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Un roman dont vous êtes la victime - Article 810
Un roman dont vous êtes la victime - Article 810
Un roman dont vous êtes la victime - Article 810
Livre électronique305 pages4 heures

Un roman dont vous êtes la victime - Article 810

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À propos de ce livre électronique

Un groupe armé fait irruption, en pleine nuit, dans une clinique psychiatrique.

Il élimine une partie du personnel, en garde une autre en otage.

Ces hommes cherchent quelque chose. Ou quelqu’un.

Mélissa Boisvert survit à la fusillade. Elle sait ce que les brutes recherchent. Le temps presse et elle seule peut les empêcher d’atteindre leur objectif. Elle se lance à leurs trousses.

La folie de son geste n’a d’égal que le danger dans lequel elle s’enlise.

Partagée entre un passé qui la hante, un présent terrifiant et un futur incertain,
osera-t-elle braver les interdits pour découvrir un secret qui risque de chambouler à jamais son existence?
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2021
ISBN9782898190865
Un roman dont vous êtes la victime - Article 810
Auteur

Sylvain Johnson

Sylvain Johnson est originaire de Montréal. Il passera toutefois une partie de son enfance dans le village de Sainte-Thècle, en Mauricie. Il se retrouvera ensuite à Shawinigan pour y étudier en Arts et Lettres avant de retourner vivre dans la région métropolitaine. Il occupera des postes dans quelques clubs vidéo et salles de courriers avant de s’exiler aux États-Unis. Ses passions sont l’écriture, la lecture, la randonnée pédestre et le voyage sous presque toutes ses formes.

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    Aperçu du livre

    Un roman dont vous êtes la victime - Article 810 - Sylvain Johnson

    Chapitre 1

    Laval, Québec

    Jeudi 17 octobre 2019

    4 h 20.

    Un cri de détresse fut suffisant pour alerter le personnel et réveiller les rares patients capables de dormir. Pour briser le silence de la clinique psychiatrique toute neuve, sur le boulevard Cléroux à Laval. Pour enflammer les esprits torturés que les médicaments ne calmaient pas. Le hurlement se répercuta à nouveau le long des trois pavillons parcourus de chambres, pour mourir au centre de la structure. Là où se trouvait le bureau des infirmières, le point névralgique des activités.

    Ce cri émanait d’une femme et ne laissait planer aucun doute. On y décelait de la douleur et une terreur pure. Ce fut un déclencheur efficace, libérant un flot d’adrénaline qui propulsa le personnel vers l’aile B. Un long couloir où logeaient les patients les plus dangereux. Ceux qu’on devait garder enfermés pour le bien des autres ou pour leur propre bien. La plupart demeuraient dans un état quasi végétatif, puisque gavés de médicaments.

    À quarante-trois ans, Mélissa Boisvert occupait les fonctions d’infirmière dans la clinique des Aiglefins depuis son ouverture, quelques semaines auparavant. Elle travaillait pour la compagnie propriétaire des lieux depuis six ans. Au moment où le cri déchira le silence, elle terminait de remplir une paperasse ennuyante et répétitive. Forte de ses années d’expérience en service psychiatrique, elle se leva immédiatement et se rua hors de ce qu’ils appelaient tous la bulle pour se diriger vers la source de la perturbation sonore.

    Par la bulle, on désignait cet espace circulaire placé à l’endroit stratégique où les trois ailes se rejoignaient. Comme pour former une étoile avec un trio de branches. La petite pièce aux murs vitrés logeait les bureaux des infirmières. Une enclave où les employés pouvaient respirer, bénéficier d’un sentiment de sécurité, tout en abandonnant le privilège de l’intimité. Les patients qui s’arrêtaient dans le corridor encerclant la bulle voyaient tout ce qui se passait à l’intérieur. Mélissa trouvait cette station de travail similaire aux cages dans un zoo, alors que les fauves en liberté leur tournaient autour, guettant chacun de leurs mouvements.

    Mélissa se retrouva en territoire ennemi aussitôt qu’elle déverrouilla et franchit la porte de la bulle. Dans le couloir, elle croisa Alex, le seul infirmier de l’établissement, ainsi que Rébecca, l’aide-soignante. Tous deux accouraient. Tous obéissaient à cette même loi non écrite qui régissait la conduite des employés de la clinique psychiatrique : il fallait agir dès le début d’une crise, réfléchir après. La sécurité du personnel dépendait souvent de sa rapidité d’action. Les dernières années avaient vu une recrudescence de la violence chez les patients, des troubles du comportement plus difficile à traiter. La misère humaine semblait attirer les maladies mentales, ou du moins les favoriser.

    Le trio en uniforme bleu poudre se dirigea prestement vers les hurlements qui se répétaient. Ses pas résonnaient sur le carrelage des couloirs. Quelques portes s’ouvrirent sur son passage, celles des chambres qu’on ne verrouillait pas. Les patients qui ne représentaient aucun danger. Il s’agissait des cas les plus légers.

    Le groupe fut avidement avalé par l’aile B. Alex fut le premier à voir ce qui clochait. Julie, l’autre aide-soignante de la soirée, gisait au sol. La jeune femme, assignée aux rondes nocturnes pour s’assurer que les consignes étaient respectées, se trouvait sur le dos. Yannick Lacasse, un patient arrivé la veille, la chevauchait. Il tentait de l’étrangler. Les cris de Julie se muèrent en borborygmes, son cou écrasé par les puissantes mains. Son délicat visage était écarlate, ses lèvres viraient au bleu, ses yeux fous fouillaient le vide autour. Elle griffait inutilement les énormes avant-bras du patient. Il la fixait avec une rage inhumaine, la bouche déformée en un rictus impitoyable. Lacasse était immense, dépassait tout le monde d’une tête. Son physique de joueur de football américain en imposait depuis son arrivée.

    Ce monstre cherchait indéniablement à tuer Julie.

    Alex les atteignit en premier. Il laissa tomber le stéthoscope qu’il tenait toujours dans ses mains. Au moment où les cris l’avaient alerté, il prenait la pression sanguine d’une patiente insomniaque. D’un bond, il sauta sur le dos de Yannick pour lui passer les bras autour du cou. Pour tirer vers l’arrière avec l’intention de le forcer à mettre fin à son emprise mortelle. Quant à Rébecca, elle s’attaqua au colosse de face, se jeta sur les puissants membres pour essayer de leur faire lâcher leur victime. Arriva ensuite Mélissa, qui glissa à genoux sur le plancher luisant pour agripper les doigts de Yannick et tenter de les retirer. Tous soufflaient, geignaient. Alex cria tout en étranglant le patient récalcitrant. Rébecca en eut plus qu’assez, elle craignait pour Julie. Elle se mit à frapper Yannick au visage avec ses poings, espérant ainsi le ramener de ce côté-ci de la réalité, car elle suspectait des hallucinations.

    Depuis son arrivée, Yannick Lacasse restait nimbé d’une aura de mystère. On ne savait rien de lui et il refusait de coopérer. Aucun antécédent médical connu, un dossier vierge. Il gardait le silence, déclinait médication et consultation. Admis contre son gré, il avait été ramassé par la police à la sortie d’un bar sur le boulevard Curé-Labelle à la suite d’une plainte d’un propriétaire de commerce. Yannick parlait tout seul et dérangeait les passants en leur criant après.

    Il devint très vite évident que les trois préposés devaient changer de tactique pour l’obliger à lâcher prise. Sa force physique semblait décuplée par de possibles hallucinations, elles-mêmes sûrement alimentées par des souvenirs traumatisants. L’homme se trouvait dans une phase de psychose intense. Julie et Mélissa tentaient toujours de desserrer l’étau de ses doigts. Yannick, victime d’assauts multiples des employés déchaînés, parut légèrement relaxer son emprise. Quant à Alex, il gueulait le nom de Yannick tout en espérant que le son de sa voix puisse mettre fin à la crise.

    En retrait, quelques patients observaient la scène avec curiosité ou malaise, sans toutefois intervenir. Il faut dire que ces âmes brisées et torturées par une vie de misère survivaient surtout grâce à un fort instinct d’autopréservation. Elles se protégeaient ; la plupart d’entre-elles flottaient dans un océan de médicaments et de traumatismes débilitants. La situation actuelle nécessiterait pour plusieurs, plus fragiles, des heures de thérapie.

    Personne n’avait sonné l’alarme pour alerter les secours, ce qui désignait l’unique gardien de sécurité qui patrouillait la propriété la nuit venue. Alex s’impatientait, même s’il en avait vu des vertes et des pas mûres durant sa carrière. En tant qu’infirmier dans l’équipe paramédicale de l’Armée canadienne, il avait été déployé à deux reprises au Moyen-Orient. Une période dont il ne parlait jamais. Alex passait pour un dur à cuire, mais s’avérait aussi doux qu’un agneau. Il possédait un grand cœur et traitait les patients avec dignité.

    Cette nuit, il osa toutefois briser le protocole en frappant Yannick. Rien de thérapeutique dans son approche puisqu’il utilisa ses genoux pour labourer le dos du colosse. Il savait que tout était filmé. L’évènement serait revu et commenté par des administrateurs ennuyés qui se la coulaient douce derrière un bureau sans devoir se salir les mains. Des pousseurs de crayons qui ne connaissaient rien de la complexité du travail dans l’unité psychiatrique. Son geste lui causerait des problèmes une fois la situation gérée, mais il refusait de demeurer les bras croisés pendant que Yannick tuait Julie. Malheureusement, les coups ne parurent même pas ébranler le colosse.

    Soufflant et jurant, Alex croisa le regard désespéré de Mélissa.

    — Faut lui faire une piqûre !

    Idiote ! Elle aurait dû y penser avant. La soudaineté de l’attaque avait embrouillé leur discernement. Ils avaient gagné l’aile B sans se préparer, ni se munir des outils nécessaires. Mélissa s’en voulut pour son manque de jugement et relâcha les mains de Yannick, maintenant couvert de sueur. Elle s’élança dans le couloir vers la pièce où étaient gardés les médicaments. Il fallait une carte d’accès pour entrer et des clés pour déverrouiller les cabinets. Dans son dos, Alex l’encouragea d’un hurlement.

    — Vite !

    Elle traversa l’aile B à la course et rejoignit la bulle. Essoufflée, elle se jeta sur la porte munie d’un mécanisme qui la refermait automatiquement. Pour éviter qu’elle reste ouverte en cas d’oubli. De ses mains tremblantes, elle s’activa avec les clés. Brûlante, la sueur coulait dans ses yeux et collait ses cheveux sur son front. Mélissa ignora les regards curieux des autres patients. La plupart commençaient déjà à se retirer dans leur chambre. On prenait conscience que les choses dégénéraient. La majorité évitait les ennuis, gardait un profil bas. Dans le cagibi où on entreposait les médicaments, une petite salle annexe à la bulle, Mélissa trouva les seringues. Puis les fioles d’Haldol¹ et d’Ativan². Il s’agissait d’un mélange efficace capable d’assommer n’importe quel patient. Du moins d’habitude, tout dépendait de la tolérance des sujets. Emplir deux seringues sembla demander une éternité, mais elle y parvint. Elle ne remit même pas les drogues dans le cabinet. Honnêtement, elle n’avait pas respecté les doses recommandées, les avait presque doublées. Un geste dangereux, mais motivé par le besoin d’assommer le patient. Personne ne pouvait se permettre d’attendre dix minutes pour que le médicament fasse effet. Mélissa laissa tout en plan, sur le comptoir. Elle fut obligée d’empocher les seringues pour prendre ses clés et verrouiller la porte, puis courir vers l’aile B.

    Les cris d’Alex l’accueillirent aux abords du couloir menant sur les lieux de l’altercation. Elle constata que Yannick se relevait. Il se redressa et recula ensuite rapidement afin de percuter le mur derrière lui. Alex, toujours sur son dos, absorba le choc en gémissant. Cette manœuvre permit toutefois à Julie d’être libérée de l’emprise mortelle. Elle resta sur place, sa poitrine se soulevant aux rythmes de ses respirations frénétiques. L’air s’engouffrait agréablement dans ses poumons. Elle n’essaya même pas de toucher son cou endolori, elle n’en avait pas la force.

    Rébecca se leva à son tour. Elle remarqua une porte ouverte devant eux, dans le couloir. Il s’agissait de la chambre de Yannick. Elle eut une idée et se mit à crier pour alerter l’infirmier sonné, mais qui tenait bon.

    — Alex, là-dedans, pis vite !

    Il observa la pièce désignée et comprit ce que Rébecca prévoyait faire. Il lâcha aussitôt le cou du géant, qui se retourna vers lui. Yannick était furieux, de la morve coulait sur sa bouche tordue, ses yeux injectés de sang promettaient une violence inouïe. Alex repensa à la bague en or qu’on avait retirée à Yannick, à son arrivée. Elle soulignait un championnat de la Ligue canadienne de football. Posséder un tel bijou ne signifiait d’habitude qu’une chose : l’homme avait joué pour une des équipes. Ce qui concordait avec sa taille démesurée, sa force colossale.

    Dans la foulée, Rébecca accourut pour se glisser derrière le mastodonte. Elle agrippa l’élastique de son pantalon de coton. Puis se mit à hurler :

    — Pousse, Alex, pousse !

    Il s’exécuta. Il avait les joues pourpres et le souffle court. Utilisant le mur derrière lui, il se donna un élan et fonça sur le patient, pendant que Rébecca tirait sur le vêtement. La surprise s’inscrivit sur le visage de Yannick, tandis que les deux employés parvenaient à le repousser dans sa chambre. Déséquilibré, il buta contre le lit pour ensuite s’affaisser au sol, sur le dos. Il faillit emporter Alex dans sa chute, mais perdit sa prise au dernier moment. Rébecca et Alex reculèrent avec rapidité, avant que Mélissa, qui les rejoignait avec les seringues inutiles en poche, ne referme et verrouille.

    Ils avaient réussi !

    Les quatre employés se laissèrent aller à même le plancher du couloir. Ils soufflaient, essuyaient la sueur qui ruisselait sur leur visage. Personne ne parla, on n’en avait plus la force. L’adrénaline se retirait et cédait la place aux tremblements et à la peur. On réalisait avoir évité le pire. Mélissa étira la main pour récupérer celle de Julie, qui pleurait en silence, reprenait des couleurs. La pauvre aurait pu y rester.

    Personne ne pensa à demander comment un tel incident avait pu se produire. Cela n’avait aucune importance pour le moment. Ce serait dans le rapport. Les mots insuffisants à décrire l’intensité du moment.

    Yannick s’était relevé et frappait la porte avec ses poings. La vitre renforcée qui formait un petit rectangle au niveau des yeux résisterait aux assauts les plus violents. Elle était incassable. Même dans son accès de fureur, le colosse demeurait muet. Mélissa jeta un coup d’œil à sa montre. Elle avait fait 6790 pas durant la nuit. Il était 4 h 27.

    Elle l’ignorait, mais le pire était à venir.

    Ce quart de travail lui réservait bien des surprises.

    1. Un médicament antipsychotique typique de la classe des neuroleptiques utilisé pour le contrôle des symptômes des psychoses aiguës, de la schizophrénie aiguë, des phases maniaques chez les bipolaires (maniaco-dépressifs), de l’hyperactivité et pour contrôler l’agressivité, l’agitation extrême et les pensées psychotiques.

    2. Médicament utilisé pour traiter l’anxiété, l’angoisse, les crises comitiales, la phobie sociale et l’insomnie.

    Chapitre 2

    4 h 30

    Les quatre employés se trouvaient toujours adossés au mur dans le couloir de l’aile B lorsque le gardien de nuit arriva au pas de course. La cavalerie n’avait pas livré la marchandise. Joël Lebeau s’occupait de la sécurité dans l’unité de psychiatrie plusieurs soirs par semaine, avec quelques confrères tout aussi désabusés que lui. Des retraités en mal d’aventures, des étudiants nécessiteux, des individus frustrés dont le rêve d’une carrière dans les forces de l’ordre ne se réaliserait jamais. Des opportunistes qui s’imaginaient avoir trouvé un moyen de faire de l’argent facile en passant la nuit sur leur téléphone cellulaire. On les sous-payait et les surutilisait.

    Le personnel au repos entendit les clés de Joël s’entrechoquer, son souffle témoigner de son physique disgracieux et peu enclin à l’exercice. Le quinquagénaire moustachu et ventru les rejoignit avec une expression de terreur sur le visage. Il semblait sur le point de faire un infarctus.

    — Vous allez bien ? demanda-t-il de sa voix sifflante.

    Alex se leva le premier, puis tendit la main à tour de rôle aux trois femmes autour de lui pour les aider à se remettre debout. Il en profita pour donner une accolade à Julie, dont le cou porterait inévitablement des marques pendant plusieurs jours. On voyait encore les traces de doigts blanches imprégnées sur la peau écarlate. Les regards se tournèrent instinctivement vers la chambre verrouillée de Yannick. Il n’en frappait plus la porte. Mélissa s’approcha du petit rectangle vitré pour observer à l’intérieur. Le géant s’était dévêtu, ne conservant que son slip. Son chandail et son pantalon gisaient au sol. Couché sur lit, les mains derrière la nuque, il contemplait le plafond. On voyait ses larges bras tatoués d’images religieuses : des croix, la Vierge Marie, la couronne de ronces et un casque de soldat romain. De plus, une cicatrice traversait son ventre. Son visage demeurait étrangement serein, son corps couvert de sueur luisait sous les reflets des néons qu’on éteindrait bientôt. L’homme semblait tout bonnement se reposer.

    La crise résorbée, les couloirs s’étaient vidés du moindre curieux. On s’enfermait pour le reste de la nuit. Le personnel se doutait bien que les prochaines heures seraient difficiles pour certains des patients. L’altercation aurait échauffé les esprits, provoqué des hallucinations. Une hausse du stress chez plusieurs. Les gens qui souffrent de maladies mentales sont souvent des victimes de prédilection pour les prédateurs. Ceux qui vivent dans la rue n’ont aucun recours, ceux qui se prostituent ne sont pas pris au sérieux. Aux Aiglefins, on leur procurait des drogues légales, on leur offrait des thérapies élaborées à défaut de les guérir.

    Les patients qui terminaient un séjour en clinique et recevaient leur congé finissaient presque tous par revenir. Leurs démons aux trousses.

    Alex s’approcha du gardien de sécurité à l’uniforme aux deux tons de gris. Le silence de ce dernier prouvait sa culpabilité. L’infirmier l’interpella.

    — On aurait eu besoin de ton aide !

    — C’est pour ça que t’es payé, non ? lança Julie avec amertume, la voix rocailleuse.

    Joël lissa sa moustache et grogna sa mauvaise humeur. Son ventre menaçait de faire sauter les boutons de sa veste trop petite. Un beignet supplémentaire serait susceptible de déclencher la catastrophe vestimentaire. De provoquer un déferlement de bourrelets emprisonnés.

    — J’étais parti me chercher un café, répondit Joël d’un ton acariâtre.

    Des caméras épiaient chaque centimètre carré de l’intérieur de l’établissement. Même les stations de travail dans la bulle. Les seules exceptions s’avéraient les salles de bain, les placards et les chambres. Le gardien en fonction pouvait ainsi observer en direct tout ce qui se passait entre les murs de la clinique. Et intervenir en cas de besoin. De plus, les administrateurs des Aiglefins pouvaient utiliser les enregistrements pour contrer les plaines de patients. Pour améliorer le rendement du personnel et éviter les malentendus aussi.

    — T’es allé le chercher où, ton café ? Sur la Rive-Sud ? lança Alex, moqueur.

    Malgré la colère du moment, on pardonnerait à Joël. Le gardien de sécurité était un bon bougre, quoiqu’un peu lent. Il ne voulait qu’une chose : gagner sa vie en paix, en déployant le moins d’effort possible. Incapable de prendre sa retraite plus tôt, il devait continuer à travailler.

    Il bredouilla une réponse tout juste audible, pour ensuite faire demi-tour en traînant les pieds.

    — Fallait que je le fasse, mon café, ciboire !

    Joël s’éloigna dans le corridor, très probablement conscient qu’il devrait donner des explications à ses supérieurs au matin. Un tel incident ne pouvait passer sous silence. Où se trouvait-il donc lorsque Yannick agressait Julie ? Pourquoi n’avait-il pas entendu le tumulte ?

    Les quatre employés quittèrent le couloir B. Le calme régnait pour l’instant parmi les patients. Julie se rendit aux toilettes, pendant que les autres regagnaient la bulle. Alex se servit un soda à même leur petit réfrigérateur, tandis que Rébecca et Mélissa prenaient place à leur poste de travail.

    — Aussi ben commencer tout de suite, ça va nous prendre le reste de la nuit ! lança Mélissa.

    Elle ouvrit le classeur à sa droite pour y récupérer les divers formulaires nécessaires pour documenter l’évènement. Alex but une longue gorgée à même la cannette, pour ensuite ramasser son cellulaire sur le comptoir. Il composa un numéro qu’il avait mémorisé, avant d’expliquer :

    — Je vais appeler le superviseur de nuit.

    — Bonne chance, lui souhaita Rébecca.

    Il secoua la tête de découragement et retourna dans le couloir. Pour y parler en toute tranquillité. Mélissa observa les écrans, les trois caméras qui filmaient les ailes ne captaient rien d’anormal.

    Rébecca se leva à son tour.

    — J’suis pas capable de rester assise. Je vais aller faire ma ronde.

    — OK.

    Mélissa remarqua que sa collègue tremblait encore. Puis, elle consulta les quatre formulaires étalés devant elle. Un tel incident se devait d’être bien relaté. La paperasse faisait indubitablement partie de son travail, l’occupait pendant des heures. Elle connaissait toutefois les bénéfices de cette tâche. Un de ses anciens patrons disait toujours : « Si ce n’est pas écrit dans un rapport, ça ne s’est jamais produit. »

    Julie revint cinq minutes plus tard. Elle avait pleuré, ses yeux rougis en témoignaient. Elle s’installa tout près de Mélissa, sur la chaise d’Alex. Elles pouvaient d’ailleurs le voir parler au téléphone, adossé à un mur de l’aile C. Il gesticulait et haussait régulièrement le ton.

    — Crisse de nuit pareil, annonça Julie.

    — Oui, tu vas mieux ?

    La jeune femme hocha la tête et se remit à pleurer. Non seulement la douleur était réelle, mais la peur laissait des séquelles. Elle avait indubitablement frôlé la mort. Mélissa la prit dans ses bras pour la réconforter. Au bout d’un moment, Julie s’esclaffa.

    — Le gros Joël doit être en train de bander à nous voir collées de même…

    Mélissa pouffa aussi. Ce court et précieux moment parvint à disperser la tension qui subsistait dans la bulle.

    — Va falloir que je m’achète des foulards, blagua Julie.

    — Je peux te prêter les miens.

    Julie prit un ouvre-lettres devant elle pour jouer distraitement avec, grattant sous ses ongles avec la pointe effilée. Son expression changea, devint plus sérieuse. Alex éleva la voix dans le couloir, elles entendirent l’écho de ses paroles. Julie évitait de croiser le regard de Mélissa. Elle parla à nouveau.

    — Tu sais, le pire, c’est qu’une partie de moi avait pas vraiment peur de mourir.

    — Comment cela ?

    Julie s’avérait être un modèle d’introversion. Elle parlait rarement d’elle. Tous l’aimaient, appréciaient son professionnalisme et sa présence. Elle plaisait beaucoup aux hommes, ce qu’elle utilisait parfois avec certains patients masculins plus récalcitrants. Comment dire non à une beauté qui vous offre son plus charmant sourire ? Malgré les mois passés à travailler en équipe douze heures par nuit, Julie ne discutait jamais de sa vie privée. Elle évoquait à l’occasion un amoureux, son père et ses vacances régulières en Europe. Sans trop de détails. Voyager était sa passion. Le seul sujet sur lequel elle s’étendait parfois.

    — Pendant qu’il m’étranglait, je me disais qu’il n’y aurait pas grand monde à qui je manquerais.

    — Julie, voyons !

    Alex fit irruption à ce moment-là dans leur petit refuge vitré, mais se figea en découvrant l’expression des visages de ses collègues. Il leva les bras et fit demi-tour.

    — Désolé.

    — Reste, on a fini, lança Julie tout en se levant pour regagner son poste.

    Mélissa la suivit du regard et se promit de parler à nouveau avec elle. Alex demeura debout et attendit le retour de Rébecca, qui ne tarda pas. Il n’y avait rien à signaler dans les couloirs. Alex leur fit part de sa discussion avec Réal Cormier, le superviseur de nuit.

    — Cormier veut que tu ailles à l’hôpital, Julie. Tout de suite. Pis on doit remplir la paperasse habituelle.

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