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Minerun - Les représailles
Minerun - Les représailles
Minerun - Les représailles
Livre électronique394 pages5 heures

Minerun - Les représailles

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À propos de ce livre électronique

On part à l’aventure, sans réfléchir.

On rêve d’action et de dangers.

On se croit invincible.

On tire la queue du diable, et pourtant, on s’étonne lorsque ce dernier nous fauche…

- Henri G.
LangueFrançais
Date de sortie10 nov. 2021
ISBN9782897657345
Minerun - Les représailles
Auteur

David Bédard

Né en juin 1982, David Bédard est un véritable passionné d’art. Il jongle rapidement avec la musique, la composition, le dessin et l`écriture. Pendant qu’il entreprend ses études dans le but d’enseigner, il a dans ses tiroirs l`ébauche d`un roman dans lequel l’action se mêle au fantastique et l’envie lui prend de l’achever. Ce premier roman, Minerun, sera finalement publié en 2018 aux Éditions ADA. Les Fils d’Adam est son cinquième roman.

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    Aperçu du livre

    Minerun - Les représailles - David Bédard

    Chapitre 1

    Toc, toc, toc !

    C’est avec impétuosité que celui qui venait de s’annoncer avait frappé à la porte. L’écho engendré par les frappes avait réussi à s’élever au-dessus des plaintes et des horribles cris résonnant perpétuellement dans l’immense et sinistre pièce orbiculaire. Prisonnière sous un grillage métallique décrépit, une longue rivière de flammes ardentes entourait le centre de la pièce d’un cercle presque entier. Partout sur la pierre, des ombres, animées par la nitescence de l’embrasement, reproduisaient les multiples actes de torture et de maltraitance que subissaient les pauvres captifs présents, tous répartis individuellement dans l’une des quatorze sections prévues à cet effet, séparées par de minces murets fragiles le long du mur circulaire. Assis sur son énorme siège tout en bronze, sous un rideau de chaines fixées au plafond, le Maitre Tourmenteur de cette section de la cité serra ses dents pourries d’entre lesquelles s’échappa un grognement mauvais.

    — Aaaargh ! Ce n’est pourtant pas l’heure de la relève, maugréa-t-il de sa voix rauque et gutturale. Gridzik, va voir de quoi il s’agit !

    Sitôt son nom appelé, l’orque bourreau déposa avec mécontentement les lourdes pinces qu’il venait de saisir, au profond soulagement de la victime sur laquelle il s’apprêtait à en faire usage. Il n’eut ensuite qu’à faire trois ou quatre pas vers sa droite avant d’atteindre la porte à laquelle on venait de frapper ; la seule de toute la salle. De son épaisse main blanche et griffue, il fit glisser le petit compartiment amovible situé à la hauteur de ses yeux, bien décidé à découvrir qui venait de frapper à la porte et de l’importuner dans son travail à une heure aussi irrégulière. Une fois le nez collé sous la trappe, Gridzik aperçut un gros visage barbu, tout souriant, et en partie voilé par de longs cheveux lisses et noirs, le fixer droit dans les yeux. Le tortionnaire, lui-même de taille plus qu’imposante, fut sidéré de constater que son visiteur devait arquer son dos et abaisser son menton afin d’arriver à positionner son faciès devant l’étroite ouverture. De sa voix monstrueusement grave, le barbu s’adressa à lui :

    — Salut, mon gars ! À ta place, j’dégagerais ma gueule de perdant vite fait, parce que derrière moi, y a mon frangin qui se ramène à toute allure et qui s’apprête à défoncer cette cochonnerie qui sert de porte.

    Le visage s’éclipsa. Dans la lugubre allée mal éclairée, de l’autre côté de la porte, Gridzik eut à peine le temps d’apercevoir un second mastodonte, un énorme moustachu dont seule la tête ornée d’une crête de cheveux dépassait de l’imposante armure métallique dont il était équipé, chargeant vers lui à pleine vitesse !

    — Mais qu’est-ce que…

    Myk terrassa alors la porte d’un violent coup de pied, l’arme de prédilection des Sortt, et l’envoya voler loin à l’intérieur de la salle de torture, l’imposant bourreau avec elle. Surgissant dans la chambre aux supplices avec toute la fureur des eaux dont on aurait fait sauter la digue, les deux frères format géant se ruèrent avec rage sur les premiers tortionnaires à apparaitre dans leur champ de vision, suivis de très près par les cousins minotaures, Daroom et Maah-Koh, puis d’une impétueuse vague de combattants armés, notamment constituée de Julius, Rosa, Allan, Sacha, Tri-Anh et Anslaure. Finalement, derrière les guerriers, deux grands hommes habillés de longues robes à capuchon, l’une bleu pâle, l’autre d’un blanc immaculé, firent lentement leur entrée. L’effet de surprise leur fut vitale, puisque les ennemis qu’ils assaillaient, la plupart déjà armés d’instruments de torture tous plus épouvantables les uns que les autres, n’avaient rien d’enfants de chœur.

    Trois directs de la droite provenant du monstrueux poing de Myk avaient suffi à littéralement émietter les os du visage d’un grand chauve tout en haillons, au visage percé de dizaines d’anneaux métalliques rouillés et aux dents limées aussi affûtées que des pointes de flèches. Il était mort bien avant d’avoir saisi ce qui lui tombait dessus. De sa main gauche, Derrekk empoigna rapidement le corps sans vie, avant qu’il ne touche le sol, puis l’écrasa avec force sur un horrible petit gobelin vicieux qui tentait de prendre la fuite, abandonnant derrière lui la pince tranchante qu’il utilisait pour sectionner les doigts et les orteils de sa victime, enchainée à la gorge et presque nue. Le demi-géant écrabouilla ensuite le gobelin en sautant à pieds joints sur lui.

    — Bouffe mes semelles, horrible cafard, cracha Derrekk, qui avait toujours eu en horreur la torture sous toutes ses formes.

    Une fois à l’intérieur de la pièce, les seuls du groupe à ne pas prendre pour cible l’ennemi le plus proche d’eux furent les deux minotaures. Ce qui les intéressait, eux, c’était l’adversaire le plus gros, non pas le plus près. Ceux-là, les autres pouvaient bien s’en occuper. Ils s’arrêtèrent donc après quelques pas seulement, une fois l’entrée passée, ayant chacun un colossal marteau de guerre entre les mains. Ils sondèrent rapidement les occupants des lieux.

    Son monstrueux postérieur toujours posé sur son siège au moment de la violente irruption dans son domaine, Gamon, le Maitre Tourmenteur, poussa un nouveau grognement, celui-ci beaucoup plus menaçant que le précédent. Cette intrusion venait de le mettre de très mauvais poil. Il se dressa avec une lenteur qui exprima sans la moindre ambiguïté l’état de furie qui l’habitait. Il libéra de sa ceinture un long fouet de cuir, auquel des retailles tranchantes de métal avaient été grossièrement greffées. Le manche bien serré entre ses doigts, Gamon descendit les quelques marches séparant son siège du niveau du sol, déroula le reste de l’instrument devant lui, et fit signe à Daroom et Maah-Koh d’approcher. Les minotaures ne se firent pas prier, et prirent aussitôt part aux hostilités, qui battaient déjà leur plein partout autour d’eux.

    Profitant du tumulte causé par les nombreux combats venant d’éclater dans la salle, deux bourreaux, aussi malins que fourbes, réussirent à échapper à l’attention des assaillants. Utilisant leurs sombres vêtements à leur avantage, ils se glissèrent de coin sombre en coin sombre, évitant de justesse de nombreux coups d’épées perdus, et se frayèrent un chemin jusqu’à la sortie, là où la porte se trouvait toujours, quelques instants plus tôt. Dans la plus grande discrétion, ils s’aventurèrent avec hâte dans le long corridor qui suivait, dans le but de sonner l’alarme et quérir du renfort. Une vingtaine de mètres plus loin, une porte massive et rubigineuse leur barrait la route.

    — Si nous la poussons, le grincement qu’elle produira alertera ces malades ! chuchota le premier, cachant très mal sa grande nervosité.

    — Le bruit de la bagarre nous couvrira, croassa le second. S’ils nous entendent, nous nous diviserons ; ils ne pourront nous att…

    Un curieux sifflement attira leur attention. Anxieux, ils regardèrent avec affolement tout autour d’eux. Rien ! Puis, un second, identique, leur confirma qu’ils n’avaient pas rêvé, et que l’inquiétant sifflement provenait d’au-dessus d’eux. Jusque-là suspendues au plafond, tapies dans l’ombre elles aussi, deux silhouettes leur tombèrent dessus simultanément, portant à chacun des tortionnaires un seul coup, d’une précision terrifiante, qui s’avéra fatal. Dans une série de mouvements absolument identiques, les deux silhouettes retirèrent leurs armes de leurs victimes, en essuyèrent la lame sur la manche de leur sombre robe recouvrant leur avant-bras gauche, puis les rangèrent dans leurs fourreaux.

    — Bien joué, Kéros. Allons aider nos amis, maintenant !

    Aussi silencieux que des spectres, Kéros et Neftessine cavalèrent en direction de la grande salle, afin de porter assistance à leurs compagnons. À leur arrivée, le combat, plus que jamais, faisait rage. Tri-Anh, Rosa, ainsi que Loko, son énorme molosse, étaient tous trois aux prises avec un coriace adversaire, dont plusieurs parties de son anatomie semblaient avoir été prélevées (à certaines de ses victimes, il était permis de croire) et gauchement transplantées à son propre corps. Il avait beau être percé, battu et mordu, la douleur ne semblait point l’affecter. Kéros ne put s’empêcher de faire un rapprochement avec les Sans-Âme.

    Fendant l’air comme deux flèches, Neftessine et lui passèrent de chaque côté de la guerrière qui leur faisait dos, s’entrecroisèrent entre elle et l’horrible monstre, effectuèrent un impressionnant saut dans les airs en pivotant sur 360 degrés, pivot à la fin duquel, simultanément, ils plongèrent chacun une de leurs dagues dans l’un des yeux du bourreau rapiécé. Abasourdi, aveuglé, hors d’équilibre, l’être rafistolé tituba légèrement. Il ne cessa toutefois pas de se battre, mais ni Kéros ni Neftessine ne s’en préoccupèrent, se fondant sans attendre sur une nouvelle cible : le Maitre Tourmenteur. Le monstrueux gardien retenait Maah-Koh, étalé sur le sol, prisonnier sous le poids de son énorme pied gauche. Le geôlier avait réussi à enrouler son fouet autour de l’arme du prince, et tentait, à l’aide de puissantes tractions et de beuglements sauvages, de la lui retirer des mains. Bien entendu, Daroom refusait de céder et continuait de se cramponner à son marteau. Comme ses sabots ne permettaient aucune adhérence au sol rocheux, la distance entre Gamon et lui s’amoindrissait à chaque motion. L’assassin et son élève, toujours en pleine course, s’armèrent tous deux d’une nouvelle dague. Sitôt qu’il eut la sienne en main, Neftessine la projeta d’un lancer vif. Au moment où la lame s’enfonça dans le genou du Maitre Tourmenteur, Kéros utilisa la sienne afin de sectionner le fouet, et du même coup, dégager le marteau de Daroom de son emprise. Atteint à la jambe, Gamon poussa un terrible cri et recula d’un pas. Soudainement libéré et fou de rage, Maah-Koh ramassa son marteau, tombé tout près. Il l’agrippa à deux mains et frappa de toutes ses forces sur la lame de Neftessine, qui s’était plantée dans le genou du monstre, y enfonçant totalement celle-ci, le manche y compris. Gamon hurla à nouveau. La douleur était telle qu’elle le força à s’agenouiller et plier l’échine. À ce moment, Daroom avait déjà bondi aussi haut que son poids le lui permettait, son arme au-dessus de sa tête. Sa frappe atteignit le geôlier entre les deux yeux, et les cousins purent ainsi reprendre l’avantage dans leur affrontement.

    Sans jamais stopper leur course vers le fond de la salle, là où les deux parties se livraient une véritable guerre, Kéros et son agile acolyte jetèrent un bref regard à leur gauche. Là, entourés de plusieurs cadavres ennemis, les frères Sortt s’en donnaient à cœur joie. Le visage recouvert de son propre sang, Derrekk souriait à pleines dents, alors qu’il retenait prisonnier entre ses bras un grand type dont les mains ne pouvaient se départir des lourds marteaux qu’elles tenaient, ceux-ci étant fixés à ses poignets par de longues chaines, elles-mêmes enlacées de fils barbelés. L’un de ces marteaux ruisselant de sang frais, Kéros comprit que c’est avec cette arme que l’autre avait occasionné la blessure au visage du frère aîné. Le pauvre allait certainement le regretter, si ce n’était pas déjà le cas.

    Finalement, le reste du groupe, composé d’Allan, Rosa, Sacha et Julius, tentait tant bien que mal de protéger les deux vieillards en toge, eux-mêmes momentanément à l’abri à l’intérieur d’une étrange bulle translucide. Le hasard avait voulu qu’ils aient à affronter les adversaires les plus redoutables du lot, à l’exception peut-être de leur maitre. Borgne depuis qu’il s’était fait arracher un œil par un diablotin lors de leurs dernières péripéties au cœur de la forteresse volante, Sacha avait toutes les difficultés du monde à se battre au corps-à-corps, ce qui était d’ailleurs loin d’être sa spécialité à la base. N’eût été de plusieurs interventions fortuites du nain, il aurait depuis longtemps été tranché en rondelles.

    — Tu te bats comme un mollusque sans cervelle ! Ma grand-mère Blanche-Barbe arriverait à te mettre une correction, l’invectiva Julius en faisant dévier un nouveau coup qui lui était destiné. Et on l’a mise en terre voilà près de cent ans !

    — J’suis un archer, se défendit Sacha. Et dois-je te rappeler qu’il me manque un œil ? !

    — Il te manquera bien plus que cela si tu continues à te défendre comme un macaque à d… whoa !

    La machette d’une des trois abominations auxquelles ils devaient faire face passa si près du visage du nain qu’elle lui laboura la barbe. De longs poils blancs, fraichement tranchés, papillonnèrent devant ses propres yeux un moment, puis se dispersèrent dans l’air. L’instant suivant, la hache du nain s’embrasa, tout comme la furie au cœur de ses pupilles.

    — MA BARBE ! MA PRÉCIEUSE BARBE ! s’égosilla Julius en frappant avec frénésie sur tout ce qui n’était pas un allié. BANDE DE CANCRELATS DIFFORMES ! J’AURAI VOTRE PEAU À TOUS !

    Malheureusement pour lui, ses ennemis comptaient parmi les plus agiles du groupe, et aucun de ses coups, puissants mais prévisibles, ne parvint à faire mouche.

    Une série de projectiles magiques vinrent s’abattre sur la poitrine d’une créature à quatre bras, munis chacun d’une serpe tranchante. Mi-humaine mi-insecte, la créature les encaissa tous sans même broncher. Furieuse d’avoir été désignée comme cible, malgré les blessures insignifiantes occasionnées par les salves, la créature se rua sur le vieillard en toge bleue, celui-là même qui venait de faire feu. Heureusement pour le mage, la bulle protectrice qui l’enveloppait résista aux attaques acharnées qu’il aurait dû subir. Du moins, elle résista pour le moment. Tandis que l’insecte humanoïde se butait au sortilège, Allan voulut profiter de sa vulnérabilité pour le surprendre par derrière. Quelques centimètres à peine avant d’atteindre le monstre, la lame du vétéran se heurta contre les quatre serpes entrecroisées de la chose, qui, à la toute dernière seconde, réussit à bloquer le coup en tordant ses bras derrière son dos à une vitesse ahurissante.

    — Mais comment est-ce que…

    Sidéré, Allan secoua la tête, croyant avoir la berlue. Impossible de parer un tel coup, pensa-t-il. Sa stupéfaction s’intensifia considérablement lorsqu’il aperçut éclore lentement, sur ce qui devait être la nuque de la créature, une seconde paire d’yeux. Ses iris jaunâtres se verrouillèrent aussitôt sur l’ex-capitaine de l’armée d’Atride. Dans un concert de craquements répugnants, les coudes et les genoux de la chose se tendirent, puis fléchirent dans le sens opposé.

    — C’est quoi, cette saloperie ? ! jura Allan alors que la bête qui lui faisait dos voilà une seconde à peine lui faisait maintenant face sans même s’être retournée.

    Le vétéran voulut dégager son arme, mais ses efforts furent vains : les quatre lames recourbées la maintinrent prisonnière. Tenant le manche de son épée à bout de bras, Allan fut terrassé par le poing rocailleux d’un autre ennemi, qui s’écrasa contre sa joue et l’envoya valser au sol. L’être à la peau de granite enlaça ses dix doigts afin de former une masse, qu’il abattit sur le soldat affaissé et sans défense. Le gourdin de roc lui aurait à coup sûr émietté le sternum, si une seconde bulle translucide, sur laquelle il s’écrasa, n’était pas apparue in extremis pour le protéger. En invoquant cette protection magique qui lui sauva la vie, le vieillard en toge blanche sacrifia une partie de la puissance de sa propre bulle, laquelle le gardait à l’abri, lui, ainsi que le mage à la robe bleue La résistance de sa protection s’étant amoindrie, ce n’était qu’une question de temps avant que leurs ennemis ne parviennent à en venir à bout.

    Entretemps, Tri-Ahn s’était amené en renfort et tentait de dépêtrer Allan de sa fâcheuse situation. Il martela l’être à la peau de granite d’une série de savates qui aurait certainement ébranlé son adversaire si ce dernier n’avait été recouvert d’un épiderme aussi épais. Son intervention fut cependant suffisante pour détourner l’attention du bourreau, qui ne put rien contre le terrible coup d’épée que lui réserva Rosa après s’être débarrassée de son précédent adversaire. Aussi lourde qu’une enclume, la tête pierreuse s’écrasa au sol, fraîchement tranchée par la lame de la guerrière.

    — Debout, soldat ! tonna Rosa en tendant la main à Allan, afin de l’aider à se relever.

    Le vieux combattant grimaça de douleur, alors qu’il fut rapidement remis sur pied. Sa mâchoire était habituée d’encaisser des coups, mais son dos usé avait particulièrement mal réagi au choc occasionné par sa chute. Cela ne l’empêcha toutefois pas de se lancer à nouveau dans la mêlée.

    — Kéros, à gauche ! lui cria Neftessine.

    Aux prises avec un tortionnaire imberbe à la peau visqueuse, son apprenti évita de justesse la serpe de l’homme-insecte, dont chacun des quatre bras s’attaquait à une cible différente. Une légion de sangsues gluantes jaillirent des orbites vacantes du tortionnaire visqueux, glissèrent à une vitesse ahurissante le long de son corps, puis assaillirent Kéros. Elles lui montèrent le long des jambes, qu’elles se mirent à gruger à l’aide de leurs minuscules dents tranchantes, comme des milliers d’éperons lui perçant simultanément la peau. Paniqué et envahi par la douleur, le pauvre sautilla sur place, tentant de les balayer à l’aide de sa main libre. Chaque limace qu’il parvenait à retirer équivalait à extirper un hameçon coincé dans sa chair. Et toujours, il en arrivait de nouvelles ! Dans une série de mouvements aussi rapides que précis, Neftessine parvint à en éliminer la quasi-totalité, sans jamais que sa lame ne blesse son compagnon, alors qu’une succession de flammes azur, décochée depuis le bâton du mage en toge bleue, régla le cas de celles rampant toujours sur le sol. Déterminé à mettre fin à ce dégoûtant spectacle, le vétéran assassin fit volte-face et brandit l’une de ses armes en direction de l’horrible tourmenteur visqueux aux orbites vides.

    Dans son élan, le bras de Neftessine fut tranché, tout juste au niveau du coude, par l’une des serpes de l’homme-insecte, que l’assassin n’avait pas vu arriver. Le membre sectionné tomba mollement contre le sol, la dague toujours coincée entre les doigts, alors qu’une fontaine sanglante s’échappait de la blessure à un débit alarmant.

    — HOOROOT !

    Tandis qu’il continuait de maintenir actif le bouclier magique autour de lui, le vieillard en toge blanche prononça cette incantation tout en claquant des doigts. Immédiatement, le bras de Neftessine vint se ressouder de lui-même et l’assassin en reprit pleinement possession en une demi-seconde. Il compléta le mouvement qu’il avait entamé avant d’être démembré, puis vint planter la lame de sa dague à la jonction du cou et de l’épaule de l’invocateur de limaces carnivores, qui à aucun moment n’aurait pu prévoir un tel coup.

    L’homme-insecte fit un pas devant – ou derrière, difficile à dire –, furieusement décidé à venger son compagnon tortionnaire. Il perdit instantanément tout intérêt pour les deux magiciens, scellés au centre de la carapace magique dont il était pourtant sur le point de venir à bout. Aussitôt cet unique pas effectué, une épaisse grille métallique vint s’abattre sur sa tête. La puissance du coup le força à s’agenouiller, et ses armes glissèrent l’une après l’autre d’entre ses doigts engourdis. Myk abattit la grille sur lui à nouveau. Derrekk l’empoigna ensuite, le souleva de terre, puis le jeta dans la rivière de flammes par l’ouverture qu’avait créée Myk en retirant cette partie du grillage. Dévoré vivant par l’incendie, l’homme-insecte se mit à pousser d’insoutenables cris, forçant quelques-uns des « envahisseurs » à plaquer leurs mains contre leurs oreilles. Les hurlements stridents ne cessèrent que lorsque Daroom, vainqueur de son affrontement contre le Maitre Tourmenteur, le foudroya de son immense marteau, soulevant du même coup une brûlante vague de flammes et de bradons du brasier dans lequel l’autre se démenait. Aussitôt les derniers crépitements endormis, le silence gagna la pièce.

    — Il n’est pas ici, pesta Julius.

    — Vérifiez tout de même chaque compartiment, ordonna Neftessine. On ne sait jamais.

    Ils inspectèrent ainsi la chambre dans son entièreté, mais durent rapidement se rendre à l’évidence : Darius ne se trouvait pas ici non plus. Ils purent cependant rescaper deux survivants, dont les blessures ne mettaient pas leur vie en danger.

    — Nous prendrons soins de vous, ne vous inquiétez pas, les rassura Maitre Shyru, le mage à la robe bleutée. Suivez-nous ; nous vous aiderons à sortir de cet enfer.

    — Alors on fait quoi pour Darius ? questionna Kéros. Cet endroit n’est pas une prison conventionnelle ; c’est une cité ! Sans indices, nous en avons pour des jours à investiguer les lieux.

    — Au nombre d’horribles monstres qui la gardent, nous serons morts bien avant cela, déduisit Myk.

    — Alors, Allan… une idée de l’endroit où Darius pourrait avoir été enfermé ? l’interrogea son compagnon nain.

    Le désappointement sur le visage du vétéran en disait long sur son état d’esprit.

    — Comme vient de le faire remarquer Kéros, Adum est gigantesque. Cette salle était ma meilleure hypothèse. Les possibilités sont pour ainsi dire infinies…

    Un rire épouvantable se fit entendre – comme une porte grinçante aux pentures rouillées – et leur glaça instantanément le sang dans les veines. Ce couinement narquois s’échappait du gosier du tortionnaire à la peau visqueuse ; celui aux limaces, sur le point de rendre son dernier souffle. À distance raisonnable, le groupe l’encercla, tandis que ses railleries se transformaient en graillonnements. Seul Julius osa s’en approcher, sa hache enflammée pointant son visage.

    — Qu’est-ce qui t’fait rire, l’affreux ? ! grogna-t-il, retenant sa propre main d’abréger l’existence du mourant.

    Étendu sur son dos, l’être à la peau luisante fut victime de soubresauts. Il cracha quelques giclées de sécrétion pâteuse qui lui recouvrirent le bas du visage et le cou. Une fois les spasmes maitrisés, ses lèvres se mirent à doucement remuer :

    — Votre quête est vaine. Vous arrivez trop tard. Celui que vous recherchez… n’est plus ici.

    Sa voix, quasiment effacée, s’apparentait à un souffle glacial qui leur mordit les os. La seule pensée de se retrouver captif en ces lieux avec cette « chose » mandatée de supplicier ses proies en fit frissonner plus d’un parmi le groupe. Plus d’un… mais pas Julius.

    — Où est-il ? ! OÙ EST-IL ? ! ragea le nain en le menaçant de son arme, comme si l’autre ignorait que sa dernière heure approchait, de toute façon.

    Contre toute attente, le monstre lui répondit tout de même.

    — Il est seul. Seul au monde. Les ténèbres l’ont engouffré. Son esprit s’est brisé. Vous ne le sauverez pas. Samuel le garde constamment à l’œil. Si vous cherchez à le libérer, il vous tuera.

    — Nous allons tout de même tenter notre chance, rétorqua Kéros en s’avançant vers lui. Dis-nous où il se trouve !

    Le regard abyssal du mourant et le sien connectèrent. Quelques insignifiantes limaces s’en extirpèrent, mais moururent au contact du sol.

    — L’humain prénommé Darius Dalexma a été transféré… aux oubliettes. Cellule 5954. Soyez prévenus : vous n’aimerez pas ce que vous y trouverez…

    Au terme d’un ultime soupir, son corps se désagrégea à une vitesse fulgurante, dont il ne resta bientôt qu’un tapis de vers frétillants et un nuage nauséabond. Mais ses restes auraient très bien pu se changer en chimpanzés multicolores que personne n’en aurait eu cure ; ils connaissaient maintenant l’endroit où avait été transféré Darius ! Enfin, ils espéraient que soit Allan, soit Sacha sache où cette fameuse cellule 5954 se trouvait. L’expression qu’afficha le soldat leur révéla que c’était le cas. Elle leur révéla également que l’idée de s’y aventurer ne l’enchantait guère. Comme si l’endroit lui rappelait d’horribles souvenirs, qu’il aurait préféré garder endormis. Sacha et lui étaient les deux seules personnes au monde à s’être échappées de cet endroit, plusieurs années auparavant. C’était grâce à eux s’ils avaient pu s’introduire dans la cité et y être guidés une fois à l’intérieur.

    — Nous devons descendre, expliqua Allan sans enthousiasme. Il nous faudra retourner sur nos pas, puis prendre à droite après le second carrefour. Une plate-forme élévatrice nous amènera aux niveaux inférieurs.

    — Le sous-sol est encore plus dangereux que tout ce que nous avons pu affronter jusqu’ici… soyez prêts ! renchérit Sacha.

    Bien qu’aucun n’osa mettre leur parole en doute, la crainte qui les habitait ne parvint pas à se propager parmi le reste du groupe, fraichement galvanisé par les renseignements fournis par le monstre. Deux par deux, ils quittèrent la salle aux tortures et suivirent Allan et Sacha. Avant de les imiter, Neftessine prit quelques instants pour examiner son bras, celui qui, peu de temps avant, avait été tranché, puis magiquement rapiécé. Rien de plus qu’un fin trait rosé le ceinturait sous le coude ; une cicatrice quasi impossible à remarquer si l’on ignorait son existence. Quelques flexions des doigts lui confirmèrent que la pleine possession de son membre lui avait été rendue, comme si la blessure n’avait laissé aucune autre trace de sa présence. Il tourna la tête vers celui qui l’avait guéri en prononçant son incantation magique, le même qui avait sauvé la vie d’Allan grâce à son bouclier énergétique : l’homme vêtu de la toge blanche. L’assassin professionnel s’adressa à lui :

    — Merci… réussit-il à formuler à contrecœur. Je t’en dois une, semble-t-il… Rhodimbus.

    Chapitre 2

    Cellule 5954

    — Par ici !

    Allan les dirigea au travers le labyrinthe de pierre et de métal qu’était la cité d’Adum, jusqu’à un corridor qu’ils avaient croisé à leur arrivée. En chemin, ils passèrent plusieurs corps sans vie de gardes qu’ils avaient éliminés, puis dissimulés à la hâte en se mobilisant vers la salle de torture. Les deux maigres torches dont disposait l’équipe se trouvaient entre les mains de Rosa et de Myk. Rhodimbus contribua à maintenir l’obscurité à l’écart en produisant une considérable lumière à l’aide de son bâton aux propriétés magiques.

    — Nous y voilà, confirma Sacha en leur désignant un escalier de roc semblant s’engouffrer à l’infini. Tout en bas se trouve une large plate-forme élévatrice qui nous fera descendre jusqu’aux oubliettes. Reste à souhaiter que le mot de passe soit demeuré le même après toutes ces années.

    Sentant qu’ils se rapprochaient enfin de leur but, les membres du groupe n’eurent pas à se faire prier pour entamer leur descente, peu leur importait la menace qui pourrait bien les attendre en bas. Au bout de quelques marches seulement, Allan et Sacha se firent doubler par le duo de minotaures, qui jugeait probablement leur vitesse insuffisante. D’avoir exterminé le Maitre Tourmenteur au cours de leur dernier affrontement n’avait vraisemblablement pas réussi à étancher leur soif de combat. L’escalier était si large qu’il aurait permis à des trolls des montagnes d’y circuler. Les cousins purent donc devancer leurs guides sans avoir à les bousculer au passage. Derrière eux, le reste du groupe adopta une formation au centre de laquelle Shyru et Rhodimbus se retrouvaient protégés de toutes parts.

    Si tous avaient une confiance aveugle en le vieux mage, certains d’entre eux se demandaient toujours pourquoi « A » avait choisi de faire revenir le prêtre d’entre les morts afin de les assister dans leur quête. Qu’il eût été possédé par une entité malveillante ou non, Rhodimbus avait tout de même tenté de les supprimer à plus d’une reprise lorsqu’il échafaudait son plan de domination près de deux ans plus tôt. Au moment où Daroom l’avait empalé sur ses propres cornes et balancé dans une dimension infernale via un portail, jamais les membres du groupe n’auraient imaginé à cet instant revoir le prêtre vivant un jour, et encore moins accepter de faire équipe avec eux. Alors pourquoi diable l’avoir choisi lui plutôt qu’un autre pour leur venir en aide ?

    Dire qu’il aurait pu ramener Marcus, songeait sans cesse Kéros, dévisageant secrètement le prêtre ressuscité dès qu’il en avait l’occasion.

    Réflexion partagée par plusieurs…

    Après s’être éternisé sur plusieurs étages, l’escalier les conduisit finalement jusqu’à la fameuse plate-forme, mentionnée plus tôt par Sacha. À l’instant même où les minotaures y posèrent leurs sabots, des dizaines de flammes s’embrasèrent simultanément, chacune prenant vie à l’intérieur des bouches laissées grandes ouvertes de nombreux cadavres mutilés, pétrifiés et encastrés dans le mur de la pièce sur toute sa circonférence. Habitués à de telles scènes macabres depuis leur intrusion dans la cité, personne ne s’en formalisa.

    — Elarrt, articula Sacha d’un ton grave, après s’être assuré que tous avaient rejoint la plate-forme.

    Dans un grincement insupportable qui leur soutira à tous une horrible grimace, la plate-forme s’enfonça dans le sol, là où, plus bas, l’enfer continuait de s’étendre. Depuis leur fuite initiale, le décor n’avait que très peu changé, et Allan et Sacha regrettèrent presque que le mot de passe fut également le même. Et surtout, plus que tout, ils n’avaient pas oublié celui qui avait élu domicile dans les entrailles de cette cité – de sa cité –, le terrible Amarg-Arök. Assurément, même après tout ce temps, lui n’aurait pas oublié leurs visages ; le visage des seuls êtres vivants à s’être évadés de son légendaire domaine.

    — Lorsque la plate-forme s’immobilisera, plusieurs options de chemins s’offriront à nous, leur expliqua le borgne. Nous devrons emprunter l’ouverture pointant vers l’est. C’est dans cette partie du donjon que la cellule de Darius se trouvera.

    — Et quoi qu’il arrive, nous devrons à tout prix éviter de nous aventurer au nord, même si notre vie en dépend. Celui qui s’y trouve, s’il tombe sur nous, nous réservera un sort bien pire que la mort, ajouta Allan.

    Quelques têtes approuvèrent en silence.

    Au bout de l’interminable descente, la plate-forme s’immobilisa brusquement, forçant ses occupants à fléchir les genoux et à tendre les bras afin de maintenir suffisamment d’équilibre pour demeurer sur leurs jambes. L’énorme masse pierreuse s’entrechoquant contre le sol engendra un puissant grondement, qui s’éleva et se répercuta le long du corridor vertical.

    — Celle-ci, leur indiqua Allan en pointant de l’index l’ouverture qu’ils devaient emprunter parmi les nombreux choix s’offrant à eux.

    Si, au-dessus d’eux, des échos de cris déchirants hantaient incessamment chaque recoin de

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