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Les fils d'Adam
Les fils d'Adam
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Livre électronique257 pages3 heures

Les fils d'Adam

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À propos de ce livre électronique

Ses doigts boudinés forment un poing serré duquel dépasse un scalpel. À la vue de l’instrument chirurgical, Solange ne peut s’empêcher de fermer les yeux: elle est terrifiée. Pour l’avoir vu à l’oeuvre tant de fois par le passé, elle sait très bien quel genre de sort lui réserve son tortionnaire. Ses derniers instants sur cette terre seront infernaux.

__

Profondément ennuyée par un emploi monotone et une vie amoureuse décevante, Sarah décide de tout abandonner et de partir vivre dans l’Ouest canadien.

Ses plans seront toutefois chamboulés lorsqu’elle fera la rencontre de Greg, un séduisant playboy dont elle tombera sous le charme malgré elle.

__

Dès leur premier rendez-vous, Sarah comprendra cependant que son courtisan dissimule d’inquiétants secrets, tout comme le manoir où il demeure…
LangueFrançais
Date de sortie18 janv. 2021
ISBN9782898190230
Les fils d'Adam
Auteur

David Bédard

Né en juin 1982, David Bédard est un véritable passionné d’art. Il jongle rapidement avec la musique, la composition, le dessin et l`écriture. Pendant qu’il entreprend ses études dans le but d’enseigner, il a dans ses tiroirs l`ébauche d`un roman dans lequel l’action se mêle au fantastique et l’envie lui prend de l’achever. Ce premier roman, Minerun, sera finalement publié en 2018 aux Éditions ADA. Les Fils d’Adam est son cinquième roman.

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    Aperçu du livre

    Les fils d'Adam - David Bédard

    notoire

    PROLOGUE

    1er novembre 1998

    Vimont (Laval)

    2 h 10

    Un cri strident résonne jusque dans sa chambre et le tire du sommeil. Il se redresse brusquement, et sa couverture vole dans les airs. Même en étirant les paupières au maximum, ses yeux affolés demeurent aveuglés par les ténèbres. Hormis le vent qui s’écrase incessamment contre les fenêtres qu’il fait trembler et les battements de son cœur qui lui martèlent les côtes, un silence de mort semble régner dans la maison. Peut-il avoir imaginé ce cri ? L’avoir rêvé ? Il est persuadé du contraire. Graduellement, sa vue s’adapte à la noirceur. Une voix dans sa tête l’implore de se recoucher alors qu’il pose un pied au sol, mais il décide de l’ignorer. Comme son père ne vit plus avec eux, c’est à lui, juge-t-il, qu’incombe la responsabilité de veiller sur sa mère et sa jeune sœur.

    Usant de tout son courage, il effectue un premier pas hésitant en direction de la sortie. Puis, un deuxième. Pour une raison qu’il n’arrive pas à s’expliquer, la sensation de l’épais tapis sous ses pieds nus le réconforte. Elle l’a toujours fait. Au troisième pas, ses orteils heurtent l’énorme coffre de bois reposant au pied de son lit, dans lequel il range son matériel de peinture. Sautillant sur son pied indemne, il arrive à se stabiliser en s’appuyant contre la haute étagère contenant, classée en ordre alphabétique, son impressionnante collection de films VHS. Par réflexe, ses dents se resserrent sur sa lèvre inférieure pour étouffer un cri qui, ultimement, ne viendra jamais. Quelques flexions de ses orteils meurtris suffisent à lui faire comprendre qu’il y a eu plus de peur que de mal. Trois lentes respirations plus tard, il se remet en marche.

    Seuls quelques pas séparent sa chambre de celle de sa sœur – situées l’une en face de l’autre – à l’étage. À peine vient-il de déserter sa propre chambre qu’un lourd grincement retentit dans le corridor, en provenance des escaliers, à sa droite. Son corps se fige. Ses poumons cessent d’inspirer. Quelqu’un se trouve dans la maison. Tout près. La noirceur n’est pas parvenue à le soustraire au terrible regard qu’il sent posé sur lui. Espérant sans trop y croire s’être donné la frousse pour rien, il pivote en direction du bruit. Là, immobile, à mi-chemin dans l’escalier, il y a quelque chose. Une ombre, aussi large qu’un ours, qui empeste le cigare et le cognac. Pour la seconde fois depuis son réveil, il se demande si son imagination ne lui joue pas des tours.

    — P… p’pa ? bredouille-t-il.

    — Salut, le Kid, lui répond l’imposante silhouette, d’une voix caverneuse et ravagée.

    Les bourrasques gagnent en intensité, s’acharnant sur la demeure avec une telle amplitude que l’on pourrait jurer qu’elles cherchent à en pulvériser la fenestration afin de s’insinuer à l’intérieur.

    — T’es r’venu ? Vous vous êtes réconciliés, m’man pis toi ?

    En dépit de l’absence totale d’éclairage, il imagine le large sourire qui se dessine sûrement sur le visage de son père.

    — Pas encore, le Kid… pas encore. Mais on va régler ça bientôt, tu vas voir.

    « Le Kid ». Il a toujours exécré ce sobriquet ridicule. De tous les genres cinématographiques possibles, le western est le seul qu’il n’a jamais su apprécier. Tout le contraire de son géniteur. En treize années d’existence, pas une seule fois il ne l’a entendu s’adresser à lui par son prénom. Aucune raison pour que les choses soient différentes aujourd’hui.

    — C’est drôle que tu t’sois réveillé, enchaîne le père. J’m’en venais justement te chercher. Suis-moi. On a des affaires à faire.

    Avec la grâce d’une tortue qui cherche à se remettre sur le ventre, son corpulent paternel se cramponne à la rampe et fait demi-tour. Le garçon n’a aucune envie de le suivre, mais il préfère ne pas le mettre en rogne. Particulièrement s’il a bu. Réticent, voire craintif, il se résigne tout de même à lui obéir.

    Il n’est pas tellement surpris lorsqu’il comprend que tous les deux se dirigent vers la piscine intérieure. Lorsqu’il vivait encore avec eux, les rares fois où il était à la maison, son père y passait le plus clair de son temps. Une autre passion que lui-même n’a jamais comprise, encore moins partagée.

    — Bouge pas d’icitte, j’vais allumer les spots, le somme son père en s’éloignant.

    Durant cette brève période où il se croit seul, il s’imagine entendre quelque chose. De faibles geignements. Des plaintes étouffées. Puis, d’un seul coup, ça se produit : au moment même où la pièce s’illumine, une part de lui sombre. À tout jamais.

    — À soir, toi pis moi, on va faire quelque chose de spécial, le Kid : on va rendre le monde meilleur !

    Mais il n’entend rien de ce qu’on vient de lui annoncer. Ses yeux sont rivés sur les corps de sa mère et de sa sœur, agenouillées de chaque côté du tremplin de la piscine, haut d’une seule marche. Leurs bras encerclent la planche d’aluminium, poignets liés. Un linge est enfoncé dans leur bouche pour les empêcher de crier. Une partie de lui voudrait se ruer vers elles. Les délivrer. Leur dire que tout va bien aller ; qu’elles peuvent cesser d’avoir peur. L’autre partie, en revanche, désire s’enfuir. Le plus loin possible. Courir jusqu’à ce qu’il s’affaisse sous le poids de l’épuisement, et qu’à son réveil, tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve. Malheureusement, ses jambes ne répondent plus. Et aucune de ces options ne se concrétisera, il en est pleinement conscient.

    — As-tu entendu ça, Manon ? ! Ton gars est icitte. Avec nous autres !

    Son père s’approche du tremplin. Il a un énorme poignard entre les mains et le sourire d’un type qui vient d’apprendre qu’il a gagné un million à la loterie. Une combinaison qui ne devrait pas exister.

    — Je sais c’que tu te dis, le Kid, lui lance son père en se tournant vers lui. Tu te dis que c’que je m’apprête à faire, c’est mal. Que ta mère est une bonne mère. Une bonne personne. Qu’elle mérite pas c’qui va lui arriver. Mais c’est faux ! Aaaah tabarnak que c’est faux !

    Son ex-femme à ses pieds – vulnérable et en pleurs –, il prend un instant pour contempler la scène, satisfait de la tournure des événements.

    — Tout ça, c’est sa faute, le Kid… tout ça, c’est sa faute…

    D’un élan bestial, il plonge son poignard dans le corps, au niveau du grand dorsal, sous le regard terrorisé des deux enfants. Avec la force utilisée, la lame s’enfonce sans résistance jusqu’au manche. Le hurlement de douleur que pousse sa victime est peut-être étouffé par le bâillon, mais il parvient à en ressentir la vibration à travers le manche de son arme. Quelle extase ! Hors de question de se limiter à un seul coup ! Il retire son arme de la plaie, d’où s’échappe un bouillonnement de sang qui ne tarde pas à s’étendre, puis la plonge à nouveau dans la chair, cette fois juste sous l’omoplate. Déjà, le cri qui en résulte semble avoir perdu en intensité. Peut-être aurait-il dû utiliser une lame plus effilée pour faire durer le plaisir. Mais il s’en moque. Seul le résultat importe. Enfin… presque.

    Après cette seconde attaque, Manon s’écroule, ses mains au-dessus de sa tête, toujours liées, alors qu’elle baigne dans une mare de son propre sang, qui a tôt fait d’envelopper sa fille également. D’un virulent coup de pied, l’homme la tourne sur le côté, puis la poignarde furieusement à une dizaine de reprises au bas-ventre. Il essuie ensuite la sueur sur son propre front et se délecte de voir défiler sous ses yeux les derniers instants de celle qu’il a jadis épousée. Instants constitués de spasmes atones et de gémissements d’agonie.

    — Et… pour la grande finale…

    Ses doigts potelés se glissent dans la chevelure de la mourante et, d’un élan vif, tirent la tête vers l’arrière. Sans se presser, il appose le tranchant de sa lame sur la gorge tendue. Avec autant de lenteur que de délectation, il entaille celle-ci d’un bout à l’autre, occasionnant une plaie béante, d’où s’échappe, en faibles jets, les parcelles de vie restantes de la victime. Une fois l’ultime souffle évacué, il relâche la tête, qui vient frapper durement le plancher de béton.

    — Aaaah… libéré, exhale longuement le meurtrier, le menton dressé bien haut et les paupières closes.

    Paralysé d’effroi, toute forme de courage l’ayant abandonné, l’espoir que tout ceci ne soit qu’un rêve évaporé, le garçon fixe son monstre de père d’un regard vitreux. Tel un automate démoniaque issu d’un film d’horreur, son paternel abaisse lentement la tête et rouvre ses yeux, qui viennent immédiatement croiser les siens. Sans jamais se soucier de la fillette hystérique à ses pieds, il enjambe le cadavre de son ex-femme et retourne vers son fils, laissant derrière lui une série d’empreintes ensanglantées.

    — À ton tour… lui ordonne-t-il de sa voix creuse, en tendant l’arme qu’il vient lui-même d’utiliser.

    Son sourire sadique n’a pas disparu.

    Le fils observe le poignard un instant. Le sang de sa propre mère n’a pas fini de s’en écouler. Il se tourne ensuite vers Élizabeth, sa jeune sœur, qui encore plus que lui, sûrement, souhaite être ailleurs. Hurlant en vain, la fillette de onze ans éprouve ses liens avec l’énergie du désespoir, consciente qu’un sort similaire à celui de sa mère lui est réservé.

    — Non… réussit à formuler le garçon en repoussant l’arme tendue.

    Pour la première fois depuis le début de ce cauchemar, le sourire arboré par son père se fane.

    — Je sais c’que tu penses, le Kid. Tu veux pas faire de mal à ta sœur, hein ? C’est normal, j’comprends ça, grogne son géniteur. Mais fais-moi confiance ; elle, c’est pas ta sœur ! Pis c’est pas ma fille non plus. C’est un monstre. Une crisse d’aberration sale ! Penses-tu vraiment que j’te demanderais de faire du mal à ma propre fille ? Ben sûr que non ! Asteure, prends l’couteau, pis fais comme j’t’ai montré. Si tu refuses encore, je t’avertis, j’vais considérer que t’es avec eux… C’est-tu ça que tu veux, le Kid ? Finir de même… ? Finir comme elles… ? Habite tes gosses, pis prouve-moi que t’es pas un enfant du diable !

    L’esprit du garçon capitule. C’est plus qu’il ne peut en supporter. Il a perdu. Il est perdu. À tout jamais. Dès l’instant où il fait son choix, l’instant où ses doigts s’enroulent autour de la garde du poignard, son âme se brise et se disperse. Il est maintenant quelqu’un d’autre…

    CHAPITRE 1

    Lundi 15 avril 2019

    Sainte-Rose (Laval)

    10 h 11

    — Envoye, avance, osti de vieux singe !

    À bout de patience, Sarah serre les doigts autour du volant de son Echo 2005 comme s’il s’agissait du cou du conducteur devant elle. Elle est à deux doigts d’enfoncer son poing dans le klaxon lorsqu’elle s’aperçoit que, à côté d’elle, sa meilleure amie Roxane peine à retenir un fou rire.

    — Hé, c’est pas drôle, Rox ! Le gars roule à vingt kilomètres à l’heure, pis y fait des stops de quinze secondes. Tu devrais pas avoir le droit de conduire un char quand ta date de naissance commence par 1700 !

    — Come on, calme-toi babe ! On est dans le vieux Sainte-Rose ; tout le monde roule à cette vitesse-là, ici. De toute façon, on n’est pas pressées, y fait super beau dehors, pis on n’a pas long de chemin à faire avant d’arriver à la gare. Regarde, on va mettre un peu de musique ! Tu vas voir, ça va te détendre.

    Roxane enfonce le bouton « On » de la radio, en prenant soin de ne pas abîmer le faux ongle fuchsia beaucoup trop long ornant l’extrémité de son index, et se met aussitôt à danser, sourire aux lèvres, dès qu’elle entend les notes de la très populaire chanson Despacito. Le temps de quelques déhanchements seulement ; Sarah met fin à la prestation de son amie en éteignant froidement la radio. À défaut d’être insultée, Roxane éclate plutôt de rire.

    — T’es si rabat-joie, ha ! ha ! ha ! Dans même pas deux jours, mon beau p’tit cul va être en train de se saucer dans la mer ! Laisse-moi donc me mettre dans le beat un peu !

    — Si tu fais encore jouer cette toune-là dans mon char, ta face ressemblera tellement plus à celle sur ton passeport que les douaniers te laisseront jamais passer !

    Roxane pouffe à nouveau.

    — Aaaah ! Je vais vraiment m’ennuyer de tes réparties cinglantes ! De toi aussi. Je ne peux pas croire qu’on va être séparées pendant toute une année, se désole-t-elle.

    — J’sais, c’est plate. J’vais aussi m’ennuyer de ma super coloc, admet Sarah sur un ton sincère. On a vraiment eu du fun ensemble.

    — Mets-en ! Quand je pense que tu me flushes pour une montagne de roches, feint d’être offensée Roxane.

    — Tu sais très bien que c’est pas toi que je flushe, bella ; c’est tout l’reste. Ma job de marde… ma vie amoureuse de marde…

    À quelques mètres d’eux, la lumière passe au vert, mais la voiture devant demeure immobile.

    — … les conducteurs centenaires de marde…

    Les doigts de Sarah se resserrent à nouveau autour du volant. Elle ravale toutefois sa rage lorsqu’elle voit la Camry beige qui les précède continuer tout droit à l’intersection, alors qu’elle-même prend à gauche et emprunte le boulevard Curé-Labelle en direction sud. Plus qu’une quinzaine de minutes avant qu’elle et Roxane n’atteignent leur destination ; une quinzaine de minutes avant de se dire « au revoir », après avoir vécu ensemble pendant les trois dernières années dans leur splendide maisonnette ancestrale, louée près des berges de la rivière des Mille-Îles.

    Roxane soupire de façon presque inaudible. Elle sent les muscles de son visage, qui maintiennent son sourire, s’affaisser graduellement, mais s’efforce de ne rien laisser paraître, alors qu’une pointe de culpabilité la taraude. Après tout, Marc et elle ne sont ensemble que depuis quatre maigres mois. Peut-être aurait-elle pu attendre encore un peu avant d’emménager avec lui. Au lieu de cela, elle s’éclipse sur un coup de tête, emportée par l’euphorie d’une romance naissante, laissant Sarah seule derrière, durant une période où sa pauvre amie remet déjà tant de choses en question.

    — Tu vas à ton cours d’impro demain ? demande-t-elle, afin de dévier du sujet de leur séparation.

    — Non, j’ai déjà averti madame Carignan que c’était fini pour moi. Jusqu’à mon retour l’an prochain, en tout cas. À soir, c’est mon dernier shift à la quincaillerie. Après ça, j’passe toute la semaine en pyjama à binge watcher des Game of Thrones ! Ha ! Ha !

    — Je ne comprendrai jamais comment tu fais pour triper sur cette cochonnerie-là !

    — J’me dis la même chose quand j’te surprends à écouter les Kardashian, t’sais !

    Peu de temps après s’être engagée sur le boulevard Dagenais, Sarah ralentit et entre dans le stationnement de la gare Sainte-Rose. Elle aperçoit alors le dernier espace disponible, et écrase l’accélérateur pour devancer de justesse une vieille Plymouth Breeze au kilométrage sûrement aussi élevé que l’âge de sa conductrice. La septuagénaire bafouée dévisage avec mépris Sarah, qui, elle, affiche plutôt un large sourire de satisfaction.

    — Va te trouver un autre trou pour mourir, grand-mère !

    — Ha ! Ha ! Ha ! T’as pas d’allure, se décourage Roxane, les mains couvrant sa bouche, légèrement honteuse de s’être esclaffée.

    — Aide-moi donc à sortir tes poubelles au lieu de jouer à la vierge offensée !

    Les deux jeunes femmes sortent de la voiture et se retrouvent derrière. Sarah ouvre le coffre et, à deux mains, extirpe l’énorme valise de couleur identique aux faux ongles de son amie. Pendant ce temps, Roxane plonge la main dans sa sacoche et en retire un trousseau de clefs, duquel elle en extrait une ; une petite clef ronde argentée, gravée du numéro 148, soit l’adresse de leur maison.

    — Tiens, avant que j’oublie de te la rendre.

    Sarah la saisit et cherche rapidement sur elle un endroit où la ranger. Comme son sac à main est resté dans la voiture et que sa jupe n’est munie d’aucune poche, elle glisse le petit objet dans son soutien-gorge.

    — T’as pas peur que la clef meure asphyxiée entre tes melons ?

    — Essaye pas d’être mean, j’sais que c’est juste d’la jalousie. C’est quand même pas d’ma faute si ta poitrine a le même relief que ton dos, rétorque Sarah en lui adressant un clin d’œil.

    Sidérée par la réplique irrévérencieuse de son amie, Roxane écarquille les yeux, sa mâchoire s’affaissant sous le poids de l’insulte.

    — Grosse vache… souffle-t-elle finalement. Tu la gardais vraiment pour la fin, celle-là, hein ?

    — J’voulais être certaine que tu m’oublies pas, répond Sarah en l’enlaçant avec force.

    — Aaaaw, choupette… comment tu veux que je t’oublie ? demande Roxane en lui rendant son étreinte. Tu vas toujours rester ma best, voyons. Même quand tu vas partir vivre dans l’Ouest ! C’est plutôt toi qui risques de m’oublier pendant que tu vas être entourée de cowboys virils. Je te souhaite tellement d’en trouver un à ton goût, là-bas.

    — Les gars de l’Ouest vont être aussi plates que les gars d’ici. La seule différence, c’est qu’y vont être plates en anglais !

    Après de longues secondes dans les bras de Sarah, Roxane jette finalement un coup d’œil, à sa montre.

    — Je dois y aller, annonce-t-elle d’une voix imprégnée de déception. Désolée !

    — Ben non, sois pas désolée, c’est moi qui te retiens ! J’voudrais pas te faire manquer ton rendez-vous avec les plages cubaines et les dizaines de litres de vin cheap que tu comptes t’envoyer ! Merci d’avoir toujours été là pour moi, bella. D’avoir été la seule.

    Roxane sourit, mais ne répond rien. Elle sait que c’est inutile.

    — Asteure, scram ! lui ordonne Sarah en pointant la gare du menton. Va nous faire honte en commandant des pina Canada pis en dansant comme une conne autour de ta sacoche ! Et tu salueras Marc de ma part !

    — Promis, répond Roxane en se détournant, traînant derrière elle son énorme valise à roulettes.

    Dans le stationnement de la gare, Sarah demeure immobile un instant, les yeux rivés sur son amie, son ultime appui, qui s’éloigne tranquillement. Elle est seule, maintenant. Seule au monde. Plus que jamais, elle applaudit sa décision de partir pour l’Alberta à la fin du mois et de tout laisser derrière. Il n’y a plus rien pour elle ici, de toute façon.

    — Hé, Rox ! crie-t-elle avant que son amie ne soit trop loin pour l’entendre.

    Roxane s’arrête et tourne la tête.

    — Si jamais tu perds ton top de bikini, oublie pas que tu peux toujours utiliser des moules de Reese, c’est drette le bon size !

    Le nez de Roxane pointe aussitôt le ciel alors qu’un rire franc s’échappe de sa gorge.

    — Va chier, puta ! répond la brunette en lui envoyant un doigt d’honneur après s’être remise en marche.

    — S’cusez-moi, madame !

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