La communication européenne, une scène de combats ?: Positionnements politiques et enjeux médiatiques
Par Nicolas Baygert et Loïc Nicolas
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À propos de ce livre électronique
La reconnaissance du rôle crucial de la communication dans la fabrique symbolique du politique a profondément nourri et relancé les études en communication publique. Elle les a ouvertes à une démarche transdisciplinaire très riche sur le terrain européen. De nombreux auteurs en philosophie politique, en sciences sociales, mais aussi en rhétorique et en argumentation se sont intéressés à la fonction autant qu’au fonctionnement du dissensus en démocratie. Suivant cette démarche, la confrontation a pu être reconnue comme le ciment même de la communauté politique. Mais les tensions entre consensus et dissensus n’en demeurent pas moins vives. À la lumière de celles-ci, le présent volume des Cahiers PROTAGORAS propose alors d’explorer et d’interroger les voies ambiguës de la communication publique et politique européenne.
Les articles rassemblés dans cette revue font suite au deuxième colloque Protagoras, dédié à la communication européenne et sous-titré « Vers un tournant agonistique ? »
EXTRAIT
Étudier l’Union européenne par sa communication donne ainsi à voir les rapports de force entre une extrême hétérogénéité d’acteurs, institutionnels et non institutionnels. Ce constat doit, par conséquent, nous amener à éviter « de passer la politique de communication des institutions de l’UE au prisme d’une épreuve d’évaluation (scientifiquement improbable et inévitablement normative) pour en faire un bilan critique ou louangeur » (Aldrin et Hubé 2014 : 15). Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif du dossier qui est présenté ici. Au contraire, celui-ci interroge la tension entre la tentative de construction d’un discours institutionnel consensuel, dépolitisé, univoque et la conflictualité auquel il fait face dans l’espace politique, mais aussi dans l’espace médiatique. Les deux premiers articles mettent ainsi la focale sur l’espace politique, quand les autres articles s’intéressent à l’espace médiatique.
À PROPOS DES AUTEURS
Nicolas Baygert et Loïc Nicolas sont tous deux membres du laboratoire d’idées PROTAGORAS rattaché à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales – IHECS (Bruxelles).
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Aperçu du livre
La communication européenne, une scène de combats ? - Nicolas Baygert
Louvain
Préface
Nicolas Baygert, Esther Durin, Élise Le Moing-Maas et Loïc Nicolas
¹
La reconnaissance du rôle crucial de la communication dans la fabrique symbolique du politique a profondément nourri et relancé les études en communication publique. Elle les a ouvertes à une démarche transdisciplinaire très riche sur le terrain européen. De nombreux auteurs en philosophie politique, en sciences sociales, mais aussi en rhétorique et en argumentation, se sont intéressés à la fonction autant qu’au fonctionnement du dissensus en démocratie. Suivant cette démarche, la confrontation a pu être reconnue comme le ciment même de la communauté politique ; comme le cœur bat-tant de l’expérience démocratique. D’ailleurs, la confrontation entre adversaires (à la fois amis et ennemis) se trouve au centre du modèle de démocratie agonistique proposé par Chantal Mouffe (1993 ; 2000 ; 2013).
Toutefois, les tensions (aussi bien théoriques que pratiques) entre consensus et dissensus, entre accord et désaccord, entre bons et mauvais usages de la parole, n’en demeurent pas moins très vives. À la lumière de ces tensions, le présent volume des Cahiers PROTAGORAS, issu d’un colloque international organisé les 30 et 31 mai 2018, propose d’explorer et d’interroger les voies ambiguës de la communication publique et politique européenne.
Tout d’abord, force est constater que la résurgence de la conflictualité, analysée dans sa fonction démocratique, fait du consensus européen un objet d’étude extrêmement fertile. Ceci dans la mesure où la communication institutionnelle européenne est longtemps demeurée marquée par un double paradigme. Lequel n’a, du reste, pas totalement disparu aujourd’hui. De type pédagogique, d’une part, celui-ci envisage la communication de manière unilatérale et descendante (top-down : des décideurs et institutions politiques vers les citoyens des pays membres). Le discours européen est alors essentiellement géré et façonné par des agences et des communicants externes.
De type procédural, d’autre part, la communication sur les dispositifs participatifs « prônant les qualités d’ouverture et de transparence d’institutions à l’écoute des citoyens » y prime, à la fois, sur leur participation effective et sur le contenu des débats et interactions langagières. Dans ce contexte, la communication européenne destinée aux citoyens a fait l’objet d’une forte centralisation suivant des logiques et des pratiques de « lissage institutionnel » autour d’une « énonciation collective négociée » (Oger et Ollivier-Yaniv 2006).
Ensuite, au sein et entre les institutions, la culture du compromis et les processus décisionnels ont contribué à la neutralisation et à l’effacement des dissonances (Bendjaballah 2016). À l’instar de l’Union européenne, la propension des organisations internationales à « lisser » leurs discours et à escamoter la conflictualité (Rist 2002 ; Launay 2005) contribue à dépolitiser leurs mises en scène médiatiques dans l’espace public international (Gobin et Deroubaix 2010). Par suite, le discours institutionnel, qui semble s’exprimer « d’une seule voix », se trouve aujourd’hui confronté, d’une part, à un vif rejet au sein des opinions publiques européennes, d’autre part, à la performance notable de contre-discours nationaux clivants, enfin, à un traitement journalistique privilégiant, par goût du sensationnel et du spectacle, les cadrages conflictuels (Burger 2010 ; Burger, Jacquin et Micheli 2011). La confrontation polyphonique des discours sur l’Union européenne aboutit à la construction tripartite d’un objet-frontière, à mi-chemin entre le politique et le médiatique, se donnant à lire sous la forme privilégiée de la controverse, voire de la polémique.
Dès lors, nous verrons comment s’articulent, dans différentes arènes, trois niveaux d’analyse : le niveau linguistique/textuel qui concerne les évolutions de la communication institutionnelle de l’Union européenne et celle de ses acteurs ; le niveau sémio-logique qui est lié aux formatages tant esthétiques que discursifs menés dans et par les médias ; le niveau communicationnel, celui des pratiques, qui vise l’« objet » européen dans sa dimension discursive composite – « l’Europe » –, à travers les usages argumentatifs et rhétoriques mobilisés dans les discours politiques nationaux des acteurs individuels et/ou collectifs.
Inutile de dire qu’en ces temps de Brexit, d’élections européennes, de montée des populismes, de manifestations pour le Climat, de mouvement des « Gilets jaunes », les questions soulevées ici sont en prise directe avec une actualité brûlante, tout en la dépassant largement. Puisse ce numéro des Cahiers PROTAGORAS aider à y voir plus clair et à questionner ensemble positionnements politiques et enjeux médiatiques.
Bibliographie
Bendjaballah Selma, Des illusions perdues ? Du compromis au consensus au Parlement européen et à la Chambre des représentants américaine, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles / Institut d’Études européennes, 2016.
Burger Marcel, « Le cadrage de la communication dans les médias », Communication, 2010, n° 27/2, p. 18-50. En ligne : http://journals.openedition.org/communication/3064.
–, Jacquin Jérôme et Micheli Raphaël (dir.), La parole politique en confrontation dans les médias, Bruxelles, De Boeck, coll. « Culture & Communication », 2011.
Gobin Corinne et Deroubaix Jean-Claude, « L’analyse du discours des organisations internationales. Un vaste champ encore peu exploré », Mots. Les langages du politique, n° 94, 2010, p. 107-114.
Launay Stephen, « L’ONU entre mystique et puissance », Cahiers d’histoire sociale, n° 25, 2005, p. 7-18.
Mouffe Chantal, The Return of the Political, Londres – New York, Verso, 1993.
–, The Democratic Paradox, Londres – New York, Verso, 2000.
–, Agonistics : thinking the world politically, Londres – New York, Verso, 2013.
Oger Claire et Ollivier-Yaniv Caroline, « Conjurer le désordre discursif. Les procédés de lissage
dans la fabrication du discours institutionnel », Mots, Les langages du politique, n° 81, 2006, p. 63-77.
Rist Gilbert (dir.), Les mots du pouvoir : sens et non-sens de la rhétorique internationale, Les Nouveaux Cahiers de l’IUED, Paris – Genève, PUF – Institut universitaire d’études du développement, 2002.
1 Nicolas Baygert est Docteur en Sciences de l’information et de la communication (Université de Paris-Sorbonne et Université catholique de Louvain) et Chargé de cours à l’IHECS, à l’ULB, au CELSA et à Sciences Po Paris. Esther Durin est doctorante en Sciences du langage (Université Paul-Valéry-Montpellier/ Praxiling) et chargée de cours à l’IHECS. Élise Le Moing-Maas est Docteur en Sciences de l’information et de la communication de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, professeur et Présidente du pôle « Relations publiques » de l’IHECS, elle est également affiliée au ReSIC (ULB). Loïc Nicolas est Docteur en langues et lettres de l’Université libre de Bruxelles, collaborateur scientifique dans cette institution, formateur à l’IHECS et conseiller politique. Ils sont membres, tous les quatre, du laboratoire PROTAGORAS de l’IHECS.
Introduction
Parler d’Europe : une communication en tension
Sandrine Roginsky
¹
Les textes qui nous sont proposés ici font suite au deuxième colloque PROTAGORAS. Dédié à « La communication européenne », et sous-titré « Vers un tournant agonistique² ? », celui-ci anticipait l’année d’élections européennes à venir, dans laquelle nous nous trouvons au moment d’écrire ces lignes. La question posée est donc d’une actualité toujours incontestable. « La perspective des élections européennes de mai 2019 est tout sauf un rendez-vous tranquille, vers lequel les institutions européennes et les défenseurs de l’Europe vont la fleur au fusil » constatait Philippe Aldrin à cette occasion. Peut-être parce que la communication européenne, entendue ici au sens de communication de l’Union européenne (UE) mais aussi communication sur l’Europe, n’est finalement que la mise en musique des tensions profondes qui traversent tout à la fois l’UE, les institutions qui la régissent et bien sûr les États membres qui la composent. La culture du compromis qui caractérise les processus décisionnels européens, si elle contribue certes à la neutralisation et à l’effacement des dissonances (Bendjaballah 2016), n’annihile néanmoins pas leur dimension concurrentielle, c’est d’ailleurs ce que donnent à voir les différents articles qui composent ce dossier.
Étudier l’Union européenne par sa communication donne ainsi à voir les rapports de force entre