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La course
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Livre électronique306 pages4 heures

La course

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À propos de ce livre électronique

Vous avez un rêve? La Fédération peut vous l’offrir!

Participez à la plus spectaculaire et dangereuse course de tous les temps pour tenter de remporter une récompense suprême! Mais n’oubliez jamais: méfiez-vous de vos ennemis
et encore plus de vos alliés.
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2019
ISBN9782898030147
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    Aperçu du livre

    La course - Hina Corel

    CHAPITRE 1

    Quelques étoiles scintillent encore dans le ciel bleu marine, mais elles sont vite chassées par l’aube naissante. Seules les deux lunes restent au-dessus de ma tête : l’une blanche et petite, l’autre, aux nuances violacées, immense. Cette dernière est un peu mangée par l’horizon qui s’illumine à vue d’œil et resplendit de teintes maintenant rosées.

    Je chausse mes patins et je m’élance sur la glace épaisse du lac. En cette saison de l’année, elle est très solide.

    J’effectue plusieurs tours, l’esprit aussi libre que le vent glacial qui pique la peau de mon visage. Mes longs cheveux blonds forment un étendard dans mon dos. La brise me les renvoie violemment dans la figure alors que j’effectue un virage serré. Je ralentis et me mets à tourner sur moi-même comme une toupie. Le décor devient flou jusqu’à ce que je perde en vitesse. Je m’arrête, le cœur battant à cause de l’effort. À chaque expiration, un nuage se forme au bord de mes lèvres et disparaît dans l’atmosphère. Mon regard se pose alors sur l’horizon d’où émerge un disque flamboyant : le soleil, aussi rouge que le sang qui coule dans mes veines. La journée sera magnifique malgré les températures froides de l’hiver.

    Une bourrasque plus puissante s’élève soudain. Les cimes des conifères murmurent sur son passage et la poudreuse des congères s’envole telles des nuées de petits insectes blancs. Dans la forêt de résineux qui longe une partie du lac, j’entends le piaillement des oiseaux. Comme s’ils s’offusquaient de cette brusque agitation qui vient de faire frémir les branches sur lesquelles ils vivent.

    Tandis que le soleil grimpe dans le ciel, je continue de patiner avec pour seule partenaire la nature sereine qui m’enveloppe. Sous les rayons du soleil levant, la neige brille de mille feux, ce qui me contraint à poser mes lunettes de soleil sur mon nez.

    Les poumons brûlants à cause du froid, je m’arrête une heure plus tard et me dirige vers le bord de la falaise d’un pas assuré. Je m’assois sur un rocher… sur mon rocher. Il est plutôt confortable une fois débarrassé de la pellicule de neige qui le recouvrait. D’où je me tiens, je peux admirer la vallée s’étendre en contrebas, ensevelie sous la neige. Je distingue des villages par-ci et par-là grâce aux colonnes de fumées qui s’échappent des cheminées. Tout au bout de ce panorama, si je plisse bien les yeux, je devine la ville. Les silhouettes floues de ses hauts immeubles, les reflets rouges du soleil sur les parois vitrées de ses immeubles… Certains jours, il est même possible d’entendre le bruit du train à grande vitesse. Plusieurs minutes s’écoulent. Mon cœur agité par l’exercice matinal reprend un rythme normal. Je me lève finalement en sentant le froid, tenu à distance par l’effort physique, s’infiltrer à travers mes gants. Je prends donc la direction de la maison au pas de course.

    Un ronronnement attire mon attention vers la forêt de sapins et je ralentis le pas. Une panthère blanche émerge des résineux et ses yeux sombres semblent m’observer avec curiosité. Les battements de mon cœur s’accélèrent, mais je n’éprouve pas de peur, c’est de l’excitation. Alors que j’esquisse un geste en direction de la belle créature, celle-ci disparaît sous le couvert des résineux. Je l’ai effrayée et elle a pris la fuite. Beaucoup de panthères vivent dans la région, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en caresser une seule. Elles sont beaucoup trop peureuses malgré ce que les gens de la ville peuvent bien prétendre.

    Je dévale la pente et aperçois enfin mon village : cinq maisons qui se dressent non loin les unes des autres. Il n’y a que des personnes âgées ici, à croire qu’il faut un certain nombre de rides pour pouvoir s’y installer. Même dans les hameaux des alentours, les enfants sont plutôt rares ; je les rencontre souvent près du lac, l’hiver et l’été. Quand on ne peut pas patiner, on se baigne. Les gens préfèrent le dynamisme des grandes villes à l’ambiance ennuyante des campagnes où il ne se déroule jamais rien d’excitant. Il ne se passe pas un jour sans que je rêve de la ville et que je m’en effraye. Parfois, je m’imagine en train de traverser la vallée pour gagner les immeubles qui se dressent dans le lointain, un baluchon sur l’épaule.

    J’aime cet endroit, ses montagnes magnifiques avec ses cols qui restent blancs même l’été. Le lac sur lequel je patine tous les matins et dans lequel je me baigne quand la glace a disparu. Les sentiers boueux ou poussiéreux que j’emprunte pour effectuer des randonnées. La vue imprenable sur la vallée et les couchers de soleil magnifiques que je contemple en altitude. Cependant, j’ai besoin d’autre chose que d’un paysage exceptionnel dans ma vie. Je veux découvrir le monde, rencontrer des gens, m’amuser et, pourquoi pas, mener la grande vie de ces stars qui pullulent sur les écrans télévisés. Avant tout ça, je dois accomplir quelque chose. Quelque chose qui hante mon esprit jour et nuit, qui s’insinue dans mes veines et me paralyse de terreur. J’aimerais être une héroïne téméraire, mais le courage me manque. Rester perdue dans ces montagnes m’évite d’affronter la peur qui pourrait me ronger si je décidais de partir.

    Une fois arrivée à la maison, je me glisse sous une douche bien chaude, puis m’enveloppe dans des vêtements confortables. Après avoir rapidement noué mes cheveux humides, je sors de la salle de bain.

    Dans le salon, surmonté d’un dôme de verre qui laisse généreusement pénétrer la lumière du soleil, j’aperçois ma sœur jumelle assise sur le canapé. Son attention est accaparée par l’écran plat suspendu au mur juste en face d’elle. Je la détaille un instant, comme si c’était moi qui étais installée devant la télévision et que je n’étais plus qu’une spectatrice de ma propre vie.

    Physiquement, nous nous ressemblons énormément avec nos cheveux blonds, notre visage un peu trop rond et nos yeux bleus. Seule la cicatrice qui s’étend sur ma tempe gauche nous distingue. Instinctivement, je l’effleure doucement, du bout de mes doigts, comme si j’espérais sottement qu’elle soit disparue, emportant avec elle les terribles épreuves que j’ai dû traverser. Mais les sillons formés par la blessure sont toujours là. Je me souviens encore très bien du jour où cette entaille a déchiré ma peau.

    Sidnay est quelqu’un de calme et de simple. Elle se plaît beaucoup dans cet endroit et espère probablement ne jamais le quitter. Contrairement à moi, elle a eu la force de tourner la page sur notre ancienne vie. Ma sœur a fui la réalité et se réfugie tous les jours dans le cocon protecteur que lui offre cette vie empreinte de sérénité. Je serais tentée de croire que, d’une manière ou d’une autre, elle a fini par tout oublier. Et que c’est pour cette raison qu’aucune trace de colère ou de tristesse n’anime jamais ses traits délicats. Je devrais peut-être l’imiter, mais je n’y parviens pas. Quand les cauchemars m’éveillent et que le désespoir m’envahit dans l’obscurité de ma chambre, je me dis qu’il serait préférable pour moi aussi de tourner le dos au passé et de regarder vers l’avenir. Mais à mon réveil, mes idées de vengeance resurgissent…

    Il m’est impossible d’imaginer qu’on puisse oublier. Chaque étape de notre vie, heureuse ou triste, reste gravée dans notre corps et dans notre esprit. C’est ce qui nous constitue, ce qui nous donne notre identité propre. Ce qui nous fait avancer.

    — Dépêche-toi, Kimlay ! Ça va bientôt commencer, s’enflamme-t-elle en entendant mes pas sur le parquet.

    Sa voix trahit son excitation inhabituelle. Il n’existe qu’une chose qui puisse mettre ma sœur dans un tel état : la Course. Mon cœur s’emballe. Cela fait déjà plusieurs jours que la Course accapare chacune de mes pensées. Les nuits où je ne fais pas de cauchemars, elle agite mon sommeil, m’éveillant bien avant l’aube pour profiter du lever de soleil sur le lac gelé.

    Fébrile, je m’assois à côté de ma sœur. Sur l’écran plat, le présentateur de l’émission de la Course a une épaisse chevelure blonde et un sourire éclatant. D’une voix fiévreuse, il interroge plusieurs invités, dont d’anciens champions aux visages maintenant parsemés de rides profondes. Ses lèvres n’arrêtent pas de remuer et je perds vite le fil de leur conversation inintéressante. Une pause publicitaire est ensuite diffusée avant que le nouveau générique de l’émission n’apparaisse. Il est plus entraînant que celui de l’an passé.

    Le passage crucial de l’émission ne commencera pas avant une bonne heure, s’il n’y a pas de retard. Une attente interminable durant laquelle je ne pourrai pas m’empêcher d’espérer que, cette fois-ci, j’aurai enfin une chance de participer à la Course, même si mes chances d’y parvenir frôlent le zéro. Des millions de gens s’inscrivent chaque année dans l’espoir de concourir et de décrocher les formidables récompenses proposées. Hélas, seuls 80 heureux élus sont sélectionnés par la Fédération de la Course. Quatre-vingts ! Un nombre dérisoire et, pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’y croire… Comme tous les autres. La Course représente une chance unique pour tous les participants de recevoir de splendides récompenses. Et surtout, elle permet au vainqueur d’exiger quelque chose d’unique : un vœu que la Fédération est en devoir d’exaucer. Voilà pourquoi, depuis plus de 50 ans, tous ceux qui rêvent de richesses s’y inscrivent. Ils n’ont plus qu’à croiser les doigts lors du tirage au sort retransmis en direct partout dans le monde.

    C’est la quatrième année que je m’inscris, car il est impossible de participer avant l’âge de 15 ans. J’ai déjà essuyé trois déceptions, alors une de plus ne changera pas grand-chose. J’y suis habituée maintenant. Si je ne suis pas choisie aujourd’hui, je m’inscrirai l’an prochain. Et l’autre année qui suit, jusqu’à ce que mon nom soit enfin tiré. Il finira bien par l’être, non ? Si certaines personnes sont choisies, pourquoi ne le serais-je pas ? Je le mérite plus que quiconque, puisque ce n’est pas l’argent qui m’intéresse.

    Quelqu’un vient d’ouvrir la porte d’entrée. Sidnay et moi nous tournons d’un même mouvement de tête. C’est Ossian, notre tuteur. Notre défendeur. Notre ami.

    Il retire son bonnet pour dévoiler son crâne complètement dégarni. Après avoir secoué et rangé son manteau, il nous rejoint d’un pas léger. Avec sa carrure impressionnante, personne ne penserait qu’il puisse faire preuve d’autant de discrétion et de souplesse dans chacun de ses mouvements. C’est dû à un excellent entraînement par le passé, dans l’empire de Raar. Son regard vif d’ancien militaire s’attarde un instant sur l’écran pendant que le présentateur parle d’un sujet quelconque. Puis, il se pose sur ma sœur et enfin sur moi. Je lui adresse un signe de la main qu’il me rend avant d’aller dans la cuisine. Je l’entends mettre de l’eau à bouillir.

    Je reporte mon attention sur la télévision. Le plateau vient de disparaître pour laisser place à la Grande Place d’Ysasty, bordée d’immeubles aussi blancs les uns que les autres. L’endroit est bondé et le groupe de rock qui se produit sur la scène semble légèrement tendu. Quand la caméra se relève un peu, j’aperçois plusieurs zeppelins. Ces petits drones stagnent dans le ciel bleu, juste au-dessus de la Grande Place, où s’effectuera le tirage au sort.

    Quelques dizaines de minutes plus tard, l’agitation monte d’un cran sur le plateau de télévision et à Ysasty. Mon ventre se noue d’appréhension quand je constate que l’heure du tirage au sort est imminente. Je me redresse, plus attentive.

    Ossian s’est installé à côté de nous. Il a terminé sa tasse de thé, la gardant vide à la main. Il est aussi inscrit à la Course.

    Mon cœur palpite dans ma poitrine et disperse une vague de chaleur dans tout mon corps. Le présentateur devient nerveux, comme à l’approche d’un grand événement. Le groupe de musique a arrêté de jouer et quitte à présent la grande estrade aménagée. L’écran géant qui se dresse derrière celle-ci diffuse maintenant les scènes les plus impressionnantes de la précédente Course. Je les reconnais toutes sans exception et Sidnay ne peut s’empêcher de les commenter. Le logo de la Course apparaît finalement dans un élan d’applaudissements et de hurlements hystériques : un guépard noir. L’hymne de la Course se met alors à retentir. Le tirage au sort va débuter !

    Pendant la brève musique, une roue en or est installée sur la scène et les organisateurs s’empressent de partir tandis que les dernières notes résonnent à la télévision. Un silence presque irréel s’installe pendant une fraction de seconde.

    L’empereur de Ragoon gravit les marches menant à l’estrade sous un tonnerre d’hurlements. Le monarque lève les bras, un sourire aux lèvres. La foule surexcitée le salue dans un brouhaha inintelligible. Entouré de militaires aux uniformes bleus, il se dirige avec une lenteur inimaginable vers la roue, comme s’il se délectait de faire perdurer le suspens encore plus longtemps. J’ai envie de le secouer violemment pour le bousculer un peu.

    Une légère douleur m’oblige à baisser les yeux en direction de mes mains. J’ai serré les poings tellement fort que je me suis planté les ongles dans la peau. Ignorant les rares gouttes de sang, je reprends le cours de l’émission, obnubilée par cette roue dorée qui n’est en fait qu’un ordinateur complexe.

    Lorsque la roue commence à tourner, les sons s’estompent. Même le présentateur, qui n’a pas pu s’empêcher de commenter la tenue sombre du régent, reste muet. Je tapote du pied avec frénésie. Mes yeux font des allers-retours entre l’écran et ma tablette, posée sur la table basse devant moi. Elle vibrera si je reçois un message… si je suis sélectionnée.

    La foule émet un cri suraigu quand le visage du premier concurrent sélectionné apparaît. Il reste affiché deux secondes avant qu’un nouveau ne le remplace. Et ainsi de suite. La roue continue de tourner sans perdre de vitesse, lancée jusqu’à ce que le dernier concurrent soit tiré au sort.

    J’ai beau me concentrer, les photos des participants défilent à une telle vitesse que certaines m’échappent complètement. Des cheveux bruns ou des mèches vertes par-ci. Des yeux bleus ou sombres par-là. Je n’ai pas encore aperçu mon visage. Je n’ose plus cligner des yeux, tant pis s’ils me brûlent de plus en plus. Une faute d’inattention et je pourrais me rater !

    Trente-cinq personnes ont déjà été sélectionnées. Les visages continuent de défiler encore et encore… Tout à coup, mon cœur fait un bond dans ma cage thoracique et je manque de lâcher un cri. L’instant n’a duré que quelques secondes. Je ne suis pas certaine. Était-ce mon imagination qui m’a joué un tour à force de croire que je serai choisie ? Il y a tellement d’inscrits qu’il n’est pas rare de se tromper. Tous les ans, des gens se découvrent des sosies, vivant de l’autre côté de la planète.

    Pourtant, je suis persuadée d’avoir aperçu ma tête. Même si je n’ai pas eu le temps de lire le nom qui était affiché au-dessous. Une vibration. Elle vient de perturber le son émis par la télévision. Mon cœur dérape. Le sang tambourine dans mes tempes. Je baisse les yeux, m’arrachant à la contemplation des visages qui défilent comme les victimes d’un génocide.

    Sidnay bouge à mes côtés. Elle tend le bras pour s’emparer de son écran personnel qui s’illumine de flashs roses régulièrement. Je saisis ma propre tablette, je n’ai pas reçu de nouveau message. Je jette un coup d’œil à l’émission où le tirage au sort touche à sa fin. Le logo de la Fédération réapparaît sur l’écran du salon. Maintenant, les dés sont jetés.

    Des confettis jetés des zeppelins inondent la Grande Place. L’empereur s’est éclipsé. À sa place se tient un homme fin à la chevelure rousse bien coiffée. Le directeur de la Fédération de la Course. Le tirage au sort est fini.

    Toujours aucun message…

    Le réseau est probablement saturé, ce qui pourrait amener un délai avant la réception de nouveaux messages. J’ai manqué une vingtaine de visages quand j’ai regardé la tablette de Sidnay… Peut-être que je fais partie de la Course, mais que je ne le sais pas encore.

    Je n’écoute plus la retransmission télévisée, actualisant sans cesse la liste de mes messages. Toujours rien. Au bout d’une minute, je sens mes forces se vider et les larmes arriver. Je sais pourtant qu’il est stupide de pleurer pour une Course, mais elle signifie tant pour moi. Je ne peux pas m’en empêcher. Un an ! Je vais devoir patienter une année de plus avant de pouvoir retenter ma chance. Ossian pose une main réconfortante sur mon épaule alors que je prends ma tête entre mes mains. Les larmes coulent en de longs filets sur mes joues.

    Soudain, la voix de Sidnay me tire de ma tristesse.

    — Vous n’allez jamais le croire…, lâche-t-elle en articulant lentement chacun de ses mots comme si elle n’y croyait pas elle-même. Je… j’ai été sélectionnée.

    CHAPITRE 2

    Les mots qu’a prononcés ma sœur sont clairs, précis et sans ambiguïté. Pourtant, leur sens m’échappe de longues secondes, comme si j’essayais d’attraper de la fumée avec les mains. Insaisissables. Peu à peu, je finis par comprendre toute l’étendue de ces paroles et leurs conséquences. La terrible déception qui s’est emparée de moi un instant plus tôt s’évanouit brusquement. La joie, l’excitation et l’appréhension m’inondent comme un seau d’eau fraîche. Ma sœur a beau avoir été choisie par le tirage au sort de la Fédération, elle n’ira pas se mesurer aux autres concurrents de la Course.

    J’irai à sa place.

    Ce n’est pas la première fois que nous usons de notre ressemblance pour tricher. Et ça ne sera sûrement pas la dernière. Quand nous vivions loin de ces montagnes reculées, il nous est arrivé plusieurs fois d’échanger nos places pour réussir un examen ou pour jouer des tours à nos amis. Seuls les plus perspicaces parvenaient à nous reconnaître.

    Lors de notre première inscription à la Course, à nos 15 ans, nous avons conclu que c’est moi qui y participerais si l’une d’entre nous était sélectionnée. Pour parfaire notre plan, j’ai fourni, dans mon dossier d’inscription, une photo où l’on ne voit pas ma cicatrice, seul élément qui pourrait trahir ma réelle identité. Les membres du jury n’y verront que du feu. Je leur avouerai que je me suis blessée quelques mois auparavant et ils ne pourront qu’accepter mon explication. Personne ne pourra me contredire. Et surtout, personne n’ira penser que j’ai une sœur jumelle, si cette dernière reste dans l’ombre durant toute la durée de la Course.

    Sidnay me serre avec force dans ses bras.

    — Bonne chance.

    En quatre ans, elle aurait pu changer d’avis et décider de participer à la Course. Mais quand je me détache d’elle, je ne perçois que son soulagement et sa joie immense. Je suis admirative devant la tranquillité dont elle fait preuve, alors que moi, je ne souhaite que me venger. Maintenant que j’y réfléchis, c’est elle, la plus courageuse de nous deux. Elle qui a trouvé le moyen de tourner la page et de pardonner à nos ennemis. Jamais je ne pourrais imiter sa passivité. La Course m’offre une occasion en or pour réclamer ma vengeance et je compte bien la saisir.

    Alors que ma sœur prépare mes valises, je relis plusieurs fois le message envoyé par la Fédération de la Course. Ses mots sont maintenant gravés dans ma mémoire. Je peux les réciter par cœur comme je récitais autrefois de vieux poèmes, des théorèmes de mathématiques ou des formules chimiques. Le message se termine par le slogan habituel, qui résume bien l’esprit de la Course : « Méfiez-vous de vos ennemis et encore plus de vos alliés. »

    En milieu d’après-midi, la tablette de ma sœur affiche un second message de la Fédération qui précise les modalités de la Course dont je connais déjà plus ou moins les grandes lignes.

    Je devrai me rendre à Ysasty, capitale du Karkan, dans cinq jours, soit une semaine avant le début de la Course. Les frais du voyage seront intégralement remboursés par les organisateurs.

    Mon excitation est à son comble. Je n’en peux plus de rester enfermée dans la maison. J’enfile mon manteau, mon écharpe et mon bonnet et m’élance dehors. Le vent frais calme à peine mes ardeurs. Je cours jusqu’au rocher, mes poumons en feu à cause de l’air glacial. Le ciel dégagé de la journée s’assombrit déjà alors que le soleil rouge s’est réfugié derrière les hautes montagnes blanches de l’ouest.

    La neige craque sous mon poids. J’aime ce bruit, il a quelque chose de réconfortant. J’aperçois des traces de bottes qui ne m’appartiennent pas quand j’arrive aux abords du lac gelé. Les trois ou quatre enfants du coin sont venus s’amuser sur la glace cet après-midi. J’aurais aimé qu’ils soient encore là, car j’ai terriblement envie de me défouler, de penser à autre chose qu’à la Course.

    Quelques animaux ont laissé de légères traces dans la neige à la lisière de la forêt. Je reconnais celles, plus enfoncées, de la panthère de ce matin. Je m’agenouille pour les examiner un instant. Se pourrait-il que la créature m’ait porté chance ? Il existe tellement de croyances étranges dans ce monde que je ne serais pas surprise que l’une d’elles révèle que la vision d’une panthère blanche apporte de la chance.

    Me relevant, je reprends ma course et atteins finalement le rocher, au bord de la falaise abrupte. La force du vent s’est intensifiée, mais j’ignore complètement ses griffures sur ma peau. J’inspire un grand coup. Une envie soudaine d’hurler de joie s’empare de moi. Le son de ma voix résonnerait alors en écho dans la vallée, atteindrait peut-être la ville et glacerait le sang de mes concurrents. Alors je crie de toutes mes forces.

    Dans cinq jours, je quitterai cet endroit. Celui qui m’accueille depuis maintenant six longues années. Encore ce matin, j’imaginais qu’un jour viendrait où j’aurais assez de courage pour partir pour rejoindre mon lointain pays natal dans le but de retrouver mes parents. Ce soir, mes plus fous espoirs sont comblés, car en gagnant la Course, je pourrai exiger n’importe quoi. Et étrangement, je profiterai de cette occasion inouïe, non pas pour délivrer mes parents, mais pour me venger de ceux qui me les ont arrachés. Indirectement, cela aboutira à leur libération de toute manière. Pourquoi ne pas en profiter ? Sidnay ne chercherait pas à se venger et exigerait simplement leur libération si elle venait à gagner la Course. Mais pas moi. Je ne suis pas elle. Je suis différente et, pour une fois, je ne veux plus être confondue avec elle. J’ai envie de croire que cette sélection n’est pas due au hasard. Qu’il s’agit d’un signe envoyé par le destin ou par quelques esprits supérieurs, s’ils existent, pour m’encourager à soulager la colère noire qui bout dans mes veines depuis bien des années. À partir d’aujourd’hui, je veux être moi et je veux me venger !

    J’aurais un droit divin sur n’importe qui et sur n’importe quoi en ce monde, et la Fédération ne pourra rien me refuser. Dans les éditions passées, il est déjà arrivé que certains lauréats demandent la mort d’une personne précise. Et la Fédération s’est toujours pliée à leurs exigences, même si elles semblaient totalement folles. Traquer une personne, la tuer en public ou simplement la livrer au demandeur, pieds et poings liés. C’est le privilège des gagnants de la Course. Alors ce n’est pas étonnant que la compétition soit aussi populaire dans le monde.

    Si vous avez un rêve, la Fédération peut vous l’offrir.

    Cinq jours plus tard, Ossian et Sidnay sont installés devant la télévision du salon quand je sors de ma chambre, valises en main. Il s’agit encore d’une émission sur la Course où les présentateurs évoquent la vie de quelques participants déjà connus du public, comme un chanteur dont le nom m’échappe.

    Mon attention se focalise sur le gagnant de la Course passée qui est invité sur le plateau de télé. Selon les règles de la Fédération, les trois premiers concurrents de chaque édition sont autorisés à concourir pour la suivante, s’ils le désirent. Leurs noms ont donc

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