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Lafayette et Washington - À la conquête de la liberté: Sous la bannière de L’Hermione
Lafayette et Washington - À la conquête de la liberté: Sous la bannière de L’Hermione
Lafayette et Washington - À la conquête de la liberté: Sous la bannière de L’Hermione
Livre électronique308 pages4 heures

Lafayette et Washington - À la conquête de la liberté: Sous la bannière de L’Hermione

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À propos de ce livre électronique

Suivez le jeune La Fayette dans son aventure aux côtés des colons d'Amérique !

À la cour du roi Louis XVI, le marquis de La Fayette se morfond. Son enfance, au château de Chavaniac, en Auvergne, ne l’a pas préparé à cette vie-là. Lors d’une conférence donnée en sa garnison de Metz, il est subjugué par le plaidoyer du duc de Gloucester en faveur des colons d’Amérique qui se battent, outre-Atlantique, pour leur liberté. Jamais aucune cause ne lui a semblé plus belle à défendre pour l’humanité ! Avant même la fin de la soirée, il a décidé de la faire sienne.
À 19 ans à peine, le jeune orphelin - mais riche héritier - se jette dans l’aventure pour rejoindre l’armée des patriotes. Parvenant à se faire enrôler in extremis, il rencontre, peu après, le commandant de l’armée continentale, George Washington. Entre les deux hommes, l’attirance est immédiate. Le général, plein de curiosité pour ce jeune aristocrate du vieux monde, l’invite aussitôt à séjourner chez lui, au quartier général de Valley Forge. Ainsi commence pour Lafayette la guerre d’indépendance américaine à laquelle il a tant rêvé de participer. Sur le théâtre des affrontements, ponctué de complots et de trahisons, l’amitié filiale entre les deux hommes va être le ressort même du triomphe de leur idéal. Ce roman historique retrace l’évolution de leur lien affectif sur la base de la correspondance qu’ils nous ont laissée. Elle nous offre une fenêtre incomparable sur l’esprit chevaleresque et la philosophie humaniste de ces deux gentilshommes du XVIIIe siècle, que l’Hermione allait réunir en Amérique.

Plongez-vous dans ce roman historique rocambolesque sur fond de guerre d’indépendance et suivez la relation presque filiale entre George Washington et le marquis de La Fayette.

EXTRAIT

Il envoya au contraire deux forces de mille soldats chacune affronter les Anglais. Une brigade de quatre mille autres avait ordre de les rejoindre. Si la tactique réussissait, l’armée principale entrerait dans la bataille. Si, au contraire, l’ennemi s’avérait trop puissant, le corps couvrirait la brigade vers une retraite sûre. Le général confia le commandement du corps à Arthur Lee mais celui-ci le refusa avec mépris, le qualifiant de « passeport pour le désastre et la disgrâce ». Washington le remit alors à son deuxième commandant en chef, Lafayette. Plus tard, Lee se ravisa. Comme Washington refusait de revenir sur sa décision par respect pour Lafayette, Lee vint plaider sa cause directement auprès du marquis. « C’est ma fortune et mon honneur que je mets entre vos mains, l’implora-t-il. Vous êtes trop généreux pour perdre l’une et l’autre. » Le vieil officier avait su toucher la corde sensible du chevalier Lafayette qui accepta, avec joie, de le laisser reprendre les commandes et de servir sous ses ordres.
Le lendemain matin, le marquis s’en fut donc installer ses volontaires au camp d’Icetown. Washington, après avoir évalué les forces britanniques, donna ordre à Lee d’attaquer.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une lecture agréable pour découvrir ce personnage historique assez exceptionnel. - Blog L'écosystème d'Anaiscience

Le grand mérite de ce livre est de nous faire percevoir leur humanité profonde, au-delà du mythe du héros révolutionnaire. - Soraya, Histfic.fr

À PROPOS DE L'AUTEUR

Catherine Goulletquer est diplômée en langues étrangères, sciences humaines et journalisme. Elle a été correspondante de presse aux États-Unis de 1989 à 1992 et exercé le métier de journaliste pendant une dizaine d’années avant de se tourner vers l’écriture et la traduction d’ouvrages, tout en enseignant l’anglais. Depuis 2007, elle est psychopraticienne relationnelle et analyste transgénérationnelle dans la région nantaise. Auteure d’une dizaine d’ouvrages, elle a reçu le Prix des Mouettes en l’an 2000 pour son premier livre publié chez Geste éditions, Femme de la Côte.
LangueFrançais
Date de sortie23 août 2019
ISBN9791035305710
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    Aperçu du livre

    Lafayette et Washington - À la conquête de la liberté - Catherine Goulletquer

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    Lafayette & Washington

    À la conquête de la liberté

    Sous la bannière de L’Hermione

    www.gesteditions.com

    © La Geste – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    Catherine Goulletquer

    Lafayette & Washington

    À la conquête de la liberté

    Sous la bannière de L’Hermione

    À tous les Rochefortais

    © Sémhur

    1

    Chevalier dans l’âme

    À la cour du roi, le jeune marquis étouffait. Il n’avait pas été préparé à cette vie et bouillonnait d’impatience à l’idée de révéler au monde le chevalier qui sommeillait en lui. Son enfance à Chavaniac avait été si différente de celle des ­gentilshommes qu’il côtoyait à Paris et à Versailles. Leur cynisme le laissait de marbre. Tandis qu’ils partaient parfois dans de grands éclats de rire, il restait coi. Petit, il n’avait pas appris, comme eux, à bien danser et se tenir, encore moins à cultiver son éloquence. Dans sa seigneurie d’Auvergne, il avait passé son temps à jouer avec les fils de ses vassaux encore trop jeunes pour aller travailler aux champs avec leurs parents. Sur les hauteurs boisées du hameau de Chavannes, il guerroyait pendant des heures avec son épée de bois. Dans la petite troupe qu’il s’était constituée, c’était toujours lui qui commandait.

    Le désir de se battre ne lui venait pas du néant. Le soir, à la veillée, ses tantes et sa grand-mère paternelles lui racontaient les épopées légendaires auxquelles les hommes de sa famille avaient participé. Leurs récits chevaleresques enflammaient son imagination. En l’absence de ces êtres de chair, il les idéalisait. Le lendemain, il mettait en scène avec ses compagnons de jeux leurs exploits glorieux. Il avait déjà compris qu’il appartenait à cette race d’hommes d’armes. Au fil des ans, son ambition croissait d’autant plus que son père avait été victime d’un boulet anglais, à la bataille de Minden, quand il avait deux ans. Il avait à cœur de le venger.

    À Chavaniac et à Brioude, où la famille passait l’hiver, il avait grandi dans un milieu presque exclusivement féminin. Au décès de son père, sa mère était repartie vivre à Paris, le confiant aux bons soins de sa grand-mère paternelle Marie Catherine Suat de Chavaniac et de sa tante Madeleine, qui resta célibataire toute sa vie. Trois ans plus tard, son autre tante paternelle, devenue veuve, revint vivre au château avec sa fille, Marie Louise de Guérin. D’un an l’aînée de Gilbert, la petite fille devint comme une sœur pour lui tandis que sa mère Charlotte veillait sur son neveu avec une extrême bienveillance.

    La vie de l’enfant était en effet plus que précieuse. Tout juste né, en ce 6 septembre 1757, on l’avait porté sur les fonts baptismaux de l’église Saint-Roch, au bas de la colline. Il y avait d’autant plus d’urgence à l’ondoyer que son frère aîné était mort avant même d’avoir reçu un nom. Gilbert, quant à lui, n’en manquerait pas. Tandis que l’eau bénite perlait sur son front, il fut gratifié de ceux de Marie Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier et des titres de marquis de Lafayette, baron de Vissac, seigneur de Saint-Romain et autres lieux. Cette kyrielle de noms et de titres augurait déjà des attentes familiales à son égard, que la disparition prématurée de son père ne ferait qu’accentuer.

    Les Motier de la Fayette étaient une famille très ancienne. Elle tirait son nom de « motte », un terme désignant au Moyen Âge un lieu géographique élevé sur lequel était élevé un château fort en bois. Quant à celui de La Fayette, il provenait de Villa Faye, un domaine agricole remontant à la période gallo-romaine qui avait dû être implanté près d’une forêt de hêtres. Tout enfant, le marquis avait appris de ses tantes que son ancêtre le plus lointain avait participé à la première croisade, à la fin du xie siècle. Ce Gilbert de Lafayette, propriétaire du fief du même nom, apparaissait comme donateur ou témoin dans les actes du cartulaire de Sauxillanges, au temps des abbés de Cluny, aux xie et xiie siècles.

    Madeleine et Charlotte avaient tour à tour expliqué à l’enfant que l’accession à la noblesse des La Fayette correspondait à l’avènement de la classe sociale des chevaliers. Au xie siècle, ces hommes d’armes, souvent nés au rang de cadets, s’étaient vus conférer des terres pour les occuper entre deux campagnes militaires. Elles s’étaient plu à lui rappeler qu’à la suite de ce premier seigneur de La Fayette, ses descendants avaient tous été des guerriers fiers de se battre pour l’honneur et la gloire de la France et de son Église catholique romaine. La lignée comptait maints autres personnages illustres. L’un d’eux était parti défendre les lieux saints chrétiens d’Orient aux côtés du roi Philippe-Auguste, au xiiie siècle. Un autre se battit, au siècle suivant, contre le prince Noir d’Angleterre à Poitiers. D’après le récit de ses tantes, le plus héroïque de tous était peut-être malgré tout ce maréchal de France qui affronta les Anglais aux côtés de Jeanne d’Arc, à Orléans, pendant la guerre de Cent Ans.

    Le père de Gilbert était lui aussi un ardent chevalier. L’enjeu même de son mariage avec Marie Louise Julie de la Rivière n’avait-il pas été l’octroi d’un brevet d’officier des Grenadiers de France ? Le destin, cependant, ne lui avait pas souri. Héritier du titre de marquis de La Fayette à la mort de son frère aîné Jacques Roch, il n’avait eu que le temps d’épouser Mademoiselle de la Rivière et de lui donner deux fils avant de périr à la guerre de Sept Ans, à la veille de ses vingt-six ans. Depuis, l’avenir du lignage et du titre de marquis, dont la branche cadette de la famille avait hérité de l’aînée, reposait sur les épaules du garçonnet.

    À Chavaniac, la grand-mère de Gilbert était l’unique descendante et héritière des Suat. Elle restait la maîtresse des lieux puisque son mari, l’officier de la compagnie de Dragons Édouard Motier de La Fayette était décédé en 1740, après avoir été blessé au siège de Mons puis à la bataille de Spire, et que ses deux fils étaient morts. Si la famille vivait chichement sur ses terres, ses membres débordaient d’une tendresse dont l’enfant était le premier à bénéficier. Au sein de sa seigneurie, Madame de Chavaniac était reconnue comme une femme bonne. L’affection qu’elle avait transmise à ses enfants se reflétait à l’étroitesse de leurs liens. Avant son mariage, Michel avait écrit à ses sœurs pour leur annoncer qu’il était tombé amoureux de sa future épouse « autant pour son visage plaisant que pour son esprit ». Celle-ci appréciait elle aussi ses belles-sœurs avec qui elle avait organisé des mascarades à Brioude. Après son départ pour Paris, les dames de Chavaniac avaient encore plus reporté leur affection sur l’unique descendant mâle de leur lignage, s’attachant à l’élever dans l’esprit des La Fayette afin que la survie de leur race et de leur sang fût assurée. Pour elles, c’était un devoir sacré.

    Quand l’enfant atteignit l’âge de cinq ans, Madame de Chavaniac recruta un brillant précepteur jésuite pour commencer à l’instruire mais, l’ordre religieux étant bientôt interdit en France, l’abbé Fayon lui succéda auprès de l’enfant. Bien que ce dernier n’obtînt jamais la même considération que son prédécesseur en matière de pédagogie, un attachement profond le lia à la famille toute sa vie. Le religieux apprit au petit garçon les bases de la langue et du calcul, de l’histoire et du latin. Au cours de ses leçons, il ne manqua pas de lui conter la célèbre légende du chef gaulois Vercingétorix qui s’était battu en – 52 contre Jules César à Gergovie, non loin des terres ancestrales des La Fayette.

    Les parentes de l’enfant ne s’étaient pas contentées de lui transmettre les exploits légendaires des membres de la famille. La ville de Brioude était située à mi-chemin entre Clermont-Ferrand, la capitale de l’Auvergne, et le Puy en Velay, haut-lieu de la tradition poétique en langue d’Oc depuis le Moyen Âge. L’académie de Saint-Mayol y accueillait alors des étudiants venus de toute l’Occitanie pour étudier la tradition provençale de l’amour courtois. Cet art littéraire était contemporain de l’avènement de la chevalerie. En participant aux croisades, les combattants à cheval étaient devenus l’élite de l’armée. L’Église elle-même avait soutenu cet élan culturel conférant plus de raffinement et de spiritualité à ses chevaliers. Après son concile de Clermont où il avait appelé, en 1095, toute la chrétienté à prendre les armes pour défendre Constantinople et l’empire romain d’Orient, le pape Urbain II avait précisément choisi l’évêque du Puy, Adhémar de Montheil, pour mener cette guerre sainte à laquelle avait participé le premier Gilbert Motier de La Fayette.

    Privés de la succession des terres familiales, ces chevaliers avaient reçu en apanage l’expression du sentiment amoureux. Ils en vinrent à honorer leur Dame d’un amour sublimé, décliné sous forme de vers enflammés, afin de se dépasser au combat. Dans les cours seigneuriales, les troubadours − eux-mêmes des chevaliers-lettrés −, véhiculaient cet idéal courtois à travers les chansons de geste. Celle du comte Roland, sonnant l’olifant à Roncevaux, fut la première à être contée, mais d’autres, comme Perceval le Gallois ou Arthur et les chevaliers de la Table Ronde, furent bientôt déclamées ou chantées de château en château. Au xiie siècle, la fin amor était devenue une tradition très populaire à la cour d’Aliénor d’Aquitaine, aussi bien à Londres qu’à Poitiers ou Limoges.

    Progressivement, l’amour courtois amena les chevaliers à incarner des valeurs spirituelles comme l’audace, le sens de l’honneur, le respect de l’engagement personnel mais aussi la largesse, la prouesse et le raffinement.

    Le jeune La Fayette baigna dans cette tradition tout au long de son enfance. De Madeleine ou de Charlotte, on ne sait de qui il appréciait le plus les histoires mais, à force de les entendre raconter, il devint aussi familier des exploits ­d’Arthur ou de Perceval que de ceux de ses ancêtres.

    Son environnement familial était aussi teinté d’une forte spiritualité car, avant d’être un lieu culturel important, la cité du Puy s’était imposée comme un centre religieux dès l’époque gallo-romaine. On y venait en pèlerinage prier la vierge noire.

    Façonné par cet univers chevaleresque, Gilbert se voyait déjà, à l’âge de huit ans, sur un champ de bataille. Au moment où surgit la monstrueuse bête du Gévaudan, semant la terreur dans toute la région, il constitua une petite troupe pour aller la tuer. En fin de compte, ce n’était qu’un loup mais, lorsqu’il fut abattu par un chasseur, l’enfant protesta auprès de sa grand-mère : « Je suis le seigneur de ce village, c’est à moi de le défendre ! » Ces dames de Chavaniac pouvaient être fières d’elles : le successeur de leur lignage était déjà un ­guerrier dans l’âme.

    2

    L’entrée dans l’âge d’homme

    L’enfance idyllique du marquis en Auvergne prit fin lorsque sa mère le fit venir près d’elle et de son grand-père maternel à Paris. Le marquis de la Rivière, dont il était l’unique héritier, était déterminé à le faire accéder aux plus hauts rangs de la cour. À onze ans, Gilbert fit donc sa rentrée d’automne au Collège du Plessis, une école privée réservée aux jeunes aristocrates, où son aïeul l’avait fait inscrire. Pendant quatre années, il s’y distingua en latin et dans l’art de la rhétorique. Finalement, les leçons de l’abbé Fayon n’avaient pas été si mauvaises…

    Au cours des deux premières années, Gilbert s’illustra aussi par sa dévotion qu’il perdit tout aussi vite. Son entourage s’interrogea sur l’évanouissement subit de sa foi. Le marquis était arrivé à Paris pétri par la tradition poétique et religieuse de son environnement natal. Sa mère, ayant grandi dans un couvent, était aussi très croyante. Après la mort de son époux, elle avait d’ailleurs préféré se replier sur sa piété plutôt que de fréquenter la cour, en vue d’un second mariage. La souffrance du déracinement de son pays natal, son arrachement à sa famille paternelle avaient conduit Gilbert à se raccrocher à la religion. Sa foi, constituant un ancrage entre sa mère et lui, avait aussi été pour lui un moyen de s’adapter à sa nouvelle vie parisienne. Mais le décès inattendu de cette dernière et celui, trois semaines plus tard, de son grand-père maternel, l’en avaient détourné. À douze ans et demi, en ce mois d’avril 1770, le jeune homme, à peine pubère, se retrouvait définitivement orphelin. Après de telles pertes affectives, comment aurait-il pu encore continuer à croire en un Dieu protecteur face à tant d’injustice ? Au collège du Plessis, il organisa d’ailleurs une protestation collective des élèves pour défendre l’un de ses camarades qui avait été puni à tort. C’était là son premier acte de rébellion.

    Fort heureusement, son entrée, quelques mois plus tard, dans la deuxième compagnie des Mousquetaires − une école d’apprentissage de l’art militaire que son aïeul de La Rivière avait autrefois commandée et où il l’avait fait inscrire avant sa disparition −, lui rendit bientôt son enthousiasme. Un jour, Gilbert fut appelé à passer la revue devant le roi. Revêtu de son uniforme, il se rendit à cheval à Versailles et, lorsqu’il se présenta devant le monarque, celui-ci lui répondit simplement qu’il n’y avait « rien à l’ordre ». Le cavalier s’en revint alors sur ses pas pour rendre compte du message royal à son commandant. Cette expérience l’avait tellement fasciné qu’il ne pensait plus qu’à devenir chevalier. Privé de toute présence affective depuis la mort des siens, quel autre espoir lui restait-il ?

    Son statut d’orphelin s’accompagna pourtant d’une stupéfiante révélation : le marquis se retrouvait à la tête d’une fortune colossale. Son grand-père de La Rivière qui, de son vivant, avait vécu avec une grande économie, lui léguait d’immenses domaines en Bretagne et en Touraine, ainsi qu’une rente annuelle de cent vingt mille livres. Une telle richesse ne pouvait manquer d’attiser les convoitises.

    Le premier à s’intéresser au statut d’orphelin de La Fayette fut le duc d’Ayen, futur cinquième duc de Noailles et marquis de Maintenon. Jean Louis Paul François de Noailles était le brigadier-général des armées du roi. Sa famille tirait ses racines du fief de Noailles, dans le Limousin, et faisait partie des plus anciennes et des plus prestigieuses de France. Parmi ses ancêtres, elle comptait aussi un chevalier ayant participé à la première croisade. La lignée se flattait en outre d’avoir dans son ascendance un cardinal, plusieurs évêques, quatre maréchaux de France, des amiraux, des diplomates et des membres du gouvernement.

    En 1755, le duc d’Ayen avait épousé Henriette ­d’Aguesseau, une jeune femme appartenant à une lignée tout aussi puissante, quoiqu’issue de la noblesse de robe. Après avoir acquis des terres à Matha et à Rabaine, dans l’île d’Oléron, en ­Saintonge, elle avait été anoblie en 1594. L’un des ancêtres de la famille, Antoine d’Aguesseau, avait été le premier président du Parlement de Bordeaux, en 1631 et son petit-fils, Henri François d’Aguesseau, chancelier de France, entre 1717 et 1750.

    M. et Mme d’Ayen avaient eu dix enfants : huit filles, dont cinq seulement parvinrent à l’âge adulte, et deux garçons, qui vécurent peu de temps. Le duc n’avait donc point d’héritier mâle pour relever son nom. Aussi nourrit-il le projet de marier sa fille aînée, Louise, à son cousin germain Louis de Noailles qu’elle aimait depuis son enfance. Cette première union lui permettait en outre de prolonger son patronyme. Quant à sa cadette, Marie Adrienne (appelée Adrienne en famille), il lui destinait le riche héritier de La Fayette.

    Le duc avait formé ces deux projets d’alliance un an à peine après la mort de son dernier fils, Louis Gabriel. Adrienne n’avait alors que douze ans et Gilbert quatorze. Au départ, son épouse la duchesse s’y était opposée car sa fille cadette n’avait pas encore accompli sa communion. Cette année-là, précisément, Adrienne doutait de sa foi. La mort de son petit-frère, au moment où elle accédait à la puberté, lui était difficile à surmonter. Elle n’accomplirait finalement ses vœux qu’un an après son mariage.

    Madame d’Ayen finit par céder à la volonté de son époux mais seulement après avoir obtenu que ces unions fussent repoussées le plus longtemps possible. La chance voulut que, lorsque Gilbert fut présenté à Adrienne, elle lui trouva un charme irrésistible dans son uniforme de Mousquetaire noir. Le jeune homme, encore en pleine croissance, était très longiligne. Sous sa perruque poudrée, il laissait apparaître un fin minois, avec des yeux vifs et intelligents. En février 1773, le marquis, âgé de quinze ans et demi, vint habiter parmi les Noailles mais son mariage avec Adrienne ne serait célébré que l’année suivante, le 11 avril 1774.

    Entre temps, il rejoignit l’École royale d’Équitation de Versailles pour parfaire son éducation militaire. Parmi ses nouveaux compagnons de jeux figuraient les trois petits-fils du roi Louis XV : le comte d’Artois et ses deux frères aînés, le comte de Provence et le Dauphin, autrement dit le futur Louis XVI. Les Bourbons étaient proches des Noailles. Le vicomte de Noailles (le beau-frère de La Fayette), comme le comte de Ségur (son futur oncle par alliance qui devait épouser la jeune sœur de Madame d’Aguesseau) faisaient partie de leur environnement proche. La sœur du duc d’Ayen la duchesse de Mouchy, surnommée « Madame l’Étiquette », dirigeait avec autoritarisme la maison de la reine. Le fils aîné du maréchal de Mouchy, le prince de Poix, commandait le régiment de Noailles. Par son mariage, Gilbert pénétrait donc dans le cercle étroit de la monarchie.

    Peu avant les noces, M. et Mme d’Ayen introduisirent leur futur gendre auprès de la cour. En raison des hautes origines respectives des époux, le roi avait un droit de regard sur l’alliance entre les deux familles. Et sa maîtresse, la Pompadour, son mot à dire ! Louis XV fut le premier à signer leur contrat de mariage. Ses trois petits-fils l’imitèrent. Avec la bénédiction des Bourbons, Adrienne et Gilbert furent donc unis dans l’intimité de la chapelle familiale de l’hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, à Paris. En cadeau de noces, son beau-père lui offrit le rang de capitaine et le commandement d’une compagnie au sein du Régiment des Dragons de Noailles, qu’il serait autorisé à prendre pour son dix-huitième anniversaire. Après la cérémonie religieuse, tout ce que la France comptait d’illustres noms à la cour partagea le repas gargantuesque de leurs épousailles.

    Quelques jours plus tard, Lafayette et son beau-frère et futur ami Noailles chevauchaient en direction de la garnison de Metz où les ducs les avaient envoyés passer l’été afin de les écarter de leurs jeunes épouses. Pourtant, ce que la duchesse d’Ayen avait le plus redouté était arrivé : dans sa première lettre à Gilbert, le 26 mai 1774, Adrienne lui apprit qu’elle était enceinte. Elle n’avait que quatorze ans et demi et lui pas encore dix-sept. Le marquis accueillit malgré tout cette promesse de paternité avec grande joie. « Comment pouvez-vous me demander si votre grossesse me fait plaisir ? » lui répondit-il. À Chavaniac, il avait été élevé dans un bain de tendresse. Quoi de plus naturel alors pour lui que de se réjouir de l’annonce de cette vie à venir ! « Je vous jure que ma joie a été plus vive que je ne l’aurais cru », commentait-il avec vivacité. L’annonce de cette grossesse le faisait réfléchir à sa fonction d’époux et de père. « C’est un bien commun, mon cher cœur. Notre façon de penser doit l’être ainsi que notre sentiment. »

    L’accident de maternité d’Adrienne se produisit pendant son absence. À la fin de l’été, le marquis était rentré à l’hôtel de Noailles avant de repartir avec l’abbé Fayon revoir ses tantes à Chavaniac où il séjournait encore le 6 novembre 1774. Pendant ce temps, Madame d’Ayen veillait sur sa fille. Pour la distraire de son premier grand chagrin de mère, elle se mit en tête de conduire chaque semaine les deux couples de ses enfants mariés au bal de la reine, puis de recevoir leurs amis à souper. Sous son chaperonnage, ils commencèrent aussi à fréquenter le théâtre et l’opéra.

    Au fil de leurs soirées à Versailles, les Noailles, Ségur et Lafayette vinrent à former, avec d’autres aristocrates de leur génération, une bande qui prit l’habitude de se réunir au cabaret de l’Épée de Bois, dans un faubourg de Paris. Les frères du roi, Artois et Provence, et le duc de Chartres participaient à ces assemblées. La reine Marie-Antoinette s’y risquait aussi, parfois, en cachette.

    Au cours de ces soirées, on discutait des idées des ­philosophes des Lumières français : Diderot et Rousseau, ­Montesquieu ou Voltaire. À Chavaniac puis au Plessis, La Fayette s’était familiarisé avec les auteurs de l’Antiquité gréco-latine. Il apprenait désormais à connaître la pensée de ses contemporains. La discussion était souvent animée. Depuis la défaite de la France à la guerre de Sept Ans, en 1763, la jeunesse aristocratique, désabusée, critiquait sans cesse le pouvoir royal. Le marquis de La Fayette vivait mal les sarcasmes de son entourage.

    Un autre incident allait définitivement creuser le fossé entre ces gentilshommes habitués de la cour et lui. Alors qu’il dansait le quadrille avec la reine Marie-Antoinette, un soir, il lui marcha sur les pieds. La reine se moqua de sa maladresse en public. Bien qu’il fût grand et large d’épaules, il manquait d’allure vis-à-vis des autres courtisans, passant même, à leurs yeux, pour gauche et empoté. Gilbert se sentit si humilié par la risée dont il fit l’objet qu’il n’eût, dès lors, plus qu’une envie : restaurer son honneur bafoué en révélant le feu sacré qui couvait sous son apparence de provincial mal dégrossi.

    Certes, il continua, un temps, à se plier aux rites de sa nouvelle vie. Au sein de la bande de l’Épée de Bois, des liaisons amoureuses s’étaient nouées, sous les yeux attristés des filles de la duchesse d’Ayen qui détestaient ces trahisons dont leur mère, avant elles, avait souffert. Le vicomte de Noailles était lui-même un grand séducteur. Il savait se montrer gracieux, éloquent, spirituel, et admirable danseur. ­Gilbert, le prenant pour modèle, tenta de conquérir la comtesse Aglaé d’­Hunolstein. Attachée à la maison de la duchesse de Chartres, elle était la maîtresse attitrée du duc, son époux. De quelle distinction pouvait alors se prévaloir le marquis pour rivaliser avec lui ? Il en irait bien autrement à son retour d’Amérique ! Dans l’ombre, cependant, Adrienne vivait sa première blessure d’épouse délaissée pour une rivale…

    Dans ce monde qui lui était étranger, Gilbert allait de déception en déception. Il sentait bien qu’il n’était pas fait pour cette vie-là mais, en l’absence d’alternative, il ne pouvait que se soumettre aux exigences de sa belle-famille. Le duc d’Ayen remuait d’ailleurs ciel et terre pour lui obtenir une place d’honneur dans la maison de Monsieur, le comte de Provence. Le jeune homme, qui n’en voulait à aucun prix, utilisa la première occasion venue pour faire échouer le plan de son beau-père. Un soir de bal masqué, il reconnut le frère du roi sous un domino vert. Comme ce dernier s’était vanté, peu de temps auparavant, de la qualité de sa mémoire, le marquis saisit cette opportunité pour lui jeter à la figure : « Tout le monde sait que la mémoire tient lieu d’esprit aux sots. » Aux oubliettes, le projet du duc d’Ayen ! Furieux, celui-ci renvoya son gendre en garnison à Metz. Mais ce qu’il ne pouvait prévoir était que cet exil, loin de punir son gendre de son effronterie comment il l’avait escompté, allait s’avérer, au contraire, pour La Fayette la chance de sa vie.

    3

    Une cause à défendre

    Depuis son premier séjour à la caserne, la vie à Metz avait changé. Le règlement interne ne permettant plus aux soldats de batifoler en ville, leur existence était devenue morne et routinière. Ils n’avaient plus guère que leurs souvenirs de la guerre de Sept Ans à évoquer, non sans nostalgie. La défaite de la France continuait de les hanter. Le traité de Paris du 10 février 1763 avait contraint le pays à abandonner l’essentiel de ses possessions d’Amérique du Nord à l’Angleterre. Depuis le début de la Révolution américaine, de nombreux officiers rêvaient de s’engager aux côtés des insurgents pour se venger de l’humiliation que les Britanniques leur avaient infligée. Le commandant en chef de la caserne, le comte Charles François de Broglie s’efforçait d’élever le moral de ses troupes en organisant des débats au sein de la loge maçonnique dont il était le grand-maître. Lafayette, Noailles et Ségur s’y rendaient ­toujours.

    Ces soirées permirent à Gilbert de se familiariser avec l’histoire de la franc-maçonnerie. L’ordre était né en Écosse, avec l’arrivée de maçons d’Italie, à la Renaissance. Il

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