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La duchesse du Maine: Reine de Sceaux et conspiratrice (1676-1753)
La duchesse du Maine: Reine de Sceaux et conspiratrice (1676-1753)
La duchesse du Maine: Reine de Sceaux et conspiratrice (1676-1753)
Livre électronique1 106 pages8 heures

La duchesse du Maine: Reine de Sceaux et conspiratrice (1676-1753)

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À propos de ce livre électronique

À peine Louis XIV conduit à sa dernière demeure débutait une guerre féroce pour la succession au trône. Le duc du Maine, fils bâtard mais préféré, crut son heure arrivée. Mais le testament fut cassé, et le duc d'Orléans prit la Régence. Outragée, la duchesse du Maine, vrai "démon femelle" selon les contemporains, sonna la charge. Récit d'un épisode trouble de notre histoire, portrait d'une personnalité scandaleusement hors du commun. (Édition annotée)
LangueFrançais
Date de sortie28 nov. 2019
ISBN9782491445034
La duchesse du Maine: Reine de Sceaux et conspiratrice (1676-1753)
Auteur

Léonce de Piépape

Léonce de Piépape (Langres, 1840 - Piépape, 1925) Sorti de St-Cyr en 1860, il participa à la campagne d'Algérie. Blessé et fait prisonnier à Sedan en 1870, il commença à rédiger une histoire de la Franche-Comté, prix de l'Académie française en 1881. Général de brigade en 1899, il termina sa carrière en tant que gouverneur militaire de Dijon. Passionné d'histoire, il accorda aux recherches historiques de plus en plus d'importance, et nous laissa une oeuvre peu abondance, mais toujours appuyée sur un sérieux travail de recherche.

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    Aperçu du livre

    La duchesse du Maine - Léonce de Piépape

    Notes

    Préface

    S’il est beau de dominer son temps par l’illustration de la naissance et la supériorité de l’esprit, il est dangereux, non moins que coupable, pour les grands de ce monde, de pactiser avec les ennemis de l’État. Ce redoutable exemple, trop souvent donné par les Condé et en particulier par les dames de la Fronde, au dix-septième siècle, la duchesse du Maine, une personnalité plus curieuse que sympathique, le voulut suivre au dix-huitième. L’histoire est loin de nous la représenter comme une princesse aussi séduisante que sa grand-tante Mme de Longueville. Par plus d’un trait cependant, elle s’en rapproche. Née comme elle assez près du trône, aventurière comme elle, ayant eu aussi un jour la prétention de faire échec au pouvoir, elle ne put longtemps soutenir un personnage si téméraire, bien qu’elle eût fait preuve de caractère, non moins que la sœur du grand Condé. Elle ne guerroya pas comme elle. Elle se contenta de conspirer dans l’ombre, et d’aller ensuite en prison. En politique, elle commit les mêmes fautes et encourut les mêmes disgrâces que sa devancière. Pour consolation, Mme de Longueville eut sa beauté, Mme du Maine eut son esprit. Sans se laisser aller à d’aussi grandes faiblesses de cœur, elle pratiqua un autre genre d’amour, la galanterie littéraire. – Avec un certain nombre de qualités brillantes et beaucoup d’erreurs de jugement, avec la fierté d’une princesse, l’éclat d’un bel esprit et l’égoïsme d’une mondaine, elle a tenu dans la haute société et les agitations de son temps une double place intellectuelle et politique. Reine de Sceaux, instigatrice de la conspiration de Cellamare : à ce double titre, elle a droit d’intéresser l’histoire.

    À l’entrée de ce dix-huitième siècle qui eut le culte de la femme, comme celui de Périclès, comme celui de Léon X, l’existence princière que menait cette fée singulière et fantasque paraît aussi étrange aujourd’hui que son époque est différente de la nôtre. On croit rêver à en suivre les capricieuses allures. Sainte-Beuve l’a comparée à un conte des Mille et une Nuits¹ et Mme Arvède Barine, de regrettable mémoire, en a donné plus récemment un spirituel et mordant crayon.² Elle nous apparaît, dans son cadre tout spécial, comme une des dernières efflorescences du règne de Louis XIV, de l’absolutisme des grands, de ceux dont La Bruyère, devançant l’esprit moderne, a dit qu’ils négligeaient de rien connaître aux affaires publiques, comme à leurs vrais intérêts. Tandis que de nouveaux esprits, réfléchissant dans l’ombre et perçant les voiles de l’avenir, étaient déjà penchés sur la société future, prêts à lui sacrifier les préjugés séculaires, la duchesse du Maine, au contraire, était tellement imbue de ces préjugés, que pour elle, la France, c’était la cour de Sceaux. Entourée des idées, des personnages et des évènements de son temps, la vie de cette princesse porte avec elle ses enseignements, en dehors de l’attrait que présente toujours l’étude des mœurs d’une époque. Mme du Maine montre dans sa société le vertige, l’inconscience des sommités de la noblesse française, la frivolité des beaux esprits à la mode. Déjà son rôle politique d’un jour fait appel aux passions révolutionnaires qui couvent sous la cendre dans le peuple français. Son salon marque une étape entre ceux de la Cour du Grand Roi et ceux des philosophes. Il précède et annonce les cercles littéraires de Mme de Tencin, de Mme Geoffrin, de Mme du Deffand, de Mme de Boufflers, de Mlle de Lespinasse, de la princesse de Conti. Ce cénacle est un souvenir de l’hôtel de Rambouillet, comme la conspiration de Cellamare est une réminiscence de la Fronde.

    Château de Piépape, par Villegusien (Haute-Marne)

    I. – Enfance et mariage de la duchesse du Maine (1676-1692)

    Naissance de Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé (8 novembre 1676). – Son père, M. le prince Henri-Jules. – Sa mère, Anne de Bavière. – Nature et éducation de Mlle de Charolais. – Sa précocité. – Idée de mariage pour elle avec le comte de Vermandois. – Le duc du Maine. – Son éducation par Mme de Maintenon. – Ses aptitudes. – Ses charges. – Ses premières campagnes (1688-1690). – Son peu de talents militaires. – Ses vertus. – Son esprit littéraire. – Son mariage avec Mlle de Charolais (19 mars 1692). – Portraits de la duchesse du Maine.

    De son mariage avec Claire-Clémence de Maillé-Brézé, le grand Condé avait eu un fils unique. Les malveillants l’appelaient « M. le Prince tout court », pour le distinguer de « M. le Prince le héros » dont sa taille n’approchait guère, ni au moral ni au physique, tandis que les comptes de sa maison, religieusement conservés aux manuscrits de la Bibliothèque nationale,³ le désignaient pompeusement par cette accumulation de titres :

    « Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, prince du sang, pair, grand-maître de France, fils de Louis II et dit M. le Prince le héros, duc d’Enghien et de Châteauroux, gouverneur et lieutenant-général pour le Roi, de ses provinces de Bourgogne et de Bresse, demeurant en son hôtel rue Saint-Laurent, paroisse Saint-Sulpice. »

    L’hôtel de Condé était une vaste construction entourée d’un jardin de médiocre étendue, et élevée au seizième siècle par les Gondi. Il avait été peu habité par le grand Condé. C’est de cette demeure qu’était partie l’infortunée princesse Claire-Clémence, envoyée en exil par son inflexible époux. Là naquit, le 8 novembre 1676, Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, dite Mlle de Charolais, la future duchesse du Maine.⁴ C’était le huitième enfant et la troisième fille de M. le prince Henri-Jules et d’Anne de Bavière.

    Bien que l’ensemble de sa personne se sentît d’une illustre origine, qu’il fût « noble dans ses goûts, magnifique dans ses libéralités », disent les contemporains, M. le Prince d’alors n’en était pas moins, par sa nature physique et morale, un triste héritier du grand Condé : gros, court, ramassé sur lui-même, avec des traits assez communs. Rien ne rappelait chez lui les belles proportions, l’allure dégagée et le grand air martial de son père. Ce défaut de stature pouvait provenir de la femme de Condé, car « Claire-Clémence était très petite, avec un visage insignifiant, enfantine de corps et d’esprit ».⁵ Cette nature amoindrie se retrouvera en partie chez sa petite-fille, Mlle de Charolais, l’héroïne de ce récit. Les portraits de Chantilly et de Versailles ne nous révèlent rien de la difformité du corps de M. le prince Henri-Jules, qui était presque celui d’un avorton. Agile, bizarre,⁶ spirituel, ambitieux, brave, mais sans talents militaires, il passait pour un plat courtisan. On citait son savoir, sa politesse raffinée, l’ingéniosité de son esprit. Il gardait l’orgueil de sa race et le culte d’un père à qui il avait sauvé la vie sur le champ de bataille de Senef.⁷ Galant avec les dames, il n’était pas exempt d’aventures féminines. C’est à lui qu’une petite bourgeoise, sage et spirituelle, qu’il pressait un peu trop vivement de capituler, répondit avec une révérence : « Monseigneur, Votre Altesse a la bonté d’être trop insolente. »

    Dès la mort du héros, en 1686, son ambition fut travaillée par la manie des grandes entrées, puéril honneur auquel il rêvait jour et nuit. Devenu, en vieillissant, un vrai tyran domestique, il contracta une longue maladie nerveuse et finit par se livrer à des excentricités voisines de la folie. À la Cour, ses manies faisaient la joie de l’entourage du Roi. L’un de ses aïeux se croyait oiseau et montrait ses ailes. Lui, au déclin de sa vie, dans ses accès de plus en plus fréquents, se mettait à aboyer tout à coup comme un chien, en présence des courtisans ahuris ou se tenant les côtes. Nous verrons plus tard quelle fut sa fin lamentable.

    Tout autre apparaît dans l’histoire sa femme, Anne de Bavière,⁸ seconde fille d’Édouard, comte palatin du Rhin, de la branche électorale, et d’Anne de Gonzague de Clèves. Henri-Jules l’avait épousée en 1663, et Saint-Simon l’a ridiculisée en la caricaturant, parce qu’elle était « laide et un peu bossue. » Sous ses teintes effacées, qui ont laissé sa personne dans une ombre modeste, en nous la rendant plus difficile à saisir, elle eut une belle âme d’épouse et de mère de famille. Malgré les infidélités nombreuses d’Henri-Jules, elle lui donna dix enfants, dont quelques-uns moururent en bas âge. Cette créature sans défense fut constamment victimée dans son ménage. Caractère faible, nature timide, douée de plus de jugement que d’esprit, de plus de vertus que de charmes, elle ressemblait à l’une de ces plantes fragiles qui sont perpétuellement fouettées par l’orage. Mme la Princesse, comme on l’appela jusqu’à sa mort, joua toujours un rôle secondaire, quoique bienfaisant, dans la maison de Condé, où elle ne fut guère mieux traitée que sa belle-mère, Claire-Clémence. Les mauvais ménages y semblaient de tradition, et il en sera de même, hélas ! jusqu’à la fin de la race.

    Si malmenée qu’elle fût,⁹ Anne de Bavière¹⁰ ne se vit pas cependant enfermer comme la femme du grand Condé. Ses prisons, d’où elle ne sortait guère et où elle vivait côte à côte avec son despotique époux, c’étaient Chantilly et l’hôtel de Condé. De cette union mal assortie, il ne survécut qu’un seul fils, l’héritier du nom, Louis III de Bourbon-Condé. Au milieu de toutes ses grossesses, la mère s’occupait exclusivement de l’éducation de ses filles, qui l’absorbaient et en faisaient une Cendrillon au foyer domestique. Comme frappés d’un fatal amoindrissement physique, les rejetons qui ne furent pas fauchés par la mort ne grandirent que pour atteindre une taille fort au-dessous de la moyenne. Chaque fois qu’il avait à le constater, le grand Condé, l’aïeul, qui tenait tant à l’avenir de son nom, s’en désespérait. « Si ma race diminue toujours ainsi, s’écriait-il, elle viendra à rien ! »

    Ce n’était pas l’unique déboire de la mère de famille. Comment asseoir ces jeunes cœurs, ces jeunes intelligences, comment les développer sainement, à côté de ce père violent et singulier, dont les lubies venaient sans cesse contrecarrer la tâche maternelle ? « Les filles non mariées, dit Saint-Simon, regrettaient la qualité des esclaves. » De sa nombreuse progéniture il ne s’occupait guère que dans un esprit de tracasserie pour la mère. Son ambition l’aveuglait et l’emportait sur tout le reste. Ce prince courtisan ne rêvait que de se rapprocher encore des marches du trône. Dès le bas âge de ses enfants, il était déjà possédé de l’idée de les marier un jour dans la maison royale, fût-ce de la main gauche. Il en aura deux ainsi établis : son fils unique et l’une de ses filles.

    Les détails manquent sur l’enfance de Mlle de Charolais qui se passa, sans autres incidents que les bourrasques paternelles, à Chantilly et à l’hôtel de Condé, quelquefois aussi à Versailles. Elle avait dix ans à la mort de son illustre aïeul et n’a guère pu le connaître que par l’éclat de sa renommée. Peut-être sa jeune imagination avait-elle été déjà frappée du grand air et de la fougue du vieillard infirme, quoique toujours si vivant  ; car son souvenir marquera plus tard sur la vie de la duchesse du Maine une ineffaçable empreinte. Anne-Louise-Bénédicte reçut de bonne heure, par les soins maternels, une direction et une instruction très soignées, comme celles de ses sœurs  ; elle les surpassait, sinon par les dons du cœur, du moins par l’intelligence et l’ardeur pour l’étude. Dès l’âge de quatorze à quinze ans, elle se montrait apte aux conceptions les plus variées ; elle avait la mémoire fidèle, l’esprit ouvert, quoique déjà indépendant, irascible et dominateur. Plus d’un trait de caractère la rapprochait de ce qu’avait été Condé dans la vie familiale. Mêmes saillies, mêmes éclairs d’esprit, mêmes étincelles de génie, aussi même violence, même hauteur, même dérèglement d’imagination. Cette femme ne fut pas le seul membre de la lignée à perpétuer les défauts et les qualités de la race des Condé. Leur côté despotique les frappait tous d’un grain de folie. Louis III, le frère de Mlle de Charolais, en tenait comme son père Henri-Jules.

    Quant au grand Condé lui-même, la Fronde n’avait-elle pas été sa folie ? S’il en était revenu, n’était-ce pas de loin ? Louise-Bénédicte avait pris davantage à la nature de son père qu’à celle de la placide Allemande Anne de Bavière, cette mère dont la tendresse ne cessera de l’entourer. L’enfant ressemblait à une poupée blonde aux yeux d’émail, avec une taille minuscule, une figure plus séduisante par la physionomie vive et expressive que par la régularité des traits ; le regard perçant, la bouche malicieuse. Bien qu’elle fût un peu estropiée du bras droit, depuis sa naissance, suite des écrouelles, au dire malveillant de la Palatine,¹¹ toute sa mignonne personne était pétrie de grâce.¹² Au moral, inégale dans son humeur, dédaigneuse dans ses manières, sans respect pour son père, sans ménagements pour ses sœurs, sans contrainte devant ceux qui auraient dû lui inspirer de la réserve, même vis-à-vis du Roi, c’était au résumé une enfant gâtée indomptable et insupportable, quoique remarquablement douée, et très précoce. « Elle suit, écrivait le marquis de Lassay,¹³ ses goûts qui sont vifs et légers, sans connaître ni devoirs ni bienséance et sans jamais être en peine de ce qui peut arriver. » De bonne heure elle s’était exercée à la malice. Un soir, au souper du Roi, le jour du mariage de son frère, ne s’était-elle pas permis d’éclater de rire, avec deux autres espiègles petites filles, Mlle de Conti et Mlle de Blois, en entendant tousser à côté d’elle la vieille et quinteuse Mlle de Montpensier ? La Grande Mademoiselle était, on le sait, fort susceptible. Une telle inconvenance appelait sa rancune. Elle ne manqua pas désormais de tenir rigueur à sa cousine et la prit en grippe, malgré la haute intervention de Sa Majesté elle-même.

    À quinze ans, âge pour lequel on la trouvait fort avancée, Louise-Bénédicte poursuivit sa double instruction littéraire et scientifique à l’aide des deux précepteurs de son frère M. le Duc, Sauveur et La Bruyère. C’est à l’illustre auteur des Caractères que la petite princesse dut en partie sa facilité pour l’étude des belles-lettres et sa fertilité d’esprit. Que ne lui a-t-il laissé aussi cette sûreté de jugement dont un cerveau philosophique a le secret ? Elle était née trop frivole pour beaucoup réfléchir. Elle se contentait de dévorer ses auteurs, sans en peser la substance. Elle acquit ainsi rapidement une science qui ressemblait à une encyclopédie, mais qui était aussi très superficielle. Cela lui permettra du moins d’effleurer tous les sujets et de goûter tous les genres de littérature. N’est-ce pas suffisant pour une femme, et même pour une princesse, qui se pique de devenir savante et bel esprit ?

    Quand elle atteignit sa sixième année, Henri-Jules eut une idée fixe : lui faire faire un mariage pareil à celui de son frère, M. le Duc,¹⁴ qui avait épousé Mlle de Nantes, la bâtarde du Roi et de Mme de Montespan. Déjà, la fille aînée, Mlle de Bourbon, avait contracté une brillante union avec son cousin Francois-Louis de Conti, prince de la Roche-sur-Yon. Mlle de Condé, la cadette, en raison de sa taille ridiculement petite comme celle de son père, ne semblait guère mariable. Elle jalousait Mlle de Charolais qui venait ensuite et qui avait de plus qu’elle un pouce de taille. C’est à ce mince avantage physique qu’est due la destinée de la duchesse du Maine.

    Bien avant qu’elle ne fût nubile, son père, par pure ambition personnelle, l’avait promise au comte de Vermandois, fils naturel de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, prince légitimé, amiral de France. La mort de ce prétendant, survenue en 1686,¹⁵ avait empêché la réalisation d’un projet aussi prématuré  ; et, pendant six ans, il ne fut plus question d’aucun autre parti. Enfin, en 1692, Mme de Maintenon poussa le duc du Maine à briguer la main d’une des deux Condé demeurées filles, les premières princesses du sang après leur aînée, Mme de Conti : celles que Mme la Duchesse,¹⁶ jalouse de ses cousines, appelait malicieusement « les poupées du sang ». Le choix entre les deux était difficile encore  ; car, au physique leur formation se faisait attendre, et ni l’une ni l’autre ne grandissait.¹⁷ On ne demandait pas leur avis d’ailleurs. Les jeunes princesses du temps étaient des victimes parées pour l’autel.

    Le duc du Maine, qui nous apparaîtra bientôt comme le repoussoir de sa femme, a joué dans la vie de la duchesse un rôle en quelque sorte négatif. Mais il a été mêlé de trop près aux évènements de cette vie pour qu’il ne soit pas utile de faire de ce personnage sacrifié une étude préliminaire, en remontant à son enfance et à son origine, celle d’un bâtard de roi. Louis-Auguste de Bourbon, né à Versailles, le 31 mars 1670, de Louis XIV et de Mme de Montespan, avait été légitimé¹⁸ trois ans plus tard, et avait reçu en même temps la charge de colonel général des Suisses, ce qui ne dut pas déranger beaucoup son régiment. Son titre de duc du Maine avait déjà été porté par un membre de la famille de Guise, tué à Montauban en 1621. L’apanage du duché du Maine et son premier grade ne furent que le commencement des dons royaux destinés à pleuvoir sur la tête de ce beau prince, que La Fontaine appelait « le fils de Jupiter ».

    Mme Scarron fut préposée à son éducation et à celle de sa sœur naturelle, Mlle de Nantes.¹⁹ On la voit d’ici se multipliant et donnant tous ses soins à ses enfants adoptifs. Elle fut pour le jeune prince une seconde mère, bien digne assurément de détrôner la première. L’enfance du duc du Maine fut difficile. La nature l’avait fait « pied bot par vice d’humeur », comme le dit Saint-Simon, infirmité dont il devait boiter toute sa vie. Un jour Louis XIV, entrant chez Mme de Montespan, y trouva Mme Scarron. D’une main, elle tenait sur ses genoux le duc du Maine et, de l’autre, berçait sa petite sœur. Ce touchant tableau frappa le cœur du Roi et fut la cause première de son mariage morganatique. On peut s’étonner qu’une femme aussi rigoriste que Mme de Maintenon se fût prise d’un tel engouement pour les fruits d’un double adultère, dont la seule existence rendait public le vice de la maison royale. Mais cet amour quasi maternel l’emportait sur tout. Les lettres de Mme de Maintenon à l’abbé Gobelin²⁰ témoignent de sa constante sollicitude pour les enfants dont elle était gouvernante, surtout pour le duc du Maine « ou la tendresse de son cœur », dont la santé fragile et le défaut de conformation réclamaient des soins particuliers.²¹ Mme Scarron le conduisit d’abord incognito à Anvers, au mois d’avril 1674, pour y consulter une célébrité médicale des Pays-Bas  ; l’année suivante elle le mena aux eaux de Barèges.²² « Ce fut une joie pour le Roi, écrit Mme de Sévigné, de le voir entrer dans sa chambre, marchant à peu près droit ».²³ Ce mieux dura peu, la boiterie persista. Mme Scarron, qui trouvait son élève « d’une très délicieuse compagnie »,²⁴ soigna particulièrement son éducation religieuse. Elle avait fait rédiger à son intention un recueil de maximes « sur les devoirs d’un prince, qui lui donnât l’idée qu’il doit avoir de la religion, une pratique de dévotion courte et solide pour l’emploi de ses journées ».²⁵ M. du Maine puisa dans ces maximes une piété inébranlable.

    Son intelligence et son amour pour l’étude se développèrent en même temps avec une remarquable précocité. Mme de Maintenon en était si fière que, lorsqu’il eut quatorze ans, elle le fit passer pour un prodige. Elle allait jusqu’à laisser imprimer, sous le nom du jeune duc, des versions traduites par elle-même, tant sa prédilection aveuglait sa conscience. Elle eut même la présomption de mettre son élève sur les rangs pour remplacer le grand Corneille à 1’Académie française, ce qui n’eut d’autre effet que de faire sourire la galerie.²⁶

    Le voyant si bien doué, si ardent au travail, Louis XIV avait voulu faire développer ses belles qualités par des précepteurs de choix. Pour les sciences, il lui avait fait donner « le savant M. Chevreau », qui avait converti la Palatine au catholicisme, et qui était l’auteur d’une Histoire du monde.²⁷ Pour les lettres, sur la désignation du duc de Montausier et de l’évêque de Meaux, il avait nominé MM. de Malézieu et de Court.²⁸

    M. le Prince, M. le Duc et le prince de Conti honoraient Malézieu de leur estime et de leur affection. Ce savant personnage, destiné à jouer plus tard un rôle important dans la vie de la duchesse du Maine, devint aussi l’ami de Fénelon et de Bossuet. Les précepteurs rencontrèrent dans le jeune prince des dispositions d’esprit et de cœur tellement heureuses qu’ils n’eurent guère, dit Fontenelle, « que l’avantage de les voir de plus près et avec plus d’admiration ».²⁹ Encore fallait-il leur laisser le temps de faire leur œuvre. Mais alors on sacrifiait tout, même l’éducation, au mariage des princes.

    M. du Maine n’était pas encore en âge qu’on avait déjà songé à lui donner la fille de Monsieur, cette princesse qui devait monter plus tard sur le trône d’Espagne. La Palatine, dans son orgueil tudesque, s’était mise en travers d’un projet où elle redoutait l’influence de Mme de Maintenon. « Si la vieille s’en mêle, avait-elle dit brutalement, mon fils est dans les filets.³⁰ » Devant sa résistance obstinée, la pseudo-reine et l’abbé Dubois,³¹ qui avaient combiné ce plan de concert, durent l’abandonner. Mais la toute-puissante Maintenon ne renonçait pas si vite aux idées d’élévation pour son prince. Elle avait « le faible de nourrice ».³² Voyant que le jeune Louis-Auguste ne pouvait devenir gendre du duc d’Orléans, elle voulait à tout prix en faire le gendre de M. le Prince. Pour ce nouveau projet, elle trouvait dans la vanité d’Henri-Jules un utile auxiliaire. Elle invitait le duc du Maine à se décider entre Mlle de Condé ou Mlle de Charolais. Le jeune prince avait ses raisons pour hésiter de l’une à l’autre. Il lui semblait, comme l’a dit un spirituel auteur,³³ que Chantilly fût devenu la capitale de Lilliput et que ses habitants fussent des pygmées. Il se croyait en droit de se montrer difficile, car, sa naissance à part, ce prétendant était un fort bon parti, enrichi de nombreuses principautés, et déjà comblé d’honneurs, en 1692 : duc du Maine et d’Aumale, comte d’Eu, pair de France, souverain des Dombes, chevalier des Ordres du Roi.³⁴

    Cependant, en dépit de ses distinctions honorifiques, de son rang à la Cour et de sa sérieuse éducation, sa nature renfermée, un peu sombre et austère, nuisait à ses succès dans le monde. Il y était souvent berné ou chansonné. Ainsi, en 1685, n’ayant alors que quinze ans, il avait reçu de Mme de Thianges, comme cadeau d’étrennes, une certaine Chambre du Sublime qui n’était qu’une mauvaise plaisanterie à son endroit. Depuis, la satire ne l’avait guère épargné  ; il en recevait très pacifiquement les traits. Il se sentait soutenu et n’avait pas le tempérament combatif. En 1692, c’était un jeune homme d’une rare distinction, d’un physique agréable, avec une figure longue et délicate qui rappelait à la fois la beauté de sa mère et la majesté de Louis XIV. Sa légère boiterie enlevait peu de chose à la grâce de sa démarche, et « il avait pris toutes les manières des princes du sang ».³⁵ Il avait cette verve qu’il tenait de sa mère, et qu’on appelait « l’esprit des Mortemart ».

    Mme de Maintenon le présentait comme un héros. « C’est, disait-elle, un guerrier de vingt-deux ans, fort étourdi, irrégulier, distrait  ; à cela près, il a du mérite.³⁶ » Ce guerrier, sans être un foudre, avait cependant fait son devoir en campagne. Les rejetons de la maison royale, même ceux de la main gauche, n’ont guère dévié de la règle commune aux Bourbons, témoin le duc de Vendôme.

    Mme de Montespan avait encouragé son fils de très bonne heure à faire la guerre. Elle lui écrivait en 1681³⁷ :

    Si j’étais capable de ressentir quelque mouvement de joie, j’en aurois eu de voir la manière dont le Roi a reçu la proposition que vous faites d’aller à la guerre  ; il en étoit si content qu’il en parloit à tout le monde, et je ne doute pas que, si vous eussiez été ici, il ne vous eût mené avec lui. Pour moi, qui aime votre réputation pardessus toutes choses, j’aurais consenti sans peine à vous voir entreprendre un voyage où votre santé auroit été fort hazardée, pour jouir du plaisir de vous entendre louer de tout le monde, et de vous voir faire quelque chose qui marque un courage et une ambition fort convenables au fils d’un héros. Je ne vous parle point des autres endroits dont vous pourriez tenir de pareils sentiments  ; mais il est pourtant bon que vous sachiez que vous êtes heureusement sauvé du mélange du sang qui arrive d’ordinaire aux gens de votre espèce.

    En 1688, M. du Maine s’était signalé comme volontaire au siège de Philippsbourg. « Monseigneur, dit Dangeau, alla cette nuit voir M. du Maine. Pendant qu’il étoit de tranchée, un coup de canon donna dans le parapet et le couvrit de terre³⁸ ». À Fleurus (1690), il avait vu périr à ses côtés son gouverneur, M. de Jussac  ; lui-même avait eu un cheval tué sous lui.³⁹ Il avait assisté au siège de Mons et fait preuve d’une consciencieuse application dans le service militaire. Ses lettres à Mme de Maintenon étaient pleines de bonne humeur. Il terminait l’une d’elles par ces mots : « Adieu, Madame, je n’oublierai jamais que le Roi a fait de moi un prince, et vous, un honnête homme.⁴⁰ »

    D’ailleurs, le Roi était bien responsable du peu d’occasions qu’eut le duc du Maine de sortir du commun en campagne. Sa Majesté ne voulait pas qu’on exposât la vie de son fils. « Laissez-lui voir tout, écrivait-Elle au maréchal d’Humières  ; mais évitez, autant qu’il sera possible, qu’il s’engage mal à propos.⁴¹ » Et le jeune prince se lamentait qu’on lui donnât des postes si peu dangereux. Il mandait à son ancienne gouvernante⁴² :

    Je vous avoue, madame, que je brûle d’impatience de voir si je ne démens pas le sang dont je suis.

    Et, dans une autre lettre, il affirmait son bon esprit.

    Quoique je ne fasse pas grand chose icy⁴³ j’y fais toujours plus qu’à la Cour, où je ne fais que clopiner devant des gens à qui je fais de la peine, au lieu que j’apprends ici mon métier...

    M. du Maine semble heureux d’être en campagne avec le Roi. Sa lettre du camp de Halle⁴⁴ le manifeste en excellents termes. « Vous savez sans doute que M. de Luxembourg fait merveilles pour moi, et moi pour lui  ; et vous ne sauriez vous imaginer combien mon père est bien avec moi. Qu’il est facile aux grands seigneurs de faire plaisir ! Ces mots – je suis content de vous – m’ont plus touché que cette multitude de charges qu’il m’a données. » Voilà, du moins le langage d’un homme de cœur et d’un bon fils. Quant aux talents militaires, Saint-Simon les conteste absolument. Dans son parti pris, dans sa haine contre le duc du Maine, il va jusqu’à l’accuser de couardise. Il est toujours très délicat de peser dans une balance la bravoure d’un soldat, et surtout celle d’un prince. Quand il y a du pour et du contre, ne vaut-il pas mieux s’abstenir et ne pas prononcer un jugement aussi aventuré que celui de Saint-Simon ?⁴⁵ Nous verrons le duc du Maine manquer de caractère, mais le courage civil et le courage militaire sont différents. On ne l’a jamais vu manquer de bravoure  ; seulement de coup d’œil et d’expérience en campagne, ce qui fit sans doute écrire par Mme de Maintenon cette phrase significative en 1691 : « Le Roi n’a pas été content du personnage que le maréchal de Luxembourg a fait faire à notre prince, dans le dernier combat. Les choses iront mieux pour lui à la campagne suivante.⁴⁶ »

    Elles n’allèrent jamais très bien, parce que M. du Maine n’avait pas le tempérament guerrier.

    La fondatrice de Saint-Cyr avait formé son cerveau sur l’idéal qu’elle s’était proposé. Il avait « des vues, de l’ambition »,⁴⁷ un langage châtié, du charme dans la vie domestique, une âme noble, religieuse, un cœur bon, mais pas de fermeté. Sa timidité et sa défiance naturelle le firent souvent taxer d’hypocrisie. Élevé si près du trône, il était imbu des préjugés que lui avait inculqués sa naissance, bien qu’irrégulière.⁴⁸ Sous son grand air de modestie et d’indifférence, il cachait de sérieuses qualités. Mme de Maintenon, pour excuser sa réserve, disait : « Il est trop vertueux pour faire jamais du bruit. » Ce saint homme devait souffrir moralement toute sa vie. La noirceur dont Saint-Simon l’accable tombe devant une foule de preuves, et surtout devant ses œuvres littéraires.

    Le duc du Maine est l’auteur de soixante-et-onze maximes qui, à défaut de ses énergies viriles, prouvent l’élévation de son âme. En voici quelques-unes prises au hasard : elles sont d’un penseur et d’un homme de foi. La Rochefoucauld ne les eût peut-être pas désavouées.⁴⁹ « Il est bien ordinaire de blâmer ceux qu’on ne se sent pas capable d’imiter. – Un des meilleurs moyens de conserver l’humilité, est de se connaistre capable par soy-mesme de tous les maux dans lesquels on voit tomber son prochain. – On ne peut s’habituer au bien de trop bonne heure, ni avoir une trop forte envie de devenir honnête homme. » Il serait facile de multiplier les citations, toutes à l’honneur du prince lettré et chrétien.

    Voilà l’homme de bien qui était destiné par M. le Prince et Mme de Maintenon à la petite princesse Louise-Bénédicte, tandis qu’elle jouait encore à la poupée, à Chantilly. Le motif qui pouvait faire aboutir ce précoce mariage, c’était la pensée secrète de Louis XIV, son idée fixe de fusionner sa famille illégitime avec sa race royale. En mêlant ainsi les intérêts des deux origines, et plus tard, en déclarant l’aptitude des légitimés à la couronne, le Roi se flattait de conjurer des rivalités possibles entre les bâtards et les vrais princes du sang. Malgré ce sentiment intime, Louis XIV avait des retours sur lui-même. Craignant de sacrifier à une idée fausse, il se montrait moins pressé que Mme de Maintenon d’établir son fils du Maine, le sentant mal venu à cause de sa claudication et des jalousies qu’il excitait (ce pédant, ce boiteux, comme l’appelaient déjà ses ennemis). Le Roi avait aussi par instants la crainte que la bâtardise ne prédisposât mal son rejeton à une alliance princière. Il prévoyait, dans un triste avenir, les confusions, les conflits qu’un représentant de la race équivoque des légitimés pouvait apporter à l’ordre monarchique. Le royal père allait jusqu’à laisser entendre à son fils naturel que ce n’était pas à « des espèces comme lui » à faire souche. Mme de Maintenon insistait. « Ces gens-là, reprenait Louis XIV avec vivacité, ne devraient pas se marier. » Il préférait parfois pour M. du Maine une fille quelconque à une princesse qualifiée. Comme le sylviculteur qui soigne sa forêt, le grand Roi, dans ces éclairs de sagesse, songeait plutôt alors à émonder ses branches parasites qu’à leur faire produire des fruits. Pourquoi sa faiblesse sénile lui a-t-elle inspiré d’autres résolutions plus tard ?

    De ces hésitations, Mme de Maintenon fut quelque temps fort embarrassée. Son état d’âme se traduisait dans une lettre à l’abbesse de Fontevrault : « Le duc du Maine désire être marié et l’on ne sait qui lui donner. Le Roi penche plus à une particulière qu’à une princesse étrangère. Les filles de M. le Prince sont naines ... En connaissez-vous d’autres ? »

    Malgré tout, le bruit circulait de la prochaine union du jeune prince avec Mlle de Charolais. On était las des princesses étrangères. Si l’opinion publique est souvent le meilleur agent des mariages, parfois aussi elle leur suscite des opposants. Ce fut le cas ici de la grande Mademoiselle, de cette vieille, hargneuse et sarcastique personne. Elle se vengeait d’une espièglerie de Louise-Bénédicte, en allant répéter partout que, si la petite-fille du grand Condé épousait le fils de Mme de Montespan, cela ferait un beau couple assurément : « un boiteux et une manchotte ! » Un si vilain mot faillit faire échouer le projet, mais M. le Prince insistait, Mme de Maintenon insistait. Il fallait en finir.⁵⁰ Le duc du Maine se décida à fixer son choix sur la cadette des deux sœurs, qui lui plaisait davantage. Le jeune prince se doutait-il alors du guêpier où il s’engageait ?

    Bref, en dépit des sarcasmes de Mlle de Montpensier, en dépit des jalousies de la Palatine, cette Liselotte qu’on nous a récemment si bien dépeinte,⁵¹ cette grosse Allemande si peu gracieuse, si vindicative, qui flairait dans l’élévation des Condé l’abaissement des d’Orléans, et qui en enrageait, tout alla au mieux pour le bénéfice de la branche cadette de la maison de Bourbon. Que Mlle de Condé, la délaissée,⁵² supportât son crève-cœur avec un apparent sang-froid, sa jalousie n’en fut que plus profonde, au point de lui altérer la santé. Elle devint bientôt languissante et, de dépérissement, mourut, fille inconsolée, en 1699.⁵³ Songez ! N’y avait-il pas motif ? Sa cadette venait de lui enlever le propre fils du Roi-Soleil, et qui sait ? peut-être un jour l’héritier éventuel de la couronne. Mlle de Charolais avait-elle travaillé elle-même à son succès ? La chronique du temps ne le dit pas. Sans doute elle n’avait pas même été consultée, et ce sera son excuse par la suite.

    Peut-être aussi Mlle de Charolais n’avait-elle pas eu grand scrupule à faire ce larcin  ; car elle donnait déjà des signes d’égoïsme avant-coureurs de sa vie future. Il faut convenir au reste que les époux promis ne se convenaient guère. Autant l’un était doux, tranquille, craintif et modéré, autant l’autre, dans sa taille presque naine, était agitée, vive, entreprenante. Il n’y avait guère entre eux d’autre lien naturel que l’amour de l’étude et des belles-lettres. Quoi qu’il en fût du choix du duc du Maine, Louis XIV, consulté par Mme de Maintenon, se prononça dans le même sens que son fils. L’idée secrète l’emportait sur les obstacles qu’il avait signalés lui-même. Ce maître du monde allait désormais tout faire pour multiplier les faveurs et les prérogatives au profit de ses bâtards. Dût périr l’ordre monarchique, il ne songea plus qu’à combler de privilèges les branches parasites de sa propre maison, et, au lieu d’une seule, ce fut une double alliance de même nature qu’il décida dans son autorité souveraine. Un beau jour, Bussy écrivait à l’abbé de Choisy : « Le duc de Chartres épouse Mlle de Blois, et M. du Maine Mlle de Charolais. » Les écussons d’Orléans et de Bourbon-Condé se marquaient ainsi tous deux d’une barre. Outrée de ces mariages faits pour révolter sa morgue princière, en dépitant son célibat, Mlle de Montpensier refusa d’assister à l’un comme à l’autre.

    Le 13 février 1692, Louis XIV, « d’accord de choix avec M. le Prince », vint de Marly à Versailles rendre visite à Mme la Princesse, et lui demander « en forme », dans son appartement, la main de sa troisième fille pour le duc du Maine.⁵⁴ Henri-Jules, se rengorgeant, reçut Sa Majesté au has du grand degré de l’hôtel de Condé  ; à ce moment, Louise-Bénédicte ne sut pas dissimuler sa joie et se moqua de tout ce qu’on put lui dire au sujet d’une union « boiteuse ». Le prétendant était beau de visage : que demandait de plus l’amour-propre de la très jeune fille ? Combien de fiancées ne regardent pas au-delà ! Et d’ailleurs, elle était émancipée. C’était là surtout l’essentiel, aux yeux d’une enfant éprise de liberté, qui ne trouvait pas le bonheur entre un père despote et une mère martyre !

    Très maligne, Mme la Duchesse,⁵⁵ belle-fille de M. le Prince, propre sœur du duc du Maine, redoubla de plaisanteries avec M. le duc Louis III de Bourbon-Condé, son époux, sur ce « pouce de taille » qui allait faire une duchesse du Maine. Le Roi, en se rendant à Compiègne, s’arrêta à Chantilly, et, sur la fin du carême, les fiançailles se conclurent dans son cabinet. On servit à Trianon un souper de quatre-vingts couverts. Le contrat fut signé à Versailles.⁵⁶

    La dot de Mlle de Charolais se montait à huit cent mille livres. Le Roi donnait à son fils un million comptant.⁵⁷

    Le 19 mars, la cérémonie nuptiale fut célébrée en grande pompe, à la chapelle royale, par le cardinal de Bouillon. De belles fêtes eurent lieu à cette occasion. Au festin de noce, le Roi se montra en grand costume.⁵⁸ Cela semblait un défi à la morale publique. On remarqua la différence de cette pompe avec la simplicité du mariage du prince de Conti et de Mlle de Bourbon, cérémonie à l’occasion de laquelle on n’avait donné ni repas ni fête. Voilà de grandes jalousies soulevées dans la maison de Condé ! Le soir du festin pour le mariage du Maine, « après l’appartement », le roi d’Angleterre, qui résidait alors à Saint-Germain, présenta la chemise aux mariés. Mme de Montespan, dont s’accentuait la disgrâce, ne parut à aucune cérémonie et ne signa point au contrat. Le lendemain, la mariée reçut toute la Cour sur son lit de parade, la duchesse d’Harcourt faisant les honneurs. Mme de Saint-Vallery fut désignée comme dame d’honneur de Mme du Maine, mais elle devait bientôt résigner ses fonctions pour quitter la Cour. L’ancien gouverneur du duc du Maine, M. de Montchevreuil, fut maintenu auprès de lui comme gentilhomme de sa chambre. Et les questions se posaient, les pronostics se croisaient, dans tous les entretiens, sur l’avenir de la nouvelle épouse, une écolière encore. Allait-elle être tout entière dans les mains de Mme de Maintenon ? Chacun de se le demander, avec une curiosité maligne, et déjà l’épouse du Roi escomptait cet espoir, prenait la jeune femme sous sa protection.

    Dieu veuille, écrivait-elle le 22 mars 1692,⁵⁹ à Mme de Brinon, sa suppléante à Saint-Cyr, qu’ils en soient tous aussi satisfaits que je le suis à cette heure. On m’a dit qu’elle irait passer la semaine sainte à Maubuisson⁶⁰ : reposez-la bien. On la tue ici par la contrainte et la fatigue de la Cour. Elle succombe sous l’or et les pierreries, et sa coiffure pèse plus que toute sa personne. On l’empêchera de croître et d’avoir de la santé. Elle ne mange guère  ; elle ne dort peut-être pas assez, et je meurs de peur qu’on ne l’ait trop tôt mariée. Elle est plus jolie sans bonnet qu’avec toutes leurs parures. Je voudrais la tenir à Saint-Cyr, vêtue comme l’une des Vertes, et courant d’aussi bon cœur dans les jardins. Il n’y a point d’austérités pareilles à celles du monde.⁶¹

    Sages réflexions sans doute ! Aussi pourquoi Mme de Maintenon avait-elle mis tant d’insistance à faire aboutir ce mariage, pour une jeune princesse qui ne mangeait ni ne dormait, ni ne grandissait ? Grandir... elle ne le fit pas davantage, une fois mariée  ; dormir... nous verrons qu’elle aima toute, sa vie à prolonger ses veilles. Quant à manger, nous savons qu’elle n’a jamais été très sensible aux jouissances de la table. Ses hôtes s’en plaindront plus tard.⁶²

    Les portraits de la duchesse du Maine, jeune, nous la représentent sous les traits d’une figure poupine, sans nous révéler beaucoup cette tête si expressive que nous dépeignent les contemporains. Les galeries de Versailles en possèdent deux. L’un, une magnifique peinture de Mignard vieillissant, est l’image d’une petite princesse enfant, faisant des bulles de savon. L’autre, c’est celui d’une jeune femme tenant des perles à la main, jolie figure très colorée, somptueux costume de cour, coiffure Louis XIV d’une élévation extraordinaire, comme si le peintre avait voulu contrebalancer la petitesse de la taille, qui d’ailleurs, sur la toile flatteuse, n’attire pas l’attention. Le musée Condé renferme aussi un joli médaillon reproduisant les traits de Mme du Maine. Ces trois peintures offrent l’idée d’une mignonne et gracieuse femme, très attifée. Les falbalas du dix-septième siècle remplissent tous les portraits du temps, et font presque disparaître les figures dans une vague uniformité. Qu’ils donnent généralement peu la physionomie avec la ressemblance, et surtout l’expression, indice des caractères ! On a beau les interroger : ils ne parlent guère aux yeux, dans leur suprême élégance, que par la richesse des étoffes et l’éclat des pierreries. De nombreuses gravures sont censées nous avoir aussi conservé la délicate figure de la petite duchesse.⁶³ Pour que ce soit bien elle, il leur faudrait au moins un air de famille plus accentué entre elles. De toutes ces reproductions, c’est une simple miniature, une ravissante aquarelle, qui passe pour la plus exacte, et que l’on montre au château de Sceaux actuel.⁶⁴

    II. – Débuts du mariage – Clagny et Châtenay (1692-1704)

    I. – Débuts du mariage. – Caractère de la duchesse du Maine. – Plus de vertu que de piété. – Premiers nuages. – Nouvelles campagnes du duc du Maine (1692-1702). – L’ambition surgit. – Le rang intermédiaire. – La duchesse du Maine et les philosophes. – Elle se dégoûte de la Cour. – Sa devise italienne. – Son séjour à Clagny (1704).

    II. – Son séjour à Châtenay. – Nicolas de Malézieu. –

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