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L'ombre du druide
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L'ombre du druide
Livre électronique652 pages9 heures

L'ombre du druide

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À propos de ce livre électronique

Moins 400 avant notre ère, une malédiction s’abat sur des peuples celtes. Des soldats morts marchent sur les royaumes et détruisent tous ceux qui se mettront sur leur chemin. Avec à leur tête, des sorciers et sorcières impitoyables.
Les plus farouches et les plus redoutés guerriers s’allient derrière les élus. Qui à eux seuls arrivent à déjouer les sortilèges diaboliques grâce aux pouvoirs des dieux.
Les druides se soulèvent face aux sorciers détenteurs des forces du mal.
Des complots se forment, des alliances entre ennemis se soudent dans des guerres sanguinaires et épiques. Les élus des dieux se retrouvent face à une puissante magie noire. Leur seule issue : vaincre ou mourir.
LangueFrançais
Date de sortie25 août 2021
ISBN9782312083407
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    Aperçu du livre

    L'ombre du druide - Sylvia Maccari

    cover.jpg

    L’ombre du druide

    Sylvia Maccari

    L’ombre du druide

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2021

    ISBN : 978-2-312-08340-7

    PARTIE I :

    La naissance du mal

    Yelgenyi

    Moins 400 avant notre ère.

    À la frontière des pays de l’Est, une mer s’étendait à perte de vue. De l’autre côté, une chaîne de montagnes séparait les peuples Boiens et les Scordiques.

    Au beau milieu, sur le flanc d’une colline, se dissimulait une petite maisonnette en bois. La saison hivernale avait pris fin, la neige s’était retirée et les rivières abondaient en poissons. Le soleil était haut dans le ciel, il faisait bon.

    Assis sur une grosse pierre, les pieds dans l’eau, un homme de forte corpulence dépeçait un à un chaque poisson qu’il venait de pêcher, jetant dans le courant les restes de boyaux pour les offrir aux oiseaux. Ses cheveux étaient longs, légèrement bouclés, d’un blond vénitien. Sur sa tempe gauche, un tatouage druidique en forme de croissant de lune lui enveloppait l’œil. Il portait une barbe très courte, plutôt bien taillée et une longue moustache tressée qui lui descendait jusque sur le torse. Ses grands yeux, magnifiques, étaient bleus comme un ciel d’été. Sur son torse nu, des grands symboles runiques parcouraient ses pectoraux jusqu’aux épaules. Dans son dos, de longues balafres rougeâtres prouvaient qu’il s’agissait d’un grand guerrier. Sur ses poignets et ses bras, des gros bracelets de forces en cuir et cuivre comprimaient ses gros muscles.

    L’homme se leva et regarda au loin.

    Sur l’autre versant de la montagne, un loup descendait lentement le petit chemin qui menait à la rivière. L’homme fronça les sourcils et parla tout bas dans un dialecte inconnu. Le canidé s’arrêta devant le ruisseau face à lui. Ils se regardèrent un instant puis l’animal traversa.

    – Tu es en retard, Stall ! J’ai tout donné aux oiseaux.

    Le canidé baissa la tête et se coucha à côté de l’homme. Celui-ci plongea ses doigts dans l’épaisse fourrure, souffla longuement puis se retourna en fixant d’un regard le sommet de la montagne.

    – Ils sont toujours là ! On va devoir aller les voir.

    Le loup plongea ses yeux dans celui de son maître puis se releva. L’homme saisit une longue cape marron en laine accrochée à une branche d’arbre et la fit voler sur ses épaules. Son seau de poisson à la main, il partit en direction de l’épaisse forêt pour s’arrêter dans une petite clairière où un magnifique mérens l’attendait paisiblement. Il caressa la longue crinière puis monta à cru sur son dos. Le cheval ne portait pas de rênes ni de mors. Tous trois montaient en direction de la petite cabane de bois. L’homme releva sa capuche et arrêta sa monture à quelques pas.

    Deux hommes attendaient, assis sur des billots de bois. Le loup grogna en montrant ses crocs blancs. Son maître lui chuchota quelques phrases dans un langage étrange et mit pied à terre. Les deux hommes se levèrent, l’air apeuré.

    L’un d’eux s’avança avec méfiance, la main sur la poignée de son épée.

    – Nous sommes venus en paix, Yelgenyi ! Sur l’ordre du roi. Il te réclame. Tu dois nous accompagner.

    Yelgenyi contourna l’étranger, le regard froid et posa son seau sur le rebord d’une fenêtre. Stall grognait de plus en plus fort.

    – Nous sommes venus en paix, Yelgenyi ! Répéta l’étranger. Le roi te demande.

    – Que veut-il ?

    – Un mal le ronge, tu le sais, tu devais venir cet hiver.

    – Je viens quand je veux. Lui répondit Yelgenyi en l’attrapant par l’épaule.

    L’étranger baissa la tête, sortit lentement son épée et la jeta à terre.

    – Cela fait deux lunes que nous t’attendons.

    – Je sais ! Et malgré tout, vous êtes toujours là. Pourquoi ?

    L’étranger s’agenouilla devant lui. Il garda un long moment le regard rivé sur le sol puis le fixa droit dans les yeux.

    – Si nous revenons sans toi, nous serons exécutés.

    Yelgenyi grimaça. Cette nouvelle ne l’enchantait vraiment pas. Il se retourna, regarda son cheval.

    – Offa… Va ! Dit-il en lui faisant un signe de la tête.

    Le mérens s’avança en secouant sa tête. Il contourna la maisonnette et se réfugia à l’arrière.

    – Fais de nous ce qu’il te plaira, Yelgenyi. Si nous ne mourrons pas de ta main, ce sera de celle du roi.

    – Je n’ai pas l’intention de vous tuer… Pas pour le moment. Nous partirons demain.

    Yelgenyi posa sa main sur le cou de l’étranger.

    – Nous mangerons ensemble, mais vous dormirez dehors, dans la forêt. Si je sens votre présence devant la maison, je me ferais une joie d’enfoncer vos corps dans des troncs d’arbres.

    – Bien, Yelgenyi. Nous ne sommes pas venus pour te faire du tort. Nous te respectons et nous nous mettons à ton service.

    Yelgenyi rit à pleins poumons.

    – Le jour où j’aurais besoin de vous, la terre n’existera plus.

    – Nous sommes du même clan ! Dit l’autre en s’avançant.

    Yelgenyi le regarda du coin de l’œil, se redressa et se dirigea droit sur lui. Il l’attrapa par la gorge et le souleva d’une seule main. Le jeune étranger se débattait, essayant de retirer les mains de son agresseur.

    – Je ne suis pas du même clan que vous, heureusement pour moi. Je ne vous appartiens pas. Tu es bien trop jeune pour le savoir, mais moi je me souviens ce que ton peuple m’a fait.

    – Yelgenyi ! Coupa l’homme à terre. Il ne le sait pas. Il ne sait rien. C’est une histoire que l’on veut tous oublier. Cela fait bien longtemps maintenant.

    – C’est une raison d’oublier ?

    – Non…

    Yelgenyi relâcha le jeune homme et le fixa droit dans les yeux.

    – C’est ton fils !

    – Oui ! Si tu veux tuer quelqu’un, alors tue-moi !

    – Cela ne m’intéresse pas ! Mais si vous tentez quoi que ce soit…

    – Nous n’en ferons rien… C’est une promesse.

    – Une promesse ! Se moqua Yelgenyi.

    Il reprit son seau de poissons et se dirigea vers un âtre encore chaud, y déposa quelques brindilles et souffla sur les braises avant d’y ajouter quelque bûche. Stall le rejoignit et se coucha à ses pieds. Les deux étrangers s’avancèrent lentement, méfiants et prirent place en face de Yelgenyi en ne le quittant pas des yeux.

    Quelques instants plus tard, alors que les braises étaient bien rouges, Yelgenyi y déposa les poissons.

    – Comment va le roi ?

    – Il est très malade.

    – La reine ?

    – Elle ne se lève plus depuis bien longtemps. Yelgenyi, il y a beaucoup de malades dans le fort. Les hommes et les femmes ont tous pris ce mal.

    – Je ne suis pas responsable.

    – Moi je te crois, Yelgenyi, et mon fils aussi.

    – Et que compte faire le roi ? Dis-moi la vérité… Je saurais si tu mens.

    – Le roi veut te supplier d’arrêter ta malédiction.

    – Je n’ai pas jeté de malédiction. Je n’ai pas de temps à perdre avec vous.

    – Je le sais… Je l’ai toujours su. J’ai confiance en toi. Et je regrette ce qui c’est passé. Cela n’aurait jamais dû arriver.

    Yelgenyi posa un poisson dans chaque écuelle en bois qu’il déposa devant les étrangers. Le jeune homme se jeta sur son assiette et dévora sa maigre pitance. Yelgenyi réfléchit quelques instants puis partagea son assiette avec son loup. Le silence était pesant.

    Le soleil était couché et la fraîcheur de la nuit ne tarda pas à les saisir.

    Yelgenyi se leva et entra dans la maisonnette.

    – Nous pourrions rester près du feu ? Questionna le jeune homme.

    – Non, Yelgenyi nous a dit d’aller dans la forêt… Nous irons dans la forêt.

    – Sinon quoi ?

    – Sinon ton corps ressemblera à ces écorces d’arbres.

    La peur gagnait le regard du jeune homme qui ne connaissait rien de ce Yelgenyi et de son passé. Son père se leva et s’engouffra dans l’épaisse forêt. Ils prirent place au pied d’un grand sapin, se serrant l’un contre l’autre pour se tenir chaud.

    ***

    À l’aube, le soleil n’était pas encore levé et le froid glacial était saisissant.

    Les deux étrangers ouvrirent les yeux. Les doigts et les pieds gelés, ils retournèrent à la maisonnette. À leur grande surprise, Yelgenyi était déjà là, assis devant le feu. Il plongeait ses doigts dans un pot en terre cuite et se peignait les yeux en noir. Un large trait qui partait d’une tempe à l’autre et qui englobait son regard bleu. Les deux hommes s’arrêtèrent, ils le craignaient.

    Yelgenyi les regarda du coin de l’œil et attrapa un gros sac en peau qu’il tira contre lui.

    – Approchez ! Il y a de la tisane bien chaude et quelques galettes de céréales.

    Les deux hommes ne se firent pas prier plus longtemps et avalèrent d’un trait leurs breuvages accompagnés de crêpes.

    – Vous avez confiance ? Questionna Yelgenyi.

    Le jeune homme s’arrêta, l’effroi dans les yeux. Il cracha les morceaux au sol.

    – J’ai confiance ! Répondit le père. Je ne crois pas que tu nous ais empoisonné.

    – En es-tu sûr ? Répondit Yelgenyi en s’approchant de lui.

    L’homme réfléchit un instant en regardant son bol de tisane.

    – Non, tu ne l’aurais pas fait.

    Yelgenyi se remit à sa place, le sourire aux lèvres. Le jeune les regardait apeuré.

    – N’aie crainte, fils de Vasili.

    – Comment connais-tu mon nom ? Demanda le père.

    – As-tu oublié qui je suis ?

    L’homme le regarda un instant puis continua son repas.

    – Non, je n’ai pas oublié.

    Yelgenyi se leva, prit un seau rempli d’eau et le versa sur le feu.

    – Nous partons.

    Il appela son mérens qui arriva aussitôt, y déposa une grosse peau de renne sur la croupe, deux énormes sacoches en cuir ainsi qu’une sorte de coiffe surmontée de cornes de cerf. Puis, il retourna une dernière fois dans la maisonnette, pour en ressortir avec un grand arc, son carquois plein de flèches, ses deux haches de lancer fixées sur son ceinturon et sa cape marron posée sur ses épaules.

    Il se dressa, alors, face à la forêt et parla d’une voix forte en levant les bras, s’exprimant dans un langage que les deux hommes ne comprenaient pas. Ceux-ci le regardaient, terrifiés. Vasili, le père, fit quelques pas en arrière et posa sa main sur la poignée de son épée. Stall se posta juste devant lui, grognant et montrant les crocs.

    Yelgenyi se tue, baissa la tête et le fixa du coin de l’œil. Il se retourna tout en parlant dans ce langage inconnu, sortit sa hache de lancer. Vasili s’agenouilla, effrayé par ce que Yelgenyi allait faire. Ce dernier lança son arme. Elle se planta sur le sol, tranchant le petit doigt de l’homme. Vasili s’effondra en hurlant.

    – S’il te vient à l’idée de me frapper dans le dos, saches que je te vois et que je n’ai confiance en personne. Ceci n’est qu’un avertissement.

    Sur ces quelques mots, Yelgenyi ramassa sa hache et partit en direction du Sud, s’engouffrant dans la forêt suivit de son loup et de son mérens. Vasili se releva, se banda la main et fit signe à son fils de se mettre en route.

    Ils descendirent la grande montagne et arrivèrent devant une rivière au débit effrayant.

    Yelgenyi fixa les deux hommes avec un large sourire, se dressa debout sur la croupe de son cheval, Stall sauta également et se positionna sur l’avant. Offa descendit sur le rivage et commença sa traversée. Il s’enfonça lentement dans l’eau tumultueuse devant les deux étrangers horrifiés. Le mérens avançait, se débattant dans le courant. Yelgenyi et Stall regardaient droit devant eux. La puissance du courant n’avait pas l’air de les impressionner. Arrivés sur l’autre rivage sans aucun mal, Yelgenyi descendit de cheval et fixa les deux hommes. Vasili regarda son fils et partit à son tour affronter la rivière. Son fils le suivit, la peur au ventre. Le courant était puissant et les faisait glisser.

    Dans une dernière tentative, le jeune homme s’accrocha à son père. Les deux hommes tombèrent lourdement dans l’eau et furent emportés par le courant ce qui fit rire Yelgenyi à pleins poumons.

    – Passez ailleurs ! On se retrouvera peut-être à la grande plaine.

    Sur ces quelques mots, Yelgenyi reprit sa route, laissant les deux hommes surmonter leurs difficultés.

    Durant toute la journée, ils progressèrent dans la forêt, franchissant les rivières, bercés par le chant des oiseaux. Le printemps offrait bien des plaisirs que Yelgenyi appréciait. Tout au long de son parcours, il ramassait ici et là des plantes, fleurs et baies en tous genres.

    Il s’arrêta dans un petit bois aux arbres immenses, s’allongea et plongea son regard dans le ciel. Stall près de lui, tandis qu’Offa broutait l’herbe fraîche. Il écoutait le chant mélodieux des oiseaux se faisant la cour tout en s’alimentant de quelques baies, puis ferma ses yeux se laissant emporter par ce doux moment, tout en caressant l’épaisse fourrure de Stall.

    Soudain, il vit des milliers de guerriers fonçant droit sur lui et la tête de la reine tomber sur le sol et rouler jusqu’à ses pieds. Au loin, des hommes et des femmes, encore en vie, périssaient sous les flammes. Il sursauta.

    Stall était près de lui, le regardait inquiet, Offa dans la clairière.

    Il se releva et parla à ses amis dans son étrange langage puis, reprit la route jusqu’à une petite colline qui surplombait la vaste et grande plaine, d’où il aperçu, au loin, le fort des Scordiques avec à ses pieds, une grande rivière qui serpentait jusqu’à lui.

    Il regarda attentivement toute la plaine, mais ne vit aucun feu.

    – Nous allons dormir là ! Nous en aurons besoin.

    Il s’emmitoufla dans sa grosse peau de renne, serré contre son loup.

    Plus tard, il ouvrit les yeux et fixa la voûte céleste. La lune se reflétait dans ses pupilles. Les étoiles brillaient de mille feux. Il les regarda les unes après les autres tandis qu’une douce brise faisait danser le sommet des arbres.

    ***

    Au matin, les rayons du soleil vinrent réveiller Yelgenyi, Stall n’était plus là et Offa se tenait debout à ses côtés, attendant patiemment. Il se leva, remit la peau sur la croupe de son mérens et ramassa ses sacoches tout en appelant son compagnon.

    Enfin, Stall sortit de la forêt, un lièvre dans la gueule. Le loup s’avança devant son maître et déposa fièrement son butin à ses pieds. Yelgenyi sourit.

    – Tu peux le manger, il me reste quelques baies. Je dois garder l’esprit ouvert.

    Stall s’installa dans l’herbe fraîche et commença son repas. Yelgenyi s’assit face au fort, le regard dans le vide. Il parla longuement dans son dialecte.

    Quelques instants plus tard, il vit au loin Vasili et son fils traverser la grande plaine et se remit en route, rejoint rapidement par les deux étrangers qui l’avaient vu.

    Yelgenyi s’arrêta devant Vasili et le regarda attentivement.

    – Dans deux lunes, les vers viendront te ronger l’os, puis ta main.

    – Je demanderai au guérisseur de me soigner.

    Yelgenyi ricanait tout en faisant le tour de l’homme.

    – Si tu tiens à perdre ton bras !

    – Alors fais quelque chose Yelgenyi. Pria Vasili.

    Yelgenyi figea son visage contre le sien.

    – Pour que tu m’enfonces ton épée dans le dos ?

    – Je n’en ai pas l’intention.

    – Tu le feras si je te soigne. Alors, je préfère te voir perdre ta main.

    Yelgenyi siffla entre ses dents et se remit en route. Stall le suivait à quelques pas derrière lui, surveillant les deux hommes du coin des yeux.

    Arrivé à deux cents pas devant le fort, Yelgenyi mit sa grande coiffe en cornes de cerf, monta sur la croupe de son mérens et se tint droit debout, les bras croisés.

    Des hommes criaient depuis le haut des tourelles. Son allure était effrayante, son regard bleu s’illuminait, ses moustaches pendaient sur son torse nu.

    Il appuya du bout du pied le flanc de son étalon qui s’arrêta net. Cinquante pas le séparaient des tirs des archers. Vasili se présenta à la grande porte. Un homme ouvrit. Ils discutèrent un instant entre eux.

    Le garde s’avança vers Yelgenyi, fit le tour du cheval en dévisageant l’homme. Yelgenyi le fixait du coin des yeux. Le garde finit par ordonner l’ouverture des portes.

    Yelgenyi retira son pied du flanc d’Offa qui se remit en route. Ils passèrent entre les grandes palissades pour arriver dans une immense cour.

    Des tas de guerriers s’étaient amassés, armes à la main. Yelgenyi releva sa coiffe et descendit de son mérens. Il attrapa ses sacoches et les envoya sur ses épaules, puis s’avança droit sur les guerriers en bombant le torse. La pointe d’une lance se posa sur sa peau. Yelgenyi fixa le guerrier droit dans les yeux. Les mains de celui-ci tremblaient terriblement.

    Après s’être jaugé, Yelgenyi chuchota quelques mots dans son dialecte. Le guerrier, dont les yeux exprimaient la peur, tomba à genoux et posa sa tête sur les pieds de Yelgenyi qui releva les yeux pour fixer uns à uns tous les guerriers. Ceux-ci s’agenouillèrent à tour de rôle.

    Yelgenyi se remit en route en direction de la grande maison du village. Il monta les escaliers, laissant derrière lui Offa qui le regardait s’éloigner et entra dans la grande salle.

    Un âtre brûlait au milieu. Tout autour des tas de tables et des fauteuils recouverts de peaux. Les armes étaient suspendues sur les poutres. Au fond, un vieil homme l’attendait, assit sur un gros trône en bois recouvert de dorures.

    Yelgenyi s’avança vers lui. Des guerriers entrèrent à leur tour. Le silence prit place.

    Les deux hommes se regardaient avec méfiance. Le vieil homme saisit un gobelet en or et but quelque rasade. Il portait une longue barbe blanche qui lui retombait sur le torse. De longs cheveux blancs dissimulaient les rides profondes de son visage. Il était amaigri et tremblait sous d’épaisses peaux de rennes. Sa couronne était posée sur un accoudoir.

    – Approche, Yelgenyi. Lui dit-il d’une voix tremblante.

    – Je ne m’agenouillerai pas devant toi, Oggen.

    – Non, je le sais.

    Yelgenyi monta les quelques marches devant le roi. Il fit le tour du trône en le scrutant attentivement.

    – Je vais mourir, Yelgenyi.

    – Non pas encore, lui chuchota-t-il à l’oreille. Avant, tu devras souffrir

    Yelgenyi rit. Il contourna le vieil homme et se fixa devant lui.

    – Tu as envoyé deux hommes me chercher, et tu les as menacé de les tuer si je ne les accompagnais pas. Saches que je ne ferais rien ni pour toi, ni contre toi.

    – Alors, pourquoi es-tu venu ?

    – Je suis venu voir la reine.

    – Elle se meurt.

    – Je sais.

    – Donc tu es venu juste pour la voir mourir ? Tu as bien changé Yelgenyi.

    Yelgenyi fit quelques pas en arrière, se retourna et regarda l’assemblée qui avait envahi la pièce. Les guerriers écoutaient les échanges entre le roi et lui. Il passa devant chacun d’eux, plongeant son regard dans les leurs. Certains détournaient les yeux de peur qu’il ne sonde leurs âmes. Yelgenyi revint près du roi et posa ses mains sur les accoudoirs.

    – Un combat est imminent, Oggen et tes vieux guerriers ne veulent plus combattre pour toi.

    Oggen regarda un à un chaque guerrier. La plupart baissaient la tête et les autres chuchotaient entre eux. Le roi comprit, alors, que son sort était scellé.

    – Où est ton fils, Oggen ?

    – Il est parti, voilà deux hivers et n’est jamais revenu. Pourquoi as-tu jeté cette malédiction sur nous ?

    – Je te l’ai déjà dit, je n’ai rien fais… Et je ne ferai rien pour vous tous.

    – Les hommes, les femmes et les enfants se meurent. Ce mal nous affecte depuis ton départ du fort. C’est toi le responsable.

    – Je n’ai pas cet esprit de vengeance, roi Oggen. Je ne suis pas comme vous.

    Yelgenyi redescendit les escaliers et se dirigea vers une porte située sur le côté de la salle. Il se retourna et regarda encore une fois l’assemblée, puis posa sa coiffe sur une chaise et ordonna à Stall de la garder. Il tira sur la poignée en bois et disparu dans une autre pièce. Celle-ci était merveilleusement bien décorée. Des bougies étaient posées tout autour sur des étagères. De grandes tentures habillaient chaleureusement les murs. Un parfum d’encens les enveloppait, laissant une légère brume flotter dans l’atmosphère.

    Yelgenyi passa derrière de grands rideaux opaques, là, devant lui, un grand lit en bois sculpté trônait en plein milieu. Une vieille femme, marquée par la souffrance, était couchée sous d’épaisses peaux. Il s’approcha, écarta ses cheveux blancs et s’assit près d’elle. Elle ouvrit les yeux.

    – Vlasi… C’est toi ? Murmura-t-elle.

    – Non Raya, c’est moi, Yelgenyi.

    La vieille femme se redressa difficilement en laissant échapper un profond gémissement. Yelgenyi la souleva, releva les couvertures afin qu’elle n’ait pas froid. Raya se blottit contre son épaule et posa sa main tremblante et décharnée sur le visage de l’homme. Ses yeux étaient vitreux, ses pupilles complètement blanches.

    Yelgenyi, envahi par la colère, la serra contre lui.

    – C’est bien toi, Yelgenyi. Cela fait si longtemps.

    – Je sais, pardonne-moi.

    Raya caressa les épaules de l’homme, puis son torse.

    – Tu es si fort… Tu as toujours été le plus fort.

    Yelgenyi posa sa tête contre le front de la vieille femme et soupira.

    – Pourquoi es-tu revenu ?

    – Tu me manquais.

    – Ne me ment pas Yelgenyi… Je sais que je vais mourir.

    – Oui Raya.

    – Dans combien de temps ?

    – Dans cinq lunes.

    Raya se blottit encore un peu plus contre lui.

    – Tu auras toujours été une mère pour moi, Raya.

    – Quel est ce mal qui nous emporte tous, Yelgenyi ?

    – Le mal arrive, Raya. Beaucoup de mal arrive. Parfois, cela me fait peur. Parfois, je vois des choses si horribles.

    – D’où vient ce mal ?

    – De la perfidie des hommes. Les dieux seront assouvis.

    – C’est ce mal qui a pris Vlasi ?

    – Non, ton fils est toujours en vie.

    La vieille femme se recula et posa sa main sur le torse de l’homme. Elle gémit quelques instants.

    – Mon fils est en vie ? Tu dois le retrouver, Yelgenyi. Je t’en supplie.

    Yelgenyi reposa la vieille femme sur le lit et la regarda longuement. Il baissa la tête et la posa sur son ventre.

    – Yelgenyi, il est l’héritier du trône. L’as-tu dit à Oggen ?

    – Il est mauvais, son âme est mauvaise. Eh non, je ne l’ai pas dit à Oggen. Pourquoi lui dirais-je après tout ce qu’il m’a fait ?

    – Je regrette les agissements de mon époux. Cette histoire remonte à bien des années. Je crois qu’il t’en voulait d’être plus fort que lui.

    – J’ai mis six longs hivers à pouvoir m’échapper. Tu ne sais pas ce que j’ai vécu là-bas. Ce que j’ai dû subir pour acheter ma liberté. Oggen a profité de mon sommeil pour m’attacher comme on attache un prisonnier. Ses guerriers m’ont battu, frappés à mort. Je sens encore les coups dans ma chair. Je vois encore son sourire. Il a fait de moi un esclave pour les peuples du Nord. Je revois le regard de Vlasi et j’entends son rire. Là-bas, j’ai subi le froid et les gelures et chaque nuit, ils m’attachaient à un arbre. Pour survivre, j’ai dû me battre avec des chiens afin de voler leurs nourritures. Car ma seule envie était de revenir pour me venger. J’ai dû apprendre leur langue, leurs coutumes, pour leur faire croire que j’étais des leurs. Et j’ai mis deux hivers pour retrouver mon chemin.

    – Pourquoi ne t’es-tu pas vengé ?

    – Parce que tu es ma mère, Raya et je t’aime plus que tout au monde.

    Raya posa sa main sur la sienne et serra les doigts entre les siens.

    – Lorsque je partirai dans l’autre monde, tu te vengeras ?

    – Non, ils sont pitoyables.

    – Tu dois ramener Vlasi au fort Yelgenyi. Ramène-le avant que je parte.

    Yelgenyi déposa un baiser sur le front de Raya, se leva et après avoir refermé la porte, se dirigea vers Oggen qu’il fixa droit dans les yeux.

    – Je vais te ramener Vlasi.

    Le roi sursauta, les yeux grands ouverts et s’effondra sur son trône.

    – Il est détenu prisonnier chez le roi Aristhark, chez les Boiens, c’est lui qui projette de vous envahir. Je partirai demain.

    – Mon maître d’armes t’accompagnera, ainsi que les guerriers les plus aguerris.

    Yelgenyi regarda les hommes qui se tenaient dans la salle, fixa une dernière fois le roi, attrapa sa coiffe et fit signe à Stall de le suivre. Sur le pas-de-porte, Yelgenyi s’agenouilla près de lui et lui parla dans son dialecte, puis se releva et partit en direction des box à chevaux. Il ouvrit celui d’Offa et tous trois ressortirent du fort.

    Arrivé sur la colline, il posa ses sacoches au sol et fouilla à l’intérieur pour en sortir plusieurs petits sacs en peau qui contenaient ses plantes.

    Après avoir fait un petit feu, sur lequel il posa un pot en fer contenant un peu d’eau, il mélangea une pincée de chaque plante à l’aide d’un petit bâton et but le breuvage d’un trait. Stall le regardait, couché, la tête posée sur ses pattes.

    Yelgenyi retira sa cape, s’agenouilla et, les yeux tournés vers le ciel, il commença à réciter des phrases incompréhensibles. Ses mains tremblaient. Son corps se contracta de toute part. Des spasmes l’envahirent tandis qu’il psalmodiait.

    Au loin, les nuages se rapprochaient. Les oiseaux s’envolaient. Ses yeux se révulsèrent. Stall s’écarta, terrifié. La voix de l’homme résonnait, une voix grave, tremblante. Du sang s’écoula de sa bouche. Ses doigts agrippèrent son pantalon. Il baissa la tête, la secoua à plusieurs reprises. Tous ses muscles vibraient au rythme de ses incantations. Il sentait son cœur battre terriblement, il luttait. Des éclairs frappèrent le sol violemment dans un fracas assourdissant. Yelgenyi releva la tête et se mit à crier.

    Dans le fort, Raya se tordait de douleur. Oggen et le guérisseur étaient près d’elle. Elle gémissait encore et encore.

    – Il est en train de la tuer ! Fit le guérisseur.

    – J’aurais dû le tuer, il y a bien longtemps.

    Raya se redressa et se mit à hurler. Elle criait des mots incompréhensibles. Du sang s’écoula de ses yeux. Tout son corps se mit à trembler violemment. Elle retomba lourdement dans son lit. Le guérisseur s’approcha d’elle et vit du sang noir sortir de sa bouche.

    Du haut de sa colline, Yelgenyi leva les bras vers le ciel en hurlant des phrases dans son curieux langage. La pluie se mit à tomber. Les éclairs illuminaient toute la vallée. Il se redressa et se trancha une veine à l’aide de son couteau. Le sang s’écoula, rouge vif puis noir, épais. Des larmes coulaient le long de ses joues. Il referma sa main et lécha le sang noir, puis tomba à genoux en tremblant. La pluie ne cessait de tomber. Tout son corps se contracta et il hurla de douleur.

    ***

    Le lendemain matin, Yelgenyi se rendit au fort. Debout sur son mérens, il attendait qu’on lui ouvre la porte. Un homme d’un certain âge sortit et vint à sa rencontre. Les cheveux longs et grisonnants, une épaisse barbe hirsute lui tombait sur le torse. Ses yeux étaient bleus et une longue balafre traversait son visage de haut en bas. Il portait une grande cape en peau de renne. Une dague et une épée pendaient sur son ceinturon en cuir fermé par une boucle en argent représentant un cerf. Yelgenyi comprit qu’il devait être le maître d’armes en question. L’homme se présenta devant lui.

    – Je suis Kostya, maître d’armes du roi Oggen.

    Yelgenyi ne répondit pas, il le regardait de haut en bas. Il s’agenouilla sur son cheval et figea son regard dans le sien. Kostya attendait, froidement. Yelgenyi sourit puis fixa les portes du fort.

    – Entre Yelgenyi. Je suis fier de t’accompagner.

    – Pas moi.

    – Tu ne te souviens pas de moi ?

    Yelgenyi le regarda encore une dernière fois. Des flashs se succédaient dans sa tête. Il essaya de se rappeler ce jour et de se remémorer les visages. Et il se souvint : là, dans la foule, un homme qui poussait les autres et leur ordonnait d’arrêter. C’était lui, Kostya. Yelgenyi serra les dents.

    – Alors c’était toi ?

    – Oui.

    – Je ne veux pas que tu viennes avec moi.

    – Tu n’as pas le choix ! C’est l’ordre du roi.

    Yelgenyi envoya son mérens au trot pour le distancer. Il sauta au sol et monta les escaliers qui menaient à la maison du village et s’avança droit sur Oggen, le visage en colère.

    – Il ne viendra pas avec moi.

    – Si mes souvenirs sont exacts, il me semble que vous êtes de vieux amis. Il partira donc avec toi.

    Oggen se leva, le regard plein d’animosité. Un homme sortit de la pièce où se trouvait la reine. Il portait une cape en peau où des tas d’os pendaient. Sur sa tête, une couronne en bois tressée tenait ses cheveux bruns. Il avait un long bouc et un regard glacial.

    – Qu’as-tu fait à Raya ? Lui demanda-t-il.

    Yelgenyi ne répondit pas. Oggen descendit les escaliers et vint à leur rencontre.

    – Je me répète : qu’as-tu fait à Raya ?

    – Elle vivra !

    Le guérisseur s’approcha de lui. Kostya entra dans la pièce, suivit de quelques guerriers. Oggen les regarda un à un et retourna à sa place.

    – Partez ! Allez chercher mon fils.

    Yelgenyi se dirigea vers la petite pièce où se trouvait Raya. Il passa devant le guérisseur en le regardant droit dans les yeux, puis se rendit au chevet de la reine et s’assit près d’elle. La vieille femme tremblait.

    – Raya, c’est moi, Yelgenyi.

    – Yelgenyi… Mon deuxième fils, je me meurs.

    – Non Raya… J’ai demandé aux dieux de te laisser en vie… Ils m’ont entendu, tu vivras encore. Je vais chercher Vlasi et je vais te le ramener.

    – Fais attention à toi.

    – Les dieux ne me veulent pas, Raya.

    Il posa son front sur le sien, la serra entre ses bras une dernière fois et sortit, puis s’arrêta devant le guérisseur et se figea droit devant lui.

    – Je te déconseille de continuer ce que tu es en train de faire, Rurik. Car où que tu sois, je te retrouverai et je te transformerai en arbre. Je sais ce que tu as en tête, je t’entends très bien, je te vois parfaitement, je vais revenir. Même si je suis loin, je te vois.

    Le guérisseur fit quelques pas en arrière. Yelgenyi le fixa encore une dernière fois et sortit. Les hommes étaient prêts. Offa attendait, trépignant sur place. Les tambours résonnaient. Les hommes frappaient leurs boucliers. Stall grognait d’impatience. Dans les yeux de Yelgenyi, se reflétaient déjà les futurs combats.

    Aristhark

    La plupart des orages de printemps étaient violents. Les éclairs fendaient le ciel, des torrents de boue déferlaient des collines environnantes. Les rivières se gonflaient et emportaient tout sur leurs passages. Le vent arrachait les arbres sur sa route. Le temps pouvait changer en quelques heures, passant d’un soleil brûlant aux orages les plus dévastateurs. Les peuples qui avaient érigé leurs domaines dans ces contrées inhospitalières en avaient pris l’habitude. Les gelées hivernales pouvaient descendre jusqu’à moins quarante degrés. Leurs sources de nourriture étaient le renne ou le bison d’Europe. Ils arrachaient leurs subsistances à la grâce de dame nature. Ces peuples celtes oubliés étaient, pourtant, au cœur des échanges entre les pays de l’Est et de l’Ouest.

    Ils avaient marché durant des jours entiers, affrontant les tempêtes et les températures insoutenables. Yelgenyi en tête suivit d’une cinquantaine de guerriers, tous prêts à mourir. Ils savaient qu’ils n’étaient plus très loin et que le roi Aristhark ne leur ferait pas de cadeaux.

    Depuis bien longtemps, ces deux peuples étaient en guerre. Une guerre commerciale.

    Ils traversèrent une grande forêt clairsemée. Yelgenyi mit pied à terre et décida d’y établir le camp. Kostya voulait encore avancer. Ils n’étaient plus qu’à une lune du fort. Yelgenyi prit son arc et partit dans la forêt. Kostya ordonna aux guerriers de monter les tentes et prit cinq soldats pour suivre Yelgenyi.

    Au loin, un petit troupeau de bisons paissait tranquillement dans une clairière. Un gros mâle attira son attention. Il fit signe aux autres guerriers de rester en arrière.

    Il s’avança lentement. Stall contournait le troupeau par l’extérieur. Yelgenyi posa son arc sur le sol, se mit à genoux et parla dans son langage incompréhensible. Le gros mâle se retourna et le fixa du regard, tout en s’approchant de l’homme, tête baissée, le souffle court. Yelgenyi arracha quelques herbes et les lui présenta, baissant la tête en lui parlant dans son dialecte. Le bison renifla un instant, le regarda une dernière fois puis se délecta de ces quelques brindilles. Il repartit tranquillement rejoindre les femelles. Yelgenyi reprit son arc et fit signe aux guerriers de repartir. Kostya ne comprenait pas. Cette bête aurait pu être un festin après tous ces jours de marche.

    Ils continuèrent leurs recherches. Trois hommes partirent de leur côté quand Yelgenyi s’arrêta à une rivière. Kostya s’approcha de lui et prit place sur un gros rocher.

    – Pourquoi n’avoir pas tué ce bison ? Lui demanda-t-il.

    – Il nous sera utile.

    – À quoi ? Se moqua Kostya.

    – Nous sommes cinquante, combien crois-tu qu’il y a de guerriers dans ce fort ?

    Kostya le regarda, l’air inquiet.

    – Allons-nous arriver à sortir Vlasi ?

    – Oui. Mais nous allons perdre des hommes.

    – Comment sais-tu tout ça ? Ce sont les dieux qui te le disent ?

    – La mort est déjà dans leurs yeux. Les dieux ne me disent pas tout.

    Yelgenyi attrapa une belle truite, plongea son couteau dans les branchies et la posa sur le côté.

    – Beaucoup t’envient, Yelgenyi.

    – Pas moi ! Lui répondit-il en sortant une seconde truite.

    – Oggen ne voulait pas que tu fasses de l’ombre à Vlasi. Je l’ai entendu tant de fois. Tu étais bien plus fort que son fils et il te craignait.

    – Je n’aurais jamais fait de mal à Oggen ou à Vlasi. Je les ai toujours considérés comme ma famille.

    – Moi, je le sais ! C’est pour cela que je n’ai pas approuvé son jugement. Que comptes-tu faire de Vlasi ?

    – Je vais le ramener à Raya, comme elle me l’a demandée.

    Yelgenyi sortit une troisième truite et regarda Stall se débattre dans le courant. Il attrapait des petits poissons et les gobait aussitôt. Des nuages envahissaient le ciel, la pluie recommençait à tomber. Ils rejoignirent le camp, où des feux brûlaient. Les hommes avaient attrapé des lièvres et les dépeçaient. Yelgenyi s’assit près d’un feu et ouvrit le ventre des poissons pour les vider, puis les posa sur les braises avant de s’adresser à Kostya.

    – Demain, nous attaquerons. Mais, avant, beaucoup de nos ennemis seront déjà morts.

    – Mort de quoi ?

    – Je vais entrer dans le fort cette nuit.

    – Seul ?

    – Bien entendu !

    – Et tu penses en ressortir sans aucun problème ?

    – Ils ne me verront ni ne m’entendront.

    – Tu cours à ta perte, Yelgenyi.

    – Fais-moi confiance.

    Kostya était dubitatif, mais il lui faisait confiance. La nuit tomba. Les guerriers étaient tous couchés, seul quatre d’entre eux montaient la garde.

    Dans la nuit, Yelgenyi se releva et posa sa main sur Stall. Il lui parla tout bas, lui ordonnant de ne pas bouger. Kostya le regarda se préparer. Yelgenyi prit quelques plantes dans ses sacoches et les enfouit dans un linge qu’il dissimula dans un sac en cuir accroché à son ceinturon. Il se peint le visage en noir, et lissa ses cheveux d’une épaisse pâte noirâtre. Kostya lui prit le bras et lui dit tout bas :

    – Ne veux-tu pas que je vienne avec toi ?

    – Non, si tu viens… Nous mourrons.

    Yelgenyi retira sa cape et enfila une tunique marron foncé. Puis il partit après un dernier regard à son loup. Yelgenyi s’enfonça, à vive allure, dans la forêt, sautant par-dessus les troncs d’arbre qui jonchaient le sol, traversant les petites rivières, grimpant les côtes et redescendant de l’autre côté en s’accrochant aux branches. Il fallait arriver avant l’aube.

    Là, au loin, l’immense fort d’Aristhark. Dans la nuit, ses tours donnaient l’impression de toucher le ciel. Au sommet des tourelles, des torches étaient allumées. Yelgenyi avança lentement et arrivé à une centaine de pas du fort, se mit à ramper.

    Il pouvait voir les gardes circuler sur les chemins de ronde. L’un d’eux s’arrêta et se pencha par-dessus les remparts. Yelgenyi se figea. Le soldat appela ses congénères qui le rejoignirent aussitôt. Yelgenyi se mit à parler dans son dialecte.

    Les hommes qui regardaient dans sa direction, jetèrent des torches qui tombèrent à une vingtaine de pas devant lui. L’inquiétude le gagnait.

    Soudain, quatre loups traversèrent le champ et passèrent juste devant lui. Ils s’arrêtèrent un peu plus loin et se mirent à hurler. Les gardes rirent et retournèrent à leurs postes. Yelgenyi continua sa route en rampant jusqu’aux remparts qu’il contourna, cherchant un moyen d’entrer sans être vu.

    À l’arrière, des rats sortirent d’un petit trou entre les troncs. C’était une petite porte par où les égouts s’écoulaient. Il sortit son couteau et l’enfonça dans l’ouverture pour soulever la barre de fer qui la maintenait fermée, puis regarda furtivement à l’intérieur. Il n’y avait personne. Il sourit et entra se cacher derrière une maisonnette avant de parcourir le fort en rasant les murs. Près des box à chevaux, l’un d’eux le remarqua et secoua sa tête en grognant. Yelgenyi lui parla doucement en lui faisant un signe de la main. Il jeta un œil sur les autres congénères, réfléchit un instant, puis continua sa route.

    Il contourna de grandes baraques surveillées par des gardes et s’arrêta devant un grand tonneau rempli d’eau où il jeta une poignée de plantes prises dans son petit sac de cuir.

    Il repartit, jeta un œil dans l’allée et traversa. Là, un autre tonneau d’eau où il déposa, à nouveau, une poignée de plantes et fit de même pour le troisième, quatrième et cinquième tonneau. Il voulut continuer, mais se retrouva nez à nez avec un garde.

    Ils se regardèrent, surpris. Le garde posa sa main sur la poignée de son épée et Yelgenyi s’agenouilla en levant les mains. L’homme sortit son arme et s’approcha de lui.

    – Qui es-tu ? Que fais-tu là ?

    – Je suis ta mort.

    Le garde ricana tout en avançant. Yelgenyi ne bougeait pas et gardait les mains hautes. L’homme leva son arme, bien résolu à le tuer, mais Yelgenyi bondit, attrapa la lame et l’enfonça dans sa gorge, la faisant ressortir sur le sommet du crâne. Yelgenyi dissimula le corps sous des bâches qui protégeaient des rondins de bois, puis déposa ses plantes dans le sixième tonneau avant de repartir en longeant les baraques.

    ***

    Le jour commençait à poindre, il devait faire vite, avant la relève des gardes. Yelgenyi ressortit par la petite porte et se plaqua au sol. Il rampa jusqu’à un petit bosquet d’églantier, se dissimula dessous et fixa les remparts. Les gardes partaient les uns après les autres. Il attendit que le dernier quitte son poste avant de courir se réfugier dans la forêt. Il fit le même parcours au pas de course et arriva au camp, épuisé.

    Kostya l’attendait le regard fixé sur les flammes. En le voyant revenir, il se leva, sourire aux lèvres et Yelgenyi s’agenouilla près du feu.

    – Tiens, c’est pour toi ! Lui dit Kostya en lui tendant un bol de céréales. Je savais que tu allais revenir.

    Yelgenyi prit le bol et commença son repas.

    – Tu m’expliques ? Demanda Kostya.

    – Ils sont nombreux.

    – As-tu vu où se trouve Vlasi ?

    – Non, je me suis occupé des soldats.

    – Que leur as-tu fait ?

    – Rien… Mais j’espère qu’ils vont avoir soif, lui répondit-il avec un large sourire.

    À son tour, Kostya se mit à rire.

    – Nous partirons quand tu seras prêt.

    – Je suis prêt. Lui répondit Yelgenyi en se levant. Je t’expliquerai en chemin ce que nous allons faire.

    Kostya fit signe à ses hommes de se mettre en marche. Tous montèrent sur leurs étalons et partirent en direction du fort, Yelgenyi en tête, Kostya à ses côtés. Ils savaient que le combat avec Aristhark n’allait pas être facile. Ils longèrent la grande colline puis s’arrêtèrent près d’une rivière pour abreuver les étalons. Ils repartirent avec Stall loin devant qui ouvrait la marche. Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et la chaleur se faisait ressentir. Les rayons frappaient leurs peaux rougies.

    Dans le fort d’Aristhark, un homme parcourait les ruelles au pas de course. Il monta les escaliers qui menaient à une grande maison en bois, et entra dans une immense pièce. Au centre, le feu brûlait dans un grand âtre. Sur tous les murs, des armes étaient suspendues. Au fond, des grandes tentures brodées pendaient jusqu’au sol. Un grand trône orné de défense de sanglier, de cornes de cerf et de dorures en tous genres, était éclairé par des torches. Y siégeait un homme de forte corpulence, aux longs cheveux blonds, à la barbe épaisse et aux yeux bleus très clairs. Il portait une grande cape en laine rouge vif accrochée par une belle fibule en or et une multitude de colliers en pierres précieuses pendaient sur son torse. Sur sa tête, une couronne en or massif lui soutenait les cheveux. L’homme s’avança et s’agenouilla devant lui.

    Il fixa l’homme et l’invita à parler.

    – Aristhark, des hommes sont pris de malaise. Certains d’entre eux sont morts.

    – Combien ?

    – Une bonne centaine, peut-être plus.

    – Quel est leur mal ?

    – Le guérisseur est avec eux, il ne sait pas.

    – Va le chercher !

    Le garde baissa la tête et repartit. Il traversa le fort et entra dans une des grandes baraques. Le spectacle était désolant. Les soldats étaient couchés, vomissant, se tordant de douleur. Des femmes apportaient des bols d’eau fraîche afin de les hydrater.

    Le guérisseur était là, récitant des prières aux dieux et agitant une aile de corbeau empaillée au-dessus des hommes mourants.

    – Le roi veut te voir ! Lui dit le maître d’armes.

    – Je vais y aller. Mais je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire.

    Le guérisseur traversa le fort et se rendit auprès du roi.

    – Entre, Fadeï…

    – Mon roi, les hommes se meurent les uns après les autres.

    – Quel est ce mal ?

    – Je ne le connais pas.

    Le roi frappa de son poing sur l’accoudoir et le fixa méchamment.

    – Remets-les sur pied ! Lui hurla-t-il. Trouve ce qui les ronge. Sinon je te ferai brûler vif.

    – Bien Aristhark.

    Le guérisseur ressortit et retourna auprès des malades. Les corps s’entassaient sur les chariots. Fadeï s’arrêta près de l’un d’eux et scruta les cadavres. Il vit une mousse blanche sortir de leur bouche et comprit. Il partit en courant dans la première baraque et se jeta sur les femmes porteuses d’eau en renversant leurs seaux. Il fixa le maître d’armes.

    – L’eau, c’est l’eau qui est empoisonnée.

    – Quoi ? Mais comment ?

    Les deux hommes sortirent et se dirigèrent à l’arrière de la maison. Fadeï se pencha au dessus du tonneau, plongea son bras et retira un petit bouquet de plantes. Il les montra au maître d’armes.

    – Qu’est-ce ?

    – Un poison violent.

    – Qui a pu le mettre ?

    – Quelqu’un s’est introduit dans le fort cette nuit.

    – Un des hommes d’Oggen ?

    – Non, je pense plutôt à Yelgenyi.

    – Impossible, il n’est jamais revenu du Nord.

    – Personne ne connaît mieux ces plantes que lui.

    – Beaucoup disent qu’il est mort.

    – Yelgenyi ? Mort ? C’est sa signature, j’en suis certain.

    – Je vais en informer le roi.

    Yelgenyi arrêta le convoi. Au loin, le fort d’Aristhark se dressait devant leurs yeux. Il posa ses mains sur la tête d’Offa et scruta le fort.

    – Qu’attendons-nous ? Questionna Kostya.

    – Le feu !

    – Quel feu ?

    – Le feu des morts.

    Ils attendirent un long moment, quand, des fumées s’élevèrent dans le ciel. Yelgenyi sourit. Il fit signe aux autres guerriers de rester là et à Kostya de l’accompagner. Tous deux descendirent droit sur le fort.

    Sur les chemins de ronde, les gardes virent approcher les deux hommes et donnèrent l’alerte. Yelgenyi se dressa, debout, sur Offa, les bras croisés, le regard fixe, sa coiffe rivée sur sa tête. Ses haches de lancer se balançaient au rythme de ses pas. Ils s’arrêtèrent à une trentaine de pas et attendirent. Deux hommes sortirent sur de magnifiques étalons. Ils étaient armés jusqu’aux dents. Équipés de casques pointus, de boucliers rouge vif et de grands arcs portés dans le dos.

    – Yelgenyi ! Fit l’un d’eux. On te croyait mort ?

    – Pas tout à fait ! Lui répondit-il en se rasseyant sur son cheval.

    – Je suppose que tous nos morts sont le fruit de ton travail ?

    – Moi ? Et comment aurais-je pu entrer dans votre fort ?

    – Ne te moque pas de moi ! Je sais que c’est toi.

    – Nous sommes venus chercher Vlasi.

    – Vlasi ne quittera pas le fort.

    – Alors prépare tes guerriers à mourir.

    Aristhark attendait sur un des chemins de ronde. Son maître d’armes vint à sa rencontre.

    – Ce Yelgenyi aurait dû périr, il y a bien longtemps. Grogna le roi.

    – C’est lui qui a empoisonné nos guerriers. Il veut Vlasi.

    – Jamais ! Préparez les troupes et écrasez-les. Je veux sa tête au coucher du soleil.

    – Nos hommes le craignent.

    – Alors, dis à tes hommes que s’ils ne vont pas au combat, je les ferais brûler vifs.

    Les cornes sonnèrent de tous les côtés du fort. Les guerriers se préparaient à affronter Yelgenyi et sa fureur. Ils l’avaient déjà combattu, il y a bien longtemps et en gardaient un souvenir douloureux.

    Le maître d’armes d’Aristhark fit sortir ce qui restait de ces soldats. Yelgenyi fit avancer, lentement, les siens en ligne droite face au fort. Les deux clans se jaugeaient.

    Les troupes d’Aristhark pointaient leurs lances face aux assaillants. Des archers étaient dressés sur les remparts. L’animosité montait au fur et à mesure que Yelgenyi avançait. Kostya lui faisait confiance, bien que le nombre des soldats d’Aristhark fut largement supérieur, les hommes qui l’avaient accompagné, savaient que Yelgenyi n’avait jamais perdu une seule bataille.

    Les guerriers d’Aristhark frappaient sur leurs boucliers en hurlant. Yelgenyi sourit.

    Il se dressa sur son mérens et arrêta le convoi. Levant les mains vers le ciel il se mit à parler très fort dans son dialecte. Ses mains tremblèrent, sa tête bascula en arrière et ses yeux se révulsèrent. Les hommes du roi sentirent la peur les gagner. Le maître d’armes ne savait plus quoi faire, il se résigna et envoya ses troupes à l’affrontement. Il fallait tuer Yelgenyi avant qu’il ne fasse quoi que ce soit.

    Les guerriers se mirent à courir droit sur l’homme, lances et épées en avant. Yelgenyi releva la tête, les fixa droit dans les yeux et se mit à hurler.

    Au loin, un grondement résonna dans toute la vallée. Un épais nuage de poussière

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