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Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue
Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue
Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue
Livre électronique250 pages9 heures

Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue

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À propos de ce livre électronique

Nadia Doucet est devenue riche et célèbre en écrivant l’histoire de Cendrine, la fille du crématorium.

Son livre ne laisse personne indifférent ; il éveille même en elle des passions malsaines et dangereuses.

Elle sort tout juste d’une relation toxique, néanmoins son ex, un policier, refuse de la laisser partir. Elle n’est plus en sécurité nulle part.

Hantée par la mort de Cendrine, la journaliste est confrontée à des phénomènes surnaturels effrayants. Tant bien que mal, la jeune femme cherche à se
défaire de l’emprise de forces invisibles qui veulent la guider vers un lieu mythique tiré de ses cauchemars les plus macabres…

Découvrez l’histoire troublante de Nadia, journaliste spécialisée dans les récits de tueurs en série,
marquée à jamais par sa rencontre avec Cendrine, l’héroïne du Conte Interdit Cendrillon.
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2023
ISBN9782898191343
Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue
Auteur

Sylvain Johnson

Sylvain Johnson est originaire de Montréal. Il passera toutefois une partie de son enfance dans le village de Sainte-Thècle, en Mauricie. Il se retrouvera ensuite à Shawinigan pour y étudier en Arts et Lettres avant de retourner vivre dans la région métropolitaine. Il occupera des postes dans quelques clubs vidéo et salles de courriers avant de s’exiler aux États-Unis. Ses passions sont l’écriture, la lecture, la randonnée pédestre et le voyage sous presque toutes ses formes.

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    Aperçu du livre

    Dans l'univers des Contes Interdits - Nadia, la journaliste déchue - Sylvain Johnson

    cover.jpg

    Pour ma mère, partie trop tôt.

    1

    Yamachiche, Mauricie

    Pierre Bélisle immobilisa sa vieille Chrysler rouge criblée de taches de rouille sur le côté de la route en terre battue. Les freins émirent leurs habituelles plaintes, un indice indéniable de l’usure au-delà du raisonnable de ces pièces qu’il jugeait trop coûteuses à remplacer. Le moteur surchauffait et l’aiguille de l’indicateur de température du liquide de refroidissement tanguait comme le marin sur le pont d’un navire. D’un tour de clé, le quinquagénaire fit taire la voiture. Il baissa ensuite sa vitre, malgré la chaleur suffocante de ce mois de ­juillet caniculaire qui s’engouffrait librement, pour tendre l’oreille à cette nature sauvage qui s’activait tout autour. Les oiseaux et les insectes formaient un agréable et apaisant concert. Aujourd’hui, Pierre entendait ces bruits ambiants, mais ce n’était pas toujours le cas. Son ouïe endommagée n’était qu’un problème parmi tant d’autres dans la multitude qui l’affectait.

    Son regard passa de la forêt à la petite route de campagne en ligne droite d’une dizaine de mètres qui menait à une construction délabrée au terrain plus encombré qu’un dépotoir. Pas un centimètre de pelouse ou même l’entrée de cour ne se voyaient à travers ce fouillis. Gisaient en désordre des machines à laver, des carcasses de bagnoles, des appareils divers, des vélos, des tonneaux renversés et tant d’objets hétéroclites qu’on doutait de la possibilité d’y trouver un bâtiment habitable.

    La sueur ruisselait sur le front de l’ex-agent des services correctionnels. Il se décida à sortir de sa voiture pour passer son arme à feu dans son dos, entre sa ceinture et son pantalon. Il titubait en s’éloignant de sa Chrysler. Marcher devenait de plus en plus difficile, sa jambe droite refusait parfois de lui obéir. Les jours de pluie, la douleur l’empêchait même de dormir. Pierre maugréa à voix basse avant d’avaler deux autres comprimés antalgiques, à sec. Il s’avança vers le capharnaüm où le soleil de plomb qui menaçait d’enflammer le décor se reflétait sur de nombreuses surfaces métalliques ou vitrées.

    Pierre zigzaguait entre les objets et approchait de la structure de bois à la toiture en aluminium lorsqu’il entendit une faible musique. Elle semblait provenir de l’arrière-cour. Il prit donc cette direction, contournant le bâtiment pour découvrir une étendue sans fin de ferrailles. Il avait sous les yeux un champ d’une trentaine de mètres de large rempli d’articles de toutes les formes et grosseurs et de matériaux. Pierre s’était trompé en comparant l’endroit à un dépotoir, il ressemblait davantage au site d’un écrasement d’avion de ligne.

    Un homme se tenait tout près d’un réfrigérateur à la porte ouverte et dans lequel il soudait quelque chose à grands jets d’étincelles. Pierre s’approcha de celui qui lui tournait le dos et qu’il suspectait d’être Laurent Quesnel, le propriétaire de ce commerce faussement répertorié sous le nom de Marché aux puces de Yamachiche. L’individu s’affairait à installer des tablettes dans l’appareil General Electric sans deviner la présence derrière lui. Sur une caisse de lait retournée, une petite radio à piles libérait la voix suave d’Elvis Presley qui chantait au sujet d’une prison. La coïncidence fit sourire Pierre, dont le séjour au pénitencier de Trois-Rivières en tant qu’agent de services correctionnels le suivrait jusqu’à sa mort. La détérioration rapide de sa condition physique lui avait coûté cet emploi qu’il avait occupé fièrement pendant dix ans.

    Le soudeur s’immobilisa soudain, conscient de ne plus être seul, pour se redresser et retirer sa visière protectrice. Pierre esquissa un sourire poli au barbu qui se tournait vers lui. Laurent Quesnel le détailla d’un regard empreint d’une grande intelligence et son physique enviable pour un homme dans les soixante-dix ans déplut à son visiteur. Au fil du temps, le travail à l’extérieur et le dur labeur avaient transformé son corps en véritable nœud de muscles. Le soudeur se débarrassa de son casque et de ses gants pour s’approcher de Pierre, tout en sortant un mouchoir de sa poche pour s’en éponger le front. Sa voix rauque trahissait une maladie de la gorge quelconque.

    — C’est vous qu’y avez appelé ?

    — Oui, c’est moé, admit Pierre.

    Laurent le considéra un moment, comme pour le jauger, mais aussi pour constater que la moitié droite du visage de l’ex-agent des services correctionnels ne répondait plus. Les muscles étaient atrophiés depuis son empoisonnement au mercure à la prison de Trois-Rivières. Cette exposition au produit toxique représentait la source de tous ses problèmes, mais les administrateurs de l’établissement ne lui avaient octroyé, en dédommagement ridicule, qu’une maigre solde mensuelle, insuffisante pour payer son loyer.

    Laurent fit signe à Pierre de le suivre avant de pénétrer plus profondément au cœur du cimetière métallique. Une épaisse végétation verdoyante entourait le site, offrant une intimité non négligeable. Pierre comptait sur la solitude d’un tel bonhomme, sur l’absence de toutes autres traces de présences humaines pour mettre à exécution son plan. Tout indiquait que le vieux vivait seul. Ils progressaient dans le fouillis aux articles qui étonnèrent Pierre à plusieurs reprises, mais l’ultime surprise fut de rencontrer un char d’assaut auquel il manquait les chenilles.

    En chemin, Pierre ressentit enfin l’effet tant attendu des comprimés antidouleurs dont il abusait, ce qui lui permettait de bouger un peu mieux. Il titubait quand même et devait fréquemment essuyer la bave sur son menton, mais suivre Laurent devenait plus facile.

    Ce dernier s’arrêta non loin d’une énorme bâche étendue sur un objet cubique qui devait mesurer trois mètres de large. Pierre fixait la chose et réalisa que le vieux lui parlait. Les mots ne parvenaient cependant pas à pénétrer son conduit auditif pour y être analysés. C’était une autre séquelle de son séjour dans la prison où la folle de Cendrine avait déployé son mercure meurtrier dans le système de ventilation.

    — Désolé, pouvez-vous répéter ? demanda Pierre.

    Les yeux plissés par la curiosité, Laurent s’exécuta.

    — J’espère que cé c’que vous cherchez.

    L’aîné fit le tour de l’énorme cube pour retirer les blocs de parpaings qui tenaient les quatre coins de la bâche en place lors des grands vents. Il tira ensuite le polyéthylène pour le déposer au sol. Pierre retenait son souffle tandis qu’apparaissait devant lui l’incinérateur en briques doté d’une porte métallique. Il avait reconnu l’horrible chose entrevue sur de nombreuses photographies dans les journaux ou brièvement à la télévision.

    Face à lui, se dressait le vieux four du crématorium de la famille de Cendrine, un objet vendu par Carmen après l’emprisonnement de sa belle-fille meurtrière. Il était devenu la source de multiples légendes urbaines, en particulier depuis le livre de l’Arabe. Les collectionneurs payaient cher pour de tels articles.

    Les rayons du soleil, très haut dans le ciel, frappaient la nuque de Pierre avec la ferme intention de le brûler. La sueur imbibait ses vêtements quand il posa une question.

    — Vous avez acheté ça où ?

    Laurent retira un sachet rempli de tabac de sa poche arrière pour en engloutir une pincée dans sa bouche. Le soleil n’avait pas épargné un centimètre de sa peau visible, son teint brun tranchait avec la blancheur de son interlocuteur. De la graisse couvrait les mains du vieux qui cracha un long jet noir avant de répondre.

    — Un encan des affaires d’un vieux mort d’une crise cardiaque. Ses enfants voulaient se débarrasser de son stock sans s’impliquer.

    Pierre tentait de demeurer calme, malgré son excitation. Un éclair de douleur traversa sa jambe gauche, le forçant à se retenir à une carcasse de camion de Postes Canada, non loin de lui, pour éviter de tomber. Il songea à prendre d’autres comprimés, mais il connaissait le danger d’une consommation abusive. Le visage de Laurent se rembrunit pendant qu’il parlait.

    — C’est quoi que vous avez ?

    Pierre essuya la rivière qui lui coulait dans les yeux, le goût du liquide salé dans sa bouche ne lui plaisait pas du tout. Il osa un regard circulaire pour s’assurer de leur solitude, avant de reporter son attention sur Laurent sans répondre à sa question.

    — Je peux voir l’intérieur ?

    Laurent hésita, ce fut tout juste perceptible, mais il haussa finalement les épaules et s’approcha de la porte en acier couleur rouille pour l’ouvrir. Le métal grinça et Pierre avança, se plaçant derrière le vieil homme qui jetait un coup d’œil dans le four sombre. Une bonne couche de cendres en garnissait le fond. Laurent parla d’une voix déformée par l’écho.

    — J’espère qu’vous payez cash, j’fais pas confiance aux banques.

    — Bien certain, répondit Pierre avec intérêt.

    Il connaissait bien ce genre de bonhomme, insistant sur des transactions en argent liquide, à la fois pour éviter de déclarer ses revenus au gouvernement et aussi par crainte d’un système qui ne favorisait que l’enrichissement des institutions financières. Cette préférence pour les billets donna une idée à Pierre, qui ne put dissimuler son sourire. La tête dans l’incinérateur, le vieil homme s’exprima.

    — D’après moi, cé les restes des morts du salon funéraire.

    Pierre récupéra l’arme cachée dans son dos pour la pointer vers Laurent, qui reniflait, se raclait la gorge et cracha une mixture de tabac et de mucus à ses pieds. Avant que le vieux puisse esquisser le moindre mouvement, Pierre lui tira dans l’épaule. La déflagration résonna tel un grondement de tonnerre. Laurent fut poussé vers la monstruosité devant lui. Il se retourna avec un visage défiguré par la surprise et la douleur. Il trouva toutefois la force de crier.

    — Quessé tu fais tabarnak ? !

    Pierre avait attendu ce moment si longtemps ! En fait, depuis son départ de l’hôpital, et il agissait dans un état second, presque en extase. À cause de cette garce de Cendrine, il vivait une existence d’handicapé, plus personne ne voulait l’employer. Sa femme l’avait quitté, lassée de s’occuper de lui. Il ne bandait même plus. Les gens se retournaient sur son passage. Il inspirait la pitié, mais dans son cœur bouillonnait une rage maladive, un désir de meurtre et de vengeance irrépressible.

    Laurent essaya de s’enfuir, mais Pierre enfonça à nouveau la détente. Le projectile atteignit cette fois le vieil homme à l’estomac et il se laissa glisser par terre. Ses hurlements étaient vains, personne ne l’entendrait puisqu’ils étaient seuls. Le voisin le plus près se trouvait à quelques kilomètres. Pierre s’avança pour jeter un coup d’œil dans le four en se demandant combien de personnes y avaient été incinérées. La perspective que la furie de Cendrine vivait dans cette chose l’impressionnait, tandis que les hurlements du bonhomme le dérangeaient. Il décida de le faire taire en le frappant avec la crosse de son pistolet.

    — Arrête de crier !

    Laurent obtempéra, du sang ruisselait de ses plaies et sa main plaquée sur son estomac ne parvenait pas à endiguer le flot qui s’en échappait. Neutraliser le vieux était important, puisque les limitations de Pierre l’empêchaient d’envisager une confrontation physique avec quiconque. Fasciné par le four, il agrippa une poignée de cendres, pendant que le soleil révélait les grains de poussière qui flottaient autour d’eux en provenance du réceptacle en briques. Il laissa la fine poudre s’écouler entre ses doigts, éveillant un souvenir d’enfant sur la plage qui s’amuse à construire des châteaux.

    Pierre replaça son arme dans sa ceinture pour sortir un canif rétractable de sa poche. La lame scintilla et le vieil homme se mit à geindre, à pleurer devant l’inéluctable destin qui paraissait s’accomplir ici. Laurent détestait ce four maudit depuis son acquisition sur un coup de tête. Cette chose hideuse lui faisait peur, il préférait faire des détours dans la cour pour ne pas s’en approcher. La nuit, parfois, il croyait capter des mouvements ou entendre des sons autour de cette monstrueuse invention.

    Depuis son achat, il suspectait qu’il finirait par regretter son geste impulsif. Le jour était venu.

    Pierre plaça la lame sur son bras pour s’entailler la peau en grimaçant. La coupure était superficielle et la brûlure, bien réelle, mais cela ne suffisait pas. Il remit le couteau au même endroit et le repassa sur le tracé rouge en pressant cette fois avec plus de force. Il ne put réprimer des jurons sous la douleur, mais au moins, il parvenait à faire couler le sang. Pour la forme, il s’entailla un peu plus haut, non loin de l’articulation du coude. Étrangement, la souffrance n’était pas désagréable et lui donnait une clarté d’esprit rarement rencontrée depuis son empoisonnement. Il abusait de ses médicaments, buvait beaucoup et consommait parfois des drogues plus dures.

    Satisfait, Pierre empocha son arme pour récupérer une nouvelle poignée de cendres et la placer sous sa blessure. Des gouttes écarlates s’échappaient des deux lacérations pour atterrir dans la matière grise. Pierre braqua ses yeux fous et embués d’espoir vers le ciel pour invoquer en silence les souris de Cendrine. Il les conviait à le rejoindre, les implorait de prendre possession de son être si vulnérable.

    Il avait lu le livre de la putain d’Arabe où était racontée l’impossible histoire de la fille du crématorium. Elle le nommait même, lui, Pierre dans certaines scènes et n’eût été de sa présence entre les murs du pénitencier, il n’aurait pas cru ces histoires farfelues. Parfois, lors de ses rondes nocturnes dans les couloirs de la prison, tout près de la cellule de la Cendrée, il avait entendu des bruits étranges. Juste d’y penser lui donnait la chair de poule.

    Le bouquin de la Doucet relatait comment le four original utilisé par la fille du crématorium, les cendres et le sang versé par elle conduisaient à l’apparition et à l’union avec les êtres surnaturels. Pierre rêvait d’acquérir une partie du pouvoir décrit dans le roman, il pourrait ainsi reprendre le contrôle sur une vie en débâcle, mais surtout, se venger.

    Il désirait châtier son ex-femme, l’écrivaine, ses employeurs et… l’humanité entière.

    Mais rien ne se passa. Son sang dégouttait dans l’espèce de pâte grise au creux de sa main, sans résultat. Ses prières silencieuses ou à voix haute demeuraient sans réponse. Le soleil l’écrasait toujours de sa chaleur insupportable et sa piteuse enveloppe corporelle empoisonnée le vrillait d’une interminable douleur qui le reléguait au rang des déchets de la société. Au rythme où sa santé se détériorait, Pierre se retrouverait dans une maison de soins d’ici l’année prochaine. Mieux mourir que de devenir un légume négligé ou maltraité par des employés sous-payés.

    Pierre observa le four vide et silencieux, dépourvu de présence surnaturelle.

    Où étaient donc les foutues souris ?

    Il se demanda alors si son sacrifice était suffisant. Il s’interrogea sur la quantité de cendres et de sang requise. Pris de rage, il ressortit son canif et s’entailla les deux avant-bras et le dessus de ses mains, faisant perler l’éclatant liquide rouge sur sa peau. Trop obnubilé et enivré par l’idée d’acquérir le pouvoir surnaturel, il ne ressentait même plus la douleur provoquée par la lame.

    Au bout d’un moment de folie, il rempocha le couteau et plongea ses bras dans le four pour remuer la poussière à l’intérieur, se saupoudrant en même temps le visage, le cou et déclenchant une quinte de toux. La poudre volatile collait à ses blessures et pénétrait dans son nez, dans sa bouche. Il recula finalement pour éviter de s’étouffer.

    Rien ne se passait. Les souris manquaient toujours à l’appel. Seule la faune en retrait osait se manifester de sa mélodie journalière. Pierre devait admettre son échec, lui qui croyait sincèrement que le sang suffirait à éveiller les spectres, à faire de lui un être exceptionnel. On lui devait bien cela, sa vie s’était écroulée comme un château de cartes en plein ouragan.

    Frustré, Pierre capta un mouvement du coin de l’œil ; Laurent profitait de son état second pour s’éloigner en se traînant à genoux. Pierre approcha du bonhomme au sol pour l’agripper par les cheveux, mettant fin à sa pitoyable tentative de fuite. Il le tira ainsi vers un tas de ferraille à proximité, pour le pousser ensuite contre une machine à laver rouillée.

    Le cri d’un corbeau rompit le silence et une ombre noire passa brièvement sur les deux hommes. Une brise aurait été la bienvenue, mais l’air semblait vouloir se changer en magma et les multiples surfaces où le soleil se reflétait amplifiaient la chaleur ambiante.

    Pierre observa Laurent, assis dans la poussière, qui le fixait, un bras levé pour se protéger le visage et éviter l’aveuglement. Le sang maculait sa chemise, le haut de son pantalon, le vieil homme se vidait lentement, mais sûrement.

    Le sacrifice se poursuivait.

    Le regard de Pierre accrocha un vélo plié en deux qui gisait non loin de l’appareil ménager sans couvert et il s’en approcha. En se penchant, soufflant comme un taureau, il put en retirer la chaîne qui pendait mollement. Elle ne fléchissait même plus, solidifiée par la rouille pour former ce qui ressemblait au contour d’une nation inconnue. Pierre se retourna vivement vers le vieux pour lui frapper l’épaule avec son arme improvisée, déclenchant des cris de mort. Laurent cherchait à reculer, mais la chaîne s’abattit sur une cheville, provoquant un craquement sec. Le jus de tabac coulait sur le menton du pauvre vieux, dont la bouche grande ouverte révélait une dentition aussi rare que les diplômes sur le mur de son salon.

    Pierre vacillait, affecté par la chaleur et l’effort. Il délaissa son arme et s’approcha de la pile de déchets devant lui. Laurent gisait en position fœtale, il se tenait la jambe et pleurait. L’ex-agent des services correctionnels ramassa un morceau de tôle d’environ un demi-mètre de long et soixante centimètres de large. Le rebord était affûté et sans avertir, Pierre en frappa le bras de son adversaire immobilisé. L’autre cria, se débattant comme un poisson hors de l’eau qui cherche à replonger dans son lac froid, tandis que le tranchant revenait pour l’atteindre à nouveau. Pierre balançait la feuille de métal de droite à gauche, coupant les parties exposées qui s’agitaient. Les épaules, le dos, le ventre y passèrent. Le dernier mouvement lacéra le cou. Un gargouillis horrible s’éleva. Laurent demeura couché, se tenant la gorge, ses yeux fous fixant le firmament.

    Pierre abandonna la tôle et se rendit au four pour prendre une grosse poignée de cendres avec ses mains. Il retourna ensuite à Laurent, qui sifflait, la bouche grande ouverte, la peau sous son menton s’ouvrait pour laisser voir des muscles pendant que le sang giclait en geyser miniature. Une artère avait été tranchée.

    Une pluie de cendres s’abattit sur Laurent, qui n’en eut même pas conscience, pendant que Pierre, fier du sacrifice supplémentaire, fermait les yeux et implorait à nouveau les souris. Il demeura ainsi, immobile, silencieux, se dressant tout près de sa victime qui trépassait.

    Les spectres refusèrent de répondre à ses appels.

    Pierre réalisa alors que le soleil ne

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