Les fées au au Moyen Âge: Archétypes de la féminité, déesses et autres divinités mythiques dans le folklore et dans la littérature médiévale
Par Alfred Maury
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Alfred Maury
Alfred Maury, né le 23 mars 1817 à Meaux et mort le 11 février 1892 à Paris, est un érudit français. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer : Les Fées au Moyen Âge et Histoire des légendes pieuses au Moyen Âge, deux livres remplis d'idées ingénieuses qui furent publiés en 1843 et réédités après la mort de l'auteur, avec de nombreux ajouts, sous le titre Croyances et légendes du Moyen Âge (1896) ; Histoire des grandes forêts de la Gaule et de l'ancienne France (1850, une 3e édition corrigée parut en 1867 sous le titre Les Forêts de la Gaule et de l'ancienne France) ; La Terre et l'Homme ou Aperçu historique de géologie, de géographie et d'ethnologie générales, servant d'introduction à l'Histoire universelle de Victor Duruy (1854) ; Histoire des religions de la Grèce antique (3 vol., 1857-1859) ; La Magie et l'astrologie dans l'Antiquité et au Moyen Âge (1863) ; Histoire de l'ancienne Académie des sciences (1864) ; Histoire de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres (1865) ; un texte sur les rapports de l'archéologie française, écrit à l'occasion de l'Exposition universelle (1867) ; plusieurs articles dans l'Encyclopédie moderne (1846-1851), dans la Biographie universelle de Michaud (1858 et années suivantes), dans le Journal des savants, dans la Revue des deux Mondes (1873, 1877, 1879-1880, etc.)
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Aperçu du livre
Les fées au au Moyen Âge - Alfred Maury
Sommaire
CHAPITRE I : LES PARQUES ET LES DÉESSES-MÈRES
CHAPITRE II : LES FÉES
CHAPITRE III : LES ESPRITS FANTASTIQUES DES PEUPLES DU NORD
CHAPITRE I :
LES PARQUES ET LES DÉESSES-MÈRES
Le sentiment religieux s’éveille, chez tous les hommes, en présence du spectacle imposant de la nature ; mais suivant la physionomie de celle-ci, il prend un caractère différent et s’attache à des objets divers. Sous le ciel bruineux et triste de la Celtique ou de la Germanie, l’esprit n’est point affecté des mêmes impressions que sous le soleil brûlant de l’Afrique, ou sous l’atmosphère molle et vaporeuse de la Toscane. Devant les granits sévères de l’Armorique que la mer vient souvent ronger de ses flots écumeux, à l’entrée de ces forêts ténébreuses et profondes, telles que l’Erzgebirge ou les Ardennes, le long de ces fleuves majestueux aux bords romantiques et solitaires, comme le Rhin ou la Loire, au milieu de ces landes stériles, de ces immenses bruyères, de ces dunes mobiles de l’Aquitaine ou de la Domnonée, l’imagination est saisie d’une pensée grave et rêveuse ; elle ne s’allume pas d’un enthousiasme soudain ; elle ne se berce pas d’idées voluptueuses et riantes, comme elle le fait en face des scènes grandioses de l’Inde ou de l’Égypte, des vallées fraîches et fleuries de la Thessalie, des jardins magnifiques de la Perse. La pensée religieuse semble grandir avec la végétation, avec la force vitale d’expansion qui nous entoure. On pourrait la comparer à cette herbe modeste et humble de taille qui parcourt en un an le cercle de ses destinées, mais qui, transportée sous un climat plus actif, sous l’influence d’agents atmosphériques plus énergiques, s’élance fièrement en arbuste ligneux et se transforme même en un arbre d’une majestueuse prospérité !
L’étude des religions met tous les jours en lumière ces oppositions dans le caractère des croyances de chaque peuple, nées de la dissemblance des contrées qu’ils habitent. Qu’il y a loin de ce Dieu si vaste et si incompréhensible des Hindous, de ce Brahma, qui se cache dans des profondeurs insondables pour l’intelligence humaine, à ce Dieu informe du Kamtschadal, dont la figure est un pieu grossièrement taillé, planté près du foyer d’une yourte misérable ! On comprend donc que dans la Germanie, la Gaule et l’Helvétie, la religion ne se manifestât pas avec le gracieux cortège dont elle s’entourait dans la Grèce. Un site monotone et austère n’évoquait, dans l’âme des Celtes hardis et farouches, que des croyances terribles, que des conceptions religieuses simples et sévères comme la nature qui les environnait. Des divinités impitoyables régissaient à leurs yeux l’univers et faisaient pleuvoir sur les mortels les désastres et les maladies. Pour les nations septentrionales, aux regards desquelles s’offraient sans cesse des scènes de mort et de destruction, le spectacle effrayant de longues nuits, la pensée du néant venait se mêler à toutes les croyances et les dominait tout entières. Le trépas, la terreur, la souffrance semblaient des caractères plus particuliers aux Dieux que l’amour, la justice et la bonté ; ces fléaux étaient les attributs divins par excellence, et tant paraissait fatale et nécessaire aux Scandinaves cette loi de la destruction et de la mort, qu’ils y soumettaient leurs divinités elles-mêmes, lors de ce grand crépuscule qui devait éclairer les derniers instants de la nature.
Les météores étonnaient surtout l’esprit de ces anciens peuples, et c’était dans ceux dont ils redoutaient davantage les effets qu’ils reconnaissaient plus particulièrement l’intervention divine. Taranis ¹ frappait souvent de la foudre la cime orgueilleuse de leurs montagnes, et Circius ² faisait souffler un vent desséchant et impétueux. Au sein de cette Gaule que le soc de la charrue n’avait pas encore transformée en un des pays les plus riches de l’Europe, l’eau, la terre, la pierre et le bois, éléments premiers de l’industrie, étaient presque les seuls dons que le créateur eût départis aux habitants, dons précieux qui leur apparaissaient comme autant de divinités bienfaisantes révélant leur présence par ces objets grossiers en apparence, et dont la puissance mystérieuse devait être invoquée et bénie.
Antérieurement au druidisme, né des croyances orientales, l’adoration des fleuves, des forêts, des pierres, des lacs, des monts et des fontaines constituait tout le culte de nos ancêtres. Le druidisme ne le détruisit pas, il se combina seulement avec lui ³. L’épigraphie latine ne laisse aucun doute à cet égard ⁴. Les Vosges étaient pour les Celtes le dieu Vosegus ⁵, les Alpes, le dieu Poeninus ⁶ ; la forêt des Ardennes, la déesse Arduinna ⁷ ; le Rhin ⁸, le Danube ⁹, étaient honorés comme des divinités ; les sources thermales étaient invoquées sous le nom du dieu Borvo, du dieu Grannus, sous ceux des déesses Damona ou Sirona ¹⁰, etc. Rome, qui plaçait dans son Panthéon les dieux de tous les peuples qu’elle soumettait à son empire, confondit dans son vaste polythéisme les divinités de la Gaule et de la Germanie, et lorsque les inscriptions nous révèlent l’existence de divinités topiques, de croyances locales, elles nous les montrent déjà transformées par l’influence latine. Le nom du dieu romain est joint à celui du dieu gaulois avec lequel il offrait quelque analogie. C’est ainsi qu’Ogmius devint Hercule Ogmius ; Grannus, Apollon Grannus ; Camulus, Mars Camulus ; Abnoba et Arduinna, Diane Abnoba et Diane Arduinna ; Visucius, Mercure Visucius. La racine de ces vocables divins, étrangère au latin, dénonce la confusion que le peuple roi s’efforçait d’opérer entre toutes les religions, pour les ramener à la sienne et étreindre par un même lien sacerdotal ceux qu’il étreignait déjà par un même lien politique ¹¹. Quelquefois le nom primitif du dieu a tout à fait disparu ; le nom latin est resté seul. Mais malgré cette substitution d’un nom nouveau, il est presque toujours aisé de reconnaître la divinité nationale originaire. Que de fois on a retrouvé dans la France et l’Allemagne des inscriptions qui sont relatives aux Nymphes, aux Suleviae, aux Sylvains, aux Junones, et qui font voir combien le culte de ces divinités secondaires était répandu dans les contrées gauloises et germaniques ! Tantôt c’est un Praefectus aquae qui, sur les bords du Rhin, dresse un autel aux nymphes qui président aux ondes sacrées du fleuve ¹² ; tantôt c’est une druidesse, Arété, qui, sur l’ordre d’un songe, consacre un ex-voto aux sylvains et aux nymphes du lieu ¹³ ; une autre fois ce sont des charpentiers (tignarii) de Feurs qui réparent un temple de Sylvain ¹⁴. Ne sont-ce pas là des monuments qui attestent que le culte des bois, des eaux et des fontaines s’était encore conservé dans la Gaule pendant la domination romaine ? Dans ce lac dédié à Apollon et situé près de Toulouse, lac qui recevait les offrandes d’or et d’argent qu’y venaient jeter les Tectosages, ne retrouve-t-on pas également l’antique adoration des eaux ¹⁵ ?
Non seulement les peuples de la Gaule et de la Germanie adressaient leurs voeux aux agents physiques de la nature qui étaient pour eux les manifestations de puissances divines cachées, mais chaque