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Laïcité et humanisme
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Livre électronique180 pages2 heures

Laïcité et humanisme

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Laïcité et humanisme : un titre et deux mots de grande actualité tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. Cet ouvrage, avec des contributions d’acteurs clés qui alimentent le débat sur le sens et la définition de la laïcité dans le Québec du xxie siècle, arrive à point nommé.

Les textes de Thomas De Koninck, Jacques Dufresne, Georges Leroux, Guillaume Rousseau, Mathieu Bock-Côté, Normand Baillargeon, Mohamed Lotfi et Charles Le Blanc ne défendent pas une thèse particulière à propos de la laïcité. Ils forment plutôt un ensemble de réflexions polyphoniques qui se présentent comme une contribution philosophique, juridique, politique et sociologique à la question de la neutralité religieuse de l’État.

À la fin du recueil figure un texte de Voltaire sur la tolérance, qui vient à la fois inscrire les questions abordées dans une perspective historique et illustrer le caractère continu d’un débat dont cet ouvrage se veut l’un des nombreux échos. 

LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2015
ISBN9782760321885
Laïcité et humanisme

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    Aperçu du livre

    Laïcité et humanisme - Le Blanc, Charles

    Introduction

    Charles Le Blanc

    La laïcité est un espace public au sein de l’État où chacun, pour le dire comme les stoïciens, peut ériger cette citadelle imprenable qu’est la conscience humaine. En elle-même, cette conscience est libre. Les maints tableaux des contraintes physiques, psychologiques ou politiques qu’offre cependant l’Histoire, la crainte qu’inspirent ces supplices, peuvent induire à la soumission de la conscience, limiter son champ d’action, la détruire. La conscience est donc libre, ou elle n’est pas. C’est la raison pour laquelle, dans les États démocratiques, tous les moyens sont développés pour protéger la liberté de conscience des citoyens. Cette protection s’appuie sur l’éducation. En effet, la liberté de conscience suppose l’autonomie intellectuelle, c’est-à-dire une attitude critique et rationnelle par rapport aux idées, mais elle suppose également une neutralité en matière de religion, afin de n’imposer à quiconque des commandements autres que ceux de la loi civile qui ont fait l’objet de débats pluralistes, de consensus sociaux et de compromis politiques. Ainsi peut-on avancer qu’il n’y a pas de liberté de conscience réelle dans les États religieux ni dans ceux où l’aspect dogmatique de la foi se mélange à l’aspect dynamique, changeant selon les évolutions historiques, du monde politique. Quand la vérité devient une affaire d’État, la conscience cesse d’être libre.

    Les discussions sur la laïcité ne doivent pas tourner autour de l’exclusion de tel ou tel culte, de telle ou telle croyance, de telle ou telle manifestation du religieux. Elle s’érige plutôt sur les conditions nécessaires de la tolérance dans les États démocratiques. Surtout, il faut établir si, dans des fonctions de représentation de l’État, on peut accepter que les agents qui le représentent manifestent ouvertement leur appartenance à tel ou tel culte et si ces manifestations compromettent la neutralité nécessaire de l’État en matière de liberté de conscience.

    Si l’on ne peut inférer les croyances profondes d’un individu des seuls signes religieux qu’il porte, est-il cependant illégitime d’en déduire quelque chose ? Il serait en effet périlleux d’inférer du seul port d’un signe religieux ostensible par un fonctionnaire que celuici est en rupture avec les lois, et qu’il cautionne nécessairement, par exemple, l’inégalité des hommes et des femmes, se mettant ainsi en porte-à-faux avec l’une des bases des démocraties libérales modernes occidentales. Toutefois, il n’est pas déraisonnable de croire que le citoyen ordinaire, lui, confronté à ces signes, déduise un consentement tacite à cette inégalité. L’apparence d’assentiment fait ici foi de tout. Dans le cadre d’un travail de représentation directe de l’État, ou bien dans l’application des lois civiles, on ne peut laisser planer le doute que cette représentation ou que cette application soit motivée par autre chose que l’objectivité de la loi. D’où la nécessité de restreindre la liberté individuelle – celle du fonctionnaire – dans l’intérêt commun.

    D’un autre côté, l’État doit éviter de légiférer de manière telle que l’élimination du religieux de l’espace public au nom de la laïcité résulte à une limitation indue de la liberté de conscience de l’individu. Une liberté que l’on ne peut exercer n’en est plus une. On ne peut remplacer un intégrisme par un autre.

    On le voit, la laïcité est un écheveau difficile à détortiller. Trop stricte, elle sacrifie la liberté de conscience et tend à hiérarchiser les droits ; trop lâche, elle vide de tout contenu l’impartialité de l’État en matière religieuse.

    On ne peut non plus en parler de façon purement théorique. La tradition du droit et l’Histoire ont leur mot à dire si l’on veut réfléchir à un renforcement de la laïcité de tel ou tel État. L’Amérique du Nord n’est pas l’Europe. Elle ne se rapporte pas à la question de l’immigration de la même façon que le Vieux Continent. Les enjeux et les problèmes sont différents. La première n’a pas, comme la seconde, connu de guerres de religion. L’histoire nord-américaine tend d’ailleurs à préserver une place au religieux dans l’espace public. Celle-ci se trouve jusque sur la monnaie aux États-Unis – In God we trust – et ouvre de façon solennelle la Constitution canadienne de 1982 : Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. La question de la laïcité ne peut conséquemment se poser dans les mêmes termes au Canada et en France, où ce principe fait l’objet d’une déclaration constitutionnelle explicite ¹. Enfin, l’Europe est composée de plusieurs États-nations, tandis que l’Amérique du Nord n’en connaît qu’un seul : le Québec. Il ne faut donc pas s’étonner si les solutions préconisées par l’État québécois traduisent davantage une sensibilité pour les solutions proposées en Europe, en particulier les pays latins, plutôt qu’envers celles découlant des thèses du multiculturalisme inspirées des modèles anglo-saxons. On ne doit pas s’étonner non plus que la question de la laïcité de l’État se pose au Québec plutôt qu’ailleurs en Amérique du Nord, puisque c’est pour le Québec une question qui joue un rôle identitaire.À cet égard, la laïcité n’est pas pour le Québec une façon de rejeter l’autre, mais représenterait plutôt une tentative d’inscrire l’identité dans une réflexion moderne sur le sens de l’État.

    L’une des particularités du droit constitutionnel canadien par rapport aux États-Unis, ou même à la France, réside dans le fait que tout n’est pas écrit dans la Constitution. Si une partie des lois régissant le Canada se trouve bien dans les textes constitutionnels de 1867 et de 1982, une autre réside dans les conventions constitutionnelles et dans la common law. Cette absence de texte unique suppose que l’interprétation des lois est laissée aux juges qui, pour nombre de décisions, se rapportent à un concept aux contours mal définis : l’évolution de la société ². Cependant, la question de la laïcité de l’État ne semble être, au Canada, qu’un débat québécois, ce qui confirme encore, si besoin en était, le statut social particulier du Québec au sein du Canada. Or, dans un système où l’interprétation des lois se fonde en partie sur cette notion évanescente d’évolution de la société, il y a avantage qu’il n’y ait pas, au sein de la société prise comme un tout, une société autre, une « société distincte ». L’existence d’une telle société distincte ouvre fatalement la porte au conflit des interprétations et compromet la cohérence juridique des principes conventionnels. La loi, principe de cohérence des nations, est alors mise à mal.

    La polarisation des débats sur la laïcité du printemps 2014 a recoupé au Québec de façon presque parfaite le clivage traditionnel entre les fédéralistes canadiens, contre le projet québécois d’une charte de la laïcité de façon générale, et les nationalistes québécois, qui y voyaient l’achèvement normal de la sécularisation amorcée au début des années 1960 avec la Révolution tranquille.

    La volonté de transposer au Québec une vision de la laïcité largement inspirée du modèle français se heurte toutefois à la réalité historique d’un pays qui, bien qu’acceptant le religieux dans les affaires de l’État (on pensera ici, entre autres, au Bureau fédéral de la liberté religieuse ou aux Conseils scolaires confessionnels de l’Ontario), n’en est néanmoins pas pour cela un goulag des consciences. La volonté québécoise est aussi en butte à une vision du droit où, on l’a rappelé, l’évolution de la société joue un rôle. Or, les réalités de cette évolution ne sont pas les mêmes selon que l’on se trouve à Calgary ou à Montréal. À ce chapitre, le projet de Charte des valeurs de la laïcité du Parti québécois était destiné à d’infinies contestations devant les tribunaux des droits de la personne. Enfin, soulignons le paradoxe que créait ce projet de créer un espace public neutre pour favoriser la liberté de conscience, tout en ayant recours à la clause dérogatoire, lorsque cette liberté de conscience entendait s’exprimer ouvertement. Le problème était ici tout autant la place réelle des enjeux sociaux du Québec au sein du Canada, que celle du message contradictoire lancé aux nouveaux arrivants quant à l’accueil concret fait à leur diversité, même religieuse, dans l’espace public. Province du Canada, le Québec doit, volens nolens, s’accommoder du modèle canadien. Ce modèle, le multiculturalisme, a une position très libérale quant à l’expression du religieux dans l’espace public, position libérale dont il est permis de croire qu’elle témoigne tout autant d’une grande ouverture d’esprit, que d’une inaptitude à penser le problème du religieux au sein de l’État ³.

    Si les religions étaient exemptes de crimes, il ne serait probablement pas nécessaire de les encadrer autant. C’est parce qu’elles ne peuvent convaincre tous les hommes à l’aide de la seule raison que les religions ont parfois besoin de la violence. En effet, le recours à la brutalité n’est pas nécessaire pour les vérités de raison, comme celles des mathématiques ou de la géométrie ; mais pour nous persuader qu’il est possible de séparer les mers, de marcher sur les eaux ou d’écarter les doigts pour désaltérer 1 400 hommes, il peut être utile d’avoir recours à une estrapade ou aux vertus explicatives des tenailles. En fait, tout ce qui se fonde sur une croyance aveugle, que ce soit une croyance en Dieu, au prolétariat, à la race supérieure, etc., s’appuie en dernier recours sur la force physique ou sur la contrainte psychologique. Au contraire, lorsque l’on s’en remet à la raison et à ses démonstrations, on aboutit géné-ralement à deux convictions : l’assurance qu’il y a dans notre monde, malgré ses contraintes, une place pour l’homme, ce qui caractérise l’humanisme ; et la certitude que ce que l’on ignore étant plus grand que ce que l’on sait, il n’y a d’autre posture morale, en société, que la tolérance, ce qui justifie la laïcité.

    La raison est un principe d’unité. Nous pouvons tous parvenir aux vérités de la géométrie. Tout homme, au fond, est un parvenu de la raison. La foi, quant à elle, est un facteur de division, car il n’est pas évident pour tous qu’un ange se soit rendu visiter une jeune rosière pour lui annoncer qu’elle était enceinte, et que le même ange ait ensuite saisi un vacher par la gorge pour lui faire réciter un message venant du Ciel. Or, puisque le bien-être des hommes exige qu’ils vivent en société, il apparaît plus utile d’encourager ce qui permet une meilleure unité humaine que ce qui favorise les schismes. Un État soucieux du bonheur de ses citoyens ne peut donc être religieux. Il doit préconiser les idées claires et distinctes, principes d’unité, et il y parvient, non par la contrainte, mais par l’éducation. Condorcet, dans ses Cinq mémoires sur l’Instruction publique, voyait d’ailleurs dans l’éducation la source de toutes les libertés et de tous les affranchissements. Il écrivait : « Mais aujourd’hui qu’il est reconnu que la vérité seule peut être la base d’une prospérité durable, et que les lumières croissant sans cesse ne permettent plus à l’erreur de se flatter d’un empire éternel, le but de l’éducation ne peut plus être de consacrer les opinions établies, mais, au contraire, de les soumettre à l’examen libre de générations successives, toujours de plus en plus éclairées ⁴. » Ce libre examen s’étend aux opinions religieuses, qui doivent être tenues non pas comme des vérités au-delà de tout débat, mais comme de simples opinions, comme toutes les autres, soumises aux règles de la discussion et de l’arbitrage des consciences. L’État qui, pour Condorcet, avait hérité des acquis de la Révolution ne pouvait faire en sorte que le peuple retombât dans les anciennes erreurs. Pour lui, comme pour les philosophes des Lumières, l’éducation devait permettre à l’individu de ne pas soumettre sa raison à celle d’autrui, qui plus est lorsque cette raison est celle du plus fort, que son bras fût armé d’un sabre séculier ou des attributs séculaires de la religion : la rapière et l’alfange. Il était de première importance pour ces hommes dont les idées sont à la base de nos sociétés modernes que la religion fût reléguée à la sphère privée et que l’on n’enseignât jamais des opinions comme des vérités. La société authentiquement humaine s’élève sur des principes rationnels ; les préjugés forment la lie de tous les despotismes.

    Rousseau prétendait en son temps que la religion pouvait être nuisible à l’État. Il écrivait dans un petit texte politique que tous les établissements humains « sont fondés sur les passions humaines et se conservent par elles : ce qui combat et détruit les passions n’est donc pas propre à fortifier ces établissements. Comment ce qui détache les cœurs de la terre nous donnerait-il plus d’intérêt pour ce qui s’y fait ? Comment ce qui nous occupe uniquement d’une autre Patrie nous attacherait-il davantage à celle-ci ⁵ ? » Puisqu’il ne lui semblait pas possible d’éradiquer la religion, il proposait au législateur d’en établir une qui eût renfermé toutes les lois de la morale sans rien inclure des dogmes de la foi ; d’abord parce que cette éducation morale aurait été un bien utile à la société civile, ensuite parce qu’il ne semblait pas que l’on pût sauver la partie dogmatique inhérente à toute religion par la voie des interprétations et des disputes théologiques ⁶. S’il importe de préserver l’indépendance de ce qui relève de la sphère privée, il ne faut toutefois pas lui soumettre le monde qui ressort de la sphère publique. L’État doit assurer la liberté de conscience, mais la maintenir dans les limites de la vie individuelle pour éviter qu’elle ne devienne tyrannique. L’une des idées phares de la séparation de l’Église et de l’État est que la conscience est toujours individuelle, jamais collective. Lorsque Descartes reconstruit l’édifice de la philosophie qu’avait ébranlé le doute radical, il le fait à partir d’un principe, le cogito, dont la reconnaissance est d’abord individuelle; il n’est jamais universalisable qu’après coup, et universalisable dans les termes du particulier. Les consciences individuelles ne s’additionnent pas, elles ne forment pas un ensemble plus vaste qui serait une conscience collective. Pour ce faire, il faudrait postuler un sujet collectif auquel attribuer cette conscience ⁷. Or, c’est le fait des États despotiques que de postuler des sujets collectifs. En posant la liberté de conscience, les États démocratiques ne font

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