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Felix Vortan et l’énigme du coffre noir
Felix Vortan et l’énigme du coffre noir
Felix Vortan et l’énigme du coffre noir
Livre électronique345 pages5 heures

Felix Vortan et l’énigme du coffre noir

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À propos de ce livre électronique

Un hiver plus rigoureux que jamais s’abat sur le continent immergé, alors qu’Élador se prépare à entrer en guerre contre l’armée du Conquérant, que plus d’un décrit comme étant la plus redoutable de toutes. Entretemps, la reine Amanda rassemble ses meilleurs espions afin de leur confier la plus importante mission qui soit…

Au terme de qualifi cations époustoufl antes, Felix réussira à prendre part à cette périlleuse expédition qui le conduira dans des endroits plus dangereux les uns que les autres, y compris le Labyrinthe, un vaste souterrain
qu’un seul homme ait réussi à traverser vivant.

Car la guerre, Felix le réalise, est bien loin d’être celle qu’il s’était imaginée… Et de nombreux secrets restent encore bien gardés…
LangueFrançais
Date de sortie3 nov. 2016
ISBN9782897676315
Felix Vortan et l’énigme du coffre noir
Auteur

L.P. Sicard

LOUIS-PIER SICARD est un écrivain québécois né en 1991. Après avoir remporté plusieurs prix littéraires, tels que le concours international de poésie de Paris à deux reprises, L.P. Sicard publie sa première série fantastique en 2016, dont le premier tome se mérite la même année le Grand prix jeunesse des univers parallèles. Outre la parution d’une réécriture de Blanche Neige, en 2017, il publie également la trilogie Malragon, aux éditions ADA.

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    Aperçu du livre

    Felix Vortan et l’énigme du coffre noir - L.P. Sicard

    www.laburbain.com

    Prologue

    À la clarté fragile des bougies, la reine Amanda contemplait par la fenêtre de la salle du trône les flocons s’échouer sans un bruit dans la nuit. C’était la première fois que la neige tombait sur Élador, et celle-ci n’avait cessé de couvrir les toitures, ni les glaçons de pendre à leur bordure, pareils à de longs cristaux pleureurs. En quelques jours seulement, tout le paysage avait changé : partout, une blancheur scintillante reflétait inlassablement la clarté du zénith et répandait dans l’air une froideur jusqu’alors inconnue. Seuls les arbres, dont les feuillages ne jaunissant qu’à peine témoignaient de leur résilience, ne semblaient pas perturbés par ce changement brusque et inattendu de température, car ils avaient la particularité de dégager une constante chaleur. D’ailleurs, jamais la guilde des herboristes n’avait été plus occupée qu’à cette période, des demandes pour arbustes chauffants fusant de toutes parts. Il en allait de même pour la guilde des artisans, dont tous les membres étaient affairés à coudre des vêtements et articles d’hiver pour tous les habitants du royaume. Le maître de la guilde des forgerons n’échappa pas à la fébrilité hivernale, étant aux prises avec le forgeage de pelles et de scies, sans parler des innombrables armes en vue de la guerre imminente contre le royaume d’Émor. Quelques jours plus tôt, ce dernier avait en effet envoyé un cœur de colombe à la reine d’Élador. Il s’agissait du symbole pour annoncer le début des hostilités.

    De même que les soirs précédents, la reine s’était éveillée en sursaut au cœur de la nuit et n’était pas parvenue à se rendormir. Elle profitait alors de la solitude nocturne pour méditer. Chaque fois qu’elle regardait son royaume s’étendre jusqu’à la mer gelée, ses pensées funestes y ajoutaient des flammes et des cris, et les rougeurs naissantes de l’aurore ressemblaient à celles du sang. Les hostilités entre Élador et Émor la tourmentaient à un point tel qu’elle en développa une fièvre. Des bruits de pas l’alarmèrent soudain.

    — Majesté, pardonnez notre intrusion.

    — Nous voulions nous assurer que tout allait bien.

    Ces voix étaient celles du duc Réfys et du comte Dubreuil, deux de ses conseillers, dont elle vit sur la vitre les reflets indistincts.

    — Comment pourrais-je même sourire, dites-moi, répondit-elle sans détacher ses yeux du paysage blanc, lorsqu’un hiver irréductible et plus froid que jamais s’abat sur mon peuple, que les récoltes sont perdues, que les maisons peinent à se réchauffer ; alors qu’à tout instant, Émor peut planter son drapeau sur mes terres et conquérir mon royaume par les flammes et le fer ?

    Un des conseillers s’approcha d’Amanda, si près que la bougie qu’elle tenait lui illumina le visage. Une curieuse détermination étincelait au creux des pupilles du comte Dubreuil.

    — Voyez plutôt ce climat comme la plus grande bénédiction qui soit.

    La reine le dévisagea confusément.

    — Oui, une bénédiction, Majesté, réitéra le comte. Sans ce froid par lequel la mer s’est figée, Émor, avec sa puissante flotte, accosterait d’ici quelques jours sur la grève. Ce premier gel que connaît notre continent nous offre aujourd’hui la chance de renverser la vapeur. Nous devons user de chaque seconde supplémentaire qui nous est offerte.

    — Qu’importe tout cela ! L’armée du Conquérant est par cinq fois plus nombreuse que la nôtre ! Repousser le jour de notre châtiment ne fera qu’alourdir notre désespoir.

    Le duc Réfys fit un pas vers la reine à son tour, préférant toutefois garder une certaine distance avec elle.

    — Dubreuil a raison, Majesté. Vous savez qu’à pied, il est impossible de se rendre d’un royaume à l’autre sans contourner le Grand Désert, et cette neige qui en tout lieu tapisse le sol contribuera à ralentir considérablement les troupes ennemies. Comme cette température semble s’être installée pour de bon, nous disposons encore d’un mois.

    Leurs paroles firent écho sur les hauts murs de la pièce. D’un geste subtil, la reine leur ordonna de baisser le ton, désireuse de ne pas attirer l’attention du château en entier.

    — Avec autant de jours à notre disposition, il nous est possible d’édifier une muraille sur tout le périmètre du royaume et de tirer pleinement avantage de notre situation de défenseurs ! ajouta Réfys à voix basse.

    — Mais il y a plus, bien plus encore à faire ! intervint l’autre conseiller.

    — Que voulez-vous dire ?

    Le comte Dubreuil s’éloigna dans l’obscurité de la pièce et se mit à faire les cent pas, apparemment en grande réflexion.

    — Souvenez-vous, Majesté ! Ce jeune Felix Vortan, il y a quelques jours, nous a confirmé avoir en sa possession des informations selon lesquelles le Conquérant serait peut-être en ce moment même occupé à résoudre l’énigme de la Tour d’Émerose. Selon ses dires, il s’y trouverait une arme assez puissante pour plonger Urel entier dans l’ombre !

    Réfys secoua désespérément la tête. La source de ces informations lui était connue : elles provenaient de Barbemousse, qui les avait divulguées juste avant de mourir. Il l’avait répété maintes fois à la reine : faire confiance au plus illustre pirate d’Urel était faire fausse route. Tout ceci n’était pour lui qu’un guet-apens.

    — Et si, inversement, cette guerre était le piège ? lança Dubreuil en émergeant de l’ombre. Et si le Conquérant nous avait envoyé ce cœur de colombe pour nous contraindre par la peur à rester entre nos murs ?

    Cette remise en question laissa ses deux interlocuteurs interdits. Dans le silence complet qui régnait, les premières lueurs du zénith transperçaient peu à peu les fenêtres.

    Un autre précieux jour était sur le point de commencer.

    — Que proposes-tu ? prononça enfin la reine, dont les sourcils froncés trahissaient une vive inquiétude.

    Le compte esquissa un sourire satisfait.

    — Envoyez une dizaine d’éclaireurs jusqu’au royaume ennemi. Demandez-leur de s’infiltrer entre ses murs. Ils verront ainsi si le Conquérant s’y trouve encore. Peut-être même parviendront-ils, le cas échéant, à obtenir des renseignements sur le mystère entourant cette Tour d’Émerose.

    À nouveau, Réfys s’indigna, levant les bras dans les airs avec découragement.

    — Si je comprends bien, cher ami, vous voudriez envoyer 10 hommes vers Émor et vous espérez leur retour en un mois ? C’est insensé ! Vous venez de dire qu’un seul aller requiert ce temps !

    — À moins qu’ils osent emprunter le Labyrinthe, répondit-il sur-le-champ. Ainsi, nous pourrions éviter de longer la côte et réduire de moitié la durée de l’expédition.

    La reine écarquilla les yeux sous le coup de la surprise. Le Labyrinthe était le surnom donné à un souterrain extrêmement dangereux, où d’innombrables individus s’étaient aventurés au courant des dernières décennies sans jamais en ressortir. Seuls quelques hommes étaient parvenus à le franchir indemnes d’un bout à l’autre. Cette caverne tortueuse et vaste s’étendait sous le Désert séparant les deux royaumes. Il s’agissait d’un raccourci que nul n’avait osé emprunter depuis des années en raison du risque d’y laisser sa peau.

    — Ma reine, sans cela, peut-être attendrons-nous vainement des mois durant les premiers assauts d’une guerre inexistante, alors que le Conquérant prépare de bien plus terribles choses.

    La reine Amanda leva à nouveau ses yeux cernés vers la fenêtre. Malgré le danger évident de cette entreprise, elle ne pouvait nullement nier sa pertinence dans la situation présente. En réfléchissant un bref instant, de multiples visages lui vinrent à l’esprit ; déjà, elle savait l’identité de celui qui se retrouverait bientôt à la tête de la plus importante mission qu’Élador avait connue.

    I

    Le regroupement des pacifistes

    G râce au bouche-à-oreille, l’information se propagea rapidement aux quatre coins du royaume : les Éladoriens disposaient d’un mois avant que le royaume ennemi et son armée arrivent jusqu’à eux. La reine délégua des hommes pour veiller à l’organisation des tâches. Ce qui importait le plus était : veiller à ce que tous puissent recevoir de nouveaux vêtements pour contrer l’hiver inopiné ; ériger une muraille tout autour du royaume ; trouver de la nourriture, pour pallier l’effondrement des récoltes ; et s’assurer que chaque homme soit muni d’une épée. Chacun fut informé de l’endroit où se rendre au son du cor de guerre, quelles entrées du royaume défendre jusqu’au dernier croisement de fer. Si les Éladoriens voulaient tirer profit de leur position, il était capital d’utiliser à bon escient chaque jour, chaque heure et chaque minute supplémentaire que prenait Émor pour se rendre jusqu’à eux. Ainsi, les jours devinrent plus chargés que jamais ; même les apprentis se retrouvèrent aux prises avec des horaires de travail démesurés. On vit malgré tout s’ériger autour de l’horlogière, leur logis, forts et totems de glace, les murs du bâtiment gardant les nombreuses traces des boules de neige lancées.

    Ce soir-là, Felix revenait à l’horlogière, comme tous les jours de la semaine précédente, les mains couvertes d’ampoules, les bras endoloris et les pieds gelés. Depuis que la guerre entre Émor et Élador avait été déclarée, toutes les formations des apprentis avaient été suspendues, et il avait fallu dès lors que chacun mette la main à la pâte. Felix et son ami Nicolas, ayant jadis suivi des formations avec Brage, le maître de la guilde des chasseurs, se portèrent volontaires pour la coupe de bois. Il était effectivement nécessaire pour les bûcherons de connaître la forêt avoisinante d’Élador, car la venue de l’hiver avait considérablement affecté le comportement des bêtes sauvages, et les attaques de sangliers cornus, voire de méduses des bois, étaient de plus en plus courantes. Ce n’était sûrement pas la pire des tâches, bien qu’il en revienne chaque soir épuisé comme jamais. Il aurait 100 fois plus détesté se retrouver dans les mines avec maître Pépin, ou encore devant un cuisant foyer à marteler le fer.

    Felix ouvrit la porte de l’horlogière, un vent puissant et chargé de flocons refermant la porte derrière son passage. Droit devant lui, l’immense horloge indiquait 16 h 20 ; il avait tellement faim que le temps le séparant du prochain repas le fit soupirer. Face aux âtres répandant une chaleur tiède dans le rez-de-chaussée, presque toutes les places sur les canapés étaient occupées, chaque apprenti désirant se réchauffer après leur laborieuse journée passée dans le froid. Felix monta jusqu’à sa chambre au deuxième étage, retira son bonnet de laine blanche et son manteau de cuir, et se jeta sur son lit, certain de s’endormir d’une seconde à l’autre. Il le pouvait bien, car l’horloge aurait tôt fait de le réveiller un quart d’heure plus tard. Plus tôt dans la semaine, la guilde des herboristes avait fourni à chaque apprenti un second plant d’écheveux pour contrer le froid. Felix avait choisi de placer celui-là sur sa commode, loin de celui qui trônait déjà au centre de la table, par peur que les plants se dévorent entre eux.

    Depuis son enfance, il avait toujours aimé l’hiver et ses loisirs, mais tout était bien différent sur Élador, avec la besogne journalière causée par la guerre qui se voyait grandement complexifiée par la glace et la neige. Il en allait de même pour la plupart des apprentis, qui à force de travailler rapidement s’ennuyèrent des formations abandonnées. Un sentiment de peur habitait chaque geste et chaque pensée ; les discussions qui s’animaient à l’horlogière étaient empreintes de vives émotions, et nombreux étaient ceux qui manifestaient le désir de rentrer chez eux, de l’autre côté de l’abysse.

    Comme chaque fois que le zénith se couvrait et que les premiers flocons s’échouaient mollement au sol, Felix repensait au pensionnat, à cette vie qu’il avait quittée trois mois auparavant et qui pourtant lui apparaissait à des années-lumière. Il lui fallait alors, pour se ressaisir, se rappeler le visage de sa mère et ce passé auprès d’elle dont il n’avait gardé aucun souvenir. Elle avait su qu’il aurait un jour à revenir et lui avait confié une mission que Felix ne comprenait encore entièrement ; tout ce dont il était persuadé, c’était qu’il devait retrouver les autres gardiens et reprendre les pouvoirs qu’ils avaient volés jadis au royaume de Filane. Cette pensée suffisait amplement à refouler l’envie de retrouver son ancienne vie.

    Ses paupières se refermèrent, sa respiration devint lente et profonde, puis Felix tomba endormi. La première fois qu’il était revenu d’une journée dans les bois, il lui avait fallu du temps avant de s’endormir, incapable de trouver une position confortable en raison de tout son corps parcouru d’élancements. Il y avait de plus ces blessures infligées par les sirènes, alors qu’il se trouvait sur les profondeurs émergées de l’océan des Pirates, qui tardaient à guérir. Plus les jours avançaient, plus l’épuisement s’accumulait, et ses muscles ankylosés ne furent bientôt plus de taille pour rivaliser avec sa fatigue écrasante. Or, comme chaque fois, il y avait toujours quelqu’un ou quelque chose pour le tirer de ses rêveries brèves.

    — Felix ! Felix ! répéta Nicolas en écrasant son poing contre la porte de bois de sa chambre. La guerre de boules de neige va commencer ! Allez ! Je sais que tu dors !

    Il frappa de plus belle.

    — En tout cas, si tu te plains de l’avoir ratée, ce sera de ta faute ; moi, j’y vais !

    Felix glissa ses mains sur son visage en soupirant. Pour être aussi exténué, il n’avait pas dû dormir plus de cinq minutes. Il tourna la poignée au moment même où les pas de Nicolas commençaient à s’éloigner dans le corridor.

    — J’arrive, j’arrive, dit-il à mi-voix.

    À l’extérieur, maintenant que le zénith était entièrement couvert, la température était à son plus bas. De gros flocons tombaient comme des perles douces sur son bonnet et le bout de son nez. Quelques jours plus tôt s’était tenue la première guerre de boules de neige près de l’horlogière. En peu de temps, l’activité était devenue une tradition : chaque soir, avant l’heure du repas, tous les apprentis se donnaient rendez-vous pour former les équipes.

    — Voici le charmant sorcier qui arrive ! railla Jonny en le voyant arriver. Il nous manquait justement un joueur. Par ici !

    Felix prit place parmi les apprentis regroupés derrière Jonny avec un rire agacé. Ce genre de plaisanteries était plus que fréquent depuis la démonstration de ses pouvoirs à l’agora, et sa relation avec la princesse ne l’aidait pas à passer inaperçu. Il fallait s’y faire, la moquerie étant la rançon de sa différence. Au moins, la situation n’était pas trop difficile à supporter. Il jeta un coup d’œil aux apprentis qui se trouvaient dans la même équipe que lui et reconnut les visages enveloppés derrière un foulard de Mike, Niki, Jeanne et Matt.

    Nos adversaires n’auront aucune chance !

    — Toutes les équipes sont complètes ! Trente secondes de caucus, et la partie commence ! déclara Jonny en se retournant vers ses camarades.

    Il se frotta les mains, une vapeur cristalline s’échappant de ses lèvres gercées.

    — Je vous rappelle les règles du jeu, poursuivit-il à voix basse : chaque équipe possède un fort, dans lequel se trouve un trésor. Le but est de nous emparer du leur, tout en protégeant le nôtre !

    — Nous les connaissons, les règles ! se plaignit Niki.

    — Je ne crois pas, non, car j’ai perdu mes deux dernières parties à cause des autres !

    — Ce n’est jamais de ta faute, c’est ça ?

    — Taisez-vous ! intervint Mike. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

    — Oui, donc, le but est de défendre notre trésor en lançant des boules de neige aux ennemis. Attention à ne pas lancer de glace, nous avons déjà eu un blessé hier, qui s’est retrouvé avec une légère commotion cérébrale.

    — Qui ? demandèrent plusieurs.

    — Anton, répondit un autre.

    — Peu importe ! soupira Jonny. Alors voilà, quand vous êtes touchés, vous devez revenir au fort et attendre 10 secondes. Et pas de triche ! Êtes-vous… aïe !

    Une boule de neige venait tout juste d’éclater sur sa nuque.

    — Qui m’a lancé ça ? grogna-t-il en se retournant.

    Nicolas se trouvait là, au loin devant lui, un large sourire aux lèvres.

    — C’est moi ! Eh quoi ! Ça fait déjà plus de 30 secondes, la partie est commencée !

    — Ma vengeance sera terrible, Nicolas ! AU JEU !

    Le signal fut lancé et les boules fusèrent aussitôt de tous les côtés. Felix courut se réfugier dans le fort de son équipe, qui se trouvait non loin de là. Trois hauts murs avaient été érigés autour d’un renfoncement, où Mike était déjà affairé à empiler des boules de neige. Tout près de lui reposait un petit coffret de bois.

    — C’est pour contre-attaquer dès qu’on nous élimine, expliqua-t-il, anticipant sa question.

    — Tu permets ? demanda Felix sans attendre de réponse.

    Il prit un projectile dans chaque main et regagna le champ de bataille, devant aussitôt baisser la tête afin d’éviter une boule perdue. Il était difficile de différencier ses ennemis de ses alliés, mais dès lors qu’un apprenti courait vers leur fort en tirant sur eux, son allégeance ne portait plus à confusion. Felix vit au loin Niki lancer de toutes ses forces un missile blanc sur un adversaire, avant de se faire surprendre à son tour par Nicolas. Felix prit un élan et envoya sa première boule de neige vers son ami d’enfance, mais elle le rata de peu. Tournant brusquement la tête, Nicolas remarqua cette tentative ratée et répliqua. Felix esquiva son envoi en écartant les pieds. Il prit ensuite ses jambes à son cou, profitant du court instant durant lequel Nicolas s’était penché pour façonner une autre boule de neige et lui envoya cette fois la sienne en plein sur le dessus de la tête.

    — Touché ! s’écria-t-il victorieusement.

    Mais il n’y avait, dans ce jeu, nul moment de répit et en moins de deux, son visage se retrouva brusquement couvert d’une neige froide et dégoulinante. À sa gauche, Sam, le petit aux cheveux roux, lui souriait de toutes ses dents.

    — Désolé, je visais ton épaule !

    Les échanges au gré du temps se multiplièrent, de même que les touchers au visage et l’eau glaciale coulant le long des échines, sans qu’une seule équipe parvienne à ravir le trésor à l’autre. Puis, annonçant la fin de la partie et l’heure du dîner, l’horloge tonna à l’intérieur du bâtiment. Tous coururent aussitôt vers le restaurant du chef Bouillon, qui leur ouvrit la porte avec un sourire affecté.

    — Entrez, mes pauvres, entrez.

    Felix, Nicolas et Niki prirent place autour d’une table ronde comme toutes les chaises devenaient peu à peu occupées. Mike, Sam et Jonny prirent place à leurs côtés après avoir suspendu leurs manteaux à l’une des patères placées dans la salle.

    — Qu’est-ce qu’il a, le chef ?

    — Je ne sais pas, mais j’ai tellement faim ! s’exclama Felix en se frottant les mains. J’attends ce moment depuis des heures… j’espère qu’il y en aura assez pour deux assiettes !

    Un gémissement parvint à ses oreilles. Se retournant, il aperçut le chef se pincer les lèvres en fixant piteusement le plancher.

    — Mon garçon, je crains que vous ne soyez déçu, se lamenta Bouillon en secouant lentement la tête. Par cette température, les récoltes sont perdues. Et avec la mer figée dans la glace, toute importation devient impossible. Oh ! Jamais je n’aurais cru la chose possible ! Je n’ai rien de mieux à vous offrir aujourd’hui qu’un potage aux carottes et un ragoût de méduse… Nous sommes même à court de sangliers. Comment est-ce possible ? Oh !

    Et il s’en fut dans les cuisines, visiblement sur le point de fondre en larmes. Nicolas, quant à lui, fixait son assiette vide d’un œil rond.

    — Il a bien dit « ragoût de méduse », n’est-ce pas ? demanda-t-il à voix basse en déglutissant.

    — C’est un détail qu’il aurait peut-être dû omettre, souligna Niki.

    — Tu crois vraiment que nous ne nous en serions pas rendu compte ? Niki, un ragoût de méduse ! Cette créature verdâtre et dégoûtante… et avec des yeux globuleux horribles !

    Au moment où il terminait sa phrase, la serveuse déposait devant lui un potage fumant.

    — On dirait la couleur de mes cheveux ! s’émerveilla Sam à l’autre bout de la table. Il a l’air délicieux !

    Nicolas soupira longuement en empoignant d’une main sa cuillère.

    — Eh bien, j’espère que cela saura me suffire, car il est hors de question que je prenne une bouchée de méduse !

    Dans de multiples cliquetis d’ustensiles, tous les apprentis entamèrent la dégustation de l’entrée. Le potage chaud était pour Felix un véritable baume pour contrer l’hiver. Au fond de ses nouvelles bottes, il agitait ses orteils encore frigorifiés afin de les réchauffer.

    — Je n’ose pas imaginer à quel point ces journées seraient ennuyeuses et pénibles sans ces guerres de boules de neige, commenta alors Jonny entre deux bouchées. En tout cas, en ce qui me concerne, la forge est d’un ennui mortel. Même Dublix ne trouve plus l’énergie pour plaisanter, vous imaginez ?

    — Oh ! crois-moi, tu n’as rien à envier à la coupe de bois, lui assura Nicolas. Toi, d’abord, tu es au chaud !

    — C’est le moins qu’on puisse dire ! On suffoque, là-bas !

    — Alors, pensez-vous vraiment que nous allons bientôt entrer en guerre ? lança Mike d’un ton qu’il aurait souhaité détaché.

    À cet instant, tous se tournèrent vers Felix, comme s’il était le seul qui puisse leur offrir une réponse satisfaisante. Il peinait à s’habituer à ce genre de réaction de la part des autres apprentis ; il leur faudrait tôt ou tard comprendre que le fait d’être gardien ne lui conférait pas la connaissance infuse.

    — Je n’en sais pas grand-chose, en fait, avoua-t-il. Tout ce que je peux vous confirmer, c’est qu’un cœur de colombe a été envoyé à la reine. Chaque fois qu’un royaume déclarait la guerre à un autre dans le passé, un tel présent était offert.

    — C’est dégoûtant ! se lamenta Nicolas en tirant la langue.

    — Mais je ne comprends toujours pas pourquoi Émor se montre hostile envers Élador, remarqua Mike en déposant sa cuillère.

    — Le roi Godefroy était le fils du Conquérant, soit l’actuel roi d’Émor, expliqua Jonny.

    — Et ce n’est que le début ! renchérit Niki, frappant vigoureusement la table de son poing. Le Conquérant était impliqué dans les horreurs de la Forteresse rouge ; c’est d’ailleurs lui qui a élevé le Grand pirate. Et c’est de son côté que sont les autres gardiens. Pas vrai, Felix ?

    Ce dernier opina du chef.

    — La réalité, c’est que cette guerre n’a pas vraiment commencé, déclara-t-il, il ne s’agit que de la suite de la Guerre des lames, qui n’a jamais véritablement pris fin.

    — Excusez-moi, les jeunes…

    Tous se retournèrent avec étonnement. La serveuse déposait sur la table les premières assiettes de ragoût de méduse : des cubes de chair verdâtres s’entassaient entre des morceaux de croustes et de céleri. Felix planta sceptiquement sa fourchette dans la viande et en approcha son nez. Un parfum étrange lui rappelant la menthe s’en dégageait.

    — C’est hors de question ! geignit Nicolas en grimaçant. Hors de question que je touche à ce… à cette…

    Mais Felix, contrairement à son ami d’enfance, adorait essayer toute nouvelle chose. Pouvait-on vraiment détester un plat sans y avoir goûté ? Alors que tous le regardaient de leurs yeux écarquillés, il porta la bouchée jusqu’à ses lèvres et croqua la méduse grillée. Mike abaissa posément ses lunettes sur son nez et Nicolas retint son souffle, s’attendant manifestement à le voir vomir d’un instant à l’autre. Sa bouchée sembla anormalement longue à mâcher. Il déglutit finalement puis, hésitant quant à l’idée de feindre un empoisonnement, trouva cette blague enfantine et se contenta de hausser les épaules.

    — C’est comestible ! se réjouit Sam en se penchant sur son assiette.

    Et tous les apprentis, avec une certaine appréhension, consentirent à goûter à l’étrange repas à leur tour. Seul Nicolas demeura les bras croisés après avoir dédaigneusement repoussé son plat jusqu’au centre de la table.

    — C’est étrange, non, que tous les Éladoriens soient pris au dépourvu par la neige ? remarqua Sam après s’être essuyé le menton. Ça ne doit tout de même pas être la première fois qu’ils en voient.

    — Justement, Sam, il s’agit de leur première fois, l’informa Niki. N’as-tu pas vu leur visage lorsque les flocons tombaient tout autour ? En plus, la température a dû baisser de 20 degrés en une semaine à peine. Il y a de quoi être surpris…

    Le repas prit fin lorsque tous, avant même que le dessert soit servi, commencèrent à somnoler. Jonny s’était même mis à ronfler, le front plaqué contre la table. La neige tombant infatigablement des nuages les accompagna durant leur courte marche vers l’horlogière. De l’extérieur, on pouvait y entendre des discussions animées. Felix, suivi des autres, tourna la poignée et entra dans le bâtiment.

    — Chut ! Ils sont là !

    — Taisez-vous !

    Curieusement, toutes les discussions cessèrent du même coup : sur les canapés, près de l’escalier et des foyers, la plupart des apprentis présents au rez-de-chaussée jetèrent des regards furtifs en direction du vestibule.

    — Mais qu’est-ce qui leur prend ? s’interrogea Nicolas.

    — Je ne sais pas, mais s’ils voulaient être subtils, c’est raté.

    Felix repéra non loin de là quelques places libres et invita ses amis à s’y asseoir. Dès qu’ils prirent place, une fille, juste derrière eux, ferma doucement son livre et s’éloigna. Niki s’empara d’une bûche près de l’âtre et la lança dans les braises avant de se frotter les mains.

    — Je n’irai pas me coucher avant de savoir ce qui se trame ici. Aussi bien nous réchauffer un peu…

    Les apprentis des alentours s’étaient désormais tous éloignés dans le coin opposé et avaient repris leur conversation à voix basse. Niki prit place près de Felix et se croisa les jambes.

    — L’un d’entre vous aurait-il fait quelque chose ?

    Tous secouèrent la tête. Pour la énième fois depuis son entrée, Felix croisa le regard fuyant d’un apprenti.

    — On se croirait plongé dans la cour d’une école primaire, railla Jonny en roulant les yeux au plafond. Laissez-moi régler ça.

    Il se leva, bomba le torse et fit de larges signes au loin, à la manière d’un naufragé sur une île déserte à la vue d’un navire.

    — Ohé ! Vous savez, nous sommes ici, nous aussi, et nous ne sommes pas idiots !

    Il posa ses deux mains sur ses hanches en esquissant un sourire.

    — Alors, vous nous faites part de vos secrets ou il nous faut vous tirer les vers du nez nous-mêmes ?

    Il y eut un moment de silence où l’humour et le malaise planèrent maladroitement dans l’air du rez-de-chaussée. Deux apprentis qui venaient d’entrer dans l’horlogière s’immobilisèrent

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