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Le réveil
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Livre électronique403 pages5 heures

Le réveil

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À propos de ce livre électronique

Depuis la nuit des temps, l’homme rêve d’immortalité… sans se demander s’il est prêt à en payer le prix.

Catherine se réveille des centaines d’années après ses derniers souvenirs, dans un monde changé où règnent de riches entreprises.

Une pauvreté extrême sévit au pied d’immenses gratte-ciels…

Homosexuel, Alexis est isolé dans cette société où il n’a pas sa place. Lorsque des dizaines de personnes meurent par sa faute, sa vie devient insupportable. Trouvera-t-il un espoir auquel se raccrocher?

Karl a le monde à ses pieds. Il n’hésite pas à sacrifier des innocents pour parvenir à ses fins. Or, il n’est peut-être pas aussi intouchable qu’il le croit…

Pour améliorer le sort de ses enfants, Keisha livre son corps à la science. Son sacrifice va-t-il les sauver… ou les détruire?

Grandiose saga dystopique, la trilogie Le prix de l’immortalité explore un univers riche et futuriste dans lequel
d’inoubliables protagonistes découvriront qu’une lutte contre la mort n’est pas sans conséquence…
LangueFrançais
Date de sortie9 oct. 2020
ISBN9782898190261
Le réveil
Auteur

Johanne Dallaire

Avant de se lancer dans l’écriture, Johanne Dallaire a eu la chance de toucher à plusieurs domaines: construction, criminologie, droit… sans oublier le précieux métier de maman. Ce bagage diversifié lui a permis de pondre un récit futuriste puissant, très humain et riche en émotions. Le prix de l’immortalité est sa première oeuvre littéraire.

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    Aperçu du livre

    Le réveil - Johanne Dallaire

    j/7.

    1

    Catherine

    277 ANS PLUS TÔT

    — Allez, Catherine, fais un vœu !

    La jeune femme ferma les paupières et caressa son ventre avant de souffler les bougies. Pour sa vingt-cinquième année, elle ne désirait rien de plus que ce qu’elle avait. La vie l’avait choyée ; des parents aimants, un conjoint (presque) parfait, une carrière ultra-stimulante, un garçon débordant d’énergie et un second qui allait naître d’ici quelques semaines. Elle ne pouvait que souhaiter bonheur et santé à ces deux petits êtres à l’aube de leur existence.

    Léo, dans les bras de son papa, ne quittait pas le gâteau des yeux. Lorsque Thomas se pencha pour embrasser sa femme, le bambin s’étira dans un effort colossal pour atteindre le dessert du bout des doigts – si bien qu’il faillit tomber tête première dedans. Satisfait de son exploit, il s’évertua à faire disparaître toute trace du glaçage de ses mains. Catherine échangea un regard complice avec son conjoint. Ils convinrent d’un hochement de tête de lui accorder sa deuxième part de gâteau à vie. Léo hurla son mécontentement quand sa mère l’installa dans sa chaise haute, à l’autre bout de la table. La crise se calma toutefois aussitôt l’assiette en plastique posée devant lui. Entre chaque bouchée, son visage s’ornait d’un sourire de pur bonheur exhibant six belles dents, dont deux toutes fraîches. Catherine sentit monter en elle un élan d’amour qui lui fit embrasser la joue rebondie sans se soucier du dégât la décorant.

    Dans son dos, un cliquetis de billes et de perles lui indiqua que sa mère approchait. June posa une enveloppe et une boîte à bijoux sur la nappe de fête turquoise, entre les ustensiles et les verres de vin. Catherine s’empara d’abord de la carte et tenta de décrypter les messages malgré le brouhaha. Elle essuya une larme au coin de son œil, puis leva le couvercle de velours bleuté, découvrant une émeraude enlacée par un cœur en or blanc. Catherine ne put réprimer un hoquet de stupéfaction. Le petit objet était une véritable œuvre d’art, à la fois délicat et raffiné.

    — It’s from all of us, expliqua June, utilisant la langue dans laquelle elle avait toujours parlé avec sa fille, but Thomas chose it. (C’est de nous tous, mais c’est Thomas qui l’a choisi.)

    Catherine souleva le bijou par sa chaîne pour l’observer de plus près. La lumière vive en provenance des grandes fenêtres de la salle à manger traversait la pierre précieuse et faisait briller le métal. Thomas s’approcha.

    — Je peux t’aider ?

    Elle acquiesça, et d’un mouvement affectueux, il écarta ses fins cheveux blonds pour attacher le collier. Il vola un bref baiser dans son cou avant de s’éloigner pour lui apporter un miroir. Catherine était émue.

    — Il est magnifique !

    — Et le vert est presque identique à celui de tes yeux, ajouta June.

    Catherine embrassa ses parents à tour de rôle.

    — Nous sommes si fiers de toi, murmura son père.

    Léo choisit ce moment-là pour leur signaler que son morceau de gâteau était terminé et qu’il était toujours prisonnier de sa chaise haute. Il était couvert de résidus collants de la tête aux pieds. Catherine s’empressa d’humecter une serviette et entreprit de nettoyer le garçon, bientôt vêtu uniquement de sa couche. Une fois débarbouillé et délivré, il retrouva sa bonne humeur, ce qui, au grand bonheur de tous, diminua le bruit ambiant de plusieurs décibels.

    Thomas posa ses mains sur les hanches de sa femme.

    — Je crois que tu as oublié quelque chose…

    Catherine s’excusa d’un sourire et se colla sur son mari, qui l’enveloppa dans une étreinte chaleureuse.

    — Merci, mon amour, je t’aime tellement, dit-elle entre deux baisers.

    Elle se sentait parfaitement heureuse. Elle n’aurait rien pu souhaiter de mieux.

    15 JUILLET 2298

    L’absence des bras de Thomas fut la première chose que Catherine remarqua. Des picotements parcouraient son corps, là où elle aurait dû ressentir sa chaleur. Elle demeura immobile dans l’espoir de replonger dans ce rêve agréable, mais un bruit inhabituel éveilla ses sens, comme si quelque chose avait glissé, tout près. Une porte, peut-être ? Puis, des pas feutrés approchèrent, accompagnés de chuchotements. Elle n’était pas seule. Et constata alors avec effroi qu’elle ne parvenait ni à bouger ni à ouvrir les yeux.

    Son odorat, quant à lui, était bien fonctionnel. Elle pouvait distinguer un parfum qui évoquait un peu la propreté, mais en plus agressif, avec des notes presque exotiques. Elle inspira et tâcha de l’identifier, sans succès. Elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait, aucun souvenir de s’y être rendue. Elle voulut crier, mais sa gorge serrée ne produisit qu’un faible râlement. À chaque seconde qui passait, le battement de son cœur dans ses oreilles s’amplifiait et s’accélérait.

    — Il est normal de vous sentir désorientée au réveil, fit une voix masculine dans un anglais légèrement britannique. Si cela peut vous rassurer, l’expérience est à première vue un succès. Le nouveau procédé de rajeunissement semble concluant. Il nous reste encore à étudier vos cellules et votre ADN, mais nous sommes confiants concernant la suite. Félicitations, Madame Rose. Et bonne fête ! Je souhaitais vous le dire personnellement : trois cent deux ans, c’est impressionnant !

    Catherine sentit sa nuque se raidir, comme criblée par un millier d’aiguilles. Elle parvint alors à ouvrir les paupières et à bouger la tête. Les larmes qui envahirent ses yeux troublèrent un moment sa vision. Une fois le brouillard dissipé, elle aperçut un homme d’apparence jeune. Il avait une immense bouche souriante, mais son regard était dépourvu d’émotion. Ses cheveux bruns ondulaient autour de son visage, lui conférant l’allure d’un voyou – effet contrastant avec le veston blanc immaculé qu’il portait par-dessus une chemise du même ton. Elle jugea qu’il devait être un médecin, ou encore un scientifique, un peu extravagant.

    Un toussotement brisa l’immobilité du moment. L’attention de Catherine fut attirée vers le fond de la pièce, là où un groupe d’individus l’observait. Autant les vêtements que les murs étaient incolores. Les courbes épurées, les étranges outils et les appareils silencieux achevèrent de la désorienter. Quelque chose clochait avec cet endroit.

    Elle tenta de raisonner : Je rêve ? Je suis morte ? Je suis dans le coma ? J’hallucine ? Ça ne peut pas être vrai. Tout va redevenir normal dans quelques instants… Elle ferma les yeux et compta jusqu’à dix avant de les rouvrir. Rien n’avait changé, sauf que l’homme s’était éloigné et discutait à voix basse avec les autres. Catherine s’efforça alors de reprendre le contrôle des muscles de son visage.

    — Qu… qui êtes-vous ? bégaya-t-elle. Où… où suis-je ?

    L’homme aux cheveux ondulés arrêta de parler. Il tourna vers elle un regard où s’affichait un mélange de surprise et de déception. Il se ressaisit toutefois aussitôt, si bien qu’elle se demanda si elle n’avait pas imaginé les émotions.

    — Ne vous inquiétez pas, ma chère, répondit-il dans un français parfait. Je suis certain que tout rentrera dans l’ordre sous peu.

    Il parut sur le point de rajouter quelque chose, puis hocha la tête et se dirigea vers une porte vitrée, qui coulissa pour le laisser passer. Avant de la franchir, suivi de ses subalternes, il s’adressa au seul individu plus grand que lui dans la pièce :

    — Dupré, keep an eye on her. I want to hear from you as soon as she is fully awake. (Dupré, ayez un œil sur elle. Je veux avoir de vos nouvelles dès qu’elle sera complètement réveillée.)

    — Yes, Mister Monk, répondit-il en baissant les yeux.

    Pendant cet échange, Catherine avait enfin réussi à remuer ses orteils. Dans son corps, les sensations réapparaissaient l’une après l’autre. Elle était allongée sur ce qui ressemblait à une chaise de dentiste, mais ses membres étaient retenus par des sangles. Elle n’arrivait pas à s’expliquer pourquoi tout paraissait si réel, alors que, forcément, c’était impossible.

    Le dénommé Dupré s’approcha. Il devait avoir la mi-trentaine, et ses cheveux noirs contrastaient avec son teint blême. Il était grand et musclé, mais ne dégageait aucune assurance. Il se racla la gorge avant de parler :

    — Bonjour, Madame Rose. Je suis Alexis Dupré. C’est moi qui ai supervisé votre exp… euh… votre rajeunissement. Vous vous trouvez dans la phase de récupération du coma induit. La sensation de lourdeur ne durera pas plus d’une vingtaine de minutes. Ne vous en faites pas, vous êtes passée par là…

    Ses yeux bougèrent comme s’il consultait un écran que lui seul pouvait voir.

    — … exactement dix-neuf fois, sans compter celle-ci.

    Il examina à nouveau ses données invisibles.

    — Votre rythme cardiaque est beaucoup trop élevé, vous devriez essayer de vous calmer. Votre réveil sera facilité si…

    Catherine manqua la fin de la phrase ; elle avait aperçu son ventre. Elle devait accoucher dans deux mois. Pourquoi était-il aussi plat ? Pourquoi ne sentait-elle plus Justin bouger ? S’était-il passé quelque chose pendant son accouchement ? Était-elle dans un hôpital ? Elle fixa Alexis de la manière la plus autoritaire que le permettait son état de panique avancé.

    — Où est mon bébé ? Conduisez-moi à mon bébé ! Et où est Thomas ? Pourquoi est-ce qu’il n’est pas là ? Et Léo ? Je veux voir Léo ! OÙ SONT MES ENFANTS ?

    Le visage d’Alexis devint pourpre. Il ferma les paupières, l’air de réfléchir, puis, sans perdre son ton posé, interrompit Catherine, qui avait recommencé à tonitruer :

    — Madame Rose, votre dernier héritier est né il y a deux cent soixante-cinq ans. Peut-être que, si vous gardez votre calme, tout reviendra plus facilement à votre mémoire…

    — Non ! C’est impossible ! Je ne vous crois pas. Laissez-moi voir Thomas ! Qui êtes-vous pour me retenir prisonnière ? Vous ne savez donc pas qui je suis ? Je suis la fille de Philippe Rose et de June Bell, les deux célèbres entrepreneurs de la ville de Québec. Mon père va vous retrouver et…

    — Un constat horrifiant s’imposa à son esprit :

    — Vous voulez une rançon, c’est ça ? Vous allez me tuer après, comme dans les films ? Bande de lâches !

    Elle s’agita autant que son corps et les sangles le permettaient.

    — Euh… Les quoi ?

    Cette réponse surprit Catherine, qui s’immobilisa au milieu de son mouvement. Alexis tressaillit et afficha un air solennel.

    — J’ai le regret de vous annoncer que monsieur Thomas Proulx est décédé en 2223, tout comme monsieur Léo Proulx. Ils ont été victimes d’un attentat à la bombe. L’autre fils auquel vous faites allusion, quant à lui, n’est jamais né. Son cœur a cessé de battre à la fin du mois de juillet de l’année 2021. Cela réveille-t-il votre mémoire ?

    Catherine sentit son champ de vision rétrécir et eut l’impression de tomber en chute libre. Elle aurait voulu réfuter ce qui était en train de se passer, mais elle ne parvenait plus à penser de manière cohérente. Un objet froid toucha son bras.

    Puis, tout devint noir.

    Quand elle se réveilla à nouveau, elle était étendue dans un lit, et son corps n’était plus attaché. Le plafond émettait une lumière blanche et pure. Tout cela n’était qu’un cauchemar. Je suis dans un hôpital. Quelqu’un va me donner mon bébé d’une minute à l’autre. L’homme aux cheveux ondulés pénétra à ce moment-là dans la pièce. Il posa en souriant une tablette sur un comptoir, face à elle.

    — J’ai apporté une tactile, puisqu’on a dû vous retirer vos micropuces avant de procéder au rajeunissement.

    Catherine bondit sur ses pieds et s’éloigna du nouvel arrivant autant que l’espace de la petite chambre le permettait. Elle ne savait plus quoi dire, comment réagir face à toutes ces étrangetés.

    — Je devine que votre épisode d’amnésie n’est pas terminé. Ce souci n’était pas prévu.

    Après une longue pause, il soupira.

    — Nous vous avons injecté des nanoparticules calmantes pour simplifier votre adaptation. Vos vêtements surveillent vos signes vitaux et nous aviseront en cas d’irrégularité. Sachez que votre santé nous tient à cœur, Madame Rose.

    Catherine n’osa pas ouvrir la bouche ni même réfléchir. Elle examina ses mains ; celles-ci ne semblaient pas différentes. Ses doigts étaient longs et fins, et sa peau, pâle avec une touche de doré. Elle ne reconnaissait cependant pas la jaquette blanche et cintrée à la taille qu’elle portait.

    — Commençons par les civilités. Je suis Karl Monk, directeur général de TrY corp., autrefois True Young inc. Ça vous dit quelque chose ? Quoique, si vos derniers souvenirs datent toujours de 2021, sûrement pas. Il s’agit de l’entreprise qui a inventé et commercialisé la régénération virale de l’ADN. Quant à vous, vous êtes Catherine Rose, présidente du conseil d’administration de Rose corp. Et, à l’heure actuelle, la personne la plus âgée de la terre – à notre connaissance.

    Sans se départir de son faux sourire, il s’arrêta pour voir si ses paroles avaient eu un impact.

    — Malgré les méthodes actuelles de rajeunissement, les gens dépassent rarement le cap des trois cents ans. Par conséquent, nous développons de nouveaux prototypes de virus pour prolonger davantage la vie humaine. Sachant votre fin imminente, vous avez insisté pour tester le plus prometteur d’entre eux. C’est la raison pour laquelle, pendant les prochains jours, nous devrons procéder à plusieurs prélèvements sur votre personne. J’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénients.

    Catherine sortit de son silence :

    — Qu’est-ce qui me prouve que vous n’êtes pas en train de me raconter n’importe quoi pour utiliser mon corps ?

    — C’est justement pour répondre à cette question que j’ai apporté la tactile.

    Il saisit la tablette à peine plus épaisse qu’une feuille de carton. Elle se mit en fonction au seul contact de ses mains.

    — Dossier de Catherine Rose, autorisation du 8 juillet 2298, articula-t-il.

    Il tendit à Catherine l’objet froid et lisse. Quoique très mince, la tactile se tenait bien. Elle était à la fois suffisamment rigide et légèrement souple. L’écran sembla presque disparaître lorsqu’il s’illumina, dévoilant une pièce épurée avec, pour unique meuble, un fauteuil blanc. La résolution était remarquable et l’effet de profondeur était tel que Catherine avait l’impression qu’elle aurait pu entrer dans l’image. Une femme, qui était son sosie presque parfait, apparut et s’assit. Elle portait une robe aux manches vaporeuses, ajustée à la taille et à la poitrine. Les couleurs pastel du tissu ondoyaient comme si elles fusionnaient les unes avec les autres. Ses yeux verts fixaient devant elle. Elle récita, en anglais :

    — Moi, Citoyenne Catherine Rose, en ce 8 juillet 2298, dans la TrY City faisant partie du conglomérat du Nord-Est de l’Amérique Indépendante, donne mon consentement verbal au contrat 3-5-4-9-2-1-4, passé avec TrY corp., intitulé « Entente de service de rajeunissement : procédé expérimental ».

    Catherine, les mains moites et tremblantes, échappa la tactile, qui fut brillamment rattrapée par Karl Monk. Elle sentit ses battements de cœur accélérer malgré les supposés « calmants ». Le sentiment de panique ne dura toutefois que quelques secondes, comme si une volonté autre que la sienne avait pris le contrôle de ses émotions.

    — Vous pensiez me duper, mais cette actrice n’est certainement pas moi. Son nez est plus fin, sa bouche est différente et, sans aucun doute, sa poitrine, plus volumineuse. Je n’aurais jamais consenti à une augmentation mammaire, c’est contre mes valeurs. Alors, arrêtez cette comédie et conduisez-moi à un poste de police. Ma famille et mon conjoint doivent être morts d’inquiétude. Je suis certaine qu’ils vous récompenseront avec la plus grande générosité si vous me délivrez sur-le-champ.

    — Madame Rose, prenez un instant pour vous examiner, soupira-t-il.

    Catherine baissa les yeux sur son décolleté et découvrit une poitrine qui, sans être généreuse, était plus charnue que dans ses souvenirs.

    — C’est normal, se justifia-t-elle. Mon enfant vient de naître. Ça doit être une montée de lait. Où est mon bébé ? Rendez-le-moi, je vous en supplie.

    De presque autoritaire, sa voix avait fléchi vers un début de désespoir. Monk demeura impassible et pointa le fond de la pièce.

    — Ce que vous avez devant vous est un mur intelligent. C’est une interface qui nous permet d’interagir avec la Trame – le réseau informatique de l’Amérique Indépendante. Ça fonctionne comme une tactile, mais en plus gros. Les murs intelligents sont visibles avec ou sans micropuces – c’est quelquefois plus pratique ainsi. Sélène, montre-nous un aperçu de réflexion améliorée.

    « Bien sûr, Monsieur Monk », répondit une voix féminine issue du plafond.

    Aussitôt, un ovale sur la surface plane se mua en ce qui semblait être un miroir. Dans l’image, la chambre était similaire, mais le blanc était remplacé par des teintes pâles et, au-dessus de la tête de lit, un tableau était apparu, si réaliste qu’il aurait pu être une fenêtre ouverte sur les Rocheuses. Il y avait également un cadran indiquant l’heure et d’autres informations que Catherine ne prit pas le temps d’analyser. Son regard dévia ensuite vers Karl Monk et ses vêtements blancs. Son « reflet », quant à lui, portait un veston gris métallique bordé de deux bandes noires, ouvert sur une chemise aux ornements écarlates.

    — Chaque chose, qu’elle soit un vêtement, un objet décoratif ou encore un mur entier, possède un ou plusieurs processeurs minuscules, que nous appelons microns. L’interface de gestion de l’immeuble, les micropuces et les microns communiquent entre eux par la Trame, ce qui permet d’agrémenter la vie des Citoyens de diverses manières. Par exemple, lorsque vous détenez un droit valide sur un objet, vous pouvez en modifier l’apparence selon vos préférences. Heureusement pour notre petite démonstration, les tactiles et les murs intelligents peuvent répliquer avec précision une image, que ce soit en version réelle ou améliorée. Vous avez pu constater, Madame Rose, que cette pièce est en réalité entièrement blanche. Toutefois, le mur intelligent permet de la voir telle qu’elle vous apparaîtrait avec vos micropuces oculaires.

    Karl Monk se tut, laissant à Catherine un moment – trop court – pour assimiler ces nouvelles informations.

    — Avez-vous besoin que je vous explique le concept des micropuces, Madame Rose ?

    Devant son silence, il poursuivit :

    — Avant d’effectuer un rajeunissement, il faut bien entendu les retirer, sans quoi le processus pourrait les abîmer. L’occipitale, déclara-t-il en pointant la base de son crâne, est la plus cruciale. Sans elle, rien ne fonctionne. Elle gère l’identification personnelle et les opérations financières, procède aux suivis de santé, nous relie à la Trame et dirige les autres micropuces implantées dans notre corps. C’est illégal de se promener dans les cités sans en posséder une, hormis pour des raisons médicales.

    L’évocation d’un concept aussi invasif fit frissonner Catherine.

    — Les tragus, continua Monk en pointant le petit triangle de chair situé devant son conduit auditif, servent évidemment à enrichir votre expérience sonore et à communiquer avec les autres Citoyens. Et, pour terminer, les oculaires, situées dans la cornée de chaque œil, améliorent votre vision et vous permettent d’agrémenter votre environnement selon vos envies. Vous comprendrez que cette technologie a un coût élevé et que les spécificités des micropuces vont varier en fonction de leur grade. Certaines personnes passent leur existence exposées à des publicités visuelles et auditives du matin au soir. Mais ne vous en faites pas, ma chère, les vôtres – que nous vous réinsérerons aussitôt nos examens terminés – sont de la plus grande qualité.

    Monk se frotta le menton. Jugeant probablement qu’il avait tout dit, il s’adressa au miroir :

    — Passage en réflexion réelle.

    Le reflet de la pièce redevint une superposition de blanc et de… blanc. Catherine s’approcha pour s’examiner de plus près. Les yeux verts légèrement écartés et les cheveux dorés, très raides, étaient bien les siens. Elle avait le même menton pointu et les mêmes pommettes hautes. En revanche, son nez était plus fin et droit qu’auparavant, sa bouche en forme de cœur était plus pulpeuse et sa peau paraissait plus lisse. Elle bougea ses bras ; jamais elle n’avait été aussi musclée. Fascinée, Catherine toucha ensuite ses abdominaux et dut se rendre à l’évidence que la version futuriste d’elle-même suivait un entraînement rigoureux. Elle n’avait jamais eu de difficulté à se trouver jolie, mais là, elle était carrément belle.

    — Quand on habite un seul véhicule pendant trois cents ans, remarqua Karl Monk qui avait deviné ses pensées, on finit par lui apporter quelques améliorations…

    Sous le choc, elle se rassit sur le lit. Se pouvait-il que cette histoire absurde ne soit ni une blague, ni une conspiration, ni un enlèvement ? Se pouvait-il que tout soit réel ? Elle se pinça dans l’espoir de se réveiller. En quelques minutes, elle avait été témoin de tellement de choses impossibles qu’elle commençait à y croire.

    Son début d’acceptation la força toutefois à envisager ce que son cerveau s’était efforcé d’ignorer jusque-là. Thomas… L’amour de sa vie. L’homme formidable qui la rendait si heureuse. Léo… Son boute-en-train. Son trésor de tous les instants, qui ne cessait de l’émerveiller. Et Justin… Le magnifique petit être qu’elle n’avait pu que sentir remuer dans son ventre. D’un coup, elle eut la certitude qu’elle ne les reverrait jamais. Que la meilleure époque de son existence était à jamais perdue.

    La douleur fut brutale. Son corps devint un temple de souffrance physique et psychologique. Les calmants n’étaient plus suffisants pour endiguer sa détresse. Alors qu’elle se laissait tomber au sol, Catherine réalisa que le bruit strident qui déchirait ses oreilles était son propre hurlement. Des hommes en blouse blanche se précipitèrent dans la pièce. Elle ne songea même pas à se débattre quand ils tentèrent de lui injecter une substance à l’aide d’un tube argenté. Pourvu qu’ils l’endorment et qu’elle ne se réveille jamais.

    2

    Alexis

    Alexis observait le visage de la femme étendue sur le lit. Les doigts croisés dans le dos, il luttait contre l’envie de se ronger les ongles. Il n’avait pas planifié être au travail ce matin. Il avait calculé la quantité exacte de médicaments nécessaire pour ralentir son propre cœur jusqu’à l’arrêter de manière définitive. Le mélange patientait depuis plusieurs jours, bien en vue au centre de sa table de salle à manger. Comme il n’avait jamais de visiteurs, personne n’avait tenté de le dissuader. Quelque chose l’avait malgré tout poussé à changer d’idée à la dernière minute. Un vague espoir que sa patiente se réveillerait et que la situation prendrait enfin tout son sens. Il avait finalement laissé le flacon à sa place, presque déçu de poursuivre le calvaire qu’était devenue sa vie.

    Il perçut chez Catherine Rose un subtil mouvement de sourcil. Elle se réveillerait bientôt pour la troisième fois en quelques heures à peine. Il savait que Sélène, le programme d’intelligence artificielle qui gérait l’ensemble de la TrY Tower, transmettrait l’information à ses supérieurs. Il n’avait rien d’autre à faire qu’attendre.

    Angoissant à l’idée d’être à nouveau seul avec la femme d’affaires, Alexis commençait à regretter sa lâcheté. Que penserait-elle de lui ? Il avait été si froid, presque méchant, lors de leur dernier entretien. Jamais il n’avait été témoin d’un rajeunissement pendant lequel le patient devenait amnésique. À sa connaissance, une telle chose n’était jamais survenue. Il lui avait relaté une myriade de faits sans aucune compassion. Son intention n’avait pas été de la brusquer, mais il avait encore tout fait foirer. À présent, la responsabilité lui incombait de la réconforter, de la rassurer et de lui éviter un nouveau choc nerveux. Or, il ne se sentait pas à la hauteur de cette tâche. La tension s’accumulait dans sa gorge et dans sa poitrine.

    Alexis était devenu technicien médical en présumant que cette vocation lui permettrait d’aider des gens, de donner un sens à sa vie. Lui, dont personne n’avait jamais voulu – pas même ses parents –, pouvait peut-être accomplir quelque chose de bien. Toutefois, ces derniers temps, il avait le sentiment de ruiner l’existence de tous les patients sous sa supervision. Son emploi de rêve s’était transformé en cauchemar.

    Il ne ferait pas l’erreur de reporter à nouveau son suicide. Ce soir, en revenant à son appartement, il n’hésiterait pas. D’ici là, il n’avait qu’à passer à travers sa journée. Il essuya ses mains sur son sarrau, qui absorba aussitôt la sueur. Les fibres enregistrèrent les répercussions physiques de sa nervosité et déclenchèrent une meilleure aération de certaines parties de son corps.

    Devant Alexis se trouvait la personne la plus vieille au monde. Pour quelqu’un d’aussi riche, son existence à lui ne valait pas grand-chose, supposait-il. Catherine Rose était reconnue comme une personne froide ne sortant jamais du Rose Sky – l’édifice phare de Rose corp. Pourtant, elle avait l’air si délicate, presque frêle. Après sept jours de coma induit, son visage paraissait d’au plus la mi-vingtaine et ses traits s’étaient énormément adoucis.

    D’autres employés avaient profité de cette inconscience pour prélever des échantillons de sang et de salive. Dans les laboratoires de TrY corp., les techniciens, les robots et l’intelligence artificielle devaient déjà concentrer leurs énergies à expliquer les résultats du rajeunissement de Catherine Rose. Les premières hypothèses sortiraient bientôt, mais il faudrait plusieurs jours, voire des semaines, avant de comprendre ce qui avait fonctionné – et ce qui avait échoué – avec le virus HERO-1.

    Alexis cligna des paupières en pressant légèrement plus que nécessaire. Ce geste subtil activa l’interface visuelle de la Trame devant ses yeux. Puisqu’il se trouvait à proximité d’une patiente, les données la concernant s’affichèrent. Il vérifia ses signes vitaux, puis l’état des nanoparticules calmantes. Elles seraient essentielles pour aider la femme d’affaires à accepter sa nouvelle réalité.

    Au plafond, la voix de Sélène annonça : « Réveil de Catherine Rose en cours ».

    Sélène était dotée d’une intelligence surprenante, mais pas autant que les programmes d’intelligence artificielle spécialisés pour la recherche. Elle fonctionnait d’ailleurs de manière indépendante d’eux. Elle s’occupait de ce qui entrait dans le quotidien des humains ; elle possédait des capteurs sonores et visuels, gérait les microns disposés dans toutes les pièces et tous les objets – qu’ils soient décoratifs ou utilitaires. Elle donnait vie à l’environnement et secondait les employés dans leurs tâches usuelles. Chaque bâtisse détenait un tel programme, mais Sélène était le plus performant de la TrY City et le seul, à sa connaissance, capable de prendre de réelles initiatives. Avec elle, Alexis se surprenait parfois à oublier qu’il ne parlait pas à une humaine.

    — Merci, souffla-t-il en ramenant son attention sur sa patiente.

    Catherine n’avait pas ouvert les yeux que ses joues étaient inondées de larmes. Alexis, lui-même à fleur de peau, peina à ravaler les siennes. Il fit glisser un banc pour s’installer près du lit, mais la boule dans sa gorge l’empêcha de parler. Il regarda le sol entre ses pieds, se jugeant indigne d’être d’un quelconque soutien. Il leva toutefois la tête lorsqu’il entendit le froissement des draps.

    Catherine s’était assise, et son visage désemparé était tourné vers lui. Elle semblait attendre qu’il brise le silence. Même amnésique, elle l’intimidait au plus haut point. Il bafouilla les premiers mots qui lui virent à l’esprit :

    — Je… Je m’excuse pour tout à l’heure. Je n’aurais pas dû vous annoncer toutes ces choses d’une manière aussi brusque.

    Elle détourna les yeux et entoura ses jambes de ses bras. Son regard voilé était perdu dans une autre époque. De longues minutes s’écoulèrent sans qu’Alexis trouvât quoi que ce soit à ajouter.

    Alors, la porte coulissante s’ouvrit, rompant soudain le silence. Une préposée entra, posa un cabaret sur le comptoir, puis repartit. Alexis avait demandé que seuls des aliments simples qui existaient il y a trois cents ans soient apportés. Ils étaient dispendieux, mais c’était bien le minimum que TrY corp. pouvait faire pour sa cobaye. Il examina le cabaret : une pomme, une boule de pain, un œuf cuit dans sa coquille et un verre d’eau.

    — Vous devez être affamée, Madame R…

    — Non, pas du tout. Et cessez de m’appeler comme ça. J’ai l’impression que vous vous adressez à ma grand-mère.

    Il se retint de lui dire qu’elle était trois fois plus âgée que cette dernière ne l’avait jamais été – et beaucoup plus riche.

    — Comment devrais-je vous appeler ?

    — Par mon nom. Catherine.

    Il acquiesça d’un signe de tête.

    — Vous êtes Alexis, c’est ça ?

    — Oui, Alex, si vous voulez.

    — Alors, c’est vrai ? Nous sommes dans le… le futur ?

    Il hésita. Il ne souhaitait pas causer une nouvelle crise de panique.

    — Oui. Quoique, de mon point de vue, c’est plutôt vous qui surgissez du passé.

    Alexis se maudit intérieurement lorsque Catherine recommença à sangloter. Il n’avait aucune idée de la façon dont il devait se comporter avec elle. Son amnésie la rendait imprévisible. Quelles étaient les conventions sociales dans une telle situation, à son époque ? Il opta pour lui tendre simplement un mouchoir. Elle le saisit, mais le chiffonna entre ses paumes.

    — Quel âge avez-vous, Alex ?

    — Moi ? J’ai trente-quatre ans. Je n’ai encore jamais subi de rajeunissement.

    — C’est presque dix ans de plus que l’âge que j’avais dans mon dernier souvenir. Ironique, non ? Alors, pour moi, vous êtes vieux, et pour vous, c’est moi qui suis vieille.

    Alexis lui adressa un sourire poli et baissa les yeux. Il ressentait une certaine sympathie pour cette nouvelle version de la femme d’affaires. Notamment parce que, ce matin, elle lui avait fait le cadeau de se réveiller. Pendant un instant, il avait cru qu’elle allait tout changer… Jusqu’au moment où il constata son amnésie et comprit que tout ce qu’il touchait se terminerait toujours en catastrophe. Comment avait-il pu s’imaginer le contraire ?

    Au cours des mois précédents, il avait été assigné aux expériences entourant HERO-1, le plus récent prototype de virus de TrY corp. Karl Monk, le grand patron de l’entreprise, était tellement convaincu de l’efficacité de cette nouvelle souche qu’il

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