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Les mondes du sacré: Religions, Laïcité, Esotérisme des origines à nos jours et leur influence sur la Politique internationale
Les mondes du sacré: Religions, Laïcité, Esotérisme des origines à nos jours et leur influence sur la Politique internationale
Les mondes du sacré: Religions, Laïcité, Esotérisme des origines à nos jours et leur influence sur la Politique internationale
Livre électronique1 496 pages19 heures

Les mondes du sacré: Religions, Laïcité, Esotérisme des origines à nos jours et leur influence sur la Politique internationale

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À propos de ce livre électronique

Les mondes du sacré est la somme d’une vie de voyages, d’enseignement, de recherches et de rencontres aux quatre coins du monde.
Ce livre est la rencontre des terrains religieux et politique, qui aux yeux de l’auteur, ne peuvent s’expliquer l’un sans l’autre. C’est aussi un exposé clair de l’enchevêtrement et des mues des religions les unes par rapport aux autres, tant en Orient qu’en Occident. Si le fil rouge est connu et évident à l’Ouest, il était jusque-là inédit à l’Est.

Il présente aussi l’avantage, considérable pour le lecteur, d’avoir été écrit par une seule personne. Une telle démarche fondée sur les analyses de chercheurs réputés apporte une excellente cohésion didactique à la comparaison de l’ensemble des courants de pensée.

Enfin, il vise à montrer que le spirituel et le sacré ne sont pas l’apanage des seules religions. 
Un ouvrage qui questionnent les religions, la laïcité et l'ésotérisme de leurs origines à nos jours.

À PROPOS DE L'AUTEUR 
Jacques Rifflet a successivement été avocat, journaliste, éditorialiste et grand reporter à la Radiotélévision belge et enfin professeur et conférencier réputé. L’auteur continue d’être très actif notamment comme président de commissions gouvernementales ou européennes et consultant auprès des médias audiovisuels en plus de multiples cours et conférences de haut niveau.
EXTRAIT 
LES RELIGIONS DE L’OCCIDENT OU RELIGIONS ABRAHAMIQUES1. LE JUDAÏSME.
Dérivé d’un terme hébraïque signifiant « rendre grâce à Dieu », exprime l’union entre le Dieu du Sinaï, le peuple d’Israël et une Terre sainte. Le peuple juif ne peut donc vivre que dans l’harmonie de cette triade indissoluble.Voyons l’histoire.Suivons le tracé de la migration des clans principaux.L’Ancien Testament, qui en est le souvenir, est une dénomination récusée par les juifs. « Testament » doit être entendu comme un « contrat » et, partant, une « alliance ». L’Alliance entre un Dieu et un peuple.
1. L’aventure juive
Prenons garde.Ceci est un récit écrit sous l’empreinte omniprésente de la foi.Une multitude d’historiens contestent le caractère fiable de cette source, et nous avons choisi quelques-unes de ces critiques à titre d’exemple.
Jean-Baptiste Humbert, archéologue à l’École biblique et archéologique de Jérusalem, écrit dans le « Science et Avenir » consacré à la Bible (n° 113, décembre 1997) : « L’archéologue, aujourd’hui confronté à la Bible, peut ressentir la solitude du coureur de fond : il n’est plus certain que la piste qu’il foule est la bonne. Les dates des épisodes bibliques se mettent à valser, mais, tenu de dresser le décor, il hésite sur le choix du site et le choix de la période. »
LangueFrançais
ÉditeurMols
Date de sortie16 déc. 2014
ISBN9782874021718
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    Aperçu du livre

    Les mondes du sacré - Jacques Rifflet

    éblouissant.

    I.

    LES RELIGIONS DE L’OCCIDENT

    OU RELIGIONS ABRAHAMIQUES

    1. LE JUDAÏSME.

    Dérivé d’un terme hébraïque signifiant « rendre grâce à Dieu », exprime l’union entre le Dieu du Sinaï, le peuple d’Israël et une Terre sainte. Le peuple juif ne peut donc vivre que dans l’harmonie de cette triade indissoluble.

    Voyons l’histoire.

    Suivons le tracé de la migration des clans principaux.

    L’Ancien Testament, qui en est le souvenir, est une dénomination récusée par les juifs. « Testament » doit être entendu comme un « contrat » et, partant, une « alliance ». L’Alliance entre un Dieu et un peuple.

    1. L’aventure juive

    Prenons garde.

    Ceci est un récit écrit sous l’empreinte omniprésente de la foi.

    Une multitude d’historiens contestent le caractère fiable de cette source, et nous avons choisi quelques-unes de ces critiques à titre d’exemple.

    Jean-Baptiste Humbert, archéologue à l’École biblique et archéologique de Jérusalem, écrit dans le « Science et Avenir » consacré à la Bible (n° 113, décembre 1997) : « L’archéologue, aujourd’hui confronté à la Bible, peut ressentir la solitude du coureur de fond : il n’est plus certain que la piste qu’il foule est la bonne. Les dates des épisodes bibliques se mettent à valser, mais, tenu de dresser le décor, il hésite sur le choix du site et le choix de la période. »

    Israël Finkelstein, le directeur de l’Institut d’archéologie de l’Université de Tel-Aviv s’est forgé une réputation « sulfureuse » en Israël en affirmant qu’aucune trace n’indiquait l’existence à Jérusalem d’une grande monarchie à l’époque des règnes de David et de Salomon, Jérusalem n’étant alors qu’un village. Des sculptures trouvées à Meggido et attribuées à Salomon seraient en réalité plus tardives. Dès lors, le fameux temple de Salomon, si Jérusalem n’était qu’une petite bourgade rurale, n’aurait jamais existé.

    Israël Finkelstein fait partie de l’école des chercheurs « minimalistes ».

    Cette école d’archéologues libérés du « vent de la Bible » s’inscrit non plus dans une recherche orientée, volontairement ou inconsciemment, vers la découverte et l’interprétation de preuves de la véracité du récit biblique, mais se déclare en prise de distance scientifique à l’égard du discours du sacré. Pour elle, toute conviction préalable à la stricte démarche historique est facteur d’une interprétation erronée, guidée par la volonté de démonstration d’une thèse préconçue. Naît ainsi, en Israël même et au dehors, une génération de chercheurs s’inscrivant non plus dans la voie qu’ils qualifient d’étroite d’une valorisation du destin privilégié du judaïsme mais dans celle d’une inscription de ce groupe humain dans le contexte général du Proche-Orient. Et plutôt qu’une destruction de l’odyssée hébraïque, estiment encore ces chercheurs, cette nouvelle démarche apporte une reconstruction dynamique fondée sur une approche scientifique rigoureuse. Ainsi, toujours selon eux, il apparaîtrait que la puissance du judaïsme fut bien plus grande après le règne de Salomon que ne le conte la Bible.

    Cette approche historique, affirme l’école minimaliste, semble bien reçue par la jeunesse israélienne, pour qui la réalité d’Israël, cadre de leur liberté et de leur espérance, paraît bien plus importante que le culte d’un passé religieux historiquement incertain.

    Nous avons pour notre part relevé dans cet ouvrage une série de distorsions entre le texte et les faits historiques. Citons par exemple :

    - Jéricho était déserte, rasée, à l’époque des trompette de Josué.

    - Il n’existe aucune trace de pénétration de nomades par le Sinaï.

    - Aucune trace non plus de défaite considérable de l’armée égyptienne devant la mer Rouge, ni de noyade de Ramsès II.

    - Les Hébreux seraient entrés pacifiquement dans le pays de Canaan et auraient formé de petits groupes avant de l’emporter démographiquement…

    Amplification et rétention d’information exactes, telles sont les balises erronées qui troublent l’historien.

    Si la Bible est un monument de l’histoire spirituelle des hommes, elle n’est plus considérée comme un livre d’histoire. Tout au plus, comme un livre d’histoires fondant une religion majeure de l’humanité.

    Mais il nous a semblé impossible de fonder notre exposé sur le chaos des opinions souvent querelleuses des chercheurs et des hommes de foi. Ainsi, évidemment, l’école minimaliste connaît des détracteurs considérés comme de grands érudits.

    Nous avons pris le seul parti possible selon nous. Celui de suivre le fil directeur du récit cohérent de la Bible, mais en sachant que le sacré ne forme pas avec la science un couple idéal.

    Ouvrons le Livre. En une lecture enrichie de nombreux commentaires divergents. Mais il en existe une telle multitude que les auteurs non cités nous pardonnent de ne pas avoir écrit un ouvrage de sept volumes…

    La Mésopotamie, une terre éclairée

    Pour certains chercheurs « liés » à la croyance abrahamique, les Hébreux seraient des migrants venant d’au-delà du fleuve Euphrate (donc d’Arabie) qui s’installèrent en -XX (?) en Mésopotamie. Pour d’autres, les Hébreux, des Araméens, seraient originaires de Sumer.

    L’un de leurs clans, dirigé par la famille d’Abraham, aurait été monothéiste, mais rien n’est sûr à ce sujet, car l’adhésion à un seul Dieu se perd dans la nuit d’une tradition invérifiable.

    Le père d’Abraham partit avec son clan à Harran, mal à l’aise dans le Croissant fertile dont les options religieuses trop liées aux traditions locales ne lui convenaient guère et où le monde des affaires était très encombré.

    Harran et Urfa, deux villes du sud-est de la Turquie, constituaient au nord de la Mésopotamie un pivot vers les routes commerçantes de Syrie, du Liban, de Canaan et de l’Égypte.

    Le pays de Canaan, une Terre promise

    En -XIX (?), Abraham partit vers le pays de Canaan, la Palestine actuelle.

    Il épousa Sara, malheureusement stérile. Il eut un premier fils de sa servante Agar, avec le consentement de Sara. Ce premier fils, Ismaël, et sa mère furent cependant écartés de la famille par Abraham. Ismaël devint le symbole des Ismaélites, toujours contraints à l’errance, voués aux espaces du désert. Ce fut l’engendreur de l’Islam.

    Lorsque Abraham atteignit l’âge de cent ans, Dieu lui accorda un deuxième fils, Isaac, Sara ayant en effet enfin réussi à procréer à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Ainsi naissait le fils symbole de la branche des Israélites. À noter qu’il était le seul légitime, ce qui gène les musulmans, descendant eux de la branche bâtarde.

    Isaac fut circoncis dès le huitième jour de sa naissance ; Ismaël plus tard, après plusieurs visites de son père. Dieu avait en effet enjoint Abraham de circoncire ses enfants « en témoignage de l’Alliance ».

    Depuis lors, juifs et musulmans circoncisent leurs enfants.

    Dans le judaïsme, tout enfant juif non circoncis à treize ans et un jour subit la « mort prématurée », il est retranché de la main de Dieu. Treize ans marquent la majorité religieuse, car c’est à cet âge qu’Isaac échappa au sacrifice, Dieu ayant arrêté le bras d’Abraham s’apprêtant à l’immoler en témoignage de sa foi sur le rocher-autel de Jérusalem.

    Les musulmans aussi vénèrent ce lieu, car c’est là que Mahomet prit son départ pour sa brève visite au ciel, avant de retourner à La Mecque où il mourut douze ans plus tard. Mais c’est là aussi qu’Abraham accepta d’immoler son fils… Ismaël… en rêve, car Mahomet ne put accepter qu’Allah, dans son infinie Bonté, ait jamais pu exiger semblable épreuve.

    Et il s’agit bien sûr d’Ismaël, car Dieu avait intimé l’ordre à Abraham de sacrifier son fils préféré. Pour les musulmans, il ne pouvait bien sûr s’agir d’Isaac… Après Sara, Abraham épousa Cetura, dont il eut six enfants avant de mourir à cent trente-cinq ans.

    Faut-il dire que la critique historique et les Facultés de Médecine ne se sont pas prononcées sur ce récit ?

    Marek Halter, l’auteur de l’ouvrage « Le judaïsme raconté à mes filleuls », considère Abraham comme un personnage capital. Il serait pour lui l’auteur de l’idée révolutionnaire selon laquelle le mal viendrait de nous et non de l’extérieur.

    À vrai dire, beaucoup d’analystes reprochent précisément à cette idée – reprise dans le christianisme, dans l’islam et dans bien d’autres religions – de permettre d’exonérer Dieu de toute culpabilité.

    L’avocat de la partie civile, celui de l’humanité, trouvera cela hypocrite et léger. Paul Danblon ose même écrire que le bien est lié à la venue de l’homme, la Nature ne véhiculant que la férocité des rapports de force.

    Mais la religion juive a cependant la franchise de déclarer dans le Talmud que « Dieu créa le Mal et son antidote, la Loi ».

    Texte courageux, et important, qui résout toute la problématique du Bien et du Mal – qui nous préoccupera durant de longues pages – puisque « le coupable est en aveux ».

    Il n’empêche, l’homme reste « mal pris », car le moindre écart vis-à-vis de la Loi le place dans le flux du courroux divin.

    Marek Halter ajoute que Dieu a eu avec Abraham et Moïse des dialogues constructifs, et qu’Il suivit parfois leurs opinions, ce qui démontrerait que l’humain bénéficie du respect du Divin, et que celui-ci est aussi soumis à la Loi, à la justice.

    Nos analystes laïques relèvent à l’inverse combien l’ensemble de l’Ancien Testament dresse plutôt un constat de l’arbitraire de l’humeur de Dieu. Et que si le Divin suit parfois l’avis de la sagesse humaine pour décider ensuite d’agir plus équitablement, cela n’augure rien de bon en ce qui concerne l’infaillibilité de sa sagesse propre, dite infinie. Cela n’a rien de rassurant de percevoir que Dieu peut être « amélioré ».

    Mais des censeurs laïques vont plus loin encore dans la critique.

    L’on peut regretter, disent-ils, que Yahveh n’ait pas croisé un Abraham ou un Moïse avant de décréter le Déluge ou de « permettre » la Shoah. Quant aux adversaires cananéens des Hébreux, ils eurent tout à perdre de ne pas avoir l’écoute de Yahveh lorsque celui-ci lança « ses troupes » à l’assaut de leurs villes en flammes.

    Ils soulignent en outre le fait que Mahomet a, lui aussi, « négocié » avec Allah lors de son entrevue au-dessus de Jérusalem. Cela n’a guère empêché l’islam de souffrir une affreuse guerre civile entre chiites et sunnites.

    Le débat permanent entre les partisans de la foi et ceux de la non-croyance.

    La Genèse nous rapporte que le petit-fils d’Abraham, Jacob, lutta une nuit durant avec l’ange de Dieu, et le vainquit… et gagna la liberté de pensée.

    Il fut alors appelé Israël, « celui qui lutte avec Dieu ». De « isar », lutter en dominant, et « El », le Dieu majeur de Canaan.

    Mais à vrai dire, il existe une autre traduction, plus logique, car beaucoup de commentateurs voient mal Jacob vaincre Dieu, ou son Envoyé. Cette deuxième traduction : « Celui qui lutte et domine pour Dieu », l’équivalent du champion du roi au Moyen Âge.

    Depuis ce combat, les Juifs se firent appeler Israélites, ou peuple d’Israël. Le peuple qui peut se tenir en sa pureté face à Dieu, affronter son regard, selon la première version de la traduction ; celui qui lutte pour Dieu dans la deuxième version.

    Nous avons décidé d’émailler le récit de la tradition biblique de différentes opinions critiques. Comme on peut s’en douter, l’histoire telle que la conte la Bible a suscité bien des commentaires.

    Il nous est impossible d’en donner le panorama complet. Aussi avons-nous choisi trois personnalités fort connues pour le sérieux de leurs compétences. Nous annoncerons chaque fois cette intervention par les termes « Avis divergent ».

    En soulignant – comme l’écrit le rabbin Ouaknin – que, pour un croyant, « ce n’est pas le récit de l’événement vrai qui est essentiel, mais le rapport fidèle du vrai récit de l’événement tel que nous le propose la Révélation. Peu importent les dates, c’était il y a très longtemps, et c’est dans cette capacité d’écouter l’au-delà que commence la vie spirituelle ».

    Avis divergent

    Nous avons vu que pour certains les Hébreux seraient soit des migrants venus de l’ouest du fleuve Euphrate, soit des natifs de la région de Sumer.

    Mais il existe une troisième thèse, défendue notamment par Guy Rachet. Il estime que les Hébreux ne résidaient nullement en Mésopotamie, migrants ou non, mais étaient préexistants à l’arrivée d’un certain Abram au pays de Canaan. Rachet mélange ainsi une théorie estimée sérieuse par des archéologues appelés minimalistes – car séparant le biblique de l’historique – avec celle que ceux-ci considèrent comme une « fantaisie de la foi ».

    Abram faisait partie du clan de Terach, son père, un clan appartenant à la peuplade des Amorrites, sémites de Syrie qui avaient installé en Mésopotamie une dynastie prestigieuse, dont le plus célèbre représentant fut le roi Hammourabi. Ce serait précisément sous le règne d’Hammourabi, au XVIIIe siècle avant Jésus-Christ, que le clan de Terach aurait émigré en Chaldée.

    Conséquence : ce clan ne parlait pas l’hébreu, mais probablement le babylonien ou l’akkadien.

    Ce ne serait qu’en arrivant au pays de Canaan que les Terachites auraient adopté les mœurs des nomades locaux, (les Hébreux ou Khabirou), auraient appris la langue cananéenne (l’hébreu) et auraient adopté le dieu local Elohim ou El.

    Abram devint alors Abraham, et Saraï, sa femme, Sara, transformation typique liée au passage de la langue mésopotamienne à la langue hébraïque.

    Au XVIIe siècle avant Jésus-Christ, ces sémites locaux, les Hébreux, auraient pénétré en Égypte à la suite des Hyksos, lors de la grande invasion du delta par ces redoutables cavaliers. D’où l’arrivée de Jacob en Égypte, avec tout le clan des Terachites.

    Yahveh n’aurait été inséré à la place d’Elohim que bien plus tard, lors de la dernière composition du Pentateuque. En effet, Yahveh est, en fait, une divinité du Sinaï, liée à « l’aventure » de Moïse.

    Autre « correction » tardive : Ismaël, le premier fils qu’Abraham eut de sa servante Agar, est, on le sait, considéré par les musulmans comme l’ancêtre de la lignée des Arabes. Or, les premiers documents dignes de foi parlant des Arabes, des textes assyriens, ne font état de leur existence que bien des siècles plus tard, vers le XIe avant Jésus-Christ.

    Mais reprenons le fil « traditionnel »…

    Le Dieu de la Bible est unique, il est un modèle moral essentiel auquel l’homme doit se conformer.

    Créateur et juge unique, ce Dieu est éminemment spirituel, ce qui tranche heureusement avec le fonds polythéiste mésopotamien, et avec le caractère animiste, païen, des dieux locaux de la « Palestine » ancienne, appelée alors, rappelons-le, le pays de Canaan.

    Le culte pratiqué par le patriarche Abraham (nous sommes en -XIX?) est sacrificiel, semblable à cet égard aux autres cultes mésopotamiens, mais le Dieu biblique auquel sont dédiés les sacrifices d’animaux est devenu « remarquable »: c’est le créateur unique de l’Univers et le juge suprême. Il n’est pas lié à un phénomène naturel (animisme) ou attaché à un lieu donné. Du moins, nous le verrons, jusqu’à la construction des Temples de Jérusalem, qui figèrent l’endroit privilégié de l’Alliance.

    L’Alliance ?

    En effet, Dieu a une « alliance » avec le peuple d’Israël, avec Abraham d’abord, puis avec Moïse, dépositaire du Décalogue (les Dix Commandements de la Loi reçue par Moïse dans le Sinaï).

    Les descendants de Jacob se divisèrent en douze tribus, car Jacob eut douze fils.

    L’Égypte, le chemin d’Abraham

    Les Israélites émigrèrent en Égypte au XVIIe siècle avant J.-C., tel est le récit conventionnel.

    C’est Joseph, arrière-petit-fils d’Abraham (Abraham-Isaac-Jacob-Joseph), ministre du pharaon, qui aurait engagé une part du peuple hébreu à venir s’établir en Égypte après avoir été vendu par ses frères et conduit en Égypte, où il fit une haute carrière.

    Mais il existe une autre conception, nous l’avons dit.

    Certaines théories considèrent en effet que les Hébreux arrivèrent en Égypte vers 1640 avant J.-C., au cours de l’invasion des « peuples pasteurs » venant de l’Oronte, aux environs de la ville de Qadesh et appelés les Hyksos.

    Ces derniers jouèrent d’ailleurs un rôle capital en Égypte, y important le cheval, inconnu des Égyptiens. Et, par réaction, engendrèrent chez ceux-ci un extraordinaire instinct de conquête.

    Thoutmès I et III poussèrent en effet jusqu’à l’Euphrate afin de prémunir le précieux delta du Nil contre toute agression venant de l’est.

    Il est essentiel ici de rappeler la légende du dieu Osiris, car elle rayonnait en Égypte lorsque les Hébreux y séjournèrent.

    Donc, « Il était une fois »… quatre frères et sœurs, fils et filles de Geb et de Nout : Osiris, Seth, Isis et Nephtys.

    Leur lignage est divin.

    À l’origine, dit la légende, le monde était composé d’une unique étendue d’eau d’où émergeaient deux monts seulement (cf. la butte originelle des religions indiennes, ou le volcan Ararat qui émerge à la fin du Déluge et recueille l’arche de Gilgamesh, ou l’arche de Noé, selon qu’on soit adepte de la croyance mésopotamienne primitive – aux alentours de 3 000 ans avant Jésus-Christ ! – ou de la croyance biblique, qui en est un fac-similé parfait. Nous en reparlerons plus précisément).

    Le concept « horizon », en hiéroglyphes égyptiens, s’exprime d’ailleurs par deux montagnes.

    Cet « horizon » égyptien se reflète dans la construction des temples.

    Les immenses montagnes figurées par les pylônes hauts et massifs encadrent l’entrée, « étale comme l’eau ».

    Le temple est ainsi le monde au commencement de la création, et ses colonnes symbolisent les végétaux reliant le sol au plafond, « la terre au ciel ».

    Le sol de l’édifice s’élève lentement, se rapprochant de la voûte dans le naos, la chambre sacrée, où réside le Dieu honoré par les prêtres du temple.

    Au début était Atoum. Il « met au monde » dans un éternuement Tefnout, l’Humidité, et Chou, l’Air.

    Le couple originel Tefnout et Chou donne naissance à Geb, la Terre, principe masculin et à Nout, le Ciel, principe féminin.

    Et tout commence, et s’édifie ainsi une morale… qui servira de ciment à bien d’autres constructions religieuses que l’égyptienne.

    Voyons cela.

    Osiris est enfermé par ruse dans un sarcophage. C’est son frère Seth qui a commis cette vilenie, par jalousie.

    Lâché dans les flots du Nil, le sarcophage échoue à Byblos (au Liban actuel, d’où les Égyptiens faisaient venir le bois de leurs temples). Isis, l’épouse d’Osiris, retrouve le sarcophage, l’ouvre, et en battant des ailes (car des ailes lui sont venues), ressuscite Osiris. C’est en devenant « ange » qu’elle recueille le sperme de son mari et le dépose en elle. Isis est donc une vierge-mère dont naît le dieu Horus qui vaincra le mal.

    Mais Seth veille, attendant son heure, et parvient à dépecer son frère. Il le tronçonne en quatorze morceaux – selon la version la plus courante – qu’il dépose en des endroits très éloignés les uns des autres. Le superbe temple d’Abydos fut érigé là où fut retrouvée la tête, dit la tradition.

    Précisons quelques traditions.

    Dans les civilisations anciennes, le fait de « dire » amène à l’existence.

    De la même manière, lorsque naît l’écriture, le fait de lire à haute voix un texte amène à la vie.

    En Mésopotamie, les grands édifices se voyaient dotés dans leurs fondations d’une pierre munie d’inscriptions rappelant les mérites du constructeur, qu’il soit roi ou grand personnage. Si l’immeuble était ensuite agrandi, embelli, cette pierre devait être mise à jour et les inscriptions lues: le personnage important revenait alors symboliquement à la vie.

    Dans les tombeaux égyptiens, la lecture de textes figurant sur les murs « réveillait » tous les figurants, qui pouvaient alors servir à nouveau le défunt dans l’au-delà.

    Il suffisait de briser le support des graphismes, de l’altérer, pour que se rompît le charme ouvrant à cette renaissance.

    Ainsi, le graphisme d’une vipère cornue coupé en son centre annihilait l’existence du serpent.

    Et l’on connaît l’acharnement de Thoutmès III à détruire tous les cartouches d’Hatchepsout, ainsi que ses représentations, martelées sans pitié. La reine fut ainsi « éteinte » à jamais et sa puissance ne hanta plus les édifices et le pays.

    Lorsque Seth découpe Osiris en quatorze morceaux, il empêche ainsi toute renaissance de son frère ici-bas et dans l’au-delà.

    En effet, pour un Égyptien, le fait est terrifiant. Sans repère terrestre, le kâ, la deuxième âme, qui doit être nourrie par des offrandes et satisfaite par des pensées de proches, ne peut plus être ravitaillée en nourritures ou sentiments. C’est bien la raison pour laquelle les Égyptiens aisés se faisaient tailler des statues impérissables, destinées à suppléer des momies toujours aléatoires.

    Notons que la première âme, le bâ, est beaucoup plus proche de la conception abrahamique ; elle est le reflet de la présence divine en l’être humain, l’esprit-animateur, le signe de l’élection de l’homme.

    Isis, sœur et épouse dévouée d’Osiris, aidée par Nephtys, sœur et épouse de Seth, retrouvera treize morceaux de son mari, mais ne put jamais récupérer le quatorzième, son sexe jeté dans le Nil, qu’il fertilise avant d’être mangé par un poisson. Anubis, le dieu embaumeur, parviendra à reconstituer le corps et, à nouveau, Isis ressuscitera son mari.

    Treize temples marquent donc les étapes de la quête d’Isis.

    Et l’Égypte compta treize principautés, les nomes, reflets de cette légende.

    Revenu provisoirement à la vie, « ressuscité », Osiris est transfiguré, est divinisé par l’émasculation. En effet, les dieux créent sans sexe, car le monde est leur propre substance. Ainsi déshumanisé, Osiris montera aux cieux et deviendra le Dieu de la résurrection éternelle. Les cœurs des défunts sont pesés dans la balance d’Anubis, dont l’autre plateau porte les consciences (les plumes, ou maât). Le tri fait, le défunt pourra soit accéder aux Champs-Élysées, soit devra chuter dans les ténèbres et subir les tourments organisés par le serpent Apopis. Ce qui n’est pas sans nous rappeler les Jugements derniers du zoroastrisme, du christianisme et de l’islam.

    Remarquons que l’Égyptien « bienheureux » ne devient nullement l’égal des autres dans les « champs d’Ialou ». Il continue à être noble, prêtre ou esclave, même s’il est représenté sur les parois en agriculteur de terres merveilleusement prospères. À l’infini des temps.

    Les tombes égyptiennes contiennent toutes, si elles sont le fait de gens importants, des figurines et des dessins de servants, de danseuses, d’animaux destinés à suppléer une carence des officiants terrestres. Les parois de la tombe « s’animeraient » alors pour les satisfaire et leur fournir l’escorte et le statut social dont ils bénéficiaient sur terre.

    Horus se battra contre son oncle Seth. Il s’apprêtait à achever son parent quand les dieux s’interposèrent. Depuis lors Seth survit dans l’ombre, tente les hommes, les attire vers le Mal. Il est le versant noir jumeau du lumineux.

    Il en découle une tradition que nous retrouverons ailleurs : si le Mal est nécessaire pour que les vicissitudes et les drames humains ne puissent être imputés au Bien, qui ne peut être qu’inspiré par une parfaite Bonté, ce Mal doit être très inférieur au Bien, lequel ne peut être que Tout-Puissant.

    Ainsi Seth, figuré par un hippopotame, est-il minuscule – mais préservé par les dieux majeurs – sur les graphiques du temple d’Edfou, transpercé par un gigantesque Horus. Lucifer, comme Seth, est mineur ; il est tel un archange déchu. Il est à la fois un Satan et un Judas, car sa trahison est nécessaire pour qu’Osiris accède à son statut de Sauveur ressuscité et transfiguré en divin.

    Seules les religions de source iranienne attribueront au Mal une importance souvent équivalente à celle du Bien. La lutte sera là plus serrée.

    Les dieux ne voulurent pas faire disparaître le Mal ! Satan est nécessaire, car il disculpe le divin de la responsabilité plénière de ce qui survient à l’homme.

    Nous trouvons donc dans ce récit légendaire nombre de propositions très instructives.

    Quel bagage spirituel que celui-là, qui essaimera dans les ruches de beaucoup de religions contemporaines !

    Bien avant Moïse, bien plus tôt encore que Zoroastre et que la naissance du christianisme, voilà un tissu d’idées qui fera son chemin.

    Nous relevons l’existence d’un Dieu d’Amour, fils de la Terre et du Ciel, Osiris. Il est sacrifié et livré aux forces du Mal, lesquelles survivent à la légitime vengeance, car elles sont nécessaires pour que l’homme dispose d’un libre arbitre. Les âmes des défunts seront pesées lors d’un Jugement (individuel et immédiat en Égypte) et entreront au Royaume du Dieu d’Amour qui a ressuscité et est monté au ciel après un court délai de « survie » terrestre qu’il vivra transfiguré par la perte de son sexe. Et rappelons qu’Isis est une vierge mère d’Horus, le défenseur du bien.

    Nous vous l’avons annoncé : l’analyse de la légende de Gilgamesh est tout aussi surprenante, et perturbante pour la structure du sacré de religions actuelles, que celle d’Osiris. Voyons donc l’origine de la construction du récit du Déluge et de l’arche de Noé, récit important de l’Ancien Testament.

    Le 3 décembre 1872, une découverte bouleversera la fameuse société d’archéologie biblique de Londres. Un jeune chercheur de 32 ans, Georges Smith, annonce qu’il a décrypté sur des tablettes d’argile écrites en caractères cunéiformes le récit de la vie d’un roi dénommé Gilgamesh.

    Un exposé parfaitement iconoclaste : c’est une assemblée de dieux mésopotamiens, et non le Dieu Yaveh, qui décida d’éliminer par un Déluge une humanité brouillonne et trop nombreuse mais un certain Utanapishtim fut averti par le dieu de la sagesse, Ea, favorable aux hommes. Celui-ci lui enjoignit de « démolir sa maison pour se faire un bateau, de renoncer à ses richesses pour survivre, d’embarquer avec lui les spécimens de tous les animaux ». Et puis « tout y fut » comme dans la Bible hébraïque : le Déluge de sept jours, le lâcher de la colombe, l’échouage sur un sommet…

    L’assyriologue Jean-Marie Durand du Collège de France peut écrire : « on pensait que l’histoire était inscrite dans la Bible ; il fallait désormais inscrire la Bible dans l’histoire. »

    Mais ce serait réduire considérablement l’importance des douze tablettes découvertes en ne parlant que du Déluge.

    Certes, cette révélation de l’antériorité considérable d’une des « légendes » fondatrices du récit de l’Ancien Testament a littéralement soufflé les autres bougies du gâteau archéologique, mais le thème du texte de Gilgamesh est remarquablement intéressant à d’autres titres.

    Le récit est à vrai dire trop riche en péripéties pour que nous vous les rapportions toutes. Retenons les essentielles, empreintes d’un extraordinaire message de sagesse dans lequel l’épisode du Déluge est mineur. L’important est l’Épopée de Gilgamesh.

    Ce Gilgamesh se lie d’amitié avec Enduku, un ancien adversaire d’une force équivalente, apparemment surhumaine. Comme deux Hercules, ils vivent de multiples exploits merveilleux, en s’entraidant en une fraternité sans faille.

    À la mort, par maladie, d’Enduku, Gilgamesh est inconsolable (comme l’est Achille à la mort de Patrocle) et cherche à découvrir le secret de la « vie-sans-fin », censé être détenu par le héros du Déluge, Utanapishtim, qui vit dans le « lointain ». Mais en chemin, une cabaretière le raisonne : « Tu ne trouveras pas l’éternité. Lorsque les dieux ont créé les hommes, ils leur ont assigné la mort et ont gardé la vie entre leurs mains (…). L’unique perspective des hommes (est de vivre une famille heureuse). »

    Quelle sagesse, n’est-il pas vrai, dans cette « résignation sereine, plénière » enseignée par une femme au héros quelque peu débridé.

    L’Épopée de Gilgamesh insiste également sur le fait que Enduku, le sauvage absolu à l’origine, devient intelligent, « civilisé », par l’acte sexuel que lui enseigne une courtisane.

    Influence sur la Bible ? Jean-Marie Durand relève « le rôle d’Ève dans l’apport de la connaissance interdite à Adam, ce qui leur coûtera le paradis ». Mais aussi leur apportera la lucidité de l’indépendance. Pour Jean-Marie Durand, la sexualité, et donc la relation avec une femme, est le passage obligé du mûrissement de l’homme.

    Il ajoute que « tout destin héroïque, pour s’accomplir, doit passer par des phases d’impiété fondamentale ». Tel Jacob qui ne prend le nom « d’Israël » (« Lutteur de Dieu ») qu’après avoir vaincu à la lutte un ange.

    Et il conclut que le message de l’Épopée exprime que « l’immortalité des héros passe par la pérennité littéraire de leurs exploits ». La thèse fondamentale d’André Malraux, pour lequel l’homme mortel ne peut « survivre » qu’en laissant une trace, une griffe, dans l’humanité à venir.

    Mais il y a dans la douzième tablette une touche de philosophie exceptionnellement démographique. Depuis les Enfers où il réside, Enkidu, indiquera à son ami Gilgamesh que les dieux cajoleront les parents des familles nombreuses, l’ampleur de la lignée représentant la « bonne vie » du défunt. Et ils ignoreront les sans-lignée.

    L’ancienneté de cette Épopée prébiblique ?

    Son héros aurait été contemporain du roi Agga, ennemi de Gilgamesh souverain d’Uruk, si l’on suit l’analyse de la chercheuse Stéphane Foucart se basant sur des traces archéologiques sumériennes (« Le Monde » du 14 août 2007). Ce qui ferait remonter les fondements de la légende de Gilgamesh en 2700 avant notre ère (avec des « rebonds » amplificateurs en langue sumérienne, hittite, hourrite, akkadienne), soit quelque deux millénaires avant le début de l’écriture des cinq livres de la Bible hébraïque. Une rédaction qui aurait eu lieu, selon de nombreux savants, vers la fin du VIIe siècle avant notre ère.

    Revenons à présent sur le destin égyptien des Hébreux.

    Parcourons la Bible, en en extrayant les images fortes et en rédigeant un « livret » de l’épopée, éclairé de quelques adaptations et d’interprétations traditionnelles de la critique historique « douce ».

    Ainsi, lorsque la Bible parle de six cent mille Hébreux fuyant l’Égypte, nous avons opté pour des chiffres amputant de plus de 99 % cette évaluation « mystique ». Nous épousons ainsi les thèses de spécialistes avertis, car un tel exode ne peut se concevoir dans la situation démographique de l’époque. Il serait l’équivalent de toute la population du delta du Nil !

    Et nous traiterons en italiques les critiques historiques « dures ».

    Plongeons dans le récit biblique.

    Les Hébreux constituèrent en Égypte une collectivité turbulente et exploitée.

    Ils y étaient soumis à de durs travaux et subirent même des persécutions.

    Au XIVe siècle avant J.-C. leur situation devint intenable. Après la répression sévère qui suivit le règne d’Akhenaton, le pharaon au Dieu solaire unique, le monothéisme des juifs était fort mal vu par le tout-puissant clergé polythéiste du Dieu Amon-Râ.

    Le pharaon « amonien » (par opposition à « amarnien », ce dernier terme indiquant qu’il s’agit du courant d’Akhenaton, car la capitale de ce dernier était située sur le site de Tell-al-Amarna) ordonna même de massacrer tous les bébés israélites.

    Moïse fut sauvé de ce massacre par une chance extrême. Placé dans un petit panier flottant au gré du Nil, il fut recueilli par une fille du roi et devint un haut fonctionnaire de la cour, ses origines étant gardées secrètes.

    Réfugié dans le Sinaï à la suite d’un meurtre dont il était injustement accusé, il entendit l’appel de Dieu, lequel avait pris la forme d’un buisson ardent. Dieu lui commandait de se rendre en Égypte, de libérer le peuple juif du joug égyptien et de l’emmener dans le pays de Canaan.

    Suivi par les Hébreux, il franchit la frontière actuelle du Sinaï dans la région des lacs Amer et descendit vers la côte d’Arabie, appelée alors le Midian. Là, il épousa Tsipora, de haute naissance puisque fille du grand prêtre Jethro, et fut initié au mythe du Dieu unique local. Nous sommes à la fin du XIIIe siècle avant J.-C., et des sources égyptiennes parlent d’un certain Yahoh.

    Beaucoup de chercheurs liés à la croyance biblique – source contestée par les « minimalistes » pour qui Moïse est purement mythique – attribuent à cette initiation la certitude monothéiste de Moïse, ce Dieu allant, selon eux, devenir le Yahveh de la Bible. Pour ces chercheurs, le monothéisme juif serait né à cette époque, alors qu’à cet égard la période d’Abraham serait « douteuse ». Il est certain, en tout état de cause, que ce monothéisme fut souvent malmené par les influences des autres milieux religieux locaux.

    Moïse remonta alors vers le nord. La troupe de Moïse devait compter quelques milliers de personnes au départ. Elle grandit cependant, après avoir passé « la mer Rouge » et pénétré le Sinaï. La « mer Rouge », selon la traduction grecque, la « mer des Roseaux », selon le texte hébraïque, ce qui correspond bien mieux à la description d’un passage à gué, par basses eaux, au sud des lacs Amer.

    Le Sinaï, les quarante années de purification

    « L’armée » de Moïse s’amplifia donc, entraînant avec elle une série de clans de rencontre vivant dans ce désert extraordinaire de rigueur et de majesté. Cet ensemble de clans guerriers finit par former un groupe de 15 000 âmes environ, un groupe homogène et élevé dans une foi unique après les révélations de Dieu à Moïse.

    En effet, arrivé au Mont Sinaï, une vision le mena au sommet (2 285 m pour être précis, lieu de randonnées touristiques au-dessus du monastère de Sainte-Catherine) où Dieu renouvela l’Alliance déjà souscrite avec Abraham et lui remit les Dix Commandements après quarante jours d’entretiens.

    De longues journées malheureusement mises à profit par le peuple pour rompre avec sa foi et adorer un Veau d’Or.

    Courroux extrême de Yahveh voulant détruire ces infidèles, plaidoirie de Moïse obtenant leur grâce.

    Cette difficile traversée du Sinaï dura une quarantaine d’années, dit « la légende », afin de punir le peuple de ses errements et de renouveler une génération dégagée des miasmes égyptiens. Cette durée exceptionnelle et les heurts avec des peuples hostiles (Edomites, Moabites, Ammonites, Cananéens, etc.), donna aux Israélites leur extrême cohésion, et les moula dans le monothéisme de leur guide.

    Moïse devint, au fil de ce récit édifiant, la pierre angulaire du judaïsme, du christianisme et de l’islam.

    Il fut l’organisateur magistral de la religion hébraïque proprement dite. Répétons que c’est avec lui que Dieu renoua l’alliance conclue avec Abraham, après lui avoir enjoint de se rendre en Égypte où résidait le peuple d’Israël et de le ramener en Terre de Canaan.

    La Loi figurait sur des tablettes de pierre enfermées dans l’Arche d’Alliance, perdue depuis. Celle-ci, avec la Torah, constitue les deux symboles de la société hébraïque.

    La Torah ? Les cinq premiers livres de la Bible – le « Pentateuque » – qui relatent l’histoire des Hébreux avant Canaan et contiennent la Loi de Moïse.

    Voilà l’exposé porteur de la foi tel que le livre l’Ancien Testament, en incluant de notre propre chef dans ce récit quelques commentaires classiques.

    Avis divergent

    Mais… le problème vient de ce que toute notre information sur Moïse est contenue dans un seul passage de la Bible (le Pentateuque), rédigé bien après la mort de celui-ci. Probablement au temps de Salomon.

    La vérité historique, comme bien souvent en ces périodes lointaines, est impossible à cerner. C’est une question de foi : Moïse, comme Abraham, ont-ils ou n’ont-ils pas existé ?

    Un fait est déjà certain : Moïse n’aurait pu décrire, et écrire, sa propre mort telle qu’elle figure dans les textes.

    Il convient d’ouvrir ici une large parenthèse, en développant cette fois la critique historique « dure ».

    Le personnage de Moïse pose toute la problématique de la force probante historique de la Bible.

    Historiens et lecteurs avertis admirent souvent le souffle littéraire du livre – comme ils admirent la langue remarquable du Coran –, mais la plupart contestent sa valeur de source scientifique.

    Disons d’abord que la Bible bénéficie, par l’extraordinaire essor de la religion chrétienne, d’une aura qui accorde un statut prestigieux à l’Ancien Testament.

    Or, de multiples récits de même facture circulaient dans le chaudron du Proche et du Moyen-Orient. Ils ont pour la plupart été détruits du fait de la fragilité de leur support, faute de copistes de relais. Ils ont été gommés de la mémoire humaine.

    Seules subsistent du fond des âges des écritures gravées sur des tablettes de substances peu altérables, mais ces sources-là, souvent superbes, sont peu connues du public occidental. Nous pensons au Code d’Hammourabi, à la légende de Gilgamesh, etc.

    L’égyptologue réputé, Jean Yoyotte, professeur au Collège de France, fait donc remarquer que si le texte « judaïque » a connu une notoriété universelle grâce au vecteur du christianisme, il n’est, pour l’historien essentiellement scientifique, qu’une des versions du foisonnement imaginatif de ces lieux et de cette époque, qu’une version privilégiée par la chance. Par la Providence, diront les croyants, puisqu’il s’agit du message révélé de la seule Vérité divine.

    Pour les historiens, s’efforçant de ne tenir compte que de l’analyse rigoureuse des faits, les datations et les événements relatés dans le Livre sont sujets à grande suspicion.

    Et, précisément, Jean Yoyotte est un tenant exemplaire de l’attitude du chercheur rigoureusement scientifique.

    Donnons-lui la parole en parcourant l’interview qu’il a accordée à la revue « L’Histoire » (décembre 1996, n° 205).

    Rien ne prouve, déclare-t-il, que Joseph, haut fonctionnaire du pharaon, soit de la génération précédant celle de Moïse.

    Il est invraisemblable que six cent mille hommes, et leurs familles, aient traversé une mer Rouge « ouverte » aux piétons et aux chariots, ce chiffre représentant, nous l’avons dit, la population globale du delta du Nil à l’époque, à peu de chose près !

    Tout prouve que les étrangers étaient absorbés par l’Égypte dès leur connaissance de la langue et des us du pays acquise (l’adoption de la religion d’Amon tenant lieu de nationalité, la notion de race étant pratiquement inexistante) et qu’il est peu crédible d’imaginer que le pharaon ait pu tolérer un chancre religieux dissident important.

    Il est utile d’approfondir le cas de l’Empire romain.

    La Rome de la décadence, particulièrement brillante du fait précisément du mélange de populations extérieures intégrées dans un système politique débordé par l’infiltration de « Barbares », n’agit pas autrement.

    Le monde romain originel était bâti sur le principe de la citoyenneté jalousement réservée, accordée seulement à des « surhommes » originaires d’une région rigoureusement circonscrite, ou par élévations rarissimes décernées aux étrangers les plus méritants.

    La Rome décadente dut consentir à l’universalisme. Rejoignant ainsi, enfin, la démarche grecque. Une démarche grecque qui mit longtemps d’ailleurs à dépasser ses particularismes locaux.

    Socrate fut ainsi condamné à mort – par quelques voix de majorité sur cinq cents votants – par le parlement athénien, parce qu’il enseignait une tolérance constante et universelle, alors que la Cité ne pouvait admettre d’être placée à égalité avec l’environnement de l’époque.

    Mais par quel lien unir une Rome dont la collectivité devenait aussi disparate ? Par la religion. Orientée essentiellement vers la sacralisation de l’empereur. Comme pharaon, César est un dieu, et « absorbe », lui aussi, toutes les divinités locales.

    L’hostilité de Rome contre les chrétiens s’explique par le refus de ceux-ci d’adopter une mystique incompatible avec leur croyance.

    Il est pertinent de constater ainsi que le judéo-christianisme, devenu universel dans le bain grec, contesta l’universalisme concurrent, le romain fondé sur un polythéisme destiné à assurer la puissance d’un empire.

    Soulignons que cet empire étant un État, son pouvoir était forcément limité à un territoire, fût-il gigantesque. Alors que le christianisme avait, par essence, une vocation planétaire.

    Revenons à Jean Yoyotte.

    En ce qui concerne l’Égypte, il n’est pas impossible, évidemment, que quelques Hébreux aient manifesté leur opposition ouverte à la primauté divine du pouvoir pharaonique, et ainsi déclenché le courroux de la cour. Mais rien ne permet d’affirmer, sous le feu de la critique historique, que le « peuple » hébreu ait été persécuté, dans la mesure où il s’était largement assimilé à l’Égypte traditionnelle.

    La réussite sociale de Joseph dans l’entourage de la cour montre d’ailleurs combien l’assimilation des « étrangers » était acquise.

    Tout prouve également que les pyramides et autres grands ouvrages ne furent pas édifiés par des esclaves et des populations (notamment hébraïques) exploitées.

    Toute logique réfute le fait que les dix plaies d’Égypte (plaies épisodiques traditionnelles dans la région) soient survenues en même temps, car ce phénomène aurait forcément laissé une trace archéologique ou climatique vu son ampleur et ses effets sur la population et le sol.

    Toute analyse objective des affrontements « magiques » entre Moïse et ses opposants établit que nous sommes dans le monde des tours de sorcellerie dont les récits tissèrent la grande émotion surnaturelle des êtres simples de l’époque (… comme ils passionnent de nos jours une grande part de nos concitoyens).

    Toute étude géographique tend à démontrer que le départ d’un nombre restreint de familles hébraïques a pu être facilité, puis protégé, par la traversée de la mer des Joncs, sous les lacs Amer, où le terrain tour à tour s’assèche et s’humidifie fortement, rappelant un phénomène cou-rant dans la baie du mont Saint-Michel.

    Enfin, le thème du berceau de Moïse recueilli par une dame de la cour alors qu’il dérivait au fil de l’eau est un thème récurrent dans de multiples récits merveilleux. Et il était courant que l’on confie un enfant « étranger » à une dame de la cour issue forcément d’une famille riche afin de le doter d’une éducation raffinée, ce fait prouvant encore la volonté d’assimilation des étrangers par les Égyptiens.

    Jean Yoyotte ajoute : « La saga de Moïse ne peut être retenue comme une source de l’histoire. Je ne crois pas de bonne méthode de vouloir à tout prix fonder l’historicité sur certains détails vraisemblables, en oubliant le récit des magies et des miracles, objectivement peu croyables. »

    La Bible est un monument littéraire, dit-il, mais « du strict point de vue de l’Égypte ancienne, l’aventure de Moïse et la fuite des Hébreux sont des non-événements ».

    Jean Yoyotte estime également qu’il ne pouvait y avoir une quelconque analogie entre le monothéisme d’Akhenaton et le monothéisme de Moïse. Pour le pharaon, Aton, dieu unique, est le Soleil, alors que le dieu unique de Moïse a créé – notamment – le Soleil, puisqu’il a construit l’Univers.

    Et l’égyptologue considère que Moïse en était encore à l’affirmation de l’existence d’un dieu unique tribal, et qu’il faudra attendre le judaïsme pour l’universaliser.

    Pour notre part, nous pensons, comme beaucoup de chercheurs, que si le judaïsme a universalisé le salut, et chargé le peuple hébreu de servir ce salut en tant que peuple élu modèle, c’est le christianisme de saint Paul et de la diaspora grecque qui a universalisé réellement Yahveh en le transformant en un dieu lié à toute l’humanité. Et fait de Jésus le Sauveur de cette humanité en l’extrayant du seul milieu juif.

    Enfin, en bon égyptologue, Jean Yoyotte s’insurge contre la « prétention des monothéismes » de s’adjuger la création des lois morales.

    Pour lui, les polythéistes n’étaient guère en reste à cet égard.

    Dans l’Égypte ancienne, la Loi morale, celle établissant un bon ordre de l’Univers, était le fait de Mâat, la déesse assistant Osiris lors du pesage des âmes. Toute la légende d’Osiris et d’Isis est d’ailleurs un immense poème d’ordre moral.

    Il y avait en Égypte un contrat moral remarquable entre le monde divin et le monde humain. Et Moïse instaurera une Alliance identique entre Yahveh et son peuple.

    Claude Sanvin va encore plus loin que Jean Yoyotte dans le décapage de la personnalité de Moïse. Dans un article publié dans le numéro spécial « d’Historama » consacré à l’histoire d’Israël, il parle de « l’incohérence du récit biblique qui a réuni maladroitement des traditions diverses, des contes, des mythes, des généalogies pour en faire un tout ».

    Il prend notamment l’exemple de Joseph, fils de Jacob, qui fut vendu par ses frères en Égypte. Sans esprit de vengeance, il recommanda à sa famille de le rejoindre, car la famine régnait au pays de Canaan. Telle est la tradition biblique.

    Claude Sanvin estime lui, comme Guy Rachet d’ailleurs, que les Israélites (les enfants de Jacob) arrivèrent bien plus tôt dans le delta du Nil, dans les « bagages » des Hyksos. Restés en place après le départ de ces envahisseurs, ils durent se résoudre à abandonner leurs activités pastorales, l’Égypte ne se prêtant pas à un semi-nomadisme. Ils pratiquèrent donc de petits métiers et s’engagèrent souvent comme manœuvres dans les grands travaux d’architecture.

    Claude Sanvin rappelle que, selon la Bible, Dieu, après avoir appelé Moïse à sauver Son peuple « prisonnier » en Égypte, voulut curieusement le tuer en cours de route, puis se ravisa. Comme d’ailleurs Il voulut au pied du mont Sinaï la mort collective de ce même peuple coupable d’avoir adoré le Veau d’Or, et qu’il fallut la plaidoirie de Moïse pour qu’Il les épargnât. Nous avons déjà souligné le fait.

    Il rappelle également que Moïse accabla l’Égypte de dix plaies effrayantes, dont la dernière fut la mort de tous les premiers-nés de la nation. Il s’agit, dit Sanvin, d’un récit fondé sur la souvenance d’un sacrifice primitif en usage dans l’est de l’Égypte, sacrifice heureusement commué ensuite en la mise à mort d’un animal, à rapprocher du sacrifice d’Ismaël ou d’Isaac par Abraham.

    Soulignons ici que les musulmans n’ont pas tort de prétendre que l’enfant d’Abraham destiné au sacrifice (« le plus aimé, le préféré », avait dit Yahveh) fut Ismaël, le premier-né… et ce par l’effet de l’ancienne coutume, l’aîné ayant la faveur du père dans une société patriarcale.

    Toutefois, la version du sacrifice d’Isaac n’est pas non plus sans fondement. Ismaël n’était qu’un enfant bâtard et Abraham a fort bien pu considérer qu’Isaac était le seul enfant à prendre en compte.

    Le pharaon, écrit Claude Sanvin, aurait, selon la Bible, chassé brutalement les Hébreux au point que le pain ne put lever (d’où la tradition du pain azyme de la pâque juive). La Bible ajoute cependant : « Ils dépouillèrent les Égyptiens ! » Selon le récit, ils prirent le temps de se faire offrir – pour accepter de quitter les lieux et de débarrasser le pays des punitions divines – de l’or, de l’argent, des vêtements.

    Claude Sanvin s’engage résolument dans le démantèlement du texte de l’Ancien Testament.

    Moïse ne serait nullement un sémite, mais un Égyptien ! Son vrai nom serait « Messes » (« issu de » auquel s’ajoute un attribut divin comme dans le cas de Thoutmès, « issu de Thot » ou Ramsès, « issu de Râ »).

    Sanvin cite Manéthon, prêtre et historien égyptien du IIIe siècle avant J.-C., le grand classificateur des dynasties égyptiennes. Celui-ci parle en effet d’un prêtre chargé par le pharaon d’amener des « lépreux » travailler hors d’Égypte, un prêtre qui aurait pris le nom de Moïse. Le mot « lépreux » peut n’être que le signe d’un mépris à l’égard d’indésirables; comme nous disons de nos jours : « la peste soit de cette engeance. »

    Enfin… il semble impensable à Claude Sanvin que l’exode de Moïse ait pu se dérouler au milieu du XIIIe siècle, car les Égyptiens contrôlaient alors fermement le Sinaï. Ramsès II serait donc exclu en tant que pharaon régnant, de même que son successeur, car sa momie – et celle de Ramsès II – a été retrouvée, alors que la Bible affirme que le pharaon pourchassant les Hébreux a péri dans la mer Rouge avec toute son armée.

    La seule période faible et troublée, permettant donc aux Hébreux de se glisser entre les mailles du filet, remonte dès lors au début du XIVe siècle, c’est-à-dire à la fin du règne d’Akhenaton.

    Ce qui rendrait plausible la thèse selon laquelle des Hébreux pratiquant le monothéisme ont subi le courroux du clergé du dieu Amon.

    Et même qu’Akhenaton aurait été l’inspirateur du monothéisme juif.

    Voilà close cette longue parenthèse sur le personnage de Moïse.

    Poursuivons cette « merveilleuse » aventure…

    Moïse arrive en vue de la Terre promise, la Terre de Canaan.

    Au sommet du mont Nébo, dominant toute la vallée du Jourdain, Moïse, avant de mourir, confia à son fils spirituel Josué la tâche de la conquérir. C’est le début de l’histoire « d’Israël ».

    Ce qui domine, c’est l’idée de l’alliance entre Dieu et « le » peuple d’Israël. On retrouve ce mythe du peuple élu dans le shintô japonais ou l’incaïsme péruvien. Cette idée suscite un impérialisme certain de la pensée, une forme de certitude condescendante vis-à-vis des autres courants religieux, parfois même une arrogance à leur égard.

    La théorie du judaïsme ?

    Dieu est unique, créateur et gouverneur. Il n’y a pas de Trinité. Yahveh est donc comparable à Allah en sa solitude.

    Il est pur esprit, immuable. Il a choisi Israël pour en faire le dépositaire de la Loi et signer l’Alliance, dont le signe est la circoncision, comme en islam.

    « Son » peuple sera vainqueur tant qu’il adorera Yahveh. Des sanctions le frapperont au moindre relâchement religieux. Saint-Paul dira aux Hébreux (X, 31) : « Il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant. »

    Cette perception profondément enracinée de « juste courroux » d’un Dieu paternaliste irascible, et aussi l’acceptation d’une souffrance salvatrice méritée, entraînera ce que d’aucuns appelleront « la passivité » du peuple juif devant l’adversité, une passivité contestée par d’autres chercheurs.

    Tout ce qui lui arrive de mal est une expiation salutaire. La conquête par les Assyriens, la destruction du Temple, l’esclavage par les Babyloniens… et l’holocauste nazi s’inscrivent dans cette logique pour certains rabbins.

    Les prophètes sont les porte-parole du divin. Tous les actes sont connus de Dieu qui récompensera les bons et punira les mauvais. Nous ne sommes pas loin des mythes osirien d’Égypte et zoroastrien perso-médique selon lesquels :

    - un messie viendra un jour sur Terre et Israël sera « délivré ».

    - un Royaume divin sera instauré sur Terre.

    La croyance en la résurrection et l’immortalité de l’âme viendra plus tard et opposera les Sadducéens aux Pharisiens, adeptes de cette thèse. Maïmonide développera à cet égard la thèse de l’immortalité de l’âme conditionnée par l’effort de perfection du rationnel.

    La conquête et l’installation en terre de Canaan, le chemin de Moïse

    Une terre « sainte » guère hospitalière. Sans irrigation, la terre de Canaan est dure, âpre. Étés brûlants, hivers parfois excessifs. La pluie d’automne est la seule sûre.

    Les dieux agraires sont donc fort sollicités, l’animisme est de règle. Moutons et chèvres prolifèrent, à la différence des bovins, rarissimes. Les Israéliens s’efforcent d’éliminer les chèvres, animal « idéal » si l’on veut désertifier, car rien ne leur est indigeste. Là où le troupeau passe, restent le sable ou le roc.

    La lutte pour l’eau est essentielle entre Israéliens, Palestiniens et Syriens, car la Cisjordanie représente deux tiers du capital hydraulique d’Israël et le Golan « syrien » (annexé par les Israéliens) contrôle des sources essentielles du Jourdain.

    Les espaces d’habitation sédentaire étant dispersés en Canaan, tout regroupement était naturellement malaisé à l’époque de la Bible.

    Donc beaucoup de nomadisme, peu de cités « modernes ». Les nomades servaient souvent de réserve de main-d’œuvre pour quelques villes extrêmement riches.

    C’est à partir du XVe siècle avant Jésus-Christ que les Hébreux s’infiltrent, pactisent, servent avec zèle les populations fixées, lesquelles ne sentent pas le danger venir.

    Au XIIe siècle, la conquête commence, car l’époque est propice.

    L’Empire hittite s’écroule, se démembre. Les Égyptiens sont affaiblis, et les Assyriens ne font encore que fourbir leurs armes et élaborer leurs vastes projets. Les Hébreux vont profiter de l’opportunité.

    Pauvres Cananéens. Le Deutéronome relate les paroles de Yahveh. Elles sont sans équivoque et promettent villes détruites, massacres, redditions des infidèles, rois livrés à la vindicte des conquérants du Dieu de l’Alliance.

    Jéricho et Aï rasées, Gabaon et Hazor détruites, et bien d’autres cités altières refusant de se soumettre au Dieu des Hébreux subirent le même sort.

    Avis divergent

    Nous avons longuement parlé des thèses critiques d’un Rachet, d’un Yoyotte ou d’un Sanvin à l’égard de la tradition biblique concernant Abraham et Moïse.

    Ici, il apparaîtrait que Jéricho et Aï avaient déjà été abandonnées avant la « conquête hébraïque ».

    D’autre part, des traces écrites égyptiennes datant de 1220 avant Jésus-Christ mentionnent une présence déjà significative du peuple d’Israël dans le pays de Canaan.

    Guy Rachet et Max Weber estiment dès lors que les Israélites auraient été des Cananéens de souche, mêlés à des immigrés ayant adopté eux aussi le culte du Dieu El. Il n’y aurait jamais eu de conquête véritable, mais un soulèvement des gens des campagnes contre ceux des villes. Une jacquerie réussie.

    Au premier abord, l’aventure semble démesurée pour les Hébreux. La civilisation des villes est brillante et bien défendue.

    Les Cananéens excellent dans l’art d’édifier de terrifiantes fortifications, érigées par une aristocratie d’épée redoutable. La science de l’eau est remarquable et d’ingénieux ouvrages d’art alimentent les citernes.

    Les Romains furent à ce propos émerveillés par les structures d’écoulement de la forteresse juive de Massada, copie conforme des anciennes défenses cananéennes.

    Les guerres entre villes étaient la règle, comme s’opposaient Argos et Mycènes aux temps prestigieux de la Grèce. Entre elles des terres peu fertiles peuplées de nomades ou de sédentaires tolérés.

    Un monde sans merci : haches doubles, cimeterres, arcs et javelots, et les redoutables chars de guerre. Une civilisation du bronze qui alimente une belle sauvagerie aux frémissements d’apocalypse.

    Et cependant… le commerce est partout florissant, les marchands prolifèrent, les caravanes circulent, les trésors s’accumulent.

    Une grande intelligence côtoie une brutalité des premiers âges.

    Pensez à Ougarit, cette ville qui édifie un alphabet cunéiforme de 27 signes.

    Pensez que dans le Sinaï est née une écriture hiéroglyphique de 30 signes.

    Qu’en Phénicie, vers le XIIIe siècle, apparaissent 22 signes sans voyelles, au graphisme aisé. Un coup de génie, qui va irradier dans le monde araméen, hébraïque et gagner la Grèce. Et de là, le monde occidental tout entier, en ayant acquis, sous la lumière grecque, des voyelles assurant la sûreté de la communication du message de la pensée.

    Il est intéressant, à cet égard, d’écouter certains rabbins vanter l’approximation de l’hébreu, langue usant d’une écriture sans voyelles laissant ainsi la place à l’interprétation. Cette approximation leur paraît heureuse, car elle ouvre la porte à un certain flou, à une dimension où peut s’ébattre le mystère du message divin. Sécrétant, à l’infini, les exégèses, les commentaires. D’autant plus que n’existait aucun signe de ponctuation.

    Les religions locales ?

    Peu recommandables. Elles pratiquent les « sacrifices humains de fondation », destinés à attirer la bonne grâce d’un dieu sur un sanctuaire. On massacre les prisonniers ennemis. On vend amulettes et objets sacrés en masse. La superstition est partout, et les charlatans prêchent et prédisent les temps à venir. L’animisme promeut une multitude de dieux-animaux.

    Chaque ville a ses « baals », ses dieux, en un panthéon hiérarchisé sans limites. Les emprunts sont légion en ce qui concerne les idées égyptiennes et babyloniennes.

    Inévitablement ce « tohu-bohu » va s’organiser en une religion mieux charpentée. L’animisme se hiérarchise, comme le firent les panthéons grec et romain.

    « El » devient le Dieu dominant, « Baal », son fils, organise le monde, et assure notamment la pluie. Il a épousé sa sœur Anat, qui le protège contre le méchant Môt. Vous vous souvenez : Osiris, Isis et Seth !

    Môt assassine Baal, puis Anat tue Môt. Comme l’hiver tue l’été, et le printemps tue l’hiver. À chaque renaissance ou décrépitude renaissent à tour de rôle Baal ou Môt…

    Pour les Hébreux, c’est le temps des patriarches.

    Des chefs de tribu qui dirigent leurs ouailles en usant d’une autorité totale.

    Pierre Miquel, dans son remarquable ouvrage « l’Antiquité » relève dans la Genèse (XXXVIII, 24) l’exemple du patriarche Juda condamnant sa bru, Tamar, à être brûlée vive en sacrifice aux dieux.

    Les clans constituent les briques de base de l’édifice hébraïque. En leur sein, chaque homme est « frère », et la circoncision marque l’accession au monde des adultes.

    Nomades sourcilleux, caravaniers ou bergers, volontiers pilleurs, les Hébreux sont à cette époque polythéistes ; ils adorent Yahveh, le dieu du Sinaï, et la lune, et les dieux des sources, des montagnes, etc.

    Nous l’avons souligné : pour les chercheurs qui accordent une crédibilité à la vision biblique, c’est manifestement Moïse qui va dégager Yahveh de la cohorte de divinités qui l’escorte. Après avoir engagé les Hébreux d’Égypte à quitter une terre où ils étaient fort exploités et méprisés, Moïse va forger une nouvelle nation spirituelle durant les quarante années « à l’ombre des monts du Sinaï », ombre voulue par Dieu réduite en ce lieu d’épreuve.

    L’alliance est consacrée entre Yahveh et le peuple de Moïse. Et les nomades « épurés » deviennent d’ardents porteurs d’un intégrisme toujours vigilant.

    La vague de la tribu de Jacob, celle qui renaît de l’aventure égyptienne, impose Yahveh, « le dieu qui est », aux nomades hébreux déjà en Canaan, lesquels adoraient plutôt El, le dieu principal des Cananéens. (« Israël », rappelons-le, englobe cette appellation du divin).

    Les Hébreux furent ainsi soudés en un bloc redoutable, animé par le sentiment dangereux qu’ils étaient chargés d’une mission sacrée.

    Les « Israélites » avaient cependant affaire à forte partie. Les villes-citadelles étaient inexpugnables, et principalement celles des Philistins, munis d’armes de fer, qui constituaient des adversaires impressionnants.

    La stratégie sera alors d’user de l’infiltration, de se fixer à portée des villes. Mais la durée même de la méthode a un effet inattendu : les sédentaires reglissent vers l’animisme, vers le polythéisme des citadins dominants. Seuls les Hébreux du désert, encore nomades, conservèrent les vertus de l’Alliance.

    Le temps des juges est venu.

    Les douze tribus d’Israël écoutent l’appel des « purs », et désignent des Juges (qui combinent l’art de la guerre et la connaissance théologique) chargés d’élaborer la doctrine. Le Livre de l’Alliance va fixer des règles de pensée et de conduite rigoureuses.

    Mais les juges estiment également que les Israélites ne pourront conserver leur homogénéité religieuse et accomplir leur mission sacrée que s’ils s’emparent du pays de Canaan. Il ne s’agit pas de s’infiltrer, mais bien de s’emparer, d’écraser.

    Dieu n’avait-il pas dit à Abraham : « Sache bien que tes descendants seront étrangers dans un pays qui ne leur appartient pas (l’Égypte). On les asservira et, durant quatre cents ans, on les fera souffrir. Mais ce peuple qui les aura asservis, je le jugerai et tes descendants sortiront (…de l’Égypte…) avec de grands biens. Et à la quatrième génération, ils reviendront ici (le pays de Canaan). » (Genèse XV, 13-14, 16)

    Selon la tradition, la conquête de la Terre promise commence par la prise de Jéricho, ville cananéenne, dont les murailles s’écroulent après que les trompettes en ont fait sept fois le tour.

    On sait aujourd’hui, grâce à des fouilles, qu’il y eut à cette époque un tremblement de terre qui combla opportunément le lit du Jourdain, amenuisant ainsi considérablement les capacités de défense de la ville. L’on peut évidemment concevoir que le tremblement de terre fut le fait de Yahveh – ou que les Hébreux décidèrent d’attaquer parce que la région avait été frappée par un séisme général d’origine naturelle facilitant les agressions.

    Providence ou fait naturel, le choix de chaque conscience… car la ville n’existait plus depuis trois siècles! Devenue probablement indéfendable par comblement des fossés ou effondrement sismique, trois cents ans plus tôt.

    Toujours est-il que la guerre totale est déclenchée, et que les Hébreux engrangent de multiples victoires.

    Mais en 1050 avant J.-C., lors du combat épique d’Eben-ha-Ezer, les Philistins s’emparent de l’Arche d’Alliance !

    Battus, démoralisés, les Hébreux vont se doter d’un roi, d’un coordinateur général. Commence alors…

    Le temps des rois.

    Le roi Saül ne veut plus affronter les chars ni les phalanges des Philistins.

    Il devient donc un maître de la guérilla.

    Malheureusement pour les Israélites, les Philistins parviennent à obliger Saül à livrer bataille. Le roi meurt, et avec lui trois de ses fils.

    Un autre fils de Saül succède normalement, mais David, « l’ami » du vieux roi, forme un Royaume séditieux dans le Sud, le Royaume de Juda. Le fils de Saül est assassiné, après sept années de conflit majeur entre le Nord et le Sud. Bien évidemment soupçonné, David est blanchi par les sages et devient le roi d’Israël. Décision douteuse sur le plan moral : David est un intrigant, un brigand qui s’est allié au diable (les Philistins) pour survivre dans le Sud. Son aventure avec la merveilleuse Bethsabée démontre sa turpitude : il envoya au front le mari de la belle, qui y mourut. Salomon fut l’enfant de leur union contraire à la morale, et, surtout, à l’éthique israélite si sourcilleuse en cette matière.

    Mais David était un général génial, ayant formé une troupe aguerrie de soldats d’élite.

    Tout allait mal, tout va aller bien mieux.

    Il est vrai que l’époque favorise les Hébreux. En effet, les Assyriens sont assaillis par des ennemis plus proches et les pharaons sont affaiblis. Restaient les Philistins, toujours eux. Mais en sa jeunesse, David avait triomphé de leur géant Goliath. Alors ?

    Alors David gagna, s’empara de la ville de Jérusalem tenue par les Cananéens, et en fit sa capitale. Elle était centrale, facile à défendre, bien fournie en eau, et dotée d’un prestige religieux déjà remarquable. Déjà ! Nous sommes en 1005 avant Jésus-Christ.

    Nous devinons le triomphe fait à David lorsqu’il ramena l’Arche d’Alliance à Jérusalem !

    Riche, adulé, à la tête d’une armée galvanisée, David soumit une à une les peuplades avoisinantes : les Ammonites, les Moabites, les Edonites, les Araméens.

    Israël devient ainsi une grande puissance (ce que contestent, rappelons-le, les tenants du « minimalisme »).

    Mais chacun a son talon d’Achille. David, très « oriental », possède un harem.

    Ses fils ne se comptent plus. Nombreux sont ceux qui briguent la succession.

    Parmi eux, il y a Salomon, le dixième fils, celui qu’il a eu de Bethsabée, la favorite, dont il a sacrifié le mari.

    L’influence de Bethsabée est telle que Salomon est désigné comme dauphin.

    David meurt à soixante-dix ans, dans les bras d’une ravissante jeune fille, Abisag. Heureusement pour celle-ci il ne peut, trop épuisé dit la tradition, l’honorer comme il se doit.

    Aménophis III avait fait de même avec la remarquable Néfertiti, la fille du grand prêtre Aï, laquelle put ainsi épouser, bien préservée, Aménophis IV, le célèbre Akhenaton.

    Les rois hébreux avaient en commun avec les pharaons que la morale sourcilleuse des commandements religieux ne leur était que « modérément » applicable. Ramsès II épousa ainsi trois de ses propres filles…

    Les juifs orthodoxes, si exaspérés à l’époque de David par sa désinvolture morale, en ont fait aujourd’hui un personnage intouchable appartenant à la « légende religieuse » fondamentale d’Israël.

    Shimon Peres en fit l’amère expérience devant le parlement israélien. Agacé par les diatribes d’une opposition de droite déchaînée, il fit allusion au comportement léger de David en certaines circonstances. Mal lui en prit : motion de censure, offensive générale des ultra religieux. Même le repentir

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