Le secret des Templiers
Par Hina Corel
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Aperçu du livre
Le secret des Templiers - Hina Corel
quoi !
1. Yu-Huang ou l’ermite du palais du ciel qui ne s’exprime que par des proverbes.
— La peur de l’échec ronge l’âme. Libère-toi de tes craintes et tu voleras.
La voix grave et empreinte de sagesse résonna dans la pièce circulaire. Des colonnes ornées de magnifiques symboles dorés longeaient les murs. Les rideaux filtraient la lumière du soleil, et une lueur rougeâtre inondait la salle, la plongeant dans une ambiance mystique. L’ensemble soulignait la magnificence de l’art asiatique.
Si Esther avait été subjuguée par le dessin du Livre Sacré, elle avait été étonnée que l’intérieur de l’édifice fut aussi splendide que son extérieur. Le palais du ciel resplendissait de beauté.
Quand elle avait utilisé le livre Ânkh à Paris, elle n’était pas certaine que tout fonctionne. Pas certaine que l’ouvrage magique puisse se contenter d’un simple « palais du ciel » pour l’emmener dans ce lieu reculé de toute civilisation, perdu sur les hauteurs de l’Himalaya. Finalement, le portail l’avait conduite exactement à l’endroit qu’elle souhaitait. Parfois, elle regrettait de n’avoir pu dire au revoir aux personnes qui lui étaient chères. À ses parents, par exemple. Mais elle n’avait guère eu le choix. Les hommes de Berlinski avaient récupéré son Livre Sacré à Boston, et le milliardaire la voulait maintenant morte. Se cacher sans prévenir ses proches lui était apparu comme étant la meilleure solution. Pour le moment.
La jeune fille inspira profondément et chassa de son esprit toutes les pensées parasites qui la déconcentraient. Puis elle posa son pied droit sur l’extrémité de la poutre improvisée qui s’étendait devant elle, quelques centimètres au-dessus du sol. L’exercice était complètement stupide. Elle ne pouvait espérer avancer sur cette poutre avec une seule jambe valide. Ses yeux se baissèrent sur la prothèse de sa jambe droite, puis sur les béquilles qu’elle avait posées dans un coin de la pièce. Et elle lâcha un soupir.
Peu importait les capacités hors normes que recelait son corps, jamais son membre manquant ne repousserait. Même si elle était une Ânkhos. Même si elle guérissait plus vite que n’importe quel humain.
— Je… commença-t-elle avec découragement.
— Le silence est parfois plus puissant que les mots, interrompit l’homme sans quitter des yeux son élève.
Esther déglutit. D’une, elle était handicapée, et de deux, elle avait le vertige. Même à 10 centimètres du sol. Elle avança néanmoins, sentant le regard lourd de l’homme peser sur elle. Ses bras battirent dans le vide quand son corps fut soudain attiré sur la droite. Ce geste instinctif ne l’aida même pas à reprendre son équilibre. Elle bascula et se réceptionna de justesse sur sa jambe gauche.
— L’acceptation est la source de l’évolution, dit la voix, énigmatiquement.
Esther pivota la tête vers l’homme. Elle l’avait rencontré une semaine plus tôt, le jour même où elle avait débarqué dans cet endroit isolé. Jamais elle n’aurait pensé rencontrer quelqu’un ici, dans un palais perdu au cœur des montagnes de l’Himalaya.
Yu-Huang se tenait à ses côtés, les mains dans le dos. Il portait une tenue traditionnelle chinoise bleue qui s’harmonisait parfaitement avec la décoration des lieux. Ses yeux bridés et sa petite taille lui rappelaient Chow Yun-Fat, dans le rôle du roi de Siam dans Anna et le Roi. L’Asiatique semblait vivre en ermite depuis plusieurs années. Jamais il ne mentionnait le monde extérieur, comme si tout ce qui se déroulait en dehors de ce palais lui était égal. Yu-Huang faisait partie de ces personnes évoluant en marge de la société, comme s’il était le dernier survivant d’une ancienne tribu qui avait échappé à l’influence de la mondialisation. En visitant l’édifice, Esther n’avait croisé personne d’autre que lui. À bien y réfléchir, cela n’avait rien d’étonnant. À moins d’être un Ânkhos, il était extrêmement difficile, voire impossible, d’atteindre ce lieu insolite, si haut perché au-dessus du monde. Le climat, pourtant hostile, n’avait pas altéré la beauté de l’édifice ancestral. Un grand jardin fleuri, protégé par un dôme de verre, s’épanouissait grâce à la lumière qui tombait du puits de lumière au-dessus des nuages.
— De toute façon, ça ne sert à rien ! J’ai perdu ma jambe, et rien ne sera comme avant ! s’exclama Esther en s’emparant de ses béquilles d’un geste rageur.
Yu-Huang comprenait et parlait le français parfaitement, sans aucun accent. Et même si la jeune fille trouvait cela très mystérieux, elle ne l’avait pas interrogé.
— Peu importent les cris, le vent les emportera toujours au loin, déclara calmement l’homme.
— Il n’y a pas de vent ici ! répliqua Esther en frottant ses yeux et en secouant la tête.
Elle regretta immédiatement le ton qu’elle venait de prendre face au Chinois qu’elle respectait et qu’elle appréciait. Même s’il s’exprimait toujours étrangement. Un peu plus et il lui dirait que la colère mène au côté obscur de la Force. À tous les coups, il ne connaissait même pas Star Wars…
— La colère embrume l’esprit, la patience est la vertu des sages.
Elle osa plonger son regard dans le sien. Comme elle, Yu-Huang possédait des yeux bleus, trait physique plutôt singulier pour un Asiatique. D’autant plus qu’il ne s’agissait pas d’un bleu ordinaire, mais d’un bleu ciel aussi pâle qu’irréel. Troublée, Esther détourna le regard.
Qui était donc cet homme ?
Dès le premier jour, elle aurait pu quitter le palais du ciel et ce curieux personnage. Mais elle avait décidé de rester. Pour se reposer et réfléchir au calme. Avec le recul, elle se rendait compte qu’elle n’avait pas toujours opté pour les choix les plus judicieux en janvier dernier. En Sibérie, elle avait quitté la jeep pour se jeter bêtement dans la gueule du loup. Même chose à Boston. La prochaine fois, parce qu’il y aurait forcément une prochaine fois, elle établirait un plan infaillible. Du moins, si elle y pensait. Dans le feu de l’action, on ne réfléchit pas forcément à toutes les solutions. En tout cas, le palais du ciel restait l’endroit idéal pour échapper aux hommes de Berlinski : personne ne le connaissait. Et même s’il apparaissait dans le Livre Sacré détenu maintenant par les Templiers, jamais ces derniers ne soupçonneraient qu’elle s’y était réfugiée. En plus de disparaître aux yeux de ses ennemis, l’adolescente souhaitait aussi garder ses distances avec les militaires de Genesis. Car même s’ils l’avaient protégée contre le nouvel ordre des Templiers, elle craignait qu’ils ne lui arrachent sa liberté en l’enfermant dans la maison sécurisée. À vie.
Toutefois, elle ne comptait pas rester ici indéfiniment. Juste le temps de remettre ses idées au clair et de s’adapter à sa nouvelle condition physique. Bientôt, elle reviendrait dans la civilisation pour lutter contre Berlinski. Il devait payer pour tout ce qu’elle avait enduré en janvier dernier.
— Je n’ai pas le temps de rester là, répondit Esther d’un ton plus calme. Je dois me venger d’un homme…
Si elle avait perdu sa jambe dans une explosion, c’était la faute d’un des Templiers.
— L’eau ne reste pas sur les montagnes, ni la vengeance sur un grand cœur.
— Pourquoi parlez-vous toujours ainsi ? Ce n’est pas normal…
— Celui qui croit comprendre ce qu’est la normalité n’est qu’un fou qui pense détenir les secrets de l’universalité entre ses mains, continua le sage, toujours imperturbable.
Esther s’aida de ses béquilles pour clopiner vers la porte.
— C’est ça, oui.
Sentant le regard puissant du sage posé sur son dos, elle sortit de la pièce et erra au hasard dans les couloirs baignés de lumière du palais. Après plusieurs minutes, elle s’arrêta au milieu d’un couloir dans lequel de larges fenêtres en forme d’arche s’étalaient sur le côté droit. Déposant ses béquilles, elle appuya son front contre la paroi tiède et promena son regard sur les montagnes qui se perdaient à l’infini. En baissant le regard, elle parvenait même à distinguer les marches menant à l’entrée principale du Temple. Celles-là mêmes qu’elle avait péniblement gravies le jour où elle était arrivée.
Une silhouette mouvante attira son attention. Plissant les yeux, elle distingua Yu-Huang. Il grimpait sur le flanc abrupt de la montagne grise avec une souplesse et une tranquillité déconcertantes. Il se hissa avec légèreté sur une haute corniche, laquelle donnait directement sur le vide.
Aucun grimpeur professionnel n’aurait pu l’atteindre sans corde ni harnais de sécurité. Mais le Chinois semblait se soustraire aux lois mortelles de la gravité, comme s’il se laissait porter par le vent pour progresser. Il se mit en tailleur et joignit les mains pour méditer sur ce rocher insolite. Un sourire sembla étirer ses lèvres durant un instant.
Le front collé contre la vitre, Esther resta un long moment à détailler Yu-Huang. Elle tenta, encore une fois, de comprendre qui il était vraiment. Mais elle ne parvenait même pas à deviner son âge ! Cent ans ? Vingt ans ? Impossible à dire. Ses pensées dérivèrent sur Berlinski sans qu’elle ne s’en rende compte. Puis sur les Livres Sacrés, sa famille, ses amis, sa jambe. Un mélange de sentiments contradictoires la submergea, telle une vague suffocante. S’accrochant à sa colère, elle reprit ses béquilles et s’éloigna.
2. La décision ou comment s’en prendre à un riche homme d’affaires qui dirige une organisation criminelle mondiale, sans lui donner rendez-vous dans une ruelle ténébreuse.
Deux jours plus tard, Esther termina son bol de riz et se leva péniblement. Près d’une colonne d’or, Yu-Huang l’attendait sans montrer le moindre signe d’impatience. Jamais il ne s’était joint aux repas de la jeune fille, et cette dernière le soupçonnait de se cacher pour manger.
Elle lui fit face et tenta de discerner sur son visage des indices qui trahiraient sa faim. Mais, il n’accorda même pas un regard au bol de riz vide.
— Merci pour le riz… et pour le reste, commença alors Esther, mais… je ne pense pas rester ici longtemps. Je… je vais partir…
Elle avait entreposé ses affaires dans un coin. Avec le livre Ânkh de niveau 3 que Logan lui avait donné. Yu-Huang n’avait pas montré une once de curiosité à propos de l’ouvrage. D’ailleurs, il ne l’avait jamais questionnée sur sa présence dans cet endroit secret. Il l’avait juste accueillie. Peut-être même ne souhaitait-il qu’une chose : qu’elle parte.
— Le vrai voyageur ne sait pas où il va, répondit-il tranquillement.
Esther détourna le regard transperçant de son interlocuteur et médita un instant ses paroles. L’image de ses parents s’imposa dans son esprit. Ils lui manquaient, mais elle ne pouvait pas les revoir sans les mettre en danger. Quant aux Templiers et Genesis, les deux groupes lui sauteraient dessus si jamais elle refaisait surface. Si ses ennemis l’attrapaient, soit elle serait tuée, soit ses proches seraient menacés pour qu’elle utilise le Livre Sacré. Berlinski avait bien pointé son arme sur Logan en janvier pour qu’elle crée des bombes avec le Livre Sacré. Au contraire, si Genesis la repérait alors elle finirait sa vie dans un endroit sécurisé où il lui serait impossible de sortir. Et pire, on lui confisquerait son livre Ânkh. On l’empêcherait tout simplement d’être ce qu’elle était. Au bout du compte, Yu-Huang avait entièrement raison. Elle ne savait pas où aller, mais elle savait une chose : elle devait lutter contre le milliardaire.
— Je vous ai déjà dit que je partirai… Je le dois, hésita-telle un instant en se demandant pourquoi elle répondait aux répliques de Yu-Huang. Je dois le tuer…
— Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence alors tais-toi.
Esther déglutit et fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Connaître son ignorance est la meilleure part de la connaissance.
— Hum, marmonna Esther pas plus avancée que cela.
— Nul est besoin de poser la question quand la réponse est déjà là, continua Yu-Huang en s’approchant de la jeune fille.
— Bon… je… j’en ai assez avec vos devinettes ! s’exclama-t-elle. Je pars.
L’homme leva une main et la plaqua sur l’épaule gauche de la jeune fille avec une puissance phénoménale. Elle tomba sur les fesses sans comprendre ce qui lui arrivait. Ses béquilles tombèrent par terre dans un bruit léger. Un silence s’installa pendant une seconde.
— Mais… ma jambe !
— Lorsque l’on tombe, ce n’est pas le pied qui a tort.
— Non, bien sûr ! Vous m’avez poussée ! s’enflamma Esther en se penchant pour ramasser ses béquilles.
S’appuyant sur les deux objets, elle se releva avec difficulté et se posta face à l’homme. Ce dernier esquissait un début de sourire, ce qui ne fit qu’augmenter un peu plus la colère qui courait dans ses veines depuis son réveil du coma.
— Mieux vaut tomber maintenant dans l’herbe que plus tard dans les sables mouvants.
— Que…
— Un homme qui comprend son cœur est plus fort que mille qui ne l’écoutent pas, dit Yu-Huang en tournant autour de la jeune fille, les mains dans le dos.
— Vous… vous voulez dire que je ne comprends pas mon cœur ? Qu’est-ce que vous en savez d’abord ? J’ai tout fait pour sauver ma famille et… et j’ai failli mourir. J’ai même perdu une jambe ! Et je ne la retrouverai jamais ! Jamais !
La rage et la tristesse résonnaient avec force dans chacun de ses mots. Elle contracta la mâchoire et serra les dents pour retenir les sanglots qui menaçaient d’éclater dans sa gorge.
— Celui qui refuse le changement n’est qu’un fou.
— À cause d’eux, je suis comme ça ! Tout ça, c’est leur faute !
Une fureur infinie enveloppait chaque parcelle de son corps. La raison l’avait abandonnée au profit de ses sentiments trop longtemps refoulés et elle s’imaginait en train de frapper Berlinski avec violence. Brisant sa mâchoire, éclatant ses dents et cognant son crâne contre le sol jusqu’à ce qu’il la supplie d’arrêter. Cette vision, loin de l’apaiser, contractait chacun de ses muscles, et ses mains s’étaient resserrées avec force autour de ses béquilles.
— Quand la colère enveloppe l’esprit, il est difficile de discerner la vérité.
Il captait sa rage, mais ne fit pas un geste réconfortant dans sa direction.
— Je suis pas énervée ! Berlinski doit payer ! C’est tout. Il doit mourir !
Elle fit mine de s’en aller, mais Yu-Huang se posta devant elle pour l’en empêcher. Submergée par la colère, elle ne rêvait plus que de tuer Berlinski en cet instant, se demandant bien pourquoi elle n’avait pas agi plus tôt au lieu de fuir ici.
— Celui qui court après l’épée doit s’attendre à être blessé.
— Et je n’ai pas couru après l’épée ! Vous êtes fou !
— Celui qui est fou est celui qui croit comprendre alors qu’il ne comprend pas.
— Difficile de vous comprendre avec votre charabia continuel !
— Quand l’esprit est fermé, nul ne peut lui ouvrir les portes de la sagesse.
— Ouais, ouais.
Elle secoua la tête alors que les larmes coulaient abondamment sur ses joues rouges.
— J’aurais dû rester avec mes parents, marmonna-t-elle, comme si elle était épuisée. Et ne jamais aller à Éden. Alors rien ne serait arrivé.
Son regard se posa sur sa jambe artificielle. Son corps détruit.
— Regretter le passé, c’est courir après le vent, dit calmement Yu-Huang.
Cette fois-ci, la jeune fille ne répondit rien. Les paroles du sage s’imposèrent dans son esprit comme un coup de fouet en plein visage. Il avait raison. Elle ne pouvait pas espérer que tout redevienne comme avant. C’était impossible. Sans elle, les Ânkhos capturés par Berlinski n’auraient peut-être pas été relâchés. Et le nouvel ordre des Templiers n’aurait pas été dévoilé et aurait continué à agir en toute impunité. Même si elle avait dû subir de terribles épreuves en janvier dernier, elle avait accompli des actes courageux. Elle s’était montrée utile pour sauver les siens. Elle avait fait preuve d’une force de volonté qu’elle ne se connaissait pas. Elle avait aussi rencontré Logan et Ronan. Son cœur se serra en repensant aux deux garçons qu’elle avait abandonnés en plein cœur de Paris, sans un mot. À ses parents, qu’elle avait aussi quittés sans un regard en arrière. À Berlinski et à Genesis, qui l’avaient forcée à venir se terrer au palais du ciel. Loin de tout. Loin de la réalité qu’elle avait voulu fuir. Et peut-être même oublié.
Mais depuis qu’elle vivait aux côtés de Yu-Huang, ses souvenirs n’avaient pas cessé de la hanter. Ils ne disparaîtraient pas avec le temps. Elle devait se faire une raison. Ils faisaient maintenant partie d’elle. Ils constituaient son identité et sans eux, elle n’était pas vraiment Esther Duval. La jeune fille qui avait sacrifié sa dernière année de lycée et sa jambe pour sauver ses parents. Alors que d’autres, à sa place, auraient lâchement fui, elle, elle avait osé affronter les dangers qui se dressaient sur sa route. En quelque sorte, elle avait endossé le rôle difficile d’une héroïne. Comme celles qui resplendissaient au cinéma et qui ne baissaient jamais les bras devant l’adversité. Avec ses pouvoirs d’Ânkhos, elle pouvait même se qualifier de superhéroïne.
Les larmes avaient cessé de couler et la colère s’était dissipée. L’adolescente ne s’était pas sentie aussi légère depuis bien longtemps, elle avait l’impression de s’extirper d’un long tunnel sombre et d’atteindre enfin la lumière. Une idée germa