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Le déclenchement
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Livre électronique320 pages4 heures

Le déclenchement

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À propos de ce livre électronique

En ce monde d’un univers lointain, une prophétie a été dévoilée au grand jour: une
adolescente détenant de formidables pouvoirs sauvera son monde de l’annihilation. Près de vingt ans à la suite de cette découverte, la prophétie est enfin prête à s’accomplir.

* * *

Alwin et Alexa, tourmentés par la disparition de leur amie, doivent agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans quel monde Christina est-elle retenue prisonnière?

En voyageant vers le Sud pour trouver les réponses à leurs questions, les adolescents constatent la désolation que sème l’empereur de Sylfar. Et pourtant, force est de comprendre que le conflit dans lequel ils se retrouvent malgré eux est infiniment plus
vaste qu’ils ne l’auraient imaginé.

Ces défis traversés ne sont en effet que les premiers coups d’une guerre d’ampleur de laquelle ils pourraient ne jamais sortir vivants…
LangueFrançais
Date de sortie24 avr. 2018
ISBN9782897864033
Le déclenchement
Auteur

Justin Lemire

Justin Lemire est l’auteur de la trilogie à succès L’ennemie de Sylfar (2018) et du roman Dévoria: Le Druide de la Vallée (2020), tous deux parus chez ADA. Étudiant en littérature au niveau universitaire et titulaire d’un DEC en arts et lettres, le jeune écrivain a commencé à rédiger ses premiers écrits à l’âge de 13 ans. Une passion pour les mondes fantastiques est alors née et n’a cessé d’évoluer. Objectif Trésor: Le cheval de Troie est son cinquième roman.

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    Aperçu du livre

    Le déclenchement - Justin Lemire

    Chapitre 1

    La moisson

    Une année en Viarota était composée de cinq saisons, soit respectivement la saison gelée, la saison vivante, la saison chaude, la saison colorée et la saison enchantée. Actuellement, la saison chaude s’achevait sur le continent. Une brise soufflait de tous côtés, annonçant l’avènement de la saison colorée.

    Le royaume d’Uldin, situé entre ceux de Fehoda et de Karnel et au sud de Sylfar, était, depuis toujours, le plus grand exploiteur de terres agricoles. Les multiples cours d’eau qui le parsemaient étaient en grande partie responsables de cette richesse. Leurs minéraux permettaient de nourrir convenablement les sols du royaume et le soleil qui plombait régulièrement sur cette partie du continent achevait de garantir de bonnes récoltes.

    Lors de l’émigration des habitants de l’ancien continent vers le nouveau, une quantité impressionnante d’entre eux avaient choisi de s’installer sur ces terres généreuses. Rapidement, ils avaient tous fondé une famille, qui, descendants après descendants, avait rapidement fait grossir le nombre de la population. Au fil du temps, sous les durs rayons du soleil, la peau des Uldinois, tout comme celle des habitants du sud, était devenue plus foncée, presque dorée.

    Grâce aux héritiers multiples qu’avaient enfantés ses ancêtres, le royaume d’Uldin était devenu l’un des plus riches du continent. Ce terreau fertile était dorénavant tout comme le paradis sur terre. La nourriture y était abondante, ce qui permettait aux villageois non seulement de manger à leur guise, mais également d’engendrer d’immenses profits en vendant leurs produits frais aux royaumes voisins. En ces temps désormais difficiles, les paysans devaient toutefois envoyer hebdomadairement le tiers de leurs récoltes au roi, en échange de son soutien et de sa protection. Le souverain, à son tour, devait envoyer la moitié des récoltes qu’on lui offrait à l’Empereur Suprême de Viarota, qui régnait depuis Sylfar. Pour les habitants des villages, les temps étaient donc meilleurs avant que l’empereur ne conquît Uldin.

    Auparavant, ces paysans n’étaient contraints que d’envoyer le sixième de leurs récoltes au roi, car Sa Majesté n’était pas encore dans l’obligation d’en envoyer une grande partie à Sylfar. On grommelait maintenant régulièrement à ce sujet, car ce changement de leurs méthodes leur avait fait perdre une grande quantité d’argent. Ne pouvant pas vendre autant de produits qu’auparavant, les paysans avaient dû prendre un certain temps pour s’adapter. La vie à Uldin demeurait tout de même agréable, car bien que ce royaume fût sous la domination de l’Empereur Suprême de Viarota, Rarkar, on n’y ressentait pas vraiment sa domination.

    Une vingtaine d’années plus tôt, ce royaume avait été ravagé par la guerre déclenchée par Sylfar. Comme tous les autres royaumes savaient alors que Rarkar désirait la soumission absolue de ses voisins, ils avaient rapidement décidé d’allier leurs forces armées — une excellente décision prise à l’unanimité par les rois. Toutefois, au bout de plusieurs années de combats, les royaumes avaient dû abdiquer, en dépit de leurs efforts pour s’affranchir. Leurs soldats mouraient les uns après les autres, aisément tués par les soldats sans pitié de Sylfar. Les rois s’étaient donc résignés à signer le traité que leur avait tendu l’empereur.

    Seul le roi de Karnel, Augustin, un homme aussi belligérant que l’empereur, avait refusé de se plier sous la force de Rarkar. Ce dernier, tenace, avait donc fait converger toutes ses troupes sur le royaume rebelle. Les combats avaient duré quelques mois ; puis, après de terribles massacres, la vie n’existait plus dans ce royaume.

    Le roi s’était replié dans une caverne du mont Horkshoar avec sa famille et ses serviteurs. Lorsque les troupes de Sylfar avaient enfin quitté son territoire, Augustin avait constaté l’étendue des dommages. Ravagé par le remords, il était demeuré dans sa cachette durant plusieurs mois jusqu’à ce que ses provisions s’épuisent.

    Il avait donc dû quitter son antre et se diriger vers le palais. Dans une vaine tentative de reprendre contact avec les autres royaumes, il leur avait envoyé des missives, dans lesquelles il les suppliait de l’aider à repeupler son territoire. Seul Dyur avait accepté d’envoyer quelques paysans. Les autres royaumes gardaient encore rancune à Augustin.

    — Cet idiot ne mérite que ce qui lui arrive, avaient grogné la plupart des souverains en lisant sa missive.

    Mais désormais, à Uldin, la vie allait bon train, sans que rien ne vienne menacer leur intégrité. Après toutes ces années de reconstruction à la suite de la guerre, l’agriculture était finalement redevenue la principale occupation de tout le royaume. L’argent recommençait finalement à affluer. Les paysans, prospères, avaient fini par s’adapter à la plus grande quantité de nourriture qu’ils devaient envoyer au palais.

    Avec la moisson restante, on faisait néanmoins d’énormes profits en la vendant aux royaumes voisins, qui n’avaient que peu de terres productrices. Contrairement aux terres de Dyur, Karnel, Fehoda et Mortalia, celles d’Uldin étaient couvertes en long et en large de vastes et longues rivières d’eau claire.

    • • •

    Le roi Étienne d’Uldin semblait observer son royaume à partir du balcon extérieur de son château, l’air lui fouettant le visage — en réalité, son esprit était ailleurs. Il n’avait été couronné que quelques années auparavant, peu après la guerre.

    Cet homme à la courte chevelure d’un noir de jais était le fils du roi Stephen d’Uldin, son prédécesseur. L’ancien roi, Stephen, était décédé exactement six ans plus tôt au jeune âge de 51 ans. Il était toutefois mort paisiblement : son cœur avait arrêté de battre durant son sommeil. Heureusement, il avait eu ses fils dans le début de la vingtaine et avait donc eu le temps de préparer son aîné à gouverner.

    Comme dans la majorité des familles royales, Étienne n’avait pas pu choisir son épouse. Généralement, les mariages étaient davantage de raison que d’amour. Le fils de Stephen n’avait que trois ans lorsque ses parents avaient choisi sa promise : la princesse Karla de Fehoda. Belle comme une fleur, la peau immaculée, les cheveux roux et les yeux verts, elle avait semblé parfaite pour leur fils.

    À 19 ans, Étienne avait donc épousé la belle et jeune princesse de 17 ans. « Advienne que pourra », s’était-il dit. Au début, il ne l’avait pas aimée comme un mari doit aimer son épouse, mais, avec le temps, il avait appris à apprécier ses bons conseils. Aussi, elle était capable d’aller au-devant de ses désirs, ce qui n’était pas négligeable.

    Deux ans après leur mariage, elle lui avait donné un premier fils, Gullaum. Ce dernier était un vaillant petit garçon plein d’énergie. À la grande joie d’Étienne, il avait hérité de la corpulence de son père, mais ses yeux verts étaient ceux de sa mère. Ses cheveux, même s’ils avaient la couleur de ceux de son père, ondulaient tout comme ceux de Karla.

    L’année même de la naissance de son fils, Étienne se vit abandonné par son père, qui, en décédant, lui céda la couronne d’Uldin.

    Quatre ans plus tard, Étienne apprenait à devenir roi et père en même temps : il avait eu le bonheur de concevoir cette fois une petite fille, la princesse Laurence, une magnifique princesse qui tenait ses cheveux blonds comme les blés de sa grand-mère maternelle. Même si elle ne lui ressemblait pas, Étienne avait su qu’il aimerait sa fille autant qu’il appréciait son fils. Laurence était fragile comme sa mère, mais son caractère ressemblait davantage à celui de son grand-père Stephen ; autoritaire, mais tout de même calme et espiègle.

    Puis, lorsque Gullaum eut atteint six ans et Laurence deux ans, Karla était à nouveau tombée enceinte. Malheureusement, celui qui aurait été le troisième héritier en ligne du royaume d’Uldin n’avait pas survécu à sa naissance.

    Le guérisseur du palais avait donc examiné Karla afin de s’assurer qu’elle ne succomberait pas à un autre accouchement. Il avait dû l’informer avec regret qu’elle ne pourrait plus enfanter, sans quoi elle mourrait avec l’enfant.

    — Papa ! s’exclama un bambin, le faisant sursauter.

    Étienne reconnut la voix enfantine de son fils Gullaum. Le roi se retourna juste à temps pour attraper l’enfant au vol. Il reçut par le fait même quelques mèches de cheveux en plein visage.

    — N’étais-tu pas censé rester avec maman ? le réprimanda-t-il en le déposant sur le sol.

    — Maman est occupée avec Lau, alors je suis parti pour venir te voir. Qu’est-ce que tu faisais ?

    — Je réfléchissais.

    — À quoi ?

    — À quelle punition te donnera maman lorsqu’elle te retrouvera.

    — Papa ! s’esclaffa Gullaum.

    Étienne le souleva à nouveau dans ses bras et le fit tourner dans les airs en imitant les grognements d’un ours, tout en se réjouissant de l’amusement de son fils. L’arrivée de Karla freina l’élan du roi, qui reposa son fils et conserva un air égayé.

    Effrayé, Gullaum alla aussitôt se cacher derrière son père pour éviter d’avoir à essuyer les réprimandes de sa mère. Comme tous les enfants, il ne désirait qu’avoir du plaisir et craignait toute punition. Toutefois, la reine ne venait pas sur le balcon pour gronder leur fils, mais bien pour avertir son mari.

    — Il y a un rassemblement dans la cour et les paysans scandent ton nom, l’informa-t-elle.

    — J’y vais de ce pas.

    Il s’approcha pour l’embrasser. Gullaum se cacha les yeux pour ne pas assister à cette pratique, qui était totalement dégoûtante, selon lui, et le roi en profita pour glisser à l’oreille de la reine de veiller sur ses enfants.

    Le roi d’Uldin quitta le balcon et se dirigea de l’autre côté du couloir, où un autre balcon donnait sur la grande cour. Il constata sans peine qu’une bonne centaine de paysans criaient son nom, tandis que ses soldats les empêchaient de pénétrer dans la demeure seigneuriale.

    Étienne s’approcha en douce et tenta d’écouter les reproches de son peuple, mais il n’entendit aucune parole distinctement. Il sortit donc davantage et s’afficha ouvertement sur le balcon. Les cris reprirent de plus belle.

    — Que seul l’un d’entre vous parle en votre nom ! ordonna-t-il d’une voix portante.

    Étienne entendit quelqu’un parler dans la foule, puis un mouvement se créa dans la mer humaine, de laquelle un homme émergea. Il s’avança vers le balcon du roi et prit la parole avec une voix forte.

    — Nous avons besoin d’argent pour sauver nos familles de la famine !

    — Il existe une salle d’audience pour les requêtes. Je vous prie de l’utiliser lorsque vous avez de telles demandes, au lieu de m’invectiver comme vous le faites.

    Légèrement honteux, la majorité des paysans baissèrent la tête. Sans rien ajouter, le roi Étienne d’Uldin quitta le balcon. Il entendit alors le vacarme que provoquait le peuple en se déplaçant graduellement vers la salle en question, pendant que les soldats tentaient de les contrôler. Nullement pressé, le roi préféra se diriger d’abord vers ses quartiers privés, où il savait que sa femme avait emmené ses enfants.

    Il s’arrêta un instant sur le bord de la porte pour observer sa famille. Laurence était installée sur un tapis avec quelques jouets, tandis que Gullaum s’amusait avec sa mère à la bataille des statuettes en bois. Karla, malgré sa longue robe bleue, ne s’empêchait pas d’être assise sur le sol. Étienne passa quelques minutes à les regarder, des larmes de fierté coulant sur ses joues. Il aimait tant sa famille.

    Ce fut Laurence qui trahit sa présence. Elle poussa un petit cri de joie en voyant son père. Gullaum se tourna immédiatement vers lui et son visage s’assombrit.

    — Papa, tu pleures ? s’étonna-t-il.

    — Papa est seulement content de voir sa famille avoir du plaisir.

    Gullaum laissa son père tranquille et continua à s’amuser avec ses multiples jouets en bois. Karla comprit qu’Étienne désirait lui parler. Elle se leva, épousseta le bas de sa robe et le rejoignit discrètement à l’extérieur de la pièce pour être à l’écart des enfants.

    — Des paysans veulent me forcer la main pour que je leur donne de l’argent, l’informa-t-il, désirant avoir son opinion qui, avec le temps, était devenue très importante pour ses jugements.

    — Et pour quelle raison ?

    — Pour les sauver de la famine.

    — La famine ? répéta-t-elle, amusée. Nous sommes le royaume qui craint le moins d’être assailli par la faim ; nous sommes les plus grands agriculteurs.

    — Je le sais. Mais s’il fallait qu’une catastrophe se produise… Toutefois, je m’imagine mal notre commerce agricole péricliter… Que dois-je faire ?

    — Commence par aller vérifier tes craintes, mon beau roi, avant de prendre ta décision.

    — Tu as raison.

    Le roi l’embrassa durant quelques minutes, puis s’arracha à son étreinte avec regret pour se rendre à la salle d’audience. Une longue file de paysans l’attendait déjà, la plupart portant le même message.

    Le grand homme, vêtu d’un simple habit, s’installa sur son trône et fixa le premier venu, l’invitant à parler.

    — Sire, une immense tragédie sévit à l’instant où je vous parle.

    Étienne ferma les yeux et pria de toutes ses forces pour que ses craintes ne se concrétisent pas.

    — Une épidémie s’est emparée des champs de tout le royaume. Les pousses sont fichues pour cette année et le seront probablement pour celles à venir.

    Le roi soupira. Le malheur qu’il craignait tant… S’il ne possédait plus de récoltes, il ne pourrait plus les faire parvenir à l’Empereur Suprême de Viarota. Il était perdu, son royaume aussi. Et ses malheurs ne faisaient que commencer…

    — C’est pourquoi nous vous demandons suffisamment d’argent pour acheter davantage de provisions aux royaumes voisins, conclut le paysan.

    Étienne cacha son visage dans ses mains, découragé.

    — Donnez tous votre nom et votre adresse à mes conseillers, répondit-il enfin après quelques secondes. Je réfléchirai à une solution. S’il devait advenir qu’une bourse royale fut obligatoire, je vous ferai porter le nécessaire pour survivre. D’ici là, je suis certain que vous serez en mesure de survivre avec l’argent que vous ont déjà permis de récolter vos cultures.

    — Bien, sire.

    Peu à peu, presque tous les paysans quittèrent la pièce. Quelques autres demeurèrent dans la salle et firent leurs requêtes. Le roi, distrait, répondit vaguement à leurs questions. Lorsque la pièce devint finalement vide, Étienne demeura sur son trône, songeur.

    — Sire ? s’inquiéta l’un des conseillers.

    Le souverain, las, les chassa d’un signe de la main. Résignés, les hommes et les femmes à son service quittèrent la pièce, laissant tout de même en poste une dizaine de soldats pour veiller à la sécurité de Sa Majesté.

    Le grand homme demeura assis là durant plusieurs heures, perdu dans ses pensées. Une telle catastrophe n’avait jamais frappé la fertilité de leurs terres. « Si seulement il y avait eu un cas précédent », songea Étienne. « J’aurais au moins eu des faits auxquels me fier. »

    Après quelques heures, n’ayant toujours pas de nouvelles de son époux, Karla commença à s’inquiéter. Elle laissa ses enfants aux bons soins de l’une de leurs gouvernantes, puis partit à la recherche d’Étienne. Elle trouva facilement le roi dans la salle d’audience, toujours enfoncé dans le cuir du siège royal.

    — Étienne, l’appela-t-elle.

    Le roi sursauta. Trop pensif, il ne l’avait même pas entendue approcher. Habituellement, l’odeur de son doux parfum lui permettait pourtant de percevoir sa présence. Avec inquiétude, il vit que ses enfants ne suivaient pas la reine, alors qu’il lui avait pourtant spécifié tout à l’heure qu’il désirait qu’elle demeurât avec eux.

    Sa femme perçut l’interrogation sur son visage, mais décida d’éviter la question, puisqu’elle savait ses enfants en sûreté avec une duègne qu’ils employaient depuis de nombreuses années. De plus, quelques soldats surveillaient l’accès à leurs quartiers.

    — À voir ta mine de déterré, j’en déduis que tes craintes étaient fondées.

    Son regard aussitôt angoissé le lui confirma.

    — Que dois-je faire ? s’exclama-t-il. J’ai retourné la question des centaines de fois dans ma tête, mais je n’arrive toujours pas à une solution !

    Sentant son besoin de se confier, Karla ne l’interrompit pas et le laissa se vider le cœur. C’était le même processus à chaque fois : un paysan déclarait un problème ou effectuait une requête, Étienne y réfléchissait, en parlait avec sa femme et arrivait finalement à une solution grâce à son écoute. Toutefois, Karla devinait que, cette fois-ci, la situation était réellement plus grave que de simples disputes entre paysans ou une rivière hors de son lit.

    — Avant, les paysans n’avaient pas besoin d’argent…, se découragea Étienne. Ils vendaient leurs provisions aux autres royaumes et ceux-ci leur vendaient de la viande. Maintenant que ce commerce ne peut plus tenir, il faudrait évidemment que je fasse ce qu’on me suggère et que je donne une bourse à ces paysans, mais je ne peux pas me ruiner : l’Empereur Suprême réclame les provisions qu’il désire ! Ça ne finit plus ! Et s’il se fâche, il risque fort bien de riposter contre mon royaume ! En pareil cas, j’aurai besoin du soutien de mon peuple, mais si je refuse d’accéder à ses demandes, c’est peine perdue.

    Karla garda le silence. De toute façon, qu’aurait-elle pu rajouter ? Tout cela était malheureusement trop vrai.

    — Qu’en penses-tu ? lui demanda néanmoins le roi.

    — Je crois que tu devrais commencer par informer l’empereur de ce problème majeur, suggéra-t-elle. Ainsi, il comprendra notre situation et fera en sorte que nous puissions nous en sortir. N’est-ce pas le rôle d’un empereur ?

    Étienne eut un rire bref. Sa femme ne suivant que partiellement la politique du continent, elle ignorait ce qui se passait dans les royaumes voisins.

    — Évidemment que c’est son rôle, mais avec tout ce qui circule à son sujet, tu devrais connaître le caractère de l’empereur aussi bien que moi. Il n’est pas n’importe quel dirigeant juste et valeureux ; il est au contraire assez belliqueux.

    — J’en conviens, mais je crois tout de même que tu devrais lui envoyer une colombe messagère.

    Le roi garda le silence. Karla comprit qu’il avait besoin de réfléchir en paix.

    — Ne rentre pas trop tard pour le souper, lui dit-elle.

    Son mari ne l’entendit pas, trop préoccupé par les options qui s’offraient à lui. Elle ne l’importuna donc plus et se dirigea plutôt vers la tour réservée aux nourrices avec l’intention de ramener ses enfants dans leurs quartiers privés pour manger en famille.

    De son côté, le roi Étienne continua à réfléchir. Il fallait qu’il envoie une missive à l’empereur de Sylfar ; ce n’était pas un choix, mais une obligation. À Uldin, on utilisait des colombes voyageuses pour porter les messages.

    Ce que le souverain craignait était qu’en envoyant l’un de ces oiseaux à l’extérieur du royaume, le volatile soit trop fatigué pour se rendre à destination, ou pis encore, qu’il soit tué par des braconniers.

    Ici, tous savaient que les colombes étaient importantes et leur faisaient par conséquent extrêmement attention, car elles représentaient leur principal moyen de communication. Ce n’était pas le cas pour le reste du continent, où certains s’amusaient cruellement à les tuer.

    Étienne abandonna par conséquent cette option. Venait ensuite la possibilité d’envoyer l’un de ses soldats pour porter la missive ; les soldats étaient soit respectés, soit craints de tous, personne n’oserait donc attaquer l’un d’entre eux. Ce choix était donc le meilleur qu’il avait sous la main. Évidemment, il ne pourrait qu’envoyer un soldat de sa garde personnelle : il ignorait s’il pouvait faire confiance à un simple militaire de l’armée uldinoise.

    Par contre, le souverain savait fort bien qu’une décision comme celle qu’il espérait pourrait prendre des semaines à être délibérée. Entre temps, s’il advenait que le peuple décide de prendre les choses en main, Étienne préférait être accompagné de sa garde en intégralité. L’option du soldat fut donc écartée.

    À ce stade-ci, il ne restait plus vraiment de moyens pour communiquer avec l’empereur de Sylfar, à moins d’y aller lui-même. Étienne écarta cette idée aussitôt qu’elle entra dans son esprit.

    — Par les temps qui courent, je ne peux pas me déplacer d’un royaume à l’autre, c’est bien trop dangereux, grommela-t-il.

    S’il y allait seul et qu’un accident survenait, personne ne pourrait l’aider. S’il y allait accompagné, ses couleurs seraient affichées et certaines personnes pouvaient se montrer fort agressives envers les dirigeants, par jalousie de leur richesse et de leur puissance.

    L’idée d’envoyer un paysan porter le message lui effleura l’esprit. Après tout, s’il lui promettait une petite somme, n’importe quel homme serait prêt à faire ce travail pour lui. Toutefois, le souverain ne connaissait pas beaucoup de paysans, personnellement du moins, alors il lui serait difficile de s’y fier entièrement.

    Ce fut son estomac gargouillant qui le força finalement à quitter la salle d’audience pour aller manger. Le souverain se releva et quitta la pièce. Les soldats qui avaient pour mission de le protéger voulurent le suivre, mais il les chassa, ayant besoin de solitude. En regardant par les multiples fenêtres qui occupaient les murs tout le long de sa route, Étienne constata avec étonnement qu’il avait passé une bonne partie de la nuit à réfléchir à ce problème qui empoisonnait son existence.

    Il se rendit néanmoins sans difficulté aux cuisines, grâce aux torches allumées quelques heures plus tôt par les serviteurs. En arrivant devant sa destination, le roi constata que la porte était ouverte, alors qu’elle aurait normalement dû être fermée à cette heure de la nuit.

    — J’aurais peut-être dû emmener un ou deux soldats, regretta le souverain à voix basse.

    Craignant un voleur agressif, le roi Étienne chercha une arme. Il pivota sur lui-même et chercha du regard, en vain. Il lui vint alors à l’esprit que la salle des militants regrettés était sur le même étage. Il se hâta de s’y rendre, afin de pouvoir surprendre la personne qui se cachait dans les cuisines. Au bout d’un moment, il parvint finalement à trouver la pièce en question.

    — Il me faut quelque chose de menaçant, mais qui ne risquera pas de me blesser…, songea Étienne à voix basse.

    Son regard s’arrêta sur la statue d’un général. Ce n’était pas une structure d’argile, mais plutôt une reconstruction de son armure. Étienne choisit de s’armer de la lance que le soldat tenait. Il ne savait pas vraiment s’en servir, mais le long bâton au bout d’acier pourrait toujours le protéger. Sur la pointe des pieds, il retourna discrètement sur ladite scène de crime. Il s’avança tranquillement dans la pièce et capta la lumière vacillante d’une torche qui n’aurait pas dû être allumée, lumière qu’il n’avait

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