Sept

Au royaume du nickel

Conglomérat

Le rebord de ma fenêtre semblait assez solide pour supporter mon poids. En grimpant sur la table de nuit, on y accédait facilement: j’en fis mon perchoir, un endroit autrement plus accueillant que le compartiment fumeurs réservé aux employés de l’hôtel où, entrouvrant la fenêtre muni de ma polaire, je pouvais lire et fumer tout en observant les mouvements dans la vaste cour adossée à l’hôtel, qui tenait plus de l’esplanade. Un bon point de vue. Il n’y passait cependant pas grand monde, ou quasi invisible sous une tonne de vêtements, le pas pressé pour échapper au froid intense qui sifflait là. Le vent avait poussé des bouteilles en plastique contre une congère, comme les courants marins les concentraient quelque part au sud de l’Atlantique – cette fameuse mer de plastique qu’on disait plus grande que bien des pays au monde et qui pourrissait la vie des poissons… Une autre silhouette passa bientôt sur l’esplanade, actionnant son portable, une femme si l’on se fiait à sa démarche.

Je fumais à la fenêtre tout en refroidissant la chambre – la chaleur et la soif postvodka m’avaient réveillé plusieurs fois dans la nuit. Il fallait se battre avec les bourrasques qui voulaient envoyer valdinguer vitre et rideaux, mais une bonne pression du coude gauche me permettait de filtrer le bon air pollué du dehors tout en gardant les mains libres. J’appris par la plume de Sylvain Tesson qu’il ne faut jamais voyager avec des livres évoquant sa destination. se déroulant près du lac Baïkal, j’y échappais de peu. Quelques pigeons filèrent à hauteur du cinquième étage, à fond de train vu la température ambiante. C’est toujours un moment privilégié de découvrir de nouveaux lieux, enfin prendre son temps, observer, noter, contempler, penser, parler à des inconnus, le cas échéant renouveler sa garde-robe… Bon, à Norilsk, c’était mort: outre les sempiternelles horreurs décoratives made in China, la boutique de souvenirs de l’hôtel vendait des chaussons fourrés, des bottes en poils de renne, des peaux d’ours ou de loups, et c’était la seule enseigne que j’avais vue en ville. Ça me faisait mal au cœur de voir pendre ces peaux d’animaux sauvages, autrement plus gracieux que nous autres, et morts de surcroît sans que la faim en soit la cause. Chasser pour le seul plaisir de tuer, voilà bien la marque d’une espèce qui mériterait

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Sept

Sept1 min de lecture
L'usage De Télévision
A l'instar de Joseph Kessel ou Albert Londres, Nicolas Bouvier est une figure du grand reportage élevé à sa plus haute noblesse. Mais s'il a sillonné le monde, des Balkans au Japon, ainsi qu'en témoigne le cultissime Usage du monde – la bible des gra
Sept2 min de lecture
Notre Manifeste Sept, Le Meilleur Du Slow Journalisme Francophone
Osons être utiles. Notre mission n'est pas de vous distraire. Le journalisme utile que nous pratiquons ne veut cependant pas dire journalisme utilisé ou utilitaire. Nous sommes utiles parce que nous éclairons notre temps de manière intelligible et qu
Sept22 min de lecture
Andrée Viollis
«Un Albert Londres au féminin». C'est sous cette épithète, toute relative cela va de soi, qu'Andrée Viollis fut (trop) souvent bornée. Comme son aîné de trois ans, elle était concernée par de semblables préoccupations: les appétits révolutionnaires d

Livres et livres audio associés