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Dans l'univers des contes interdits - Cam: Policière sans limites
Dans l'univers des contes interdits - Cam: Policière sans limites
Dans l'univers des contes interdits - Cam: Policière sans limites
Livre électronique319 pages4 heures

Dans l'univers des contes interdits - Cam: Policière sans limites

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À propos de ce livre électronique

Une policière mise sur la touche à cause d’une grave erreur, forcée de reprendre le boulot afin d’assassiner un inconnu.

~

Un père prêt à tout pour rescaper sa fille des griffes d’un psychopathe.

~

Un tueur sanguinaire obsédé par un mythe aztèque.

~

Une famille unie par le crime qui coule dans ses veines.

~

Des bêtes dressées pour assouvir la vengeance.


Ce n’est pas sans raison que Cam est le personnage le plus résilient et le plus dur du Conte Interdit Peau d’âne: la policière n’accepte jamais les demi-mesures quand vient le temps de sauver une vie. Encore moins quand il faut donner la mort.
LangueFrançais
Date de sortie17 sept. 2021
ISBN9782898190803
Dans l'univers des contes interdits - Cam: Policière sans limites

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    Aperçu du livre

    Dans l'univers des contes interdits - Cam - Steve Laflamme

    Prologue

    ADIÓS, PARTIE I – LA DÉCOUVERTE

    Février 2019

    Dès qu’il met les pieds dans la grange, Louis voit son fils, dos à lui. Il aperçoit l’arme encore fumante dans sa main. — Qu’est-ce t’as fait là, câlice ? rugit-il, à mi-chemin entre la colère et le désespoir.

    Partie I

    LE PASSÉ EST UN VENIN COMME LES AUTRES

    1

    PIQUER LA CURIOSITÉ

    8 août 2019

    Ce qu’elle sentait le long de ses cuisses, était-ce une pellicule de sueur ou de l’urine ? Son pantalon de toile, trempé, lui collait à la peau. Son dernier souvenir remontait à quelques jours, dans une ruelle de Guadalajara, où la fée avait rendez-vous pour récupérer sa poussière magique. Depuis, plus rien. Le néant, ponctué de temps à autre de détonations et de vociférations paraissant provenir des abysses.

    Cam ouvrit les yeux sur une lueur rougeâtre qui baignait la pièce où on l’avait confinée. L’éclairage donnait l’impression que des milliers de litres de sang avaient été déversés dans cette boîte humide – un carré de murs d’adobe lézardés par l’âge et troués par endroits par ce qui ressemblait à des impacts de projectiles.

    Assise sur le sol de terre, elle tenta de se lever pour inspecter la place, mais ses jambes flageolèrent.

    Elle passa la main dans son entrejambe : pas de sang. Pas de douleurs vaginales ni anales. On ne l’avait pas violée.

    Au moyen d’un effort exagéré, elle parvint à se mettre debout. Son regard se focalisait lentement, s’adaptant à l’éclairage atypique. Au jugé, sa prison de fortune faisait deux mètres par trois. La taille de sa salle de bain.

    Autour d’elle s’élevaient des socles où étaient posés des vivariums. Elle en compta une dizaine. Qu’y avait-il là-dedans ?

    En réponse à sa question, un mouvement furtif, à sa droite, la saisit de surprise. Tout au fond du prisme vitré, une chose avait remué.

    Une mygale.

    Dix mygales l’avaient épiée pendant sa léthargie. Elles semblaient calmes, dans leur espace de vie, et les vivariums couverts rendaient impossible leur évasion. A priori, Cam ne craignait pas ces créatures, communes au Mexique. Mais elle se méfiait des raisons pour lesquelles on l’avait isolée dans cet endroit, au milieu d’arachnides dont le venin, s’il n’était généralement pas mortel pour l’humain, provoquait des vomissements et des douleurs parfois intenables.

    Cam testa la porte. Verrouillée, bien entendu. Elle s’accroupit, ferma les yeux, tenta de revoir les heures qui avaient précédé son éveil. Rien ne lui venait. Ils m’ont droguée, se dit-elle. Son corps avait éprouvé, ces dernières années, à peu près tout ce qui pouvait être inhalé, avalé, sniffé, absorbé par l’organisme d’une manière ou d’une autre. Quelques mois auparavant, on lui avait inoculé du Rohypnol avant d’abuser d’elle. Le lendemain matin, elle s’était réveillée dans une chambre d’hôtel, nue et endolorie, sa mémoire n’arrivant pas à recomposer les événements. Elle ne s’était pas donné la peine de prévenir la police. Dans ce pays, les policiers se vendent mieux que l’eau embouteillée.

    Cette fois, c’était plus inquiétant. Cam avait beau essayer, elle ne parvenait pas à retracer un événement récent. À force de concentration, elle réussit à faire apparaître dans son esprit quelques images floues. Des verres alignés sur une table. Une cahute si rudimentaire qu’elle ne pouvait que se situer à l’extérieur de la ville, dans la campagne mexicaine. Cam se rappelait avoir erré dans les rues de Guadalajara, une semaine auparavant. Lui revenait une odeur – le musc insupportable de l’homme qui lui avait fourni sa ration de Perrico¹. La suite était plutôt embrouillée. Elle se focalisa sur les images intrigantes revenues à la surface une minute plus tôt. Les verres… le goût familier de la tequila… des quartiers de lime éparpillés… deux hommes, assis sur un sofa à proximité d’elle. Ils riaient, conféraient à voix basse tandis qu’elle engloutissait verre après verre. Impossible de se remémorer leurs visages. Comment s’était-elle rendue là ? Elle vivait au Mexique depuis deux ans, cantonnée à Guadalajara. Elle n’avait jamais quitté l’État du Jalisco, bien au fait de la violence qui caractérisait, en raison des cartels, d’autres États comme le Sinaloa, le Guerrero, le Chihuahua.

    Cam ouvrit les yeux. Son corps retrouvait petit à petit sa mobilité, ses pleines sensations. Elle s’inspecta à nouveau de la tête aux pieds. Quelques détails l’agaçaient.

    Une douleur à la main gauche gagnait en intensité, à un tel point qu’il lui était impossible de plier les doigts.

    Sa main droite, elle, était intacte. Si on ne tenait pas compte du sang séché sous ses ongles.

    Cam réfléchissait depuis de longues minutes à ce qui avait pu lui arriver quand un cliquètement lui permit de croire que quelqu’un cherchait à pénétrer dans la pièce. Elle eut le réflexe de se raidir, sur ses gardes. L’entrebâillement fit jaillir, dans le cube humide, un polygone de lumière sur lequel se découpa une silhouette. Une silhouette irrégulière, laissant croire à un être de plus forte taille qu’un homme normalement constitué.

    L’individu avança d’un pas et Cam constata qu’il s’agissait d’un homme revêtu d’une espèce de scaphandre.

    — Bonjour, Cam, dit-il.

    — Qui êtes-vous ?

    À travers le rectangle qui encadrait le haut du visage de l’intrus, Cam ne voyait que des traits qui ne lui rappelaient rien : des sourcils comme des porcs-épics hérissés l’un contre l’autre et un nez auquel on aurait pu attacher une remorque.

    — Vous avez bien dormi, on dirait.

    L’accent était québécois, comme le sien.

    — Qui êtes-vous ?

    — Vous saurez tout en temps et lieu.

    La voix était métallique, et Cam prit conscience qu’elle résonnait depuis des haut-parleurs disposés dans deux coins du plafond.

    — Qu’est-ce que je fais ici ?

    — Vous avez fait connaissance avec ma garde spéciale ?

    L’homme désigna les vivariums.

    — Vous savez ce que le pouvoir et la menace ont en commun ? Ils sont là où on ne s’y attend pas.

    Il porta à nouveau son regard sur Cam.

    — Qu’est-ce qui vous menace le plus, en ce moment ?

    Cam l’observa. Les rouages de sa mémoire tournaient à vive allure pour tenter de retracer ne serait-ce qu’un vague souvenir de cet homme qui semblait la connaître. Elle avait fait la fiesta avec tant d’hommes, depuis deux ans, qu’essayer de recadrer celui-ci revenait à vouloir identifier la vache responsable du nuage de lait dans son premier café du mois dernier.

    — Vous, répondit Cam.

    Au regard de l’homme, elle comprit qu’il souriait sous son scaphandre.

    — Je ne vous cacherai pas que, si on devait en venir à une altercation, je me servirais du .45 Magnum qui dort au chaud dans une poche de mon uniforme. Et si par le plus pur hasard vous réussissiez à me terrasser, vous auriez à affronter trois autres hommes armés, de l’autre côté de cette porte. Mais ce n’est pas la menace immédiate qui vous guette, Cam.

    Cam évalua ses chances d’accomplir ce que son vis-à-vis venait d’évoquer. Peut-être qu’il bluffait, mais elle avait envie de le croire. On était au Mexique et, même si Guadalajara était une ville relativement sécuritaire – du moins plus que bien d’autres, dans ce pays –, les cartels se ramifiaient partout, comme les veinules d’un système qui a eu le temps de proliférer et d’alimenter tout l’organisme qu’il fait vivre.

    Une pensée à la fois inopportune et terrifiante lui traversa l’esprit.

    Qu’est-ce qui te dit que tu es encore à Guadalajara ? Si on t’a enlevée, on a pu t’amener n’importe où. Quand l’inconnu était entré, Cam avait cru distinguer le bruit des vagues, de l’autre côté.

    Il reprit son laïus.

    — Dans l’immédiat, la menace se trouve dans chacun de ces vivariums. Vous avez eu le temps d’y jeter un œil, Cam ?

    — J’ai vu vos mygales. Les araignées ne me font pas peur.

    Le rire qui retentit dans les haut-parleurs fit tiquer une patte de la mygale prisonnière du premier vivarium, à gauche de Cam.

    — Pour dire vrai, chacune de ces araignées m’importe peu. Ce sont des porteuses.

    Cam aperçut au fond du vivarium un phénomène qui attira son attention. La mygale maîtresse des lieux, immobile l’instant précédent, remuait maintenant d’une manière inhabituelle. Comme si elle avait la capacité de faire bouger la peau de son dos.

    — Approchez-vous, suggéra l’homme à Cam.

    Sa voix révélait qu’il était peut-être plus jeune qu’elle.

    Sur le dos de la mygale apparaissaient à présent des perforations d’où grouillaient ce qui s’apparentait à des parasites. La voix dans les haut-parleurs reprit pour gloser ce qui se produisait.

    — Je vous présente la pepsis formosa, une guêpe capricieuse, qui vit en milieu chaud et humide. Sa caractéristique principale, c’est son affection pour la mygale ou la tarentule. Après en avoir paralysé une avec son venin, la guêpe pond sur son abdomen. Ensuite, les larves éclosent et pénètrent dans l’abdomen par le trou de la piqûre. Appelons ça le souci de la mère pour l’avenir de ses enfants.

    Tandis que l’homme parlait, Cam assistait au spectacle de la mise à mort de la pauvre mygale.

    — Pendant la gestation, reprit-il, les larves se nourrissent de l’intérieur de notre amie à huit pattes, en prenant soin de préserver les organes vitaux jusqu’à la naissance.

    Dans le vivarium, un insecte s’extirpait, au prix de grands efforts, d’un des trous sur le corps de la mygale. Cam en ressentit un dégoût qui hissa son cœur jusqu’à sa gorge. L’homme reprit son cours d’entomologie.

    — La piqûre de cette guêpe provoque une douleur électrique et atteint presque le sommet de l’échelle de Schmidt, en matière de pénibilité. Pour quelqu’un comme vous et moi, mis à part une douleur fulgurante qui marque les cinq plus longues minutes de votre vie, elle ne représente aucun danger réel. À moins qu’elles soient plusieurs à attaquer, évidemment.

    Cam prit la mesure de ces informations. Et comprit pourquoi l’homme était accoutré comme pour explorer un fond marin. Chacun des vivariums était pourvu d’un couvercle muni d’une moustiquaire. Pour le moment.

    — Il est difficile de dénombrer la quantité de formosas qui verront le jour au cours des prochaines heures, mais je crois que vous avez compris l’essentiel.

    — Qu’est-ce que vous attendez de moi ? demanda Cam.

    1. Surnom populaire de la cocaïne, en espagnol sud-américain.

    2

    ENTRE PARIAS

    8 août 2019

    Cam avait mentalement numéroté les vivariums de un à dix. Du nombre, au moins six commençaient à s’activer.

    Il y avait longtemps que l’homme était reparti. Cam avait tenté par tous les moyens de sortir de sa prison, en vain. Elle s’était ravagé les épaules à essayer d’enfoncer l’épaisse porte de bois, résolue à affronter les hommes armés de l’autre côté – s’ils étaient bien là.

    Pourquoi être venu la voir et la laisser croupir encore ici ensuite ? Elle avait demandé à l’homme ce qu’il attendait d’elle. Il s’était contenté de répondre par un sourire, qu’elle avait deviné aux plis soudain dessinés au coin de ses yeux. Puis il avait quitté la pièce, la laissant seule avec elle-même. Et des pepsis formosa sur le point de naître.

    Un détail : l’homme avait pris soin d’enlever la moustiquaire de chacun des vivariums avant de partir.

    Si elle restait dans ce cube d’adobe, Cam risquait de le voir essaimer de guêpes d’une minute à l’autre.

    L’homme avait dit vrai. Le pincement de l’agression était électrique et insupportable. Piquée dans le cou, Cam se roulait de douleur sur le sol. Elle avait été atteinte trois fois par balle, dans l’exercice de sa profession. Aucune de ses blessures ne l’avait fait autant souffrir que le dard de cette salope qui venait de l’agresser gratuitement. On aurait dit que la guêpe l’avait attaquée au moyen d’un surin comme en fabriquaient les détenus du Puente Grande Penal Federal.

    Au terme d’une éternité à rager, à poncer la piqûre avec de la terre sans pour autant y gagner au change, Cam se releva, les yeux mouillés par la colère et la souffrance. Ces saloperies d’insectes savaient faire mal.

    Et il y en avait d’autres qui risquaient, comme la première qui l’avait piquée, de prendre connaissance qu’elles côtoyaient une étrangère dans cette pièce exiguë.

    Cam sentit naître au fond d’elle-même une sensation qu’elle attribua d’abord au venin. Elle se souvint cependant des paroles de l’homme : ce poison-ci est banal pour l’humain. Banal mon cul, oui. La sensation au creux de son ventre était pourtant bien réelle.

    La panique. Une panique crue et froide comme Cam en connaissait parfois, lorsqu’elle revenait à la maison après une dure journée passée à côtoyer des indics récalcitrants, des toxicos maniaques, des dealers véreux et menaçants.

    Voilà qu’elle était exposée, sans arme pour se défendre, vulnérable parce que la peau de son visage, de sa nuque, de ses bras s’offrait à ces guerrières qui attaquaient sans provocation. Parce que c’était leur nature. Parce qu’elles ne faisaient pas de distinction entre ceux qui méritaient leur courroux et ceux qui auraient dû en être exemptés. La douleur était universelle, gratuite pour tous.

    Était-ce bien un bourdonnement que Cam percevait ? En réponse à sa question, elle aperçut, dans l’éclairage rougeâtre de sa prison de fortune, du mouvement dans l’air. D’autres guêpes étaient sorties de leur vivarium.

    La brûlure, dans son cou, s’était estompée. Celle qui avait pris naissance au creux de son ventre s’accentua.

    Puis un bourdonnement plus intense que celui des insectes secoua la pièce.

    La voix de l’homme dans les haut-parleurs.

    Trois autres piqûres avaient terrassé Cam avant sa libération. La douleur s’était avérée fulgurante, pire encore que celle de l’agression initiale. Si elle devait retourner dans ce cachot, Cam allait s’ouvrir les veines pour ne plus avoir à affronter les assauts de ces créatures barbares qui avaient vidé le ventre des mygales et qui, insatiables, avaient trouvé un autre corps à conquérir.

    — Vous allez survivre.

    La voix était différente quand l’étranger s’exprimait sans son équipement. À présent, il était assis dans un salon attenant au cachot. Coiffé d’une casquette verte, il portait un t-shirt élimé, sur lequel figurait un énorme X. Mi-trentaine, il aurait pu ressembler à n’importe quel adepte de jeux vidéo pour qui la vie se résume à incarner quelqu’un d’autre que soi-même ; mais il affichait une assurance qui indiquait à Cam qu’il tenait sa propre personne en assez haute estime pour se contenter amplement de lui-même.

    — La démonstration vous a convaincue ?

    La douleur s’était muée en une colère sourde. Mais si elle laissait libre cours à ses envies vindicatives, Cam s’exposait au courroux des trois hommes armés qui encadraient son tortionnaire. Des hommes qui mouraient d’envie de purger leurs AR-15 des projectiles qu’ils retenaient comme un désir inassouvi. Le pays était infesté de sicarios² à la solde des plus nantis et des moins scrupuleux.

    — Où on est ? s’enquit Cam.

    — Vous êtes là où on a besoin de vous.

    L’homme adressa un signe à sa garde rapprochée, qui se dispersa. Les hommes sortirent, et Cam eut le temps d’apercevoir la mer et une plage avant qu’ils ne referment la porte.

    — Altata est un secret bien gardé, dit-il. Un petit paradis sur le Pacifique.

    Il lui servit à boire. Cam remarqua ses tatouages : trois doigts d’une main arboraient les lettres L.O.V., et sur deux doigts de l’autre, les lettres A et O. Il fit tinter son propre verre contre celui de Cam et avala d’un trait l’alcool qu’il venait de leur verser à tous les deux. Cam se contenta de humer la boisson, évita d’y tremper les lèvres.

    — Buvez sans crainte. Ce serait stupide de ma part de vous empoisonner alors que j’ai besoin de vous.

    — Qui êtes-vous ?

    — Je m’appelle Rico Landa. Vous pouvez m’appeler Rico, comme les autres, précisa-t-il en désignant du menton les hommes qui avaient quitté la pièce.

    — Qu’est-ce que vous me voulez ?

    Rico inspira une longue bouffée d’air. La sueur sur son visage trahissait le fait qu’il ne s’habituait pas plus que Cam à la chaleur suffocante du pays.

    — On a quelques points en commun, vous et moi, répondit-il. Le principal d’entre eux, c’est que je suis un ancien flic, moi aussi. On m’a éjecté, comme vous.

    Cam garda le silence. Elle évitait de songer à la façon dont sa carrière de policière avait été mise en jachère. Abruptement, dans l’amertume et les soupçons. C’est ce qui l’avait menée à la débauche et, avec le temps, à suivre un salaud jusqu’au Mexique, où elle croupissait depuis deux ans en se mettant dans le corps plus de coke que de nourriture. Elle ne s’illusionnait pas : les chances qu’elle réintègre la Sûreté étaient de l’ordre de zéro sur jamais.

    — Vous avez quitté le Québec depuis un moment, reprit Rico, mais je parierais que vous avez entendu parler du ZVD Convoy.

    — Je ne suis pas venue au Mexique pour regarder la télé.

    Rico s’alluma une cigarette, dont il prit le temps d’inspirer une longue bouffée avant de projeter dans l’air une fumée qui s’attarda autour de lui comme un problème tenace. Il poursuivit.

    — Le ZVD Convoy est un navire qui a mouillé au port d’Altamira, il y a une semaine, en partance pour le Canada. Il comptait à son bord un dénommé Noël Sarmino. Sarmino est un mafieux venu se faire oublier au Mexique, comme vous et moi. J’ai eu le déplaisir de le côtoyer pendant quelques mois, ici-même. Il a fini par se lasser des enchiladas et de la sieste d’après-midi, et il a plié bagage pour retourner chez lui, à Montréal. C’est juste après son départ que je me suis rendu compte de ce qu’il avait fait.

    — Il a volé votre sombrero et c’est pour ça que vous portez une casquette ridicule ? railla Cam.

    — Vous êtes comique. On verra si ça vous aide à retrouver Sarmino.

    — Pourquoi je ferais ça ?

    — Voyez-vous, Cam, j’ai laissé ma fille à Montréal. Elle s’appelle Alexandra. Belle, intelligente, promise à un brillant avenir. Le hic, c’est qu’il y a une semaine que je n’ai plus de ses nouvelles.

    — Arrêtez de fumer et lavez-vous, elle aura peut-être envie de recommencer à vous fréquenter.

    Rico ignora l’attaque.

    — Sarmino n’a pas choisi le Mexique au hasard pour son escapade. Il m’a fréquenté à dessein avant de me faire savoir qu’il avait fait enlever ma fille. Le passé est un venin qui agit parfois à retardement, Cam. Il prend le temps de se laisser oublier, puis il se diffuse jusqu’à vos organes vitaux. Du temps que je travaillais pour le SPVM³, j’ai eu affaire aux Italiens plus souvent qu’à mon tour. Un jour, j’ai fait une connerie qui a convaincu les patrons de m’enlever mon badge et mon gun. Mais les affronts que j’ai fait subir aux Italiens ne peuvent pas être abandonnés sur le bureau du chef du SPVM, à côté de l’insigne et du Glock. J’ai cru que Sarmino venait ici pour s’enrichir. Il venait plutôt pour venger ceux des siens à qui je m’étais frotté.

    Cam pensa à sa propre situation. Quoi qu’il lui ait infligé, Rico, si c’était son vrai nom, avait un passé qui faisait écho au sien. Elle était plus vieille que lui de deux ou trois ans, et son fils n’était encore qu’un gamin, mais elle se trouvait déjà des points communs avec Rico, dont le plus important : l’angoisse qui vous tenaille quand vous ignorez ce qui arrive à votre enfant.

    — Sarmino doit mourir, dit Rico en élevant la voix. Il n’y a pas d’autre solution pour les ordures dans son genre.

    2. Tueurs à gages, au Mexique, la plupart du temps à la solde des cartels de drogue.

    3. Service de police de la Ville de Montréal.

    3

    LA NUIT SENTAIT LE SOUFRE

    8 août 2019

    Le ZVD Convoy avait tué une trentaine d’innocents.

    Soyons plus précis : Rico Landa avait assassiné une trentaine d’innocents. Quatre jours avant la rencontre de Cam avec Rico, le navire marchand avait explosé au large de la côte gaspésienne, en provenance du port de Baltimore. La tragédie n’avait laissé aucun survivant, une charge de C4 ayant fait exploser le navire dans un fracas tonitruant qui avait incendié l’horizon pendant des heures. Les Services frontaliers et la Gendarmerie royale du Canada étaient saisis de l’enquête. Un article du Devoir, que Cam avait sous les yeux grâce à l’ordinateur que Rico venait de placer devant elle, indiquait que dans les heures qui avaient suivi la tragédie,

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