison et Simon Ballarin, puis dans la recension que Marzia Buonaroti consacre au récent ouvrage de Francesco Nicodemo, on découvrira quelques-unes des « ficelles » qui sous-tendent ce que nous voyons et entendons concernant le « spectacle » politique.
En tout état de cause, il est crucial de considérer le soin pris, aujourd’hui comme hier, pour mettre en scène celles et ceux dont l’activité principale – en tant qu’acteurs de la vie politique – n’est pas de vendre des produits, mais bien des idées, des propositions, des visions du monde… Ces acteurs cherchent à influencer les perceptions du plus grand nombre d’individus. Leur objectif : limiter l’opposition à leurs gestes et à leurs décisions, tout en maximisant l’adhésion aux premiers comme aux secondes. Un tel objectif peut être atteint par la logique argumentative (domaine de la rhétorique, de la persuasion, de la raison discursive), par la manifestation de son pouvoir, ou par des gestes spectaculaires. Les cathédrales, palais et autres châteaux ont rempli ce rôle pendant des siècles en contribuant au positionnement des institutions qu’ils tâchaient (et parfois tâchent encore) de représenter.
Ceci étant, la construction de la réalité telle que nous la percevons, directement parce que nous y sommes exposés, ou indirectement à travers les médias qui véhiculent certains messages, se livre-t-elle de façon plus concrète et immédiate aujourd’hui que par le passé ? Le lecteur pourra tirer ses conclusions à partir des exemples et des cas analysés dans ce numéro.
1 Bernard Motulsky est titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing à l’Université de Québec à Montréal (Canada).
Propriétés de la marque politique
Nicolas Baygert
¹
Les marques s’inscrivent dans le processus de différenciation d’une offre concurrentielle destiné à guider les consommateurs dans leurs choix (Kapferer 2004). Des recherches récentes sur le branding politique, principalement du côté anglo-saxon, portant notamment sur l’application des principes du management de marque (branding management) aux partis politiques et au comportement des électeurs (Bennett 2008, Smith et French 2009, Scammell 2007, 2014), postulent qu’il en va de même en démocratie : un marché électoral concurrentiel au sein duquel s’opposent des « marques politiques » incarnées par autant de partis ou de candidats.
En France, les limites de cette transposition furent historiquement soulignées. Michel Bongrand notait ainsi que le comportement électoral n’était en aucun cas réductible à un simple comportement d’achat compte tenu de l’ambiguïté et de la complexité des personnalités en lice, notifiant que « la communication d’un produit a le droit de rejeter complètement certains publics » alors qu’« en politique, tous auront à subir
le résultat de l’élection » (Bongrand 1993, cité par Botton 2008 : 62). Maarek (2001 : 48) estimant que « le marketing politique ne peut être une simple transposition du marketing commercial, qui lui est doté d’une sanction nette et précise : l’achat et l’usage de l’objet de consommation ».
Or, c’est avant tout dans l’exégèse médiatique, pratiquée par autant de journalistes ou d’« experts » (sondeurs, politistes) que l’allégorie mercantile se verra mobilisée, en particulier lorsqu’il s’agit de traduire les efforts des marques politiques, celles-ci cherchant à ravir des parts de marché à leurs compétiteurs – une démarche proprement inévitable lorsqu’on sait que, lors d’une élection, on ne peut acquérir deux marques à la fois.
Pour synthétiser d’emblée, on notera que deux approches théoriques principales coexistent. La première s’intéresse à la gestion de la marque (brand management), à savoir l’application indifférenciée des principes du branding au marché électoral, sans autres considérations particulières. Cette application managériale, similaire à l’approche normative utilisée dans l’analyse des marques commerciales (French et Smith 2010 : 465) focalise l’essentiel des critiques, car étant perçue comme à l’origine d’effets secondaires tels qu’une décomplexification des enjeux, une conformité croissante dans le discours politique, ainsi qu’une concurrence accrue entre mandataires et partis.
La seconde approche place les électeurs-consommateurs (regroupés en groupes cibles) – leurs comportements, leur capacité de mémorisation – au cœur du dispositif stratégique. La (re) connaissance dont fera preuve le citoyen-consommateur des marques politiques dépendra de la propension qu’auront celles-ci à ériger un projet de marque fort. Cette approche consumer-oriented découle de la « stratégie de reconnexion » propre aux marques (Scammel 2007 : 186). Le branding introduit en cela une dimension communautaire (Brand Community) et débouche sur une étude des marques (politiques) en interaction permanente avec leurs publics, impliquant une « recentration » et une revalorisation du rôle du récepteur. Cette interactivité constitutive au branding offre des perspectives prometteuses jusqu’à l’avènement d’un nouveau modèle consumériste de communication politique (consumer model of political communication) (Scammell 2014, Baygert 2015, 2016) – un modèle envisageant notamment des configurations communautaires de consommation du politique à travers la notion de communauté de marque.
Propriétés ontologiques de la marque politique
L’avènement du branding politique serait activement lié au crépuscule des idéologies politiques (Lees-Marshment 2004 : 8) participant au shift paradigmatique consumériste susmentionné. Rappelons que le rôle de l’idéologie consiste à rendre possible une politique autonome en procurant les concepts d’autorité nécessaire qui la rendent sensée (Ricœur 1997 : 32). Comme système symbolique l’idéologie permet d’interpréter les conflits, voire donne la possibilité de rendre compréhensible une situation autrement inconcevable (Geertz 1964 : 64). Le glissement vers les marques découlerait dès lors d’un vacuum justement causé par une carence idéologique du politique.
En effet, « toutes les instances présentes dans l’espace social, partis et hommes politiques, institutions culturelles et artistiques, énonciateurs institutionnels (éducation, santé, justice), sont dorénavant soumises au même processus de délégitimation et de perte de sens » (Semprini 2005 : 251). Un abandon d’éléments structurants démontrant une propension du politique à tendre vers un phénomène de désidéologisation – celle-ci allant de pair avec une