Sept

Andrée Viollis

«Un Albert Londres au féminin». C'est sous cette épithète, toute relative cela va de soi, qu'Andrée Viollis fut (trop) souvent bornée. Comme son aîné de trois ans, elle était concernée par de semblables préoccupations: les appétits révolutionnaires de la Russie, l’émancipation débridée de la Chine, etc. Avec tant de conviction qu'en 1932, Elie-Joseph Bois, le très respecté rédacteur en chef du Petit Parisien lui confia, au sein de son quotidien, la charge précédemment occupée par le prince des reporters, enrôlé lui par Le Journal. Cette même année, l'un et l'autre se retrouvèrent aux marges du conflit sino-japonais dans les environs de Shanghai.

Viollis, pragmatique, efficace et conséquente, Londres, secret, malade et en partance pour son ultime voyage achevé quelques semaines plus tard dans les eaux du golfe d'Aden et les flammes du Georges Philippar.

Fille d'un préfet et d'une salonnière, mariée à un prof de philo puis à un conservateur de musée, Andrée Viollis n'aurait jamais dû accéder à la charge de journaliste. Sauf qu'elle était entreprenante et plus encore préoccupée de promouvoir la cause des femmes. En ces temps lointains, la presse pouvait s'avérer un levier efficace et la Première Guerre mondiale, traversée d'un brassard de la Croix-Rouge, un déclencheur inespéré.

Avec un temps de retard, l’échotière devint reporter. Son style est sans doute moins enlevé que celui de Londres, mais son bagage en matière de géopolitique aussi pesant et sa pratique des langues étrangères bien supérieure. Ses convictions n'avaient rien à envier à celles de son pendant masculin. On en veut pour preuve la répartie cinglante et désarmante à la fois imposée à un officier japonais qui s'inquiétait de sa présence en terrain hostile: «… mon métier, tout simplement!»

Premier regard

Dès le soir, je veux prendre possession de Moscou. Oh! Tout juste un premier coup d'oeil. Il fait une nuit tiède, velours bleu criblé de points d'or. Point de lune. Point non plus de ces enseignes lumineuses, de ces débauches de feux aériens, violents, changeants, qui, dès le crépuscule, chassant le rêve, transforment tyranniquement Paris ou Londres en féeries barbares. Les magasins sont fermés, car c'est samedi. Point de cafés. Seuls quelques cinémas, encadrés comme partout d'affiches américaines au grossier bariolage, ouvrent leurs gueules embrasées. Et c'est dans une ombre trouée çà et là par les yeux bleus des ampoules électriques que je me mêle à la foule bruissante, flâneuse en cette belle soirée comme une foule italienne, plus grave, plus silencieuse pourtant, et dont le visage reste presque aussi invisible que l’âme.

Très peu d'autos, mais le long d'une large voie au fantasque alignement, à la chaussée inégale, bondissent et vrombissent, avec une hâte aveugle et redoutable, de gros autobus couleur de hanneton; plus loin, sur la place Sverdloff, centre de la ville, des tramways d'où pendent des grappes humaines ne cessent de se succéder. L'Opéra domine cette place de sa masse un peu lourde; mais son portique corinthien surmonté d'un chariot aux chevaux cabrés disparaît, ainsi que les édifices voisins, de ce style Empire russe qui a tant de grâce altière, sous une carapace d’échafaudages.

– On restaure en ce moment, on restaure partout, me dit mon guide, et il faut se hâter car bientôt viendra l'hiver.

Des deux côtés de la chaussée s'arrondissent de beaux jardins lustrés, récemment créés. Les bancs sont occupés par des gens qui devisent et fument; des enfants jouent dans les allées. Des groupes admiratifs se figent autour d'un vaste massif sur lequel est concentrée la lumière de plusieurs becs de gaz. C'est vraiment un chefd'oeuvre d'architecture florale. Sur l'une des faces, formé par une mosaïque de géraniums, deapparaît. Des gamins comme tous les gamins, crient les journaux du soir, sur la même mélopée qu’à Paris, Londres ou Rome. D'autres offrent à bras tendus aux passants des bouquets d'asters éclatants, des roses d'automne et des chrysanthèmes. Vision d’éclair: dans des rauquements pressés de trompe, crêtée de casques fulgurants, laquée de rouge, bardée d’échelles, surgit en grondant, puis disparaît, une pompe à incendie géante, dernier modèle de Londres.

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Sept

Sept14 min de lectureWorld
Martha Gellhorn
C’était une femme costaude dotée d'un caractère trempé. Un tempérament qui ne détestait rien moins que de se faire dicter une conduite et, plus encore, de se voir imposer un choix. On imagine les étincelles que ses confrontations avec Ernest Hemingwa
Sept1 min de lecture
La Danse Du Soleil
La danse du soleil raconte l'histoire vraie de Robert Sundance, né Rupert Mc Laughlin dans une réserve sioux du Dakota du Sud en 1927. Engagé militaire pour fuir sa condition, il tombe rapidement dans l'alcoolisme. Le lecteur est trimbalé le long d'u
Sept1 min de lecture
Officier Nazi Et Capitaine Des Bleus
Qui se souvient encore d'Alexandre Villaplane, de ce gamin des quartiers populaires d'Alger qui devint une star du football français avant la Seconde Guerre mondiale? Villaplane a sombré dans les bas-fonds de l'histoire parce qu'il n'a pas su choisir

Associés