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La Guerrière
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Livre électronique375 pages5 heures

La Guerrière

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À propos de ce livre électronique

Découvrez l’âge sombre de l’Écosse qui n'a jamais existé.


Melcorka, fille des îles, apprend que sa terre natale, Alba, est attaquée par une horde d’envahisseurs.


Délaissant une vie de luxure et de paresse, elle choisit d’emprunter la voie des guerriers et part libérer son pays du fléau nordique. Avec l’aide de ses compagnons, elle doit rejoindre le sud pour unir les clans et faire face à un ennemi redoutable.

LangueFrançais
ÉditeurNext Chapter
Date de sortie23 févr. 2023
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    Aperçu du livre

    La Guerrière - Malcolm Archibald

    Chapitre

    Un

    L’Océan avait toujours été là. Il l’entourait, aussi loin que portait l’horizon au nord, à l’ouest et au sud. À l’est, les jours de ciel clair, elle pouvait apercevoir une fine ligne bleue qui représentait ce que l’on appelait le Continent d’Alba. Elle s’était juré qu’elle irait un jour visiter cette autre terre pour en découvrir les secrets. Un jour, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui était un jour comme un autre, un jour pour traire les vaches, s’occuper des volailles et inspecter la plage à la recherche des trésors laissés par la mer. Jetant un dernier regard autour d’elle, elle observa l’herbe épaisse et sauvage qui se répandait à perte de vue, parsemée de quelques parterres de bruyère et des pierres couvertes de lichen que l’on pouvait trouver dans chaque recoin de Dachaigh, l’île de son foyer.

    Au-delà des terres, un ciel clair et froid aussi bleu que la mer et décoré de nuages blancs portés par la brise annonçait l’arrivée du printemps.

    Melcorka escalada un tertre recouvert par l’herbe, et son regard, comme de nombreuses fois auparavant, se tourna vers l’est. La grotte interdite se trouvait de ce côté de l’île. À trois reprises elle avait essayé de s’y rendre, comme si la tentation de découvrir cet endroit secret n’avait été que renforcée par l’interdiction de l’approcher. Chaque fois, sa mère l’avait rattrapée avant qu’elle n’en atteigne l’entrée.

    « Un jour », s’était-elle promis, « un jour je découvrirai ce qu’il y a à l’intérieur de cette grotte et pourquoi personne n’a le droit d’y pénétrer. » Mais pas aujourd’hui ; des problèmes bien plus importants réclamaient son attention.

    Relevant sa jupe, Melcorka courut à travers l’herbe dure pour atteindre le machar doux qui bordait la plage. Le sable offrait ses trésors à ceux qui venaient à sa rencontre ; des coquillages à la forme inhabituelle, des longueurs de bois flotté à la valeur inestimable sur une île presque déboisée ou encore un fruit étrange à la peau rugueuse. Comme à son habitude, elle courait vite, se délectant de la sensation du vent dans ses cheveux et des galets qui glissaient sous ses pieds, lorsqu’enfin elle rejoignit la plage.

    Une pluie froide lavait son visage. Les mouettes s’envolèrent dans un concert de cris et les vagues immenses explosaient dans un rythme effréné tout autour d’elle. La vie était belle ; c’était la vie de tous les jours, qui jamais ne changerait.

    Melcorka s’arrêta, les sourcils froncés. Une forme qu’elle n’avait jamais remarquée se tenait non loin d’elle. Coincée sur la laisse de la haute marée, la boule d’algues vertes était frappée par l’éclat des vagues argentées. Ce ne pouvait être un phoque ou un quelconque animal sauvage ; il s’agissait d’une chose longue et sombre, qui avait laissé les traces de son passage tandis qu’elle rampait pour atteindre le rivage avant de s’y coucher, immobile. Melcorka hésita quelques secondes ; elle pouvait sentir que cette chose, peu importe ce qu’elle pouvait être, allait changer sa vie. Attrapant une pierre pour se protéger, elle fit quelques pas lents dans sa direction.

    « Bonjour ? » Melcorka pouvait entendre la peur dans sa voix. « Bonjour ? » Une bourrasque emporta ses mots. Elle fit un pas en avant, puis un autre ; la chose qui gisait sur les galets était plus grande qu’elle, et avait la taille d’un homme adulte. Elle se pencha pour tirer sur l’une des algues longues qui la recouvraient, pour en découvrir d’autres couches épaisses. Melcorka s’appliqua à toutes les retirer jusqu’à rendre visible ce qui se cachait en dessous.

    « Ce n’est qu’un homme », pensa-t-elle en reculant. « Un homme nu, couché sur le ventre. » Elle le regarda à nouveau pour s’assurer qu’il était entièrement nu, puis l’examina de plus près, piquée par la curiosité. « Vous êtes vivant ? »

    L’homme ne répondit pas. Melcorka se pencha pour secouer l’une de ses épaules. N’obtenant toujours pas de réponse, elle recommença avec plus de force. « Vous avez réussi à ramper depuis la mer jusqu’ici, homme nu, vous étiez donc en vie quand vous vous êtes échoué sur la plage. »

    Une idée la frappa soudainement, et elle se mit à inspecter ses pieds et ses mains. Doigts et orteils étaient tous bien présents. « Vous n’êtes donc pas un homme-poisson. Qu’êtes-vous donc ? Qui êtes-vous ? » Elle regarda son corps une fois de plus. « Vous êtes bien bâti, et vos cicatrices parlent pour vous. » Elle vit une longue blessure, guérie, qui recouvrait ses côtes. « Mère saura quoi faire de vous. »

    Remontant sa jupe au-dessus de ses genoux, Melcorka courut jusqu’à chez elle, traversant les galets et le machar, regardant derrière elle à deux reprises pour s’assurer que sa découverte ne s’était pas relevée pour se sauver. Ouvrant la porte de sa maison en toute hâte, elle tomba sur Bearnas qui était occupée à la cuisine.

    « Mère ! Il y a un homme sur la plage. Il est peut-être mort, ou il est peut-être encore en vie. Il faut que tu le voies. » Elle ajouta à voix basse et le regard fuyant, « il est nu, mère. Complètement nu. »

    Bearnas releva les yeux du fromage qu’elle était en train de préparer. « Montre-moi le chemin », dit-elle en portant une main vers la croix en étain brisée qu’elle portait sur une lanière de cuir autour de son cou. Sa voix, douce comme toujours, ne parvenait pas à cacher l’inquiétude qui se lisait dans ses yeux.

    Quelques petits crabes s’écartèrent avec hâte lorsque Bearnas atteignit le corps. La tête baissée, elle pinça les lèvres en voyant la cicatrice de l’homme. « Aide-moi à le porter jusqu’à notre maison », dit-elle.

    « Il est nu », souligna Melcorka. « Complètement nu. »

    Sa mère souriait. « Toi aussi tu es nue sous tes vêtements. Sa nudité ne te peut pas te blesser. Attrape un de ses bras. »

    « Il est lourd », répondit Melcorka.

    « On va y arriver », rebondit Bearnas. « Soulève-le maintenant ! »

    Melcorka baissa les yeux sur le corps de l’homme tandis qu’elles le portaient ; elle se sentit rougir et se hâta de détourner le regard. Elle remarqua que ses pieds laissaient une trace dans le sable et au milieu des galets. « Qui penses-tu qu’il puisse être, Mère ? », demanda-t-elle alors qu’elles traversaient le seuil de leur cabane.

    « C’est un homme », répondit simplement Bearnas. « Un guerrier, si je m’en fie aux apparences. » Elle examina son corps. « Il est musclé, mais pas à la façon d’un maçon ou d’un fermier. Son corps est maigre, lisse et souple. » Elle crut voir une lueur d’intérêt dans les yeux de Melcorka. « Cette cicatrice est bien trop droite pour être le résultat d’un accident ; il a pour sûr été blessé d’un coup d’épée. »

    « Comment peux-tu le savoir, Mère ? Tu as déjà vu ce type de blessure ? » Melcorka aida sa mère à porter l’homme jusqu’à son lit où il restait couché, tête relevée, inconscient. Son corps était couvert de sel et de sable. « J’imagine qu’on peut dire qu’il est séduisant. » Melcorka ne pouvait pas contrôler la direction de son regard. Ce qu’elle vit cette fois était moins embarrassant, et tout aussi intéressant.

    « Est-ce que tu le trouves séduisant, Melcorka ? » Il y avait un sourire dans les yeux de sa mère. « Eh bien, essaie d’occuper ton esprit. Tu n’as donc rien à faire ? »

    « Si, Mère », répondit Melcorka sans quitter la pièce.

    « Il est temps de t’y mettre », reprit Bearnas.

    « Mais je veux regarder et savoir qui il est... » Les protestations de Melcorka cessèrent à l’instant où sa mère la frotta vivement du revers de la main. « J’y vais, j’y vais ! »

    Il fallut attendre deux jours pour que celui qui avait été rejeté par la mer se réveille. Melcorka avait passé ses journées à le surveiller, et la majorité de la population de l’île qui passait par-là demandait des nouvelles de l’homme nu que Melcorka avait découvert. Le foyer de la jeune fille se retrouva au centre des discussions. Après le réveil de l’homme, la petite cabane avait l’intérêt de toute la communauté.

    « Cela faisait bien longtemps qu’une chose pareille ne s’était pas produite », affirma Grand-mère Rowan à Melcorka alors qu’elle se reposait sur un tabouret auprès du feu. « La dernière fois remonte à l’époque où ta mère était jeune et pas bien plus âgée que toi. »

    « Que s’était-il passé ? » Melcorka replia sa jupe pour se rapprocher du bord du banc qu’elle partageait avec deux autres hommes. « Mère ne me parle jamais des vieux jours. »

    « Mieux vaut attendre que ce soit elle qui t’en parle », reprit Grand-mère Rowan en hochant la tête, ses cheveux gris flottant autour de son visage. « Ce n’est pas à moi de te dire ce que ta mère souhaite garder pour elle. » La femme baissa la voix. « J’ai entendu dire que c’est toi qui l’as trouvé. »

    « Oui, Grand-mère Rowan », chuchota Melcorka.

    Grand-mère Rowan porta son regard vers Bearnas, avant d’adresser à la jeune fille un clin d’œil qui accentuait les rides de son visage, semblables aux lignes qui décoraient les souches des arbres que l’on venait d’abattre. « À quoi as-tu pensé ? Un homme nu rien que pour toi... qu’as-tu fait ? Où as-tu regardé ? Qu’as-tu vu ? » Son rire poursuivit Melcorka alors que celle-ci fuyait la pièce, où plusieurs hommes et femmes s’étaient rassemblés autour de l’inconnu pour discuter de ses origines.

    « Il s’agit très certainement d’un guerrier. » Oengus passa la main à travers son épaisse barbe grise. « Regardez ses muscles, travaillés à la perfection ». Il porta un de ses doigts gonflés vers le ventre de l’homme.

    « Je les regardais justement », commenta en riant Aele, sa femme, en regardant son amie Fino. Les deux femmes échangèrent un regard complice avant d’éclater de rire, comme si elles partageaient un secret savamment gardé.

    Adeon le potier souriait tout en sirotant sa corne d’hydromel. « Vous pouvez aussi regarder par ici », dit-il en adoptant une pose virile qui ne flattait en rien son physique peu impressionnant.

    « Cela aurait peut-être marché il y a vingt ans », plaisanta Fino. « Ou trente ! »

    « Plutôt quarante », reprit Aele dans un éclat de rire général.

    Melcorka fut la première à entendre le grognement. « Écoutez », dit-elle, mais les adultes qui se trouvaient au milieu d’une discussion prêtaient rarement leur attention aux paroles d’une jeune fille de vingt ans. L’homme grogna à nouveau. « Écoutez ! » répéta Melcorka, cette fois plus fort. « Il se réveille ! » Elle attrapa Bearnas par le bras. « Mère ! »

    L’homme émit un nouveau grognement avant de s’asseoir brusquement. Il regardait la foule rassemblée autour de lui et qui le dévisageait. « Où suis-je ? Quel est cet endroit ? » Sa voix était rauque.

    Tandis que les adultes s’essayaient à bredouiller une réponse, Bearnas tapa dans ses mains. « Silence ! » commanda-t-elle. « C’est ma maison et moi seule parlerai ! »

    Le silence régna un instant, jusqu’à ce que l’étranger reprenne la parole. Son regard s’était posé sur Bearnas. « Êtes-vous la reine de cet endroit ? »

    « Non, je ne suis pas une reine. Je suis seulement la maîtresse de ce foyer. » Bearnas se mit à genoux près du lit. « Ma fille t’a trouvé échoué sur la plage il y a deux jours. Nous ne savons pas qui tu es ni comment tu es arrivé jusqu’à notre île. » Bearnas se tourna vers Melcorka. « Va chercher de l’eau pour notre invité. »

    « Je m’appelle Baetan », répondit l’homme en avalant une gorgée d’eau du gobelet que Melcorka portait à ses lèvres. La repoussant, il essaya de se lever, fit une grimace puis se contenta de hocher la tête pour saluer son hôte. « Je te remercie, femme. Je te prie de me présenter à ton chef. »

    « Nous n’avons pas de chef ; nous n’en avons pas besoin. »

    « Quel est ton nom, maîtresse ? » Baetan se redressa un peu plus. Ses yeux bleus examinaient chacun des visages présents.

    « Je m’appelle Bearnas », répondit la mère de Melcorka.

    « Un nom qui signifie ‘celui qui apporte la victoire’ ; un nom qui ne convient ni à un fermier ni à une femme ». Baetan glissa hors du lit, tituba et eut à peine le temps de se retenir au mur pour ne pas tomber.

    « C’est pourtant mon nom », reprit calmement Bearnas. « Et tu fais honte à mon foyer en te présentant nu face à mes invités. »

    Melcorka réalisa alors qu’elle n’était pas la seule femme présente à regarder le corps de Baetan. Elle sentit une fois de plus le rouge monter à ses joues et détourna les yeux.

    L’homme ne prêta aucune importance aux remontrances de Bearnas. Le dos redressé, il la fixait sévèrement. « J’ai déjà entendu ce nom ; je le connais. » Il prit une inspiration profonde. « Es-tu de la famille de ces Bearnas ? Les Bearnas des Cenel Bearnas ? » Pour autant que ses jambes tremblaient, la voix de l’homme ne manquait pas d’assurance.

    Bearnas jeta un regard vers Melcorka avant de répondre, « C’est bien mon nom. »

    « Tu n’es pas comme je l’imaginais », dit Baetan.

    « Je suis comme je suis », répondit Bearnas avec mystère.

    « Alors c’est pour toi que je suis venu jusqu’ici. » L’homme s’écarta du mur. « J’ai un message pour toi. »

    « Je t’écoute. »

    « Ils sont revenus », affirma simplement l’homme.

    L’atmosphère changea soudainement ; la curiosité et l’amusement laissèrent place à la tension et à ce que Melcorka perçut comme de la peur. « Qui est revenu ? » demanda-t-elle.

    « Sors d’ici, Melcorka. » Bearnas s’aperçut que sa fille examinait le corps dénudé de l’homme sans retenue. « Tu es trop jeune. »

    « J’ai vingt ans », lui rappela Melcorka.

    « Oh, laisse la fille regarder », ricana Grand-mère Rowan. « Ça ne lui fera pas de mal de voir à quoi ressemble un homme. »

    « Il ne s’agit pas de ce qu’elle pourrait voir, mais de ce qu’elle pourrait entendre. »

    Le rire de Grand-mère Rowan poursuivit Melcorka jusqu’à l’autre pièce. « Tu n’oublieras pas ces images de sitôt ! », affirma-t-elle.

    Melcorka se tint aussi près de la porte qu’il lui était possible pendant que les adultes discutaient. Elle pouvait entendre les murmures de leurs voix, qui s’effacèrent brusquement pour laisser place à un silence que vint rompre la voix de sa mère. « Melcorka ; recule de la porte et rassemble tes affaires. Nous quittons Dachaigh. »

    Tout se fit aussi simplement que cela. Quelques minutes auparavant, Melcorka était confortablement installée dans le chalet qu’elle avait occupé toute sa vie, et sa mère n’eut besoin que d’un seul instant pour décider de tout quitter.

    « Où allons-nous ? » demanda Melcorka. « Pourquoi devons-nous partir ? »

    « Ne pose pas de questions et ne cherche pas à discuter ; contente-toi d’obéir. » Bearnas ouvrit la porte et posa sa main sur l’épaule de Melcorka. « Tu as toujours voulu voyager, voir ce qu’il pouvait bien y avoir au-delà de notre île. Ma chérie, ton souhait va se réaliser. » Son sourire ne dissimulait aucune trace d’humour alors que ses yeux couleur émeraude plongeaient dans l’âme de sa fille. « C’est ta destinée, Melcorka ; c’est un droit qui te revient par ta naissance. »

    « Que veux-tu dire ? » Mais Bearnas n’en dit pas plus, et le reste de la journée s’écoula dans une frénésie d’emballage et de préparation.

    « Bearnas », appela Grand-mère Rowan en montrant la fenêtre du doigt, « ton ami est de retour. »

    Melcorka entendit l’appel avant même de voir l’aigle de mer se poser sur un pommier rabougri qui se dressait avec difficulté dans le jardin de sa maison. L’oiseau se tenait immobile, pivotant uniquement sa tête jusqu’à ce qu’il réussisse à voir à travers la fenêtre du chalet.

    « Ouvre la fenêtre, Melcorka. » Bien que basse, la voix de Bearnas ne manquait pas d’autorité.

    L’aigle s’engouffra dans l’ouverture pour aller se poser sur le lit. Il examina rapidement la chambre avant d’aller se poser sur le bras tendu de Bearnas.

    « C’est bon de te revoir, Œil vif ». Bearnas grattait le cou de l’animal.

    Melcorka secouait la tête. « Revoir, Mère ? Nous n’avons jamais vu cet aigle. »

    « L’aigle de mer est mon oiseau totem ». Bearnas semblait perdue au milieu d’un songe, tant sa voix était faible. « Ton oiseau est la pie de mer, Melcorka. Cherche-la bien. C’est elle qui t’aidera à faire les bons choix. »

    « Mère... » Bearnas avait déjà quitté la pièce, l’aigle de mer toujours posé sur son bras.

    Grand-mère Rowan la regarda partir. « Un jour, tu seras heureuse de voir un aigle voler vers toi, Melcorka. » Ses yeux étaient emplis de larmes. « Mais pas aujourd’hui. »

    Un habitant du village avait apporté des habits à Baetan, qui se tenait dans un coin du chalet vêtu d’une leine en lin, cette chemise que portaient tous les habitants de l’île, hommes comme femmes. La leine de Baetan était de toute évidence trop large pour ses épaules, tandis que son pantalon en tartan peinait à couvrir ses genoux.

    « Nous aurons besoin d’un bateau », dit-il.

    « Bien sûr », acquiesça Bearnas.

    « Nous n’avons pas de bateau », interrompit Melcorka. Grand-mère Rowan posa une main sur son épaule.

    « Il y a beaucoup de choses que tu ignores », murmura-t-elle ; « mieux vaut que tu gardes le silence et que tu laisses au monde le temps de te révéler ses merveilles. »

    « Où allons-nous ? » répéta Melcorka. « Allons-nous nous rendre sur le Continent ? »

    « Mieux que ça ; nous allons voir le roi », répondit Bearnas. « Et je n’en sais pas davantage. »

    « Le roi ? Tu veux dire le Seigneur des Îles ? »

    « Non ! » Le ton de Bearnas aurait pu briser la roche. « Pas le Seigneur des Îles. Nous allons voir le roi lui-même. »

    « Nous aurons besoin d’un bateau », insista Baetan.

    « Nous avons un bateau », répondit Bearnas en ignorant les protestations de Melcorka. « Suivez-moi. »

    Les cris assourdissants des mouettes les accompagnèrent dès qu’ils eurent franchi la porte de la cabane dans laquelle Melcorka avait toujours vécu. Ils marchaient droit devant eux, en direction du soleil timide de ce milieu de matinée. Melcorka les suivait, l’esprit tourmenté. « Mère... »

    « Ne pose pas de questions, Melcorka. » Bearnas suivait du regard l’aigle de mer qui volait sur sa droite.

    Le vent d’ouest sifflait à travers la bruyère humide et s’abattait sur leur dos, les invitant à poursuivre leur chemin. « Mère... nous nous dirigeons vers la Grotte interdite. »

    « Merci, Melcorka. » Bearnas n’essaya pas de cacher le sarcasme dans sa voix. Œil vif se posa sur son épaule comme s’il l’avait toujours fait.

    Un fossé creusé dans la lande laissa place à une crevasse dont la profondeur s’accentuait au fur et à mesure de leur avancée, jusqu’à ce qu’ils atteignent un boyau entouré de solides pierres. La grotte haute de dix pieds se trouvait non loin de là, sombre et froide. Toute sa vie, Melcorka avait écouté les avertissements de ceux qui lui avaient interdit d’approcher cet endroit. Sa mère s’apprêtait désormais à y pénétrer sans aucune crainte.

    « Mère... » Alors qu’elle avait toujours voulu explorer la Grotte interdite, le doute rongeait Melcorka. Elle inspira profondément, puis avança à son tour.

    L’obscurité l’enveloppa de son lourd manteau froid aux effluves salés. Elle continuait de marcher, portant son attention sur le bruit des pas assurés de sa mère et la lourdeur de ceux de Baetan. Sans savoir pourquoi ni comment, elle pouvait les identifier par le seul bruit de leurs pas.

    « Nous y sommes. » Même dans le noir le plus complet, Bearnas semblait être capable de savoir exactement où elle se trouvait. Elle s’arrêta dans le renfoncement d’un mur pour ramasser une paire de torches, qu’elle parvint à allumer en frottant deux morceaux de silex l’un contre l’autre. La lumière jaune orangé des flammes se répandit aussitôt autour d’eux. « Prends celle-ci, » dit-elle en tendant une torche à Baetan. « Ce n’est plus très loin d’ici. »

    Melcorka entendit l’eau avant de la voir. Ce n’est qu’au moment où elle remarqua le reflet des torches sur sa gauche qu’elle comprit qu’ils marchaient le long d’une corniche entourée par les eaux. Le bruit des vagues se fit de plus en plus fort, se répercutant au travers des murs de la grotte. « Où sommes-nous ? »

    « Cette grotte s’étend du pan de la colline jusqu’aux falaises situées à l’est », expliqua Bearnas. « Reste tranquille et ne nous dérange pas. » S’abaissant, elle enroula ce que Melcorka avait cru être le mur de la grotte. « Ce n’est pas de la magie, Melcorka, ne sois pas si surprise ! Ce n’est rien d’autre qu’une toile en cuir. »

    Des navires passaient parfois par Dachaigh, souvent des bateaux de pêche dont la course avait été déviée par les vents forts de l’océan occidental. Le bateau de Bearnas ne ressemblait en rien aux bateaux que Melcorka avait pu voir jusqu’alors. La tige et la poupe s’élevaient en deux pointes, et la coque étroite était faite de planches de bois travaillées et imbriquées. Six ouvertures se trouvaient sur chaque flanc du bateau pour permettre le passage des rames ; une place avait été réservée pour un mât au centre du navire. L’aigle de mer poussa un cri rauque avant de rejoindre l’avant du vaisseau.

    « Qu’en penses-tu, Melcorka ? » dit Bearnas en se reculant.

    « Il est énorme », répondit Melcorka sans cacher sa surprise. « D’où vient-il ? »

    « Nous l’avons amené ici avant ta naissance. Je ne voulais pas que tu le découvres avant que le moment ne soit venu. »

    « Pourquoi maintenant, Mère ? »

    « Parce qu’il est temps que tu quittes cette île ; il est temps que tu rencontres le roi et que tu deviennes la femme que tu dois être. » Bearnas frappa la coque du bateau. « Tu aimes ce que tu vois ? »

    « Beaucoup », répondit Melcorka. « Mais je sais qui je suis. Je suis Melcorka, ta fille. Allons-nous vraiment rencontrer le roi ? »

    « C’est une beauté, n’est-ce pas ? » Bearnas laissa glisser ses mains le long du bois lisse de la coque. « Nous l’appelons L’écumeuse, parce que c’est exactement ce qu’elle est. » Ses yeux calmes se posèrent sur ceux de Melcorka. « Oui, tu vas rencontrer le roi. »

    « Pourquoi ? » demanda Melcorka.

    « Baetan m’a informé de certaines choses que nous devons lui transmettre », répondit Bearnas d’une voix douce. « Après cela... nous verrons bien ce qu’il adviendra. »

    « Quel genre d’information ? » reprit Melcorka.

    « Cela me concernait », répondit Bearnas. « Si le roi souhaite t’en informer, il le fera. Ou si notre situation venait à changer, alors tu sauras. »

    « Nous devrions rencontrer le Seigneur des Îles », suggéra le vieil Oengus.

    « Tu sais bien que nous ne pouvons pas nous approcher de cet homme », éclata Bearnas. « Et je ne veux plus entendre son nom. » Melcorka ne l’avait jamais entendu parler avec une telle colère.

    Une multitude de reflets lumineux dans l’eau prévint Melcorka de la présence d’autres personnes. Se retournant, elle vit que la majorité des habitants de l’île les avait accompagnés dans la grotte. Les visages fatigués par l’âge et le travail des hommes et des femmes avec lesquels elle avait grandi apparurent à la lueur des torches. Certains portaient des paquets, d’autres des fûts, qu’ils déposèrent à côté de l’embarcation sur des rochers.

    « Mère – Es-tu certaine que nous ne devrions pas rencontrer Donald des îles avant de voir le roi ? » essaya une fois de plus Melcorka.

    « Contente-toi d’obéir », répondit Bearnas en lui infligeant une tape sévère sur la croupe.

    Oengus balança la tête et posa une main sur l’épaule de Melcorka. « Mieux vaut que tu gardes le silence, petite fille. »

    « Pourquoi ? »

    « Tu ne feras que raviver des souvenirs », Oengus répondit calmement, « des vieux souvenirs. »

    « Mais, Mère... »

    « Assez ! » Bearnas n’eut qu’à lever un doigt pour que sa fille se taise.

    « Remettons-la à la mer », lança Oengus une fois tout le monde ressemblé autour du navire. « Allez Melcorka, toi aussi viens nous aider ! »

    Des bûches avaient été entassées contre le mur de la grotte, mais malgré leur aide, L’écumeuse était beaucoup plus lourde que Melcorka ne le pensait. Il leur fallut une heure pour la porter jusqu’à la mer, où elle revêtit l’apparence d’un navire long, bas et élégant. Melcorka sentit en elle se réveiller l’envie de partir à son bord pour naviguer vers... elle ignorait où, exactement. Elle pouvait juste entendre quelque chose l’appeler au fond d’elle.

    Malgré sa barbe grise et la peau rose de son crâne visible à travers ses cheveux épars, Oengus sauta sur le pont avec la fougue d’un adolescent pour attacher une corde entre la poupe et l’un des rochers fixés au mur de la grotte. « Tout est prêt, Bearnas. »

    Œil vif s’envola jusqu’à la figure de proue qui représentait un aigle aux couleurs de chair et de sang. Melcorka n’aurait su dire lequel des deux oiseaux paraissait le plus féroce. Bearnas monta à bord de L’écumeuse et n’eut aucun problème à garder son équilibre sur la balustrade. « Tout le monde est là ? » Sa voix résonna à travers la grotte.

    « Nous sommes tous présents », répondit un chœur de voix auquel Melcorka et Baetan ne s’étaient pas joints.

    « Qui sommes-nous ? » demanda Bearnas.

    « Nous sommes les Cenel Bearnas ». La réponse se répercuta dans toute la grotte.

    Bearnas porta une main à son oreille. »'Qui sommes-nous ? »

    Plus forte, la réponse se répéta. « Nous sommes les Cenel Bearnas ! »

    « Qui sommes-nous ? » Bearnas criait à présent, et la réponse prit cette fois-ci l’ampleur d’un rugissement. Melcorka se demandait comment ces gens qu’elle avait toujours connus pouvaient faire tant de bruit. Elle jeta un regard autour d’elle, vit ses amis et ses voisins, des fermiers amicaux et des potiers ronchons, des coupeurs de tourbe et des rêveurs, le conteur et le fossoyeur. Elle les connaissait tous, et pourtant ils lui paraissaient désormais inconnus. Qui étaient ces gens ?

    « Nous sommes les Cenel Bearnas ! » Les mots se répétaient à travers la grotte, perdus dans l’écho.

    « Alors, SOYONS les Cenel Bearnas ! » hurla Bearnas, et les habitants de l’île éructèrent en un cri qui fit se soulever les cheveux dans le cou de Melcorka. Elle se joignit aux autres, le poing levé et les pieds battant le pont, même si elle n’avait aucune idée de ce qu’elle acclamait.

    Le bruit s’estompa jusqu’à n’être plus qu’un murmure. Seuls le mouvement et l’éclat des vagues pouvaient s’entendre au-dessus de la respiration haletante des habitants de l’île.

    « Les Cenel Bearnas », répéta Melcorka. « Cela signifie le peuple de Bearnas, mais tu n’es pas chef de notre île, Mère. »

    « Tu as beaucoup à apprendre, Melcorka », répondit Grand-mère Rowan. « Mieux vaut que tu gardes le silence, que tu observes, que tu écoutes et que tu fasses exactement comme nous te l’avons déjà dit. »

    « Combien de temps ces provisions pourront-elles durer ? » demanda Bearnas.

    « Il y en a suffisamment pour un voyage de cinq jours », répondit aussitôt Oengus.

    « Cela devrait nous suffire », reprit Bearnas. « Il est temps de redevenir ceux que nous étions. »

    Les insulaires se répartirent à travers le bateau, prenant chacun place sur les bancs de bois disposés à bâbord comme à tribord. Bearnas conserva sa place à l’avant, tandis qu’Oengus prit le contrôle de la longue rame de direction située à l’arrière.

    Le silence était complet, comme si tous attendaient un signal que Bearnas finit par donner.

    « Habillez-vous », dit-elle simplement.

    Les habitants de l’île saisirent les coffres en bois qui étaient cachés sous les bancs pour en extraire chacun un paquet. Ils se changèrent lentement et avec soin. Il fallut une quinzaine de minutes pour que ces insulaires discrets rompus à l’agriculture et à l’élevage du bétail se transforment en guerriers vêtus de cottes de mailles. Melcorka observait ces gens qu’elle ne connaissait décidément pas.

    Debout à l’arrière, Oengus avait fière allure, son casque de fer posé sur sa tête et sa cotte de mailles tendue sur son torse. Grand-mère Rowan se trouvait au milieu du bateau, ses doigts serrés autour de la rame avec le même aplomb qui lui servait à s’occuper de ses ruches. Lachlan, qui avait passé sa vie à couper et empiler la tourbe, était proche de la poupe, parcourant de ses mains calleuses le bois d’une rame. Personne n’avait pourtant

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