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L'Épingle
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Livre électronique360 pages5 heures

L'Épingle

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À propos de ce livre électronique

Dans la Nouvelle Aquitaine, de Limoges à Bayonne, ce roman relate l’histoire des de Labardière à l’approche et durant la seconde guerre mondiale. Il est beau leur château, véritable phare et havre de paix. Loin de ses murs séculaires, tous savent qu’il est là toujours prêt à les accueillir. Avant la guerre dans cette famille unie, chacun affiche ses idées. Les uns, dans la droite ligne de leurs aïeux, sont d’ardents défenseurs des dictatures allemandes ou italiennes. Ils réclament le retour du Roi en participant aux « Croix de Feu ». D’autres partagent les idées pacifiques des gouvernants de la troisième République. En temps de paix, ce sont surtout des joutes verbales qui animent les réunions familiales. Mais avec la défaite et l’invasion Nazi, l’esprit de famille résistera-t-il aux contraintes de l’occupation ? A la divergence des courants nationaux ? Au milieu du fracas des bombardements, alors que la guerre fait rage entre maquisards et miliciens, la vie d’un enfant de la famille est en jeu. La famille saura-t-elle s’unir pour trouver les solutions permettant de sauver ce bébé ?
LangueFrançais
Date de sortie29 mai 2018
ISBN9782312058429
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    L'Épingle - Bernard Watier

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    L’Épingle

    Bernard Watier

    L’Épingle

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Ce roman raconte une histoire issue de faits réels.

    Cependant, les personnages et les faits de cette histoire sont issus de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnages ayant existé ou existant ne pourrait être que fortuites.

    © Les Éditions du Net, 2018

    ISBN : 978-2-312-05842-9

    La rencontre

    Ce n’est pas l’horreur d’une profonde nuit mais, au contraire, un beau dimanche du printemps en ce début des années trente. René, roule à vive allure sur sa Peugeot vers le château où son ami Pierre l’a invité. Chargé de clientèle dans une agence bancaire, René a fait la connaissance de Pierre de Labardière, fils du duc de Labardière grand propriétaire terrien des environs de Limoges, lors d’un dépôt de liquidités à la banque. De suite, ils ont trouvé des centres d’intérêts communs tels que la nature, le sport et la pêche. Ils se sont, alors, revus plusieurs fois au restaurant, au cinéma ou dans des bars. Pierre, voyant la solitude de René, l’a invité à venir passer un dimanche au château, non sans en avertir ses parents.

    René Crèvecœur est né à Bayonne, au début du siècle. Troisième garçon d’une famille de quatre enfants, son père Antoine, militaire de carrière, a épousé Maylis femme du Sud Ouest. Il a quitté ses racines Picardes pour s’installer dans le Sud bien qu’il ait hérité de plusieurs propriétés dans le Nord. D’ailleurs, Antoine s’y rend de temps en temps pour contrôler l’exploitation de ses domaines et rencontrer les membres de sa famille restés « au pays ». Ayant une fortune assez importante, il a pu agrandir les propriétés de son épouse et acheter plusieurs milliers d’hectares dans les Landes tout en conservant ses exploitations dans le Nord.

    Sa carrière militaire, perturbée par l’Affaire Dreyfus, fut de courte durée. En effet, il prit partie contre Dreyfus. À la fin du procès de réhabilitation, il est démissionné et devient alors un fervent défenseur de la Droite Française, cléricale, opposée à toute idée progressiste. Une des raisons de son installation dans les Landes fut de faire taire les quolibets dont il était l’objet en Picardie suite à l’Affaire. En 1914, il est rappelé sous les drapeaux. Avec son étiquette d’antidreyfusard, il est éloigné des centres de décision. Il terminera la guerre au même grade et en gardera une rancœur éternelle contre tous les gouvernements de la IIIe République. Il transmettra ce rejet de la République à la majorité de ses enfants auxquels, il donnera une éducation très stricte presque militaire. Son côté antidreyfusard était tel qu’en 1932, il refuse de souscrire aux bons du Crédit municipal de Bayonne, car cette banque est tenue par un aventurier juif auquel il n’accorde aucune confiance.

    René est joyeux de retrouver Pierre, un ami dont les idées, la manière de vivre et le niveau de vie correspondent aux valeurs que son père lui a inculqué depuis sa plus tendre enfance. Les courbes des routes limousines s’étirent sous le soleil de ce début de printemps. Le peu de trafic lui permet de pousser sa moto et de se griser de vitesse. À cette époque, Limoges est une petite ville régionale. Tout le monde ou presque se connait. La majorité des Limougeauds ont des parents dans la campagne environnante et profitent des produits fermiers. Seuls les émigrés des guerres, ceux de la Grande Guerre ou ceux de la guerre de 70, les fonctionnaires ou quelques salariés sont de réels citadins.

    L’air frais du matin siffle à ses oreilles et autour de son blouson en cuir. La route défile, les virages succèdent aux virages. Cette griserie lui fait oublier les difficultés d’aborder ce terrible duc dont Pierre lui a décrit le mauvais caractère.

    Le duc est en effet connu par ses proches pour ses colères et sa morgue qui lui fait rejeter tous ceux, qui ne sont pas de son rang. Il est grand, rigide, très imbu de son titre et de sa personne. Il ne croit que dans son roi et réclame à tous vents le retour de la royauté en France. Le duc de Labardière est le descendant d’une famille dont l’arbre généalogique connu remonte à Louis XII. Ce roi avait anobli les de Labardière pour services civils rendus au royaume. Par la suite, cette famille a fourni à la couronne nombre de généraux et grands serviteurs de l’état. Notamment sous Henri IV, son aïeul avait contribué à écrire l’Édit de Nantes, ce qui lui valut les faveurs de ce roi et la notoriété dont jouit sa famille parmi la noblesse française. Mais depuis la Révolution, ils vivent sur leurs terres limousines et se méfient de tout ce qui vient de Paris.

    Le duc soutient ouvertement l’Action Française. Il est très fier de voir deux de ses fils participer activement à ce mouvement. Il les encourage à aller manifester contre cette République qui conduit la nation à sa perte. Comme tout noble de l’ancien régime, il ne dirige pas directement ses propriétés et laisse cela à son majordome qui ne se prive pas pour profiter de la situation. Le château vit au rythme qu’impose le duc. Le matin, il passe le plus clair de son temps à discuter avec son intendant, à écouter les informations à la radio et à visiter ses purs sangs dans les écuries du château. À midi et demi, la famille se met à table où deux employés de cuisine la servent dans des plats en porcelaine de Limoges. L’après-midi se passe en promenades à cheval ou à pied à travers ses propriétés. Le repas du soir est servi à sept heures et demie. La soirée se passe au salon où la plupart du temps le duc lit, l’Illustration, les journaux de l’Action Française ou des livres de son immense bibliothèque, tout en discutant avec Agathe son épouse. Tous les dimanches, la famille va à la messe dans l’église du village où des prie-Dieu leur sont réservés dans le chœur de l’église. Le vendredi on ne sert que du poisson et on suit strictement les consignes de l’église durant le Carême.

    Le duc, en cette période de l’entre-deux-guerres, mène grand train de vie avec chasse à courre au château une fois par mois et réceptions fréquentes de toute la noblesse du centre de la France. Ses écuries sont renommées et contiennent une dizaine de purs-sangs. Il monte à cheval tous les jours et parcourt ses domaines. Le duc est un homme des temps anciens, persuadé que la noblesse détient un pouvoir divin.

    Malgré ses idées, il s’est marié par amour une trentaine d’années plus tôt, avec une roturière issue d’une riche famille bourgeoise. Ce mariage lui vaut l’opprobre de sa famille et notamment de sa mère, qui n’admet pas ce mariage contre nature. Pour elle, la noblesse doit s’unir avec la noblesse comme si les années de la Révolution n’avaient pas existé. Ainsi, sa mère ne l’a plus jamais revu depuis ses noces. Elle est partie vivre en Normandie avec ses filles dans un château de sa famille. Elle ignore jusqu’à l’existence de ses petits-enfants et n’écrit jamais pour demander de nouvelles. On dit même que lorsque son fils lui écrit, elle déchire les lettres sans les lire. Cela fait que depuis quelques années, il n’y a plus aucune relation entre les deux châteaux. Malgré ces difficultés, les duc est toujours amoureux d’Agathe.

    La nouvelle duchesse est issue d’une famille bourgeoise de la région parisienne que le duc a connue lors d’un bal mondain. Le titre de duchesse a exacerbé son ego. Elle regarde de haut tout le personnel du château et ne touche jamais balais, couture, fourneaux ou autres instruments de la vie familiale. Malgré cela, elle est toujours présente quand on fait appel à son bon cœur. Elle devient maternelle avec le personnel dès que celui-ci a un problème. Dans ces moments, pour le duc, elle est l’alliée des socialistes qui creusent la tombe de la France. Les discussions deviennent alors orageuses mais elle tient bon. Aidée par son fils Jacques, elle obtient souvent gain de cause. La duchesse est très à cheval sur l’étiquette et la politesse. Pour les repas, une tenue correcte est exigée, pas question de venir avec des manches courtes ou un débardeur. À table, on se tient bien, principale raison pour laquelle les enfants n’y sont généralement pas admis. Quand ils y viennent, ils ne peuvent parler qu’après en avoir demandé l’autorisation et il en est de même quand ils veulent sortir de table.

    Les quatre enfants du duc ont été, dès leur premier âge, confiés à des nourrices puis à des précepteurs à domicile, avant de gagner des institutions privées pour terminer leurs études secondaires. Dans ces collèges, ils ont été des élèves brillants toujours dans les premiers de leur classe. En faculté, Pierre a choisi les sciences politiques, Jacques et André le métier d’ingénieur. Marie a choisi de faire des études d’infirmière. Pierre et André fervents défenseur du roi, comme tous les de Labardière avant eux, se sont inscrits dans les organisations d’étudiants de droite, alors que Jacques participaient à des œuvres caritatives plutôt de sensibilité de gauche.

    Toute cette famille vit dans un château du XVIe siècle à une cinquantaine de kilomètres de Limoges. Grande demeure seigneuriale, le château se compose au rez-de-chaussée de quatre salons en enfilade capables d’accueillir plusieurs centaines d’invités et, pouvant aussi servir de salles à manger pour de grandes réceptions. Au même niveau, on trouve la cuisine et les logements de la dizaine de domestiques employés au service du duc. À l’étage, se trouvent, la suite ducale, de nombreuses chambres et salles de bain. Le château dispose de tout le confort de l’époque avec eau courante et eau chaude fournie par une chaudière au bois. L’électricité est distribuée à tous les étages, mais est souvent coupée par rupture de la ligne lors d’orages ou de vent violent. Le duc a aussi une automobile, qu’il ne conduit pas mais que ses fils adorent conduire à tombeau ouvert sur les chemins de la propriété. La famille de Labardière vit des revenus des propriétés du château qui assurent, grâce à une agriculture à la pointe du progrès, de bons revenus. Malgré cela, pour tenir son train de vie, le duc fait souvent appel à l’emprunt lors d’années de mauvaises récoltes.

    René entre avec précaution dans l’allée menant au château. À la vue de cette noble demeure chargée d’histoires, son optimisme habituel se mue en une appréhension. « Et si j’étais ridicule, se dit-il, si je ne savais pas parler correctement à ce terrible duc ? Si Pierre n’était pas là, que dirais-je ? »

    Mais il est trop tard pour faire demi-tour. Le bruit de la moto a réveillé deux lévriers du château qui aboient joyeusement en lui courant après. À ce bruit, le majordome sort pour accueillir le nouvel arrivant et l’annoncer à Monsieur le duc. Pierre accourt en même temps et se précipite vers son ami faisant signe qu’il va s’occuper du nouvel arrivant.

    – Bonjour René, as-tu fait bonne route depuis Limoges ? Bienvenue au château.

    – Pas de problème et avec ce beau temps, j’ai pu vraiment me griser de vitesse et ne mettre qu’une demi-heure pour aller de Limoges jusqu’ici. Mais que c’est beau ici, je comprends maintenant que tu sois amoureux de ta maison familiale.

    – Allez, viens, je vais te présenter ma famille. À tout seigneur, tout honneur, viens faire la connaissance du duc mon père.

    Ils entrent dans le grand hall du château où un domestique prend les lunettes, le casque et les gants de René. Au salon, le Duc lit les journaux.

    – Bonjour Père, excusez-moi de vous importuner, mais je voudrais vous présenter mon ami René Crèvecœur.

    – Bonjour mon ami, Pierre m’a parlé de vous. Vous avez un bien joli nom de famille, savez-vous d’où il vient ? Je sais que vos parents vivent dans le Sud-Ouest, j’espère qu’ils vont bien. Surtout transmettez-leur mes sentiments les plus amicaux. Je suis ravi d’être votre hôte. Ici vous pouvez vous considérer chez vous.

    – Bonjour Monsieur le duc, merci pour vos paroles de bienvenue qui me touchent, dit René. Je suis sous le charme de votre demeure et sensible à l’amitié de Pierre. Mes parents, qui connaissent le nom de votre famille, seraient heureux de pouvoir un jour faire votre connaissance. Si d’aventure, vous allez dans le Sud-Ouest, ils seraient heureux de vous y accueillir.

    – Je serai enchanté d’aller dans votre beau pays, mais nous n’envisageons pas en ces temps troublés de voyages loin de notre demeure. Mais, si les temps deviennent meilleurs, nous pourrions voyager. Au fait, Pierre m’a dit que vous occupiez un poste important dans la banque Allomace. J’espère que tout va bien pour vous. Si vous aviez des problèmes, faites-le moi savoir, je connais bien le directeur de votre banque. C’est un ami et il vient souvent participer à mes chasses. C’est d’ailleurs un très bon cavalier.

    – Je vous remercie Monsieur de l’aide que vous me proposez, mais pour le moment, je suis nouveau dans cette société. Je trouve l’ambiance très agréable et suis heureux de faire la connaissance d’un pays, le Limousin, que je ne connais pas.

    – Bienvenue dans cette région française qui mérite d’être connue. Elle est pleine de charmes. Pierre, peut-être pourriez-vous aller présenter votre ami à votre mère qui doit être dans le petit salon. Mais au fait, mon ami, êtes-vous bon cavalier ?

    – Mon père m’a appris, mais cela fait très longtemps, que je ne suis pas monté sur un cheval.

    – Bon, dit Pierre, nous allons en suivant voir Maman.

    Traversant le vestibule, ils entrent dans le petit salon où Agathe est en train d’écrire son carnet dans lequel elle note tous ses faits et gestes depuis sa plus tendre enfance.

    – Bonjour Mère, je vous présente mon ami René dont je vous ai parlé et qui vient passer ce Dimanche au château.

    – Bonjour mon ami, dit-elle, en lui tendant sa main que René approche de ses lèvres pour un parfait baisemain.

    – Bonjour Madame, je vous remercie de m’avoir accueilli dans cette belle demeure que je trouve magnifique. Permettez-moi de vous offrir ce petit tableau qui, j’espère, vous plaira. C’était le seul objet que je pouvais transporter sans danger sur ma moto.

    – Qu’il est joli, dit-elle en jetant un coup d’œil rapide sur la peinture. Je suis sûre qu’il ira très bien dans le vestibule où tout le monde pourra l’admirer. Avez-vous des talents pour la peinture ? Mais au fait, Pierre m’a dit que vous étiez venu en moto. Si j’étais plus jeune, j’aurai bien aimé pouvoir conduire ce type de véhicule, mais je ne crois pas que Paul aurait aimé cela et me l’eut permis. Ce n’est pourtant pas plus dangereux que le cheval.

    – Mère, dit Pierre, cela aurait été très drôle de faire la course avec vous. Mais avant le déjeuner, je vais aller présenter René à Marie, Jacques et André, si vous le permettez.

    – Allez donc mais faites vite car vous savez que votre père n’aime pas que l’on soit en retard à table.

    Les deux garçons sortent en courant vers le parc où ils ne tardent pas à trouver Marie, André et Jacques en train de discuter sur un banc.

    – Les voilà, dit Pierre. Alors les petits châtelains quelles bêtises ou quels jeux, êtes-vous en train de préparer ? René, voilà Marie, notre petite sœur qui étudie les soins à donner aux malades. Elle travaille dans une clinique de Limoges. N’hésitez pas à aller vous faire soigner dans son établissement. Si vous êtes malade, elle adore faire des piqures !

    – Bonjour Marie, je suis enchanté de vous connaitre. Pierre m’a souvent parlé de vous comme étant le boute-en-train de la famille.

    – Il exagère toujours.

    – Voilà Jacques mon cadet, brillant ingénieur de Polytechnique mais pas vraiment sur terre, toujours dans l’univers idéal des mathématiciens. Pensez donc, il rêve de République et d’égalité, comme si cela pouvait exister !

    – Bonjour Jacques, je suis enchanté de vous connaitre.

    – Moi aussi et surtout n’écoutez pas ce que disent mes frères, adeptes d’un monde ancien qui n’existe que dans leurs rêves.

    – Voilà enfin André lui aussi ingénieur, mais ayant les pieds sur terre et faisant partie, comme moi, des Croix de Feu, qui défendent et encouragent le retour de notre roi, seul régime capable de redonner à la France son lustre d’antan.

    – Bonjour André.

    – Vive le Roi et la royauté ! dit André. Au moins, en ce temps là, il y avait quelqu’un pour gouverner la France avec des nobles, qui au contact de leurs gens, tenaient compte des opinions du peuple. Alors qu’aujourd’hui, nous sommes dirigés par des politicards qui ne pensent qu’à leur réélection pour profiter des ors de leur gouvernement et des petits avantages particuliers que le peuple leur paie.

    – Tu n’y es pas du tout, répond Jacques, la République c’est le gouvernement de tous, élu par tous et pas seulement le pouvoir de certains qui rapportent au seul Roi ce qu’il veut entendre ou ce qui les arrange, d’où les révolutions.

    – Arrête ton discours socialiste, lui rétorque André. Avec tes idées, bientôt, les femmes voteront, les ouvriers auront droit à des congés payés, les nobles seront ruinés, et ainsi de suite. Bref, avec tes idées, ce sera la fin du monde. Avec notre Roi, la société serait régie par des lois convenant non seulement à la noblesse mais aussi à l’église, aux vrais travailleurs, et à la famille comme cela se fait en Angleterre, Belgique, Hollande, Suède et Norvège pour ne citer que les plus connus. Et vous René que pensez-vous de la République ?

    – Bien, répond-il d’un air embarrassé. C’est-à-dire que je n’aime pas la politique, ni les hommes politiques de quelques bords qu’ils soient. Je crois qu’ils se moquent éperdument de nous et ne pensent qu’à leur réélection. Je ne suis ni pour le Roi, ni pour la République car je ne vois pas de différence pour le peuple qui travaille. Que ferait aujourd’hui le Roi vis-à-vis d’Hitler ? Que va faire la République ? Croyez-vous que, quel que soit celui qui sera au pouvoir, les impôts vont diminuer ou la pauvreté se réduire ? Non, vraiment, pour le moment, je ne vois rien de bon dans la politique. En ce qui me concerne, je pense que seul mon travail me permettra de créer une famille et de vivre.

    Alors que Jacques va répliquer, une voix féminine s’élève :

    – Allez-vous bientôt arrêter de vous chipoter pour des sujets qui, ma foi, sont peut-être de la plus haute importance, mais qui, je le crois, n’intéressent guère notre invité. Pierre, s’il te plait pourrais-tu me présenter un peu mieux ton ami ?

    – Eh bien Marie, laisse-moi te présenter René Crèvecœur qui travaille à la banque Allomace. Il nous vient du Sud-Ouest où sa famille a de grandes propriétés. Il a deux frères et une sœur. Si tu veux lui plaire, va donc lui apporter tes économies, car, comme tout banquier, il te les réduira à néant mais avec le sourire.

    – Marie, ne croyez pas un mot de Pierre sur le métier de banquier. Mais si vous voulez, ne serait-ce que venir me voir à la banque, ce serait avec plaisir que je vous y accueillerai.

    – Oh ! vous savez, que ce soit Pierre, Jacques ou André, ils ont l’air terrible et moqueur mais sous leur carapace, ils cachent des cœurs d’or. D’ailleurs ils sont toujours prêts à m’aider lorsque j’ai un problème. Et même lorsque je n’en ai pas, ils m’en créent, rien que pour me rendre service bien sûr ! Mais que fait-on maintenant les garçons ? On pourrait aller montrer à René le parc du château et la rivière.

    – Il me tarde de voir cette rivière dont Pierre m’a moult fois vanté la beauté. Est-ce que l’on y pêche dans cette rivière ? S’y baigne-t-on ?

    – Bien sûr, nous faisons les deux, dit André. Mais si tu veux, on pourra organiser un de ces jours un concours de pêche.

    – Pas de problème, j’amènerai mes cannes. Je les ai d’ailleurs dans ma chambre et je pense bien les utiliser ici. Dans le Sud-Ouest, on attrape des truites dans les rivières ou les lacs des Pyrénées. Il y en a des saumonées qui peuvent atteindre quatre à cinq kilos et leur chair rose est délicieuse.

    – Voilà bien des paroles de pêcheur, dit André, quatre à cinq kilos ! Pourquoi pas dix ou quinze ?

    – Bon, j’exagère peut-être un peu. Disons deux ou trois.

    Les cinq jeunes gens partent dans le parc aux arbres centenaires, où les feuilles de printemps commencent à verdir sur les chênes et châtaigniers qui le peuplent. À la limite des bois, une grande prairie descend voluptueusement vers la rivière dont les eaux luisent sous le soleil printanier.

    – Regardez, dit André, ce courant d’eau fraiche dans laquelle les truites sont foisons. Là, sous cette pierre, j’en ai pris une d’un kilogramme.

    – Oh ! Voilà le pêcheur qui parle, clame haut et fort Jacques, tu parles tout juste une « truitette ». Quand on l’a présentée à table, il y en avait tout juste pour une personne de petit appétit.

    – Tenez, venez voir là, dessous cette pierre, il y a une queue de truite dit Marie. qui vient l’attraper ?

    Tous viennent voir, se retournent les manches pour cueillir la truite, quand une cloche retentit.

    – Dommage, mais ce n’est que partie remise, c’est l’heure du déjeuner. Il faut y aller, si nous ne voulons pas avoir les reproches habituels, et, surtout, que nos parents aient une mauvaise impression de René, dit Pierre.

    Tout le monde se retrouve dans le petit salon où le Duc demande :

    – Qui veut un apéritif ? René, que voulez-vous, du Porto, du Pineau ou un vin doux ?

    – Je prendrai bien un doigt de Porto, s’il vous plaît.

    – Très bien, et vous Agathe qu’est-ce que je vous sers ?

    – Je ferai comme René, mon ami.

    – Les garçons, vous vous servez, sans oublier de commencer par Marie évidemment.

    Chacun étant en possession de son verre, la discussion tourne rapidement vers la politique :

    – René que pensez-vous de ces gouvernements qui se succèdent sans avoir le temps de faire quoi que ce soit ? À croire qu’ils ne se nomment que pour avoir le titre de Président du Conseil sur leurs cartes de visite. Non, moi je vous le dis René, un roi et un ministère à poigne, voilà ce qu’il faut à la France pour se relever de cette décrépitude dans laquelle l’ont plongée tous ces gigolos gauchisants. Il nous faudrait prendre exemple sur l’Italie, avoir un roi et un homme à poigne comme Mussolini, dit le Duc.

    – Je ne sais pas trop car je viens juste de rentrer dans la vie active et je commence juste à sentir les effets de la politique sur ma vie courante. Mais je dois dire que cette instabilité n’est pas très bonne pour les affaires bancaires dont je m’occupe.

    – Oui, pour résumer la pensée de René qui n’ose pas se prononcer, dit André. Ces gouvernements de pacotille sont mauvais pour les affaires ; mauvais pour l’agriculture car nous n’arrivons pas à vendre les récoltes de nos terres à un prix suffisant pour que nos gens et nous même puissions en vivre ; mauvais pour le peuple quand on voit combien de personnes crient misère dans nos villes et campagnes ; mauvais pour l’industrie car l’État ne passe plus de commandes pour faire tourner la machine industrielle. Non vraiment, je ne vois rien d’agréable dans cette Troisième République et ses politicards. En revanche, nous ne pouvons qu’admirer l’Allemagne et l’Italie qui ont fait leur révolution et, nommé à leur tête un gouvernement, qui sait se faire respecter et, qui donne satisfaction à son peuple.

    – Oh là là ! dit Jacques. Voilà la droite qui s’emballe et, nous montre des exemples prometteurs de gouvernement. As-tu conscience mon cher André du nombre de personnes piétinées, enfermées ou seulement mises à l’écart dans ces pays de cocagne dont tu parles comme étant le Paradis sur Terre ? C’est sûr, la France vit des moments difficiles, mais au moins pouvons-nous encore parler librement sans que nos paroles soient transmises à des écoutes mal intentionnées.

    – Baliverne que ce que tu me dis là. Il y a plus de libertés en Allemagne et en Italie qu’en France. D’ailleurs, si Père le permet, j’irai prochainement dans ces pays pour justement voir leurs progrès et leurs libertés. Les Croix de Feu y organisent un voyage et je compte bien m’inscrire.

    – Bon, je crois que tout le monde a fini son apéritif et montré son enthousiasme politique. Cela étant dit, si vous le voulez bien, passons à table, dit Agathe. Mangeons surtout en bons Français car, si j’en crois la rumeur, dans ces pays la nourriture n’est pas très bonne.

    Tout le monde se lève et suit le couple ducal pour aller dans la salle à manger où attend le personnel qui va servir le déjeuner. Dès que les convives se sont assis, le repas commence avec pâté et crudités, suivis par un poulet accompagné de pommes de terre gratinées, puis salade, fromages et tarte, le tout arrosé avec un Bordeaux de 1928.

    – C’est un régal, dit René. Félicitez pour moi votre cuisinier. Je suis sûr que mes parents seraient enchantés de l’avoir dans leur cuisine. Il apprendrait très vite à cuisiner canard, dindon, oie ou autre pintade et cochon. Les pommes de terre viennent-elles de vos terres ? Elles sont délicieuses.

    – Oui, elles sont cultivées à cinq cent mètres d’ici. Mais surtout ne croyez pas que notre cuisinier s’expatrierait, il est Limousin, né dans ce pays et, attaché à notre cuisine locale, dit Agathe. Pour rien au monde, il ne quitterait le Limousin. Non, René, vous n’avez aucune chance de le convaincre.

    – Dommage car je suis certain que mes parents auraient été très contents d’avoir un si bon maître queux dans leurs cuisines.

    Sur ces dernières paroles et sur un signe d’Agathe, tout le monde se lève pour aller au salon prendre café, liqueurs et fumer un cigare.

    René est en admiration devant la beauté de la maison, de son décor et aussi de la vaisselle presque exclusivement composée de porcelaines de Limoges dont certaines pièces datent du Grand Siècle. Bien que sa demeure dans les Landes soit une très belle maison, elle n’a pas le luxe et le cachet du château des Labardière, avec ses fenêtres à meneaux, ses cheminées en marbre de Carrare, ses parquets centenaires en chêne, ses pièces aux dimensions extraordinaires. Tout dans ce château respire la grandeur.

    Après le café, Pierre, Jacques, André, Marie et René partent dans le parc profiter de cette belle après-midi et continuer la discussion politique commencée durant le repas. Évidemment les échanges tournent court, car ni Jacques, ni André ne veulent changer d’avis. Jacques soutient la République et, André la Royauté et les gouvernements dictatoriaux. Au bout d’un moment, Marie qui ne veut pas se mêler de la conversation, propose d’aller dans la forêt apercevoir quelques animaux sauvages. René approuve aussitôt pour se soustraire aux questions ou servir d’arbitre sur un sujet qui ne l’intéresse guère.

    Ils partent aussitôt vers le bois. Cette forêt faite de chênes centenaires et de châtaigniers respire la tranquillité de la campagne Limousine. Sous l’ombre des arbres, on verrait presque pousser champignons et fougères sur la mousse, moquette verte de la forêt.

    – Comme cette forêt est belle, dit René. Elle n’a rien à voir avec notre forêt landaise où le pin maritime est pour ainsi dire l’unique bois des forêts. Il doit y avoir ici des champignons, et des baies sauvages. En cueillez-vous ? Quels champignons avez-vous ici ? Des cèpes ? Des girolles ? Des oronges ? Des coulemelles ?

    – Il y en a beaucoup, dit Marie. D’ailleurs si vous venez à la fin du printemps ou en automne, vous trouverez ici des bolets, des girolles ou autres oronges. Pour les cueillir, il nous faut lutter et devancer les sangliers, les limaces et, autres animaux sauvages très friands de champignons. Mais vous avez l’air de bien connaître la nature, d’où cela vous vient-il ?

    – C’est tout simple. Nous habitons, surtout l’été, une maison dans la campagne landaise où ce sont les bois et marécages qui dominent. Avec mes frères et ma sœur nous faisons souvent des courses dans la campagne. Nous y étudions la vie des oiseaux et des animaux sauvages. Certains de mes frères s’adonnent d’ailleurs à la chasse. Ils connaissent tout sur leurs gibiers préférés. Ils sont capables de vous dire en voyant une empreinte dans la terre quel est le mammifère qui en est à l’origine. Quand ils voient un oiseau, c’est pareil. Vous avez à peine vu sa couleur qu’ils vous indiquent quel est cet oiseau, où il niche, etc,… etc,……

    – Ce doit être passionnant d’aller avec eux dans la campagne. Mais, vous, chassez-vous ?

    – Non car cela ne me procure aucun plaisir et, chasser pour tuer, cela ne m’intéresse pas.

    – J’en suis fort aise. Je ne comprends pas l’engouement de mon père pour ces chasses à courre où des dizaines de cavaliers poursuivent un animal jusqu’à le faire mourir d’épuisement. Quand je lui en parle, il se met en colère et m’explique que lui et les cinquante cavaliers qui l’accompagnent, ne tuent qu’un animal, alors que le chasseur du dimanche, avec son fusil, peut en tuer plusieurs à lui tout seul !

    – Eh oui, c’est la vie et elle est souvent cruelle, dit René. Mais au fait pour changer de sujet, Pierre m’a dit que vous faisiez des études d’infirmière à Limoges ?

    – Stop, dit Jacques, taisez-vous, il y a une biche derrière ce fourré. Couchons-nous. Peut-être n’a-t-elle pas

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