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Refonder l'interculturalisme: Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise
Refonder l'interculturalisme: Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise
Refonder l'interculturalisme: Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise
Livre électronique271 pages3 heures

Refonder l'interculturalisme: Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage vise à donner un point d’ancrage à un ambitieux projet de société où la quête d’autodétermination de la nation québécoise s’unirait à celles des nations autochtones du Québec.

S’appuyant sur une philosophie renouvelée de l’interculturalisme, l’auteur fournit ici des pistes de solution conceptuelles, mais aussi concrètes, aux débats parfois stériles et apparemment irréconciliables entourant les politiques linguistiques ou encore la protection du territoire. Il aborde également la question de la défense des intérêts du Québec au sein du Canada, en postulant qu’elle peut être compatible avec celle des enjeux des nations autochtones.

En conclusion, l’auteur présente une étude du cas de la protection de l’environnement et formule des propositions de réformes, puisées à même cette version enrichie de l’interculturalisme.
LangueFrançais
Date de sortie27 mars 2023
ISBN9782760647060
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    Aperçu du livre

    Refonder l'interculturalisme - Jérôme Gosselin-Tapp

    Jérôme Gosselin-Tapp

    Refonder l’interculturalisme

    Plaidoyer pour une alliance entre les peuples autochtones et la nation québécoise

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Mise en page: Chantal Poisson

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Refonder l’interculturalisme: plaidoyer pour une alliance entre les peuples ­autochtones et la nation québécoise / Jérôme Gosselin-Tapp.

    Nom: Gosselin-Tapp, Jérôme, 1992- auteur.

    Collection: Pluralismes (Presses de l’Université de Montréal)

    Description: Mention de collection: Pluralismes | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220021171 | Canadiana (livre numérique) 2022002118X | ISBN 9782760647046 | ISBN 9782760647053 (PDF) | ISBN 9782760647060 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Interculturalisme—Québec (Province) | RVM: Autochtones—Québec (Province)—Relations avec l’État. | RVM: Multiculturalisme—Canada. | RVM: Québec (Province)—Relations interethniques.

    Classification: LCC FC2950.A1 G67 2023 | CDD 305.8009714—dc23

    Dépôt légal: 1er trimestre 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2023

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient le Partenariat des bibliothèques universitaires du Québec (PBUQ) pour son apport à la publication en format numérique de cet ouvrage en accès libre.

    Cet ouvrage est sous licence Creative Commons BY-NC-ND (Attribution / Pas d’utilisation ­commerciale / Pas de modification). Cette licence autorise à télécharger et à partager les œuvres, à condition de citer le nom de l’autrice ou de l’auteur. Elle interdit l’utilisation à des fins commerciales et toute modification de l’œuvre.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Introduction

    Comme toute autre, la nation québécoise doit s’adapter pour assurer sa pérennité face aux nouveaux défis auxquels elle est confrontée. Or, des défis le Québec n’en manque pas. Loin de s’être atténuée avec le temps, la pression culturelle, politique et socioéconomique exercée par la dominance de la langue anglaise en Amérique du Nord est d’autant plus difficile à combattre que la province doit composer avec l’influence des nouvelles technologies numériques. La nation québécoise doit aussi répondre adéquatement à la crise climatique si elle veut pouvoir se projeter dans l’avenir. Sa survie ne passe donc plus seulement par la préservation de sa culture, mais par sa capacité à changer en profondeur ses modes de vie pour répondre aux défis environnementaux. La société québécoise a désormais une plus grande conscience des différentes formes d’oppression dont ont été victimes plusieurs des sous-groupes marginalisés qui la composent. Cependant, dans le passé, sa quête d’autodétermination a contribué à créer ou à renforcer des dynamiques discriminatoires. À celles-ci s’ajoute sa complicité avec le système colonial sur lequel repose encore l’État canadien et qui continue d’exercer sa domination sur les peuples autochtones qui évoluent sur le territoire aujourd’hui associé au Canada.

    Mon point de départ, dans ce livre, est l’inadaptation du nationalisme québécois, tel qu’il est vécu en ce moment, aux nombreux défis du XXIe siècle. Le nationalisme se traduisant par un repli sur soi et une exploitation sauvage du territoire est chose du passé. Le projet de société du Québec doit absolument être repensé à la lumière du contexte socioculturel, économique, environnemental et moral actuel. Heureusement, il est possible de moderniser le nationalisme québécois sans pour autant abandonner sa raison d’être initiale. L’autodétermi­nation de la nation québécoise est un projet politique qui peut et qui doit être poursuivi, et ce, même si dans le passé, cette quête n’a pas ­toujours été en phase avec les droits de ses minorités, qu’elle a été menée au détriment du droit à l’autodétermination des nations autochtones, et qu’elle n’a pas su protéger adéquatement l’environnement et le territoire de la province. Les effets nocifs de certaines des politiques publiques peuvent être évités sans compromettre les principes fon­damentaux de l’approche québécoise. En fait, lorsqu’on réfléchit soigneusement aux prémisses philosophiques qui sous-tendent la quête d’autodétermination interne du Québec au sein du Canada, on peut parvenir à un modèle de société qui est en mesure à la fois de protéger les droits des minorités ethnoculturelles, de contribuer à (re)construire de saines relations avec les nations autochtones sur la base d’un rapport de «nation à nation» et de mieux protéger le territoire.

    Le projet de société du Québec a historiquement tenté de faire contrepoids aux effets assimilateurs du multiculturalisme canadien, à tout le moins depuis les années 1960. Le terme «interculturalisme» est couramment utilisé pour désigner l’ensemble de principes qui caractérisent le contre-modèle québécois en matière de gestion de la diversité culturelle. Dans le rapport sur la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles qu’ils ont rendu en 2008, les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor définissent l’interculturalisme comme «un régime flexible, ouvert à la négociation, aux adaptations et aux innovations», qui «assure ainsi une sécurité aux Québécois d’origine canadienne-­française comme aux minorités ethnoculturelles, tout en protégeant les droits de tous, suivant la tradition libérale» (Bouchard et Taylor, 2008, p. 121). La définition de Bouchard et Taylor de ce contre-modèle québécois a été notamment proposée en réponse aux inquiétudes soulevées par la «crise des accommodements1», lesquelles portaient sur les enjeux liés à la gestion de la diversité religieuse au Québec. Plus récemment, dans le document Québécois, notre façon d’être Canadiens. Politique d’affirmation du Québec et des relations canadiennes, déposé par le gouvernement libéral de Philippe Couillard en 2017, l’interculturalisme est présenté comme un «modèle pluraliste d’intégration et de vivre-ensemble» qui repose sur un principe de réciprocité. La publication précise par ailleurs que l’interculturalisme vise «l’équilibre entre, d’une part, l’ouverture à la diversité et, d’autre part, la continuité et la vitalité du caractère distinct et francophone du Québec» (Québec, 2017, p. 70). Dans ce livre, je propose un examen de ce contre-modèle québécois afin de parvenir à un élargissement du champ d’application de l’interculturalisme qui permette aussi de repenser la relation entre la nation québécoise et les nations autochtones, et de formuler des recommandations afin que le Québec protège mieux son territoire pour les générations futures.

    L’étape initiale de cet enrichissement de l’approche interculturaliste consiste à revenir sur ses origines. Le premier chapitre de l’ouvrage procède ainsi à une reconstitution de l’histoire du multiculturalisme canadien afin de mettre en évidence deux choses: d’une part, le besoin d’un contre-modèle québécois est né des angles morts du multiculturalisme à la Pierre Trudeau; d’autre part, certains points communs des conflits survenus entre les gouvernements canadiens et québécois, et entre le premier et les nations autochtones. Une précision s’impose toutefois d’emblée: l’histoire de la nation québécoise est profondément différente de celles des nations autochtones. Les torts causés à ces dernières sont beaucoup plus graves, ayant pris la forme d’un génocide culturel. Le premier chapitre de ce livre met tout de même en évidence un point commun d’importance entre celles-ci et la nation québécoise, sur lequel il est possible de miser en vue d’une alliance future: ce sont des nations internes au Canada et elles ont donc des besoins particuliers que n’ont pas les autres groupes qui forment la société canadienne. La pression socioéconomique de l’anglais de même que les effets centralisateurs du fédéralisme canadien sont des enjeux auxquels le cadre normatif multiculturaliste ne parvient pas à répondre pleinement. Cela a pour effet d’aggraver, plutôt que d’apaiser, la «fragilité nationale» – expression que je dois à Dave Guénette et Félix Mathieu (2020) – du peuple québécois. Une tendance comparable s’observe dans les nations autochtones au Canada. On a affaire, dans les deux cas, à des «minorités nationales» – pour reprendre la typologie de Will Kymlicka (1989) –, ce qui explique que leurs besoins ne correspondent pas à ceux des minorités issues de l’immigration, par exemple.

    Il faut toutefois savoir que mon intention n’est aucunement de diaboliser le multiculturalisme. L’interculturalisme québécois s’est, certes, construit en opposition avec le multiculturalisme canadien, tant dans les débats universitaires que dans les débats publics, mais je ne cherche pas pour autant à discréditer le multiculturalisme en lui-même. Il s’agit d’une approche qui est en partie adaptée à l’expérience canadienne, même si elle ne parvient pas à répondre aux besoins propres à la société québécoise. Si le multiculturalisme ne convient pas à l’expérience québécoise, c’est seulement en raison de la double position de la nation québécoise, à la fois minoritaire au sein du Canada (et en Amérique du Nord, d’ailleurs) et majoritaire au sein du Québec.

    Il convient aussi de faire une distinction entre le cadre institutionnel canadien en propre et ce qui relève du multiculturalisme en tant que modèle abstrait. Le multiculturalisme, en tant que cadre normatif, aura certainement profondément influencé la configuration des institutions canadiennes. Cela dit, les paramètres du cadre constitutionnel sont tout de même le fruit d’une histoire à la fois beaucoup plus ancienne et beaucoup plus complexe que celle du multiculturalisme. Ainsi, plusieurs aspects des institutions canadiennes échappent au pouvoir explicatif de mon analyse fondée sur la distinction entre interculturalisme et multiculturalisme. Cette distinction me permet de mettre en évidence plusieurs des points de tension qui marquent le contexte sociopolitique canadien, mais elle ne me permet pas de tout expliquer. Il faut donc garder en tête qu’il s’agit ultimement d’une heuristique, dont l’objectif est de montrer la fécondité philosophique du contre-modèle québécois lorsque vient le temps de répondre aux besoins propres aux minorités nationales.

    Le deuxième chapitre porte d’ailleurs plus précisément sur le débat théorique qui entoure le multiculturalisme et l’interculturalisme. Même si l’histoire de ce dernier au Québec est intimement liée à celle du nationalisme québécois, les écrits sur l’interculturalisme font partie d’une tradition philosophique remettant plus généralement en question le multiculturalisme. La grande diversité des enjeux de ce débat théorique, qui dépasse largement les frontières du Québec, est venue obscurcir les traits distinctifs de l’interculturalisme dans sa forme québécoise. Je me propose, dans ce livre, de faire le tri dans cet abondant réseau de textes afin d’en extraire uniquement les éléments théoriques qui s’appliquent au contexte social et théorique du Québec.

    La remise en question des fondements l’État canadien par des penseurs autochtones a elle aussi produit un vaste ensemble de textes. Le troisième chapitre revient sur certains de ces écrits dans le but de trouver des points de recoupement entre les préoccupations des nations autochtones et de la nation québécoise. Bien entendu, cet ouvrage ne prétend aucunement être en soi une contribution à la tradition décoloniale. Je cherche, de façon plus modeste, à établir la manière dont le Québec peut repenser son projet de société pour éviter de vivre sa quête d’autodétermination en procédant à une recolonisation des nations autochtones sur son territoire. Ma réflexion part du principe qu’un nationalisme québécois qui nierait le droit à l’autodétermination des peuples autochtones ne serait ni moralement acceptable ni cohérent sur le plan philosophique.

    Le quatrième chapitre poursuit dans la même logique en proposant une manière de concilier l’exercice d’une autonomie territoriale de la nation québécoise et des nations autochtones, même si elles partagent le même territoire. Ce chapitre propose une redéfinition de la notion de «souveraineté territoriale» dans la tradition politique européenne, en s’inspirant notamment de certains écrits de penseurs autochtones sur le sujet. En exploitant son caractère polysémique, je propose une manière de penser une possible concomitance de plusieurs souverainetés territoriales exercées par des minorités nationales qui se partagent un seul et même territoire. Cela permet de sortir de la dynamique de jeu à somme nulle à laquelle mène par défaut la conception exclusive du rapport entre une nation et un territoire. Il s’agit assurément du chapitre dont les propositions sont les plus audacieuses. Elles sont donc aussi accompagnées de certaines considérations quant à la méthodologie que j’ai employée pour mener à bien cette réflexion.

    C’est au cinquième chapitre que j’expose plus en détail les principes fondamentaux de ma version enrichie de l’interculturalisme. Comme je l’ai mentionné, cet ouvrage vise à proposer et à justifier une modernisation du nationalisme québécois qui s’appuie sur un rapport de «nation à nation» avec les peuples autochtones, tout en protégeant mieux les droits des minorités ethnoculturelles et le territoire. L’inter­culturalisme m’est apparu comme un cadre tout indiqué pour asseoir ce projet de société dans un système philosophique cohérent qui s’inscrit dans la continuité de certaines tendances historiques de la quête d’autodétermination québécoise, mais qui critique aussi frontalement certaines pratiques auxquelles le gouvernement québécois a eu recours dans le passé.

    Je souligne au passage que le champ lexical emprunté dans cet ouvrage pour traiter de l’interculturalisme se distingue substantiellement de celui qui est habituellement employé dans les écrits sur le sujet. Cette distance s’explique par l’inadéquation entre le langage de l’intégration, auquel est généralement associé l’interculturalisme, et celui de la réconciliation avec les nations autochtones. En effet, les notions mêmes d’«intégration» et de «communauté d’accueil» sont non seulement inadaptées, mais moralement et politiquement problématiques lorsqu’on tente de penser un rapprochement entre les peuples qui prendrait la forme d’un véritable rapport de «nation à nation». Pour justifier ce choix lexical, je définis l’interculturalisme comme un modèle qui vise d’abord et avant tout la reconnaissance réciproque entre les individus et les groupes, plutôt que comme un modèle d’intégration au sens strict (comme il est coutume de le faire dans les écrits sur le sujet). Si l’interculturalisme permet de penser une certaine forme d’intégration des minorités issues de l’immigration récente à la société québécoise, c’est en raison de ses fondements normatifs qui recourent à la fois à l’individualisme moral et au collectivisme moral. C’est pour cette raison que je mets de côté, dans ce livre, le vocabulaire de l’intégration, pour adopter une grille d’analyse qui insiste d’abord et avant tout sur l’idée de la reconnaissance réciproque entre les individus et les groupes, et entre les groupes eux-mêmes.

    Le sixième et dernier chapitre aborde la question de la protection du territoire. D’emblée, ce chapitre montre comment les questions traditionnellement associées à l’interculturalisme (et qui portent généralement sur la gestion du pluralisme culturel) peuvent avoir des implications sur la protection de l’environnement. En fait, selon la définition de l’interculturalisme que je propose dans ce livre, le rapport au territoire est la pierre angulaire du droit à l’autodétermination des minorités nationales du Canada. Ce chapitre s’inscrit ainsi en continuité avec la pensée de John Borrows (2018), pour qui aucune réconciliation ne sera possible entre Autochtones et Allochtones tant et aussi longtemps que ces deux groupes ne se seront pas réconciliés d’abord avec le territoire. En ce sens, les enjeux liés au territoire touchent au noyau dur des questions soulevées par la justice entre les peuples. Les considérations abordées au sixième et dernier chapitre viennent donc éclairer et préciser la portée philosophique de l’ensemble des autres sujets abordés dans le livre. La conclusion la plus importante de cet ouvrage est sans aucun doute la suivante: si la nation québécoise veut se protéger contre les menaces d’extinction que représentent l’assimilation culturelle et les dérèglements climatiques, elle doit commencer par traiter d’égal à égal les nations autochtones avec lesquelles elle partage son territoire.


    1. Les tenants et aboutissants de la «crise des accommodements» sont présentés au premier chapitre.

    1

    Des nations fragiles du Canada

    L’approche québécoise en matière de gestion de la diversité, qu’on désigne aujourd’hui couramment par le terme «interculturalisme», est d’abord née d’un besoin d’affirmation nationale. Il s’agit d’une approche qui a été taillée sur mesure pour répondre aux défis propres au Québec, en tant que «nation fragile2» au sein du Canada. Il y a en effet un lien important entre l’histoire du nationalisme au Québec et celle de l’interculturalisme. La convergence de ces deux histoires remonte en fait aux années 1960, alors qu’on débattait, au Canada, de l’orientation à prendre en matière de relations interculturelles à l’occasion de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, mieux connue sous le nom de commission Laurendeau-Dunton. De fait, le Canada moderne s’est construit principalement à partir de deux concepts dont l’histoire est intimement liée à celle de cette commission: le bilinguisme et le multiculturalisme.

    Le débat entre interculturalisme et multiculturalisme, loin d’être purement abstrait ou strictement sémantique, découle d’une réflexion philosophique sur des tensions bien réelles, et donc empreinte de considérations très concrètes. En raison de sa généalogie particulière, l’interculturalisme a le potentiel de servir de fondement théorique à un projet de société cohérent, philosophiquement justifié, en mesure non seulement d’incarner des principes politiques, mais de rassembler les différentes franges de la population.

    Les grands dossiers sur lesquels les Québécois ont débattu dans les dernières années ont toutefois eu pour effet d’accentuer des clivages et de fragiliser le tissu social – je pense ici notamment aux tensions générées par la question de la laïcité. Les désaccords portant sur la gestion de la diversité religieuse ont surtout mis en évidence la présence de deux camps: le premier défend une conception libérale individualiste du vivre-ensemble calquée sur les idées fondamentales du multiculturalisme canadien; le second adopte une perspective républicaine importée de France.

    En réponse à cette opposition toxique pour le climat social, l’interculturalisme, dans la version de Gérard Bouchard, est présenté comme une approche mitoyenne. Certes, il s’agit d’une approche qui occupe une position intermédiaire, mais il serait injuste de la réduire à un simple modèle de compromis. Au contraire, par une analyse philosophique de la préhistoire de l’interculturalisme (c’est-à-dire l’histoire de l’approche québécoise avant qu’elle ne soit désignée comme telle), on constate que les principes qui le sous-tendent proviennent en fait d’un cadre normatif proprement québécois qui remonte aux années 1960. Ce sont ces principes philosophiques que je me propose de mettre en évidence et d’enrichir dans ce livre.

    Insister ainsi sur les présupposés

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