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Les griffes du mal
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Livre électronique288 pages4 heures

Les griffes du mal

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À propos de ce livre électronique

Nous sommes en 1891 et Londres est en guerre. Là-haut sur les toits vit
un petit groupe d’orphelins et d’espions, les Sentinelles, protecteurs
de la cité. Mais sous les pavés des rues se tapit la Légion, une bande impitoyable d’assassins et de voleurs complotant pour libérer les forces les plus sombres de l’enfer. Lorsqu’une mystérieuse pièce de monnaie ancienne tombe entre les mains de Ben Kingdom, ce garnement des rues insolent et gouailleur est précipité au coeur d’un combat très ancien. Le sort du monde est entre les mains de Ben. Mais quel camp choisira-t-il? Une armée d’anges… ou les Griffes du mal?
LangueFrançais
Date de sortie23 févr. 2015
ISBN9782897523572
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    Aperçu du livre

    Les griffes du mal - Andrew Beasley

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    Copyright © 2013 Andrew Beasley

    Titre original anglais : The Battles of Ben Kingdom: The Claws of Evil

    Copyright © 2015 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Usborne Publishing Ltd.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Sylvie Trudeau

    Révision linguistique : Isabelle Veillette

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Katherine Lacombe

    Montage de la couverture : Matthieu Fortin

    Illustrations de la couverture et dans le livre : © 2013 David Wyatt

    Illustration de la carte : © 2013 Ian McNee

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89752-355-8

    ISBN PDF numérique 978-2-89752-356-5

    ISBN ePub 978-2-89752-357-2

    Première impression : 2015

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

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    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Beasley, Andrew

    [Battles of Ben Kingdom. Français]

    Les combats de Ben Kingdom

    Traduction de : The battles of Ben Kingdom.

    Sommaire : 1. Les griffes du mal -- 2. Le festin des corbeaux.

    Pour les jeunes de 13 ans et plus.

    ISBN 978-2-89752-355-8 (vol. 1)

    ISBN 978-2-89752-358-9 (vol. 2)

    I. Trudeau, Sylvie, 1955- . II. Beasley, Andrew. Claws of evil. Français. III. Beasley, Andrew. Feast of ravens. Français. IV. Titre. V. Titre : Battles of Ben Kingdom. Français. VI. Titre : Les griffes du mal. VII. Titre : Le festin des corbeaux.

    PZ23.B42Co 2015 j823’.92 C2014-942485-X

    Conversion au format ePub par:

    Lab Urbain

    www.laburbain.com

    Les combats de Ben Kingdom

    Viendra celui qui mènera la guerre, pour vaincre les ténèbres, faire triompher la lumière.

    Viendra celui qui, une couronne de feu à son front,

    fera s’écrouler la Légion.

    Viendra celui dont les yeux de flammes

    perceront à jour les mensonges infâmes.

    Viendra celui dont le cœur brûlant

    vaincra l’adversité dans son rôle triomphant.

    Viendra celui qui, le feu à la main,

    débarrassera cette contrée du malin.

    Viendra celui qui paiera le prix ;

    car s’il échoue, tout sera fini.

    Viendra celui qui, dans la souffrance et la douleur,

    connaîtra encore la trahison et le malheur.

    Viendra celui qui choisira son chemin :

    ténèbres éternelles ou jour sans fin.

    À vous, papa et maman, qui avez toujours cru en moi, qui m’avez toujours encouragé et aimé… Ce livre vous est dédié.

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    PROLOGUE

    M esdames et messieurs, Londres sera bientôt à nous, déclara M. Sweet à son auditoire qui l’écoutait.

    Sa voix était aussi profonde et sombre que le goudron, s’élevant du coffre de sa poitrine.

    — Nous déplumerons le cœur de l’Empire britannique pour nous en emparer, poursuivit-il, et en faire entre nos mains un jouet que nous utiliserons à notre gré.

    En comptant M. Sweet, ils étaient sept. Ils étaient assis en cercle et parlaient de trahison, décidant du partage de la cité entre eux. Ils s’étaient nommés le Concile des Sept. Un titre plutôt modeste, pensa Sweet, étant donné que les conciles du passé avaient modelé le monde pour satisfaire à leurs propres fins.

    — Et qu’en ferons-nous, une fois qu’il nous appartiendra ? demanda un homme énorme dont la mâchoire frémissait d’espoir et laissait échapper un fin filet de salive au coin de sa bouche. L’engloutir tout entier ?

    — Quel gaspillage insensé ! s’exclama une femme entièrement vêtue de noir, dont seuls le menton pâle et les lèvres exsangues étaient visibles sous l’ombre créée par sa capuche couleur plumes de corbeau. Il vaudrait 100 fois mieux le sucer jusqu’à l’os.

    — Non, s’opposa un deuxième homme à la peau sèche comme du parchemin, tendue sur son crâne étroit, ses longs membres pendant mollement autour de sa chaise. Nous devrions en faire notre esclave et le faire travailler pour nous.

    — Le brûler, ronronna une femme séduisante en vert, dont l’épaisse langue pointa pour caresser l’arête de ses dents. Ce serait un spectacle si joli.

    Elle applaudit avec une joie enfantine.

    — Nous avons mis feu à des villes avant, ajouta-t-elle. J’aimerais le voir moi-même.

    M. Sweet laissa chacun y aller de son commentaire, mais, rapidement, il se ferma à leur babillage et se concentra plutôt sur son propre rêve d’avenir, un rêve qui ne laissait aucun rôle à ses six compagnons de conspiration. Sa vision était celle d’un Londres dirigé par un Concile d’une seule personne. Sa gouvernante avait toujours dit qu’il ne savait pas partager.

    M. Sweet venait d’une bonne famille, autrement dit d’une famille riche. Et il possédait des terres, des maisons et plus d’argent qu’il ne pourrait jamais en dépenser. Il avait du pouvoir, aussi. Il était membre du Parlement et ministre. Mais, comme c’était le cas pour tout homme de pouvoir, une fois qu’il avait goûté à celui-ci, il lui en fallait toujours davantage.

    C’était Sweet qui avait convoqué cette réunion, et Sweet encore qui avait choisi le lieu où elle se tiendrait. Édifice élégant, mais pourtant lugubre situé dans Bloomsbury, le Sinistra était le club privé le plus exclusif de Londres, et ses membres, les plus excentriques. Tout homme ayant été banni de tous les autres établissements en raison d’un comportement scandaleux ou de mauvaises manières pouvait se voir accorder la permission de se tenir au Sinistra, pourvu qu’il ait les poches suffisamment garnies.

    Le club offrait une autre caractéristique exceptionnelle qui en faisait un endroit si approprié pour les rencontres du Concile des Sept. Discuter du renversement du gouvernement et de la reine elle-même exigeait un certain degré de discrétion ; et les sept membres eux-mêmes savaient tous que répéter ce dont ils discutaient entre eux pouvait leur causer du tort. Un bien grand tort. La mort, probablement. Mais au club Sinistra, on pouvait compter sur l’absolue discrétion de tous les membres du personnel. Parce que chaque servante, valet, garçon de table et plongeur possédait les deux qualités que Sweet considérait comme les plus souhaitables chez un domestique : ils étaient à la fois illettrés et muets. Ils ne pouvaient comprendre un seul mot de ce qu’ils entendaient, et jamais leur langue ne pouvait se délier, même s’ils l’avaient voulu.

    À tous les autres égards, le Sinistra était cependant semblable aux autres clubs en sous-sol que l’on retrouvait un peu partout dans la cité de Londres : lambrissé de chêne, tendu de velours et puant l’argent et le cigare.

    Sweet savourait le confort de son fauteuil et l’élégance de la pièce. Le feu crépitait dans l’âtre et tenait à distance le froid mordant de l’hiver, bien que les flammes semblassent de toute évidence trop faibles au goût de la femme en vert, remarqua-t-il ironiquement.

    Elle avait raison, cependant : en tant que dirigeants secrets d’une société appelée la Légion, le Concile des Sept avait en effet réduit des villes en cendres lorsque cela leur convenait. Lorsque la grande ville de Rome avait été dévorée par les flammes en l’an 64 av. J.-C., c’était la Légion, et non l’empereur Néron, qui avait fourni l’étincelle pour allumer le brasier. M. Sweet sourit, ses dents luisant à la lueur de la lampe au gaz. Les traces de la Légion s’étendaient sur 2 000 ans, si vous saviez où regarder pour les trouver.

    À cet effet, le sang était toujours un bon indicateur.

    Certains membres de la Légion étaient devenus plutôt fameux à leur manière, même si l’armée qu’ils servaient était restée un secret qu’ils avaient emporté dans leur tombe. Des hommes dont le nom était devenu synonyme de brutalité : Attila le Hun, qui avait balayé l’Europe avec une férocité inégalée ; Vlad l’Empaleur ; Ivan le Terrible ; Maximilien Robespierre. Les livres d’histoire les tenaient responsables de centaines de milliers de morts, mais M. Sweet savait que c’était à la Légion, dirigée par le Concile des Sept, qu’il fallait réellement attribuer toutes ces morts.

    Lorsque les autres voix dans la pièce commencèrent à se faire trop rocailleuses à son goût, M. Sweet se racla la gorge et se leva. Il était habillé comme un gentleman, mais ses vêtements peinaient à contenir sa corpulence.

    Très lentement, le regard de Sweet balaya le cercle, cherchant des signes de faiblesse, les vulnérabilités qu’il pourrait exploiter un jour. Il prit plaisir à voir les membres du Concile des Sept ciller lorsque son regard se posait sur eux. C’étaient les hommes et les femmes les plus pervers du pays, et ils le craignaient tous néanmoins. Avant de prendre la parole, il s’arrêta pour lisser sa moustache luxuriante. Ce geste ne fit rien pour cacher son sourire.

    — Oui, continua Sweet, Londres est prêt à être cueilli comme un fruit mûr. L’arme la plus puissante de la Légion est presque achevée. J’ai découvert aujourd’hui que le dernier élément manquant, la dernière des pièces, a enfin été découvert.

    À cette révélation, le Concile inspira d’un seul souffle.

    — Elle sera bientôt à nous, poursuivit Sweet, et alors, tout Londres connaîtra le pouvoir des Sept.

    — Mais que faisons-nous des Sentinelles ? s’informa le plus jeune de leur groupe, un homme vaniteux et bichonné aux longs doigts féminins et aux cheveux blonds de dandy.

    M. Sweet pivota et le fixa du regard. L’homme se ratatina, comme s’il avait reçu un coup.

    — Les Sentinelles sont une force du passé, dit Sweet en crachant le nom avec mépris. De lamentables disciples d’une cause perdue, en attente d’un sauveur qui ne viendra jamais.

    Pourtant, en prononçant ces mots, M. Sweet sentit la minuscule faille dans sa propre armure, un interstice qui se remplissait lentement de peur. Il n’y aura aucun secours de dernière minute pour les ennemis de la Légion, se rassura-t-il lui-même. On avait abandonné les Sentinelles… aucune Main du paradis n’allait venir les sauver, M. Sweet en était convaincu.

    Mais il ne pouvait empêcher un soupçon d’appréhension de s’insinuer vers son âme.

    Chapitre 1

    Le Pleureur

    B en Kingdom ! s’éleva la voix du policier, faisant tourner toutes les têtes dans Old Gravel Lane.

    Le constable Wilde semblait très fâché, et Ben ne pouvait lui en tenir rigueur. Recevoir du crottin de cheval plein la bouche était pour quiconque une raison bien suffisante d’être en colère.

    — Arrête-toi tout de suite, espèce d’horrible garçon ! cria Wilde de nouveau.

    Ben hésita, mais un seul regard au visage éclaboussé de crottin et rouge betterave du constable suffit à le convaincre qu’arrêter était la dernière chose qu’il avait envie de faire. Il cala plutôt son chapeau melon sur sa tête et prit ses jambes à son cou.

    Les quais de Londres étaient, dans le monde entier, les plus débordants d’activité, et les rues qui les entouraient grouillaient d’humains en tous genres. Certains pouvaient considérer les gens qui y vivaient et y travaillaient comme la lie de la société, mais Ben n’était pas du genre à avoir de préjugés, et de toute manière, il en faisait partie. Aussi rapide et agile qu’un lévrier, Ben se baissa et se faufila parmi la foule. Évitant les coudes, se glissant entre les corps, se jetant même à genoux et rampant dans une forêt de jambes, Ben savait que Wilde ne l’attraperait pas cette fois.

    Pauvre type, pensa Ben en grimaçant lorsqu’il se rappela son missile attrapant le policier en plein visage. Il en retirera encore de sa moustache à Noël.

    Toute la journée, une neige grise était tombée du ciel comme de la cendre, et les pieds de Ben glissaient sur les pavés alors qu’il s’échappait. Son pantalon était trempé et ses mains étaient mouillées et à vif, mais il réussit rapidement à semer le pauvre constable Wilde et à le laisser bien loin derrière ; c’était donc un maigre prix à payer.

    Neuf fois sur dix, Ben était un modèle d’honnêteté. Mais lors de ses rares écarts, il semblait toujours que le constable Gabriel Wilde arrivait sur ces entrefaites. C’était le cons-table Wilde qui l’avait battu lorsqu’il avait brisé la vitrine de la tabagie Langdale, et c’était Wilde encore qui l’avait attrapé et corrigé de nouveau lors du malencontreux incident du chien du boucher, des saucisses et de l’épicier au pied-bot.

    À la décharge de Ben, il n’avait pas vraiment essayé d’attraper le constable Wilde au visage, il visait plutôt son casque. Et lorsqu’il en avait d’abord eu l’idée, il devait lui lancer une boule de neige… mais comme le cheval de trait avait été assez gentil pour déposer une belle pomme de route puante et fumante juste devant lui, une chose avait mené à une autre. Et c’était là l’histoire de sa vie, en quelque sorte.

    S’étant assuré que Wilde avait abandonné la pour-suite, Ben s’arrêta pour redresser son chapeau sur sa tête. Selon Ben, un chapeau melon était suffisamment élégant pour qu’on se donne la peine de le porter comme il le fallait. Heureux, Ben sourit à son reflet dans une vitrine, enfonça ses mains endolories dans ses poches et repartit vers Old Gravel Lane et sa maison.

    Le soir commençait à tomber et l’obscurité donnait encore plus de mordant au vent qui transperçait son manteau jusqu’à la moelle de ses os. La cloche d’une église se mit à carillonner comme il avançait péniblement dans les petites rues tranquilles.

    Ce fut alors que Ben vit l’homme.

    Le Pleureur.

    À tout le moins, c’était ainsi que l’appelaient les gamins des rues.

    Ben s’arrêta net et observa la silhouette au loin, essayant de voir s’il s’agissait vraiment de lui. Une curiosité macabre l’emportant, il avança de quelques pas.

    Au début, personne n’avait remarqué que des enfants disparaissaient. S’il y avait une chose dont ne manquait pas l’East End, c’était bien les enfants non désirés. Il en disparaissait tout le temps. Mais vinrent alors les observations, et les histoires, et les chuchotements, jusqu’à ce qu’Old Gravel Lane tout entière bourdonne du son des nouvelles. Faites attention à l’Homme. À l’Homme en noir qui arpente les rues. Le Pleureur, qui vient pour vous emporter dans la nuit.

    Les descriptions que l’on faisait des méchants étaient toujours les mêmes : grands et sombres. Funestes.

    C’est encore pire que ça, pensa Ben.

    La silhouette que Ben avait devant les yeux était entièrement habillée de noir, comme il convient à un monstre. L’homme portait un long manteau à pans carrés qui touchait presque le sol, et les épaules larges que recouvrait ce vêtement laissaient comprendre qu’aucun enfant de la rue n’aurait la force de s’échapper une fois attrapé par l’homme. Il avait sur la tête cette sorte de chapeau que Ben associait toujours aux croque-morts. Ce n’était pas une image bien réconfortante.

    L’autre chose sur laquelle tout le monde s’accordait était le bruit qu’il faisait.

    — Hors de ce monde, avait dit un homme d’Église effrayé, qui l’avait entendu en revenant de l’office du soir.

    — Dérangeant, avait dit une mère de trois enfants, qui ne les avait plus laissés sortir de la maison depuis.

    Surnaturel. À glacer les os. Un râle de mort.

    Il y avait toutes sortes de rumeurs à propos de ce qu’il faisait aux enfants qu’il enlevait. Mais tout le monde savait avec certitude que des enfants disparaissaient, et qu’il ne leur arrivait rien de bien agréable.

    Tant que je ne suis pas le suivant, se dit Ben en se retirant dans l’embrasure d’une porte, essayant de se fondre à l’obscurité. Lorsque son dos heurta le bois froid de la porte, il s’arrêta. Puis, il attendit. Sans respirer… sans bouger… tandis qu’autour de lui la neige continuait son assaut mesuré et impitoyable. D’aussi longtemps qu’on s’en souvienne, c’était l’hiver le plus rigoureux qu’ils avaient connu, et il y avait donc bien des occasions pour un gamin des rues comme lui d’aller retrouver le Créateur. Mais si on lui donnait le choix, Ben n’avait aucune envie de finir ses jours en tant que dernière victime de l’Homme en noir.

    Ben l’étudiait depuis l’ombre qui le cachait. Il était fasciné d’une manière morbide, et un peu terrifié, aussi, bien qu’il ne l’aurait jamais admis. L’ombre toute en longueur de Jack l’Éventreur planait encore sur l’East End et Ben ne se faisait aucune illusion quant à une éventuelle fin heureuse en ce qui avait trait à l’histoire du Pleureur. Mais il était là. Et une lueur de possibilité commençait à s’allumer dans l’esprit de Ben, comme une pièce de six pence bien brillante qui le suppliait de la ramasser.

    Si, dans tout Londres, c’était lui qui devait identifier le voleur d’enfants, il allait certainement devenir célèbre. Et si c’était lui qui devait emmener les policiers jusqu’à l’antre de la bête immonde, alors il y aurait certainement une récompense pour lui. Selon lui, c’était un plan génial, dont le seul petit défaut était que sa mise en œuvre pourrait lui coûter la vie. Mais jusqu’à maintenant, tout va bien, n’est-ce pas ?

    Ben savait qu’il se montrait imprudent. Il savait que personne n’accourrait pour le sauver s’il se mettait à crier à l’aide. Mais, autant faire les choses jusqu’au bout…

    Ben sortit la tête de l’embrasure pour mieux voir. Le Pleureur était à environ six mètres de lui, prenant à gauche dans une rue transversale miteuse. Peu importe ce qu’il faisait, de toute évidence, il ne voulait pas de témoins.

    À quoi joues-tu ? se demanda Ben.

    Il se mit à courir vers le coin aussi silencieusement que possible. Il atteignit l’entrée de la ruelle à temps pour voir le Pleureur piler net et se mettre à humer l’air. Ben s’immobilisa aussi. Il s’était laissé prendre à découvert, vulnérable et exposé. S’il se retourne maintenant…

    Ben recula centimètre par centimètre, aspirant désespérément à la protection que le mur pourrait lui offrir. La neige qui crissait sous ses bottes lui semblait aussi bruyante qu’un tir de canon, et il tressaillait à chaque pas. Il réussit à atteindre le coin, mais pas avant qu’un frisson s’empare de lui, si intense qu’il eut l’impression que ses dents allaient se détacher de son crâne. Et il savait que ce tremblement n’avait rien à voir avec le froid.

    Le Pleureur se tenait immobile au milieu de la ruelle, ne remarquant pas la présence de Ben ou y étant insensible. Ben l’étudiait de sa cachette, pétrifié comme un lapin devant un renard.

    Puis, aussi soudainement qu’il s’était arrêté, le Pleureur leva la tête d’un geste brusque plutôt singulier. Ce n’était pas un mouvement naturel pour un humain, pensa Ben. Quelque chose clochait. Il ressemblait davantage à un chien qui tendait le cou, répondant à un appel que lui seul pouvait entendre, aux directives de son maître.

    Mais à qui appartenait cette voix ?

    Ben se raidit et retint son souffle, bien à l’étroit dans sa poitrine, à côté de son cœur qui battait la chamade. L’homme l’avait-il entendu ? Il grimaça en imaginant ce qui l’attendait si le Pleureur se retournait.

    Puis, le son des pleurs de l’homme retentit dans la ruelle et il n’y eut plus aucun doute dans l’esprit de Ben : il était en présence d’un tueur.

    Il sentit le son autant qu’il l’entendit, manifestation physique d’une âme tourmentée. Les sanglots provenaient du plus profond de cet homme, sembla-t-il à Ben. Commençant par un faible grognement, ils augmentaient à chaque halètement frissonnant, jusqu’à ce qu’ils deviennent une éruption de douleur. Ben pouvait presque sentir la pression qui montait à l’intérieur du Pleureur, jusqu’à ce que les sanglots n’aient plus d’autre choix qu’exploser à la surface, comme un volcan.

    Il y avait tant de tristesse dans ces sanglots. Tant de douleur. Tant de remords.

    Mais il y avait de la colère, aussi, et ce fut ce qui épouvanta Ben le plus.

    La rage hurlante.

    Va-t’en d’ici, et vite. C’était ce que l’esprit rationnel de Ben lui commandait de faire. Et, non pour la première fois, Ben se mit à espérer que, de temps à autre, il pourrait écouter les conseils que lui donnait cette voix, au lieu de toujours suivre l’autre voix, celle qui le sommait de faire le contraire.

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