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La francophonie dans les politiques publiques au Canada: Un principe au second rang
La francophonie dans les politiques publiques au Canada: Un principe au second rang
La francophonie dans les politiques publiques au Canada: Un principe au second rang
Livre électronique363 pages4 heures

La francophonie dans les politiques publiques au Canada: Un principe au second rang

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Plus de 50 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles qui institua le français et l’anglais comme langues officielles au Canada, la place accordée au français et à la francophonie sur l’ensemble du territoire canadien demeure un sujet d’actualité qui met constamment en lumière les défis rencontrés par les francophones au pays.

Cet ouvrage porte un regard sur les enjeux de la francophonie et sa place dans les politiques publiques au Canada. Il nous permet de constater que la question de la francophonie est constamment reléguée au second plan des priorités en matière de politiques publiques, que ce soit en ce qui a trait aux relations intergouvernementales, aux formes émergentes de la francophobie, à l’exclusion de la langue comme facteur identitaire dans l’ACS+, aux communications publiques relatives à la COVID-19, à l’insécurité alimentaire au Nouveau-Brunswick, aux Forces armées canadiennes ou encore aux politiques publiques ontariennes.

S’inscrivant dans un contexte politique où le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec manifestent simultanément leur désir d’accroître les mesures pour protéger la francophonie au Canada et soutenir son essor, ce livre se veut le point de départ d’une réflexion qui invite les décideurs publics à ramener la francophonie au premier rang dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques.
LangueFrançais
Date de sortie28 sept. 2022
ISBN9782760556379
La francophonie dans les politiques publiques au Canada: Un principe au second rang
Auteur

Isabelle Caron

Isabelle Caron est professeure à l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie depuis 2017. Elle détient un doctorat en administration publique de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent sur les éléments qui structurent l’élaboration des politiques publiques au sein des organisations publiques tels que l’intersectionnalité dans les politiques publiques, le contrôle, la reddition de compte et l’intégrité publique ainsi que la gestion des employés et de la diversité. Entre 1999 et 2012, elle a travaillé au Bureau du Conseil privé et au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, ainsi qu'à Santé Canada et à Patrimoine canadien à titre d'analyste principale des politiques.  

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    Aperçu du livre

    La francophonie dans les politiques publiques au Canada - Isabelle Caron

    Introduction

    Isabelle Caron et Louis Poulin-Langlois

    Plus de 50 ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles qui institua le français et l’anglais comme langues officielles au Canada, la place accordée au français et à la francophonie sur l’ensemble du territoire canadien demeure toujours un sujet d’actualité qui met constamment en lumière les défis rencontrés par les francophones au pays. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles qui prévoit donner plus de pouvoir pour le renforcement de l’usage français au Canada, y compris le Québec. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le récent dépôt à l’Assemblée nationale du projet de loi 96 (Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français), qui veut renforcer l’usage du français comme langue commune dans la sphère publique québécoise, mais qui prévoit explicitement un rôle pour le gouvernement du Québec dans l’essor des communautés francophones et acadiennes et de promotion et de valorisation du français dans l’Administration au Canada (Québec, 2021). Si, en plus de ces récents projets de loi, on tient compte des diverses dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 eu égard aux droits linguistiques, on peut raisonnablement penser qu’au Canada, la francophonie est non seulement un enjeu fondamental de nos politiques publiques, mais qu’elle est aussi un jalon important d’un multilatéralisme qui caractérise les relations intergouvernementales canadiennes. Pourtant cet ouvrage est né d’un constat différent: la francophonie est la plupart du temps reléguée au second rang dans les politiques publiques au Canada.

    Toutefois, depuis plusieurs années déjà, les recherches en politiques publiques ont souligné l’importance de tenir compte des conséquences des politiques sur la population, et en particulier, sur divers segments de la population, en ayant recours à de multiples outils d’évaluation (Lachapelle et al., 2010; Knoepfel et al., 2015; Lamari et Jacob, 2016; Howlett et al., 2020), dont l’analyse d’impact réglementaire, l’analyse d’impact sur la santé, l’analyse d’impact environnemental et l’analyse de genre. Plus récemment, le gouvernement fédéral canadien adoptait l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) afin d’évaluer comment divers facteurs identitaires influencent la façon dont les individus vivent les politiques publiques, les programmes et les initiatives du gouvernement (Canada, 2021). On pourrait alors croire que la langue constitue un facteur identitaire important qui influence la manière dont sont ressenties les politiques publiques. Mais comme le souligne Chantal Maillé (chapitre 2), la dimension linguistique a été retranchée des facteurs identitaires reconnus par l’ACS+ depuis 2018.

    En s’intéressant précisément à la place accordée à la francophonie dans l’action publique, on remarque que souvent au Canada, tenir compte du fait français vient au second plan. Ainsi, comme on l’a vu récemment dans des décisions au Nouveau-Brunswick (Radio-Canada, 2021) sur l’usage du français dans les services de santé ou encore dans le cas de la fermeture des programmes en français à l’Université Laurentienne en Ontario (Fortier, 2021), l’usage du français est vu comme quelque chose de secondaire, quelque chose qui doit céder le pas à des principes plus fondamentaux comme l’efficience, l’efficacité et la rentabilité. Or la langue est un facteur identitaire qui façonne les perceptions des individus et leur expérience avec le monde. À cet égard, les divers chapitres de cet ouvrage montrent bien que les francophones, et encore plus particulièrement les francophones vivant en situation minoritaire, font face à des défis qui leur sont propres (p. ex. conditions socioéconomiques souvent plus précaires, difficulté d’accès aux services et aux ressources publiques en français (santé, éducation et autres), accès à l’emploi, etc.). Qui plus est, comme le soulignent Stéphanie Chouinard et Serge Miville (chapitre 3), les francophones sont souvent victimes des conséquences d’un discours économique des autorités étatiques qui «remet en question les politiques de bilinguisme, de services en français et/ou de toute autre forme de traitement différencié pour la population de langue française, voire demande leur abolition […], sur la base d’un coût trop élevé pour la population majoritaire» (p. 74). Ne pas tenir compte de la francophonie dans l’élaboration des politiques publiques, c’est donc ignorer la réalité de tout un segment de la population canadienne.

    Ce refus de reconnaître les spécificités propres aux francophones est probablement l’une des conséquences de l’égalité du français et de l’anglais dans le régime linguistique canadien (Cardinal, 2008). S’il est vrai que le français a le même statut légal que l’anglais, il demeure parlé par un moins grand nombre d’individus au pays (Canada, 2019). Or, dans un contexte où des individus parlent une langue en situation minoritaire, on observe une différence entre leur comportement et celui des locuteurs en situation majoritaire (Mougeon et Beniak, 1991; Allard, Landry et Deveau, 2005), alors que ces derniers tendent naturellement à créer un contexte unilingue et à surreprésenter la langue majoritaire (Leclerc, 2020).

    Toutefois, la langue devrait être mobilisée comme marqueur identitaire consensuel permettant de dépasser les autres types d’appartenance tels que le groupe social ou la région (Garcia, 2011). Suivant ce principe, parce que le Canada est un pays officiellement bilingue, les politiques publiques devraient inévitablement tenir compte de la question de la francophonie au premier plan, avant de considérer des questions d’efficience, d’efficacité ou autres.

    Alors que le gouvernement fédéral a récemment présenté ses intentions dans le cadre de la réforme des langues officielles et du plan de modernisation de la Loi sur les langues officielles, cet ouvrage propose une réflexion sur la place de la francophonie dans les politiques publiques au Canada et s’interroge sur l’efficacité des divers mécanismes mis en place par les gouvernements fédéral et provinciaux susceptibles de ramener au cœur de l’action publique une francophonie souvent reléguée au second rang.

    Deux précisions sont ici nécessaires. D’abord, qu’entendons-nous par politique publique? Notre perspective des politiques publiques est inspirée de l’analyse de l’action publique de Lascoumes et Le Galès (2012). Nous optons donc pour une vision plus sociologique de l’action de l’État que pour une vision systématique (Sabatier et Weible, 2007) ou fonctionnelle (Knoepfel et al., 2015; Howlett et al., 2020). Nous cherchons donc à voir comment à travers leurs décisions, leurs engagements, leurs discours et surtout leurs mesures concrètement mises en œuvre, les gouvernements du Canada, des provinces et des territoires tiennent compte du fait francophone. Ensuite, qu’entendons-nous par cette idée de second rang? Cette idée est en fait pluridimensionnelle. Nous nous intéresserons à savoir comment les gouvernements tiennent compte de la francophonie pour assurer un traitement équitable des divers groupes sociaux au pays, comment la francophonie apparaît dans les discours des gouvernements, comment la francophonie définit les relations entre les gouvernements, comment on tient compte de la francophonie dans les actions mises en œuvre, comment les engagements des gouvernements font évoluer la francophonie dans les organisations étatiques et comment on tient compte de la francophonie dans les régimes linguistiques. Ce livre soutient la thèse que dans chacune de ces dimensions, la francophonie constitue la plupart du temps le parent pauvre des choix des gouvernements. Ainsi, les enjeux financiers, managériaux, migratoires et autres ont souvent priorité sur la francophonie. Toutefois, il faut noter que nous ne disons pas que la francophonie est absente des politiques publiques au Canada, au contraire, tous les chapitres montrent la présence de cette francophonie. Nous ne disons pas non plus qu’elle est toujours mise de côté, car la réalité est plus nuancée. Ce que nous affirmons c’est que règle générale, la francophonie est reléguée au second rang des préoccupations des gouvernements alors qu’elle devrait, comme l’exprime Garcia (2011), être au cœur de l’identité des politiques.

    Cet ouvrage n’est pas le seul à aborder la question de la francophonie. En effet, cette question a été abordée au Canada sous trois grands thèmes. Ainsi, plusieurs auteurs (Cardinal et al., 2008; Forgues, 2010; Hamel, 2010; Chouinard, 2012; Normand, 2012) abordent la question sous l’angle des communautés minoritaires francophones hors Québec et du bilinguisme. D’autres (Robichaud, 1983; Charbonneau, 2011; Léger, 2012) s’intéressent aux dimensions juridiques du régime linguistique canadien, dont la question de l’usage du français, mais la dépassent également, en traitant aussi des enjeux des langues autochtones et des langues des communautés immigrantes. Enfin, un plus petit nombre d’auteurs (Groeneveld et Walle, 2010; Hudon, 2011; Turgeon et Gagnon, 2013; Leblanc, 2014; Gaspard, 2019) s’intéresse à l’usage des langues officielles dans les fonctions publiques, particulièrement dans la fonction publique fédérale du Canada. Ce livre s’inscrit en marge de ces trois courants dominants des écrits qui abordent sous un angle ou sous l’autre la francophonie au Canada. Il ne fait pas nécessairement l’économie de ces dimensions puisqu’elles sont nécessaires, comme en témoignent plusieurs des chapitres, pour contextualiser la question. Mais, il se démarque en se concentrant sur la francophonie comme action de l’État.

    Ce livre se présente en sept chapitres. Le premier chapitre (Jean-François Savard, Emmanuel Saël et Isabelle Caron) se concentre sur les enjeux linguistiques du point de vue des relations intergouvernementales. À la suite d’une revue des écrits portant sur la place qu’occupe la francophonie dans les relations intergouvernementales au Canada, les auteurs expliquent qu’aucun palier gouvernemental ne remet en question le postulat que la francophonie est un enjeu de politique publique. Toutefois, la façon d’intervenir en lien avec la promotion et la pérennité du fait francophone diffère entre le gouvernement fédéral et ses homologues provinciaux. Alors que dans les relations fédérales-provinciales, une dynamique hiérarchique s’installe à l’avantage du fédéral, qui impose un ensemble de conditions à ses partenaires sur la façon de faire la promotion du fait francophone, les relations interprovinciales font plutôt appel à des mécanismes axés sur le consensus et sur l’engagement mutuel des parties prenantes. Les ententes relatives à la francophonie dans une perspective interprovinciale relèvent principalement de l’initiative du Québec. En effet, la province majoritairement francophone exerce une influence fédératrice avec les autres provinces et territoires ayant une communauté francophone importante. Les auteurs nous indiquent qu’une analyse de la configuration des relations intergouvernementales nous amène à considérer la francophonie sous l’angle d’un bilatéralisme à deux pôles. D’un côté, nous retrouvons le pôle fédéral qui est caractérisé par une logique de dominance sur les initiatives de politiques publiques en matière de francophonie. Au-delà de la perte d’intérêt du gouvernement fédéral à l’égard du français, celui-ci offre de l’aide aux organismes dont le mandat est la préservation de la francophonie dans une perspective de condition-nalité qui a pour conséquence la réduction de l’autonomie desdits organismes. De l’autre côté, nous retrouvons le pôle québécois qui a une visée plutôt conciliatrice et qui tente de rassembler ses homologues provinciaux autour des priorités établies dans la Politique en matière de francophonie canadienne. Le deuxième chapitre (Chantal Maillé) porte sur la disparition de l’aspect linguistique dans l’ACS+ au sein du gouvernement du Canada, outil élaboré par le gouvernement du Canada afin d’évaluer les effets des politiques, des programmes et des services sur les femmes, les hommes et les personnes de diverses identités de genre en tenant compte de multiples facteurs identitaires qui façonnent l’expérience de chacun. Partant du constat que la dimension linguistique est évacuée des considérations de l’ACS+ depuis 2018, l’autrice passe en revue les modalités constitutives de l’ACS+ et nous propose une explication quant aux raisons relatives à la disparation de la modalité linguistique. L’autrice nous indique que l’ACS+ ne peut être saisie sans prendre en considération le recours à sa dimension intersectionnelle. Elle soutient la thèse que l’adoption de l’intersectionnalité, en raison de son origine conceptuelle anglo-saxonne, provoque un ensemble de conséquences quant à la catégorisation des identités prises en compte dans l’ACS+. Comprise comme étant l’étalon de mesure à partir duquel sont évalués les non-anglophones, cette anglonormativité produit tacitement un préjugé défavorable envers les exogroupes linguistiques. D’un point de vue global, l’autrice nous indique que cela ne va pas sans prendre en compte les dynamiques propres au multiculturalisme canadien qui met l’ensemble des groupes identitaires sur un pied d’égalité en matière de droits et de reconnaissances. Sur le plan linguistique, les groupes minoritaires sont nécessairement assujettis à la norme anglophone dominante. L’autrice en vient à la conclusion que l’articulation des cadres anglonormatifs de l’ACS+ et du multiculturalisme canadien, au lieu d’inclure, de défendre et de promouvoir la différence sur le plan linguistique, a plutôt pour conséquence de pérenniser un préjugé négatif inconscient à l’égard de la langue française.

    Le troisième chapitre (Stéphanie Chouinard et Serge Miville) expose de quelle façon les discours francophobes se sont métamorphosés dans l’histoire politique canadienne. Cette revue historique répond à un double objectif des auteurs: d’abord, circonscrire le concept de la «francophobie» dans l’espace politique canadien et ensuite, présenter les difficultés que pose la coexistence du fait francophone avec le projet hégémonique canadien sur le plan culturel. En prenant comme point de départ les rivalités entre les puissances coloniales au XVIIe siècle entre Français et Anglais jusqu’aux dynamiques multiculturelles endogènes à la fédération canadienne, les auteurs procèdent à un examen des différentes trames discursives de la francophobie. Autrefois ouvertement francophobe, l’air du temps favorise aujourd’hui un discours de justification qui met de côté l’aspect francophone en faisant appel à une rhétorique d’efficience et d’efficacité. Ce n’est là qu’un autre exemple qui a pour finalité d’excuser la lente érosion du fait francophone au sein des politiques publiques et, par extension, de l’espace public canadien.

    Nonobstant la forme que prennent les discours francophobes, les auteurs signalent qu’un fait immuable subsiste lorsqu’il s’agit de réfléchir aux dynamiques linguistiques canadiennes: l’expression en langue française d’une part importante de la population représente certainement un danger face au projet plus large d’une société anglophone canadienne. L’affirmation de la différence et du caractère particulier de la population francophone au Canada ne peut s’accorder à la prétention à visée nationale d’homogénéité sur le plan culturel. Cette tension, nous expliquent les auteurs, trouve son expression la plus singulière avec la réalité spécifiquement québécoise. L’affirmation de la francophonie s’objective formellement au Québec et les auteurs concluent que c’est là un terrain d’enquête particulièrement fécond pour réfléchir sur le vivre-ensemble dans une perspective duelle sur le plan linguistique.

    Le quatrième chapitre de l’ouvrage (Stéphanie Chouinard, Martin Normand et Jean-François Savard) présente une analyse des communications gouvernementales dans une optique de réponse à une crise de santé publique. Les auteurs entament leur texte en effectuant un bref survol des interventions gouvernementales fédérales et provinciales en lien avec le respect des engagements linguistiques. D’après une analyse des communications gouvernementales dans les médias traditionnels et sociaux, ainsi qu’en prenant en considération l’étiquetage et l’affichage, le constat suivant est établi: dans la majorité des cas étudiés, les gouvernements ont fait fi, par souci de rapidité d’exécution, de leurs obligations en matière linguistique.

    Les auteurs soutiennent que le respect des engagements linguistiques ne devrait pas être occulté en situation d’urgence sanitaire et, qu’au contraire, les gouvernements devraient redoubler d’ardeur à offrir de l’information vitale dans les deux langues officielles. Transmettre de l’information adéquate en langue française auprès des communautés francophones résidant à l’extérieur du Québec répond à un enjeu de santé et de sécurité publiques. Une information homogène et conséquente se doit d’être comprise par le plus grand nombre pour combattre la pandémie de COVID-19. Parallèlement, le non-respect des règles sanitaires pourrait entraîner des conséquences graves sur le plan de la santé ainsi que sur le plan légal. Les auteurs nous indiquent que les citoyens qui ne sont pas en mesure de comprendre l’information communiquée dans la langue de la majorité seront forcément moins en phase avec les consignes sanitaires en place. Les autorités gouvernementales ne peuvent se permettre que des pans considérables de la population soient mis à risque parce que l’information n’a pas été transmise de façon équitable sur le plan linguistique. Les auteurs concluent qu’à long terme, les conséquences de la crise sanitaire devront prendre en considération la dimension linguistique et que les intervenants et les représentants des communautés francophones devront faire preuve de vigilance afin de protéger la dualité linguistique canadienne.

    Le cinquième chapitre (Éric Forgues, Carole C. Tranchant et Dominique Pépin-Filion) porte sur les considérations linguistiques dans la lutte contre l’insécurité alimentaire au Nouveau-Brunswick. À travers un examen des nombreuses mesures gouvernementales déployées en matière de sécurité alimentaire et de lutte contre la pauvreté, les auteurs démontrent que l’aspect linguistique n’est jamais problématisé. En effet, les auteurs signalent que les initiatives de politiques publiques visant principalement la réduction de la pauvreté et, corollairement, la lutte contre l’insécurité alimentaire ne prennent pas en considération les particularités des communautés linguistiques néo-brunswickoises. Cette situation découle d’une dynamique où la lutte contre l’insécurité alimentaire est conceptualisée d’une manière partenariale entre plusieurs acteurs de la société civile. Ces acteurs interviennent en fonction des divisions territoriales et non pas en lien avec les différentes communautés linguistiques. Cet «angle mort» linguistique dans l’analyse de la lutte à l’insécurité alimentaire ouvre une voie prometteuse sur le plan de la recherche. Les auteurs concluent en offrant deux recommandations afin de faire progresser la réflexion sur la dimension linguistique articulée autour des enjeux d’insécurité alimentaire: d’abord, une mobilisation de la recherche provenant des communautés franco-acadiennes sur les inégalités socioéconomiques et alimentaires. Ensuite, la création d’une organisation provenant de la société civile qui représenterait les citoyens francophones les plus démunis.

    À juste titre, les cinq premiers chapitres peuvent donner l’impression que la francophonie canadienne ne peut qu’inéluctablement aboutir à sa propre disparition. Cependant, certains travaux de recherche font état d’une réalité plus nuancée quant à l’évolution du français au Canada.

    Le sixième chapitre (Julien Lauzon Chiasson et Stéphane Roussel) porte sur la relation entre la population francophone et les Forces armées canadiennes (FAC). D’emblée, les auteurs souhaitent répondre à la question suivante: après avoir été récalcitrants à s’engager dans les FAC pendant plusieurs siècles, comment se fait-il que les Canadiens français y occupent maintenant une proportion relative à leur poids démographique? Afin de répondre à cette question, les auteurs signalent que la situation du bilinguisme dans les FAC est incomparable depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles. L’institution militaire s’est modernisée et certaines mesures ont été implantées pour favoriser le bilinguisme au sein des FAC. À titre d’exemple, il est maintenant possible de recevoir une instruction militaire de base en français et les publications officielles sont maintenant disponibles dans les deux langues officielles. Malgré ces différentes avancées, certains enjeux subsistent et l’anglais demeure la langue de préférence au sein des FAC. Cependant, le constat est clair: la situation de la francophonie a progressé dans les 50 dernières années au sein des FAC.

    Cette augmentation de la participation des francophones peut surprendre alors qu’historiquement, la majorité des francophones au pays entretenait une certaine suspicion envers l’institution militaire canadienne. Les auteurs résument les principaux événements (la guerre de 1812, les deux crises de la conscription) qui ont exacerbé cette tension historique entre les Canadiens français et l’armée canadienne. En guise d’explication, les auteurs soutiennent l’idée suivante: la population francophone posséderait une «culture stratégique» différente de la culture stratégique anglophone. Jusqu’à l’adoption de la Loi sur les langues officielles, cette distinction culturelle aurait été un obstacle marquant à l’intérêt des Canadiens français à grossir les rangs des Forces armées canadiennes.

    À cet effet, les auteurs nous signalent que deux facteurs principaux peuvent expliquer le changement d’attitude des francophones à l’égard de l’institution militaire canadienne. Tout d’abord, l’engagement militaire canadien s’est transformé, passant d’un soutien à l’impérialisme anglais à celui d’adhérent à un «internationalisme libéral». Ensuite, les FAC sont intervenues sur le plan local afin de venir en aide lors de certains événements importants. Ces deux facteurs ont eu pour effet de modifier positivement le rapport que les francophones entretiennent désormais avec l’institution militaire canadienne.

    Le dernier chapitre de cet ouvrage (Martin Normand) analyse les politiques publiques ontariennes en ce qui a trait à la langue française. Prenant pour cadre théorique le mode opératoire de la stratification, l’auteur soutient la thèse que les régimes linguistiques évoluent graduellement et que l’adéquation de plusieurs mesures mineures peut, sur une longue période, engranger des modifications substantielles sur la façon d’agir d’un gouvernement. À cet effet, le cas de l’Ontario se révèle exemplaire lorsqu’il s’agit d’analyser de quelle façon la relation entre un groupe linguistique minoritaire et les instances gouvernementales peut être appelée à changer sur une période qui va de l’adoption du Règlement XVII en 1912 jusqu’à l’adoption de la Loi sur les services en français en 1986. Cette Loi, nous explique l’auteur, est composée de trois principaux mécanismes d’opérationnalisation qui ont tous pour objectif d’accommoder la population francophone en fonction de critères pragmatiques.

    Aujourd’hui, les différents accommodements découlant des mécanismes opérationnels de la Loi sur les services en français, la désignation, l’offre active et le Commissariat aux services en français, illustrent de quelle façon le régime linguistique ontarien continue d’évoluer et de s’adapter aux réalités franco-ontariennes. Cependant, l’auteur évoque qu’il subsiste certains enjeux et que l’approche graduelle ne sera pas toujours en mesure de répondre adéquatement aux demandes des francophones ontariens. De manière à pallier cette situation, deux avenues sont donc proposées: la province pourrait se désigner tout entière comme étant bilingue. Ce serait là une mesure qui s’inscrirait dans la même logique de progression graduelle et qui n’aurait pas nécessairement l’effet d’un choc. Autrement, et c’est là une option plus perturbatrice, l’Ontario pourrait constitutionnaliser le bilinguisme sur le plan institutionnel. Qu’à cela ne tienne, la transformation du régime linguistique ontarien est marquante et, nonobstant les enjeux qui subsistent, montre que les changements substantiels ne sont pas que l’apanage de moments de rupture dans l’histoire, elles peuvent découler d’une progression graduelle.

    Les chapitres de cet ouvrage démontrent tous que le fait français est constamment relégué au second rang dans l’action publique. En effet, comme le soutiennent Savard, Saël et Caron, bien que la francophonie puisse faire parfois l’objet d’actions intergouvernementales, comparativement à d’autres enjeux, elle est loin d’être abordée comme une priorité dans les relations intergouvernementales canadiennes. D’un point de vue plus administratif, Maillé nous rappelle que depuis quelques années, la langue n’est plus l’un des facteurs identitaires dans l’ACS+ utilisée au gouvernement fédéral ainsi que dans d’autres provinces et que ce retrait est le reflet d’une anglonormativité qui contribue à pérenniser les préjugés inconscients à l’endroit des francophones et à relayer au deuxième rang le français comme facteur expérientiel dans les politiques publiques. Dans le même ordre d’idées, les chapitres de Chouinard et Miville

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