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Les contes interdits - La chasse-galerie
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Livre électronique219 pages3 heures

Les contes interdits - La chasse-galerie

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À propos de ce livre électronique

Des bûcherons assoiffés d’émotions fortes.

Des drogues dures qui ont remplacé le petit rhum.

Un Mal que l’entendement ne peut comprendre ou une hallucination qui entremêle les pensées?

Des êtres sans visages ou des têtes sans conscience?

Lisez bien. Regardez bien. Là ! Est-ce le diable que vous avez vu? Hélas, ces choses de l’abîme peuvent prendre bien des visages, selon le regard qu’on leur jette…

Dans cette chasse-galerie sur l’acide, les Contes Interdits plongent la main dans le terroir québécois pour le remuer et trouver ce qui pourrit là-dessous. La légende, repeinte aux couleurs noires de l’effroi, en ressort profondément changée, éclaboussée de sang.
LangueFrançais
Date de sortie12 nov. 2020
ISBN9782898085765
Les contes interdits - La chasse-galerie
Auteur

Gabriel Thériault

Détenteur d’une maîtrise en histoire, Gabriel Thériault est l’auteur d’une saga féodale saluée par la critique : Bourse pour la relève du CALQ 2009, Prix de la Relève professionnelle artistique du GALART, nomination au Prix Nouvelles Voix littéraires du SLTR 2012… C’est suite à deux années de recherche et de dur labeur que Thériault revient sur la scène littéraire avec Dans les ventres d’acier, un roman plongé dans l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale.

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    Aperçu du livre

    Les contes interdits - La chasse-galerie - Gabriel Thériault

    Beaugrand

    CHAPITRE 1

    Partout, des hallucinations. Des formes et des couleurs qui vivent et qui s’agitent, dansent et s’entrelacent dans le firmament noir percé d’étoiles.

    Dans mon crâne, la ligne entre conscient et inconscient éclate. Mes pensées deviennent des paroles. Mes paroles, des pensées. Les images que forme mon esprit, des hallucinations. Mes hallucinations, des images qui fendent ma tête pour jaillir devant moi dans une fête des sens.

    Nous sommes cinq. Cinq bûcherons en congé pour le jour de l’An. Cinq gars complètement défoncés sur la drogue dure. Très dure, même. Sur une saloperie que personne n’a encore songé à nommer. Quelque chose de très chimique rapporté de la grande ville jusqu’à nous. Tout ce qu’il faut pour nous démolir. Nous, les soiffards d’émotions fortes. Nous, les aliénés du Nord et des chantiers.

    Pourtant, ce n’est pas assez. Ou plutôt, ça ne durera pas éternellement. Nous en voulons encore plus. Toujours plus. En cette nuit du jour de l’An, nous descendons en ville. Direction : les danseuses. Notre but ? Refaire le plein de dope et, à quoi bon nous mentir, voir et toucher des femmes, dont le Nord nous prive. Quelques heures de route en forêt et nous y serons.

    Les bottes plantées dans la neige, nous nous rivons le nez dans l’éternité noire du ciel. Cette immensité goudronneuse recouvre notre petit bout d’Abitibi. Autour et partout s’étend la forêt, des épinettes mêlées de nuit. Derrière, le moteur de la camionnette Ford ronronne. De la portière laissée ouverte s’échappe une colonne montante de vapeur. Quelque chose comme l’haleine tiède de la machine. On dirait que cette bête de fer hoquète et rote, qu’elle pète même. Nous en rions à nous fendre la gorge, à nous éclabousser les bottes. C’est que, la queue à la main, nous arrosons le blanc des bancs de neige, à grand coup de pinceau jaune. Mon jet à moi serpente et se dresse. Il ressemble à un flux de lumière qui fouette.

    La langue poignant entre les lèvres, les sourcils froncés, je me concentre. Avec un peu d’effort, je maîtrise bientôt cette lumière avec laquelle je peins des choses grandioses. De l’Art, que les générations à venir s’arracheront. Car, cette saloperie chimique ne se contente pas de me pourrir les neurones. Elle me gonfle également de mon importance. Elle fait de moi un génie en tout.

    Dans notre groupe, il y a moi, bien sûr : Xavier Tremblay, jeune pousse pâlotte de 27 ans débutant une maîtrise en sociologie. Assoiffé de justice, je lutte ferme contre la montée de la haine ; je protège les minorités racisées qui en sont victimes. Après une période trouble et un peu violente de ma vie, j’ai trouvé dans de tels idéaux de quoi surnager. Depuis, je m’y suis accroché. Un peu trop au goût de mes proches, de mes parents en particulier, pour qui je colle à l’université, avec deux bacs en poche, un en socio, l’autre en philo politique.

    À la fin de la dernière session, je suis revenu dans l’Abitibi de mon enfance et de mon adolescence, que j’ai fuie quelques années plus tôt. Ici, il y a de quoi faire une passe d’argent et payer mes études. Moi, c’est un paquet d’os et de nerfs, quelques poils follets au menton, ainsi qu’un gros nez camus qui me complexe.

    Il y a moi, mais il y a eux. Mes collèges, les membres de mon équipe, quatre bûcherons abattant, débitant, tronçonnant avec de grosses machines. Eux, c’est aussi un ramassis de peuple plein de préjugés, qui vote tantôt pour la CAQ, tantôt pour le PQ. Des partisans des chartes laïcardes, abonnés au Journal de Montréal, vissés aux radios-poubelles, qu’ils écoutent même ici, grâce à la magie d’Internet, tellement ils en sont intoxiqués, incapables de se passer de leur dose quotidienne de haine. Encore quelques semaines ici à me gonfler les poches, et après, je retourne en ville auprès du monde qui me ressemble et qui communie aux mêmes valeurs que moi. Ensemble, nous reprendrons la lutte. Là-bas et loin des chantiers, je ferai aussi taire cette petite voix intérieure qui se rebelle, qui a mal de voir autant d’arbres massacrés. Que m’importe que notre coupe soit supposément écoresponsable ! Ça reste un sacré écocide ! Une vraie tuerie !

    Eux, c’est d’abord Jacques. Le barbu aux bras tatoués de la main à l’épaule, à la voix éraillée de fumeur et de fêtard invétéré, à la panse ronde et à la tête rougie de père Noël sur l’acide. Le vieux Hells Angels qui a défroqué, qui est repenti et repu de sang, mais qui se détruit dans la drogue dure pour oublier et se laver du sang qu’il a avalé à grande tasse et dans lequel il a trop longtemps trempé. C’est aussi mon oncle. Il a promis à ma mère, sa sœur, de me ramener en un seul morceau. Pourtant, c’est lui qui nous fournit en drogues. Enfin, c’est également notre chef d’équipe, plein d’une sollicitude paternelle à notre égard. Avec ses mains larges comme des raquettes, il manie la tronçonneuse avec l’aisance de dix jeunes intellos de mon genre. Au fond, je l’aime bien, malgré ses préjugés de petit Blanc des régions.

    Il y a aussi Marc, notre poudré et séducteur. Marc, le vétéran d’Afghanistan au cou de taureau. Une face en arrêtes qui s’avance en couteau, qui coupe et qui tranche. Une armoire à glace aux muscles sculptés à coups de burin. La quarantaine affichée avec l’assurance d’une vingtenaire buvant litre sur litre de protéines liquides. Un vétéran qui n’est jamais revenu de là-bas, qui porte l’empreinte brûlante du sable sur sa peau et trimballe des shrapnells plein sa chair triturée, les restes d’une mine lui ayant ouvert la jambe et ayant tué deux de ses camarades. Moi, je ricane souvent par en dedans. Quelque part, il y a une justice sur terre ! Et vlan ! pour les laquais du colonialisme qui perpétuent le racisme sur la surface brûlante du globe !

    Vient ensuite Benoît, mon cadet, le benjamin du groupe, le fils de Jacques, mon cousin, bref, aux dix-huit printemps. Une tête chevelue jusqu’aux épaules sous son éternelle casquette, même par -20, comme à soir. À soir, justement, son père l’initie aux drogues dures. T’as l’ âge, comme dirait mononcle. Un regard par en dessus qui vous ouvre l’âme et la démonte. Un gars qui ne dit rien, qui observe beaucoup, qui aime un peu trop les quatre-roues et les 12. Une inculture crasse, une intelligence limitée. Le même sang que moi, mais un océan de différences.

    Enfin, il y a Gutts, Guillaume de son prénom, mais tout le monde l’appelle Gutts. Le brun ténébreux, le taciturne, notre deuxième poudré accro aux boissons énergisantes. Un concentré de préjugés, un membre affiché du Croc, dont il porte souvent les couleurs, ou plutôt la tête de loup grotesque. Le Croc, c’est quoi ? C’est un groupe à son image. De la grosse droite populaire, populiste de mononcles et de matantes qui s’organisent — sur Internet, mais aussi dans des manifs — contre l’immigration et la prétendue invasion islamique. Misogyne, homophobe, raciste, Gutts n’aime pas les femmes, n’aime pas la gauche, n’aime pas les voiles, les « races » et Montréal. Bien entendu, il ne m’aime pas plus, il a toujours l’air de me planter les yeux dans la face, dès que je le regarde. Lui aussi affectionne trop les armes, mais pas pour la viande. Lui, ça le fait bander de tuer. De quoi donner raison à mes camarades de lutte antispéciste.

    Nous cinq, nous sommes dissolus et dissous dans la défonce. Jusqu’à la moelle, nous sommes trempés d’encre noir nuit, au milieu de laquelle nous baignons. Tellement défoncé, que j’en oublie un peu comment ils pensent. J’en viens même à les apprécier. L’important, c’est peut-être que je rigole et que je m’amuse avec eux. Ou du moins, que je me secoue et m’arrache à toutes mes justes frustrations.

    Que je suis heureux ! Que je suis libre, en cette soirée encore jeune et pleine de promesses !

    CHAPITRE 2

    Il y a peut-être une heure, peut-être une quinzaine de minutes, nous avons quitté la camionnette et son habitacle tiède. Depuis combien de temps exactement sommes-nous là, plantés au sol à pisser sans bouger ? Allez savoir ! L’important est que nous planons très haut. Plus haut que les cimes des épinettes qui se dressent et nous encerclent.

    Chacun de nous vit son décollage à sa manière. Jacques navigue dans des espaces stratosphériques, les yeux arrachés à leurs orbites, jetés dans un infini loin, très loin de nous.

    Gutts s’engueule et se bat. Quelques pas plus loin, il remballe sa graine, frappe et tire du douze, ou, du moins, croit en tirer, alors qu’entre ses poings, il tient une branche. Toujours cette haine…

    Benoît attend d’être emporté de nouveau. À croire que mon cousin est tombé dans un puits de lucidité et qu’il attend qu’un raz-de-marée d’hallucinations le tire de là, du fond de son trou de médiocrité.

    Moi, j’ai la tête pleine de béatitudes et d’hallucinations. Un vrai tableau d’artiste branché new-yorkais ! De quoi secouer mes puces de petit bourgeois.

    Enfin, Marc reste l’esprit à froid. Parfois, j’ai l’impression qu’il ne voit clair qu’une fois drogué. Avec sa grosse voix de sergent, ou d’adjudant, ou de lieutenant, ou autre, allez savoir, tellement je m’en câlisse, de tous leurs galons peints avec le sang des innocents, il sonne la fin de la récréation et nous renvoie à bord de la camionnette.

    — Envoyez, tous dans le truck ! La route se fera pas toute seule ! qu’il gueule en tapant dans ses grosses mains gantées.

    Nous prenons place à bord. À gauche et au volant, Marc. À droite, Jacques. Au centre, moi. Je suis le végépâté, compressé entre deux tranches épaisses. Derrière, il y a Gutts et Benoît, bien calés sur la banquette.

    Dans un rugissement de moteurs, la camionnette se rue en avant. Elle fonce à tombeau ouvert sur les routes de terre gelées qui quittent le chantier pour s’élancer et se planter dans le ventre de la forêt boréale.

    Marc chauffe complètement détruit, encore une fois. Depuis mon siège du milieu, je jette un regard sur le tableau de bord. 120 km/h. Bientôt 130… Beaucoup trop vite. Qu’importe ! Je ris ! Je ris à m’en fendre l’âme, tandis que je contemple l’immensité mouvante.

    Par-delà le pare-brise, l’Abitibi étend sa noirceur. Sa bouche semble profonde comme un gouffre qui nous avale. Là-haut, les étoiles dansent et pleuvent sur nous. Elles se marient et se noient dans le noir pétrole du ciel.

    Bientôt, je sens les gros doigts de Jacques fouiller à mes côtés et me donner la boucle de la ceinture. Mes mains trébuchantes et errantes l’agrippent. Un reste de lucidité anime mon oncle. Jacques a beau s’enfoncer tout au fond de l’abîme qu’ouvre pareille drogue dans nos esprits, il reste paternel, l’âme du groupe, le chef de l’équipe.

    Nos regards reviennent vite sur la route. Les kilomètres filent. Notre camionnette les mange. Dans une courbe plus prononcée, nous dérapons. Le véhicule tangue.

    À gauche. À droite.

    Plus de pensées.

    Qu’un élan qui nous emporte.

    Qu’une extase du vertige, décuplée par la drogue.

    Mes mains qui s’accrochent. Ma bouche qui s’ouvre sur un cri.

    Gutts qui rêve de mort, qui hurle et écume.

    Jacques qui prie ou implore en silence, une main accrochée à la poignée de la portière.

    Benoît qui ne parle pas.

    Marc qui reste en contrôle de lui-même. Sa bouche cousue sur le silence. Son cou de taureau penché sur le volant. Ses doigts plantés dessus comme des serres.

    Enfin, les roues qui bloquent dans la neige couvrant l’accotement.

    La camionnette qui se renverse. Un mouvement qui nous emporte. Ma vision qui bascule vite. En haut ! En bas ! Des impacts forts qui nous secouent. Le tournis qui me prend. Encore en haut… Encore en bas… plus lentement, cette fois… La ceinture qui me scie la poitrine et coupe ma respiration.

    Puis, plus rien.

    Tout s’immobilise. Tout s’éteint.

    CHAPITRE 3

    Je m’éveille, étendu dans le froid et la neige, enroulé dans une couverture épaisse. Ma vision demeure trouble de couleurs et de formes, pleine d’hallucinations qui crèvent le tissu de la nuit et affleurent à même les flots noirs qui nous noient.

    Combien de temps a passé depuis l’accident ? Comment le savoir ? Encore une fois, cette notion du temps est abolie, remplacée par un vertige renouvelé à chaque instant.

    À quelques pas de moi, Marc reste lucide, froid, pareil au reptile. Rien à comparer de Gutts qui s’enrage et menace de le frapper. Des cris inarticulés, peut-être des insultes, peut-être des menaces, sont échangés. On dirait deux chiens qui grognent et qui bavent. Puis, tout ça finit sous la poigne de Marc. Ses doigts attrapent Gutts et se ferment sur lui, sur sa gorge. Le militaire le jette sur le côté, comme une poupée. On dirait que le rottweiler vient de bouffer le caniche.

    J’essaie de me lever, mais je tombe aussitôt, les jambes coupées sous moi. Mes doigts montent d’instinct vers mon front et touchent une grosse bosse sanglante qui me pisse sur le visage. Je ris. Je ris de tout ce rouge coloré. Mon sang est une flamme qui ondule et rougeoie, pleine de lumières. Avec tout ce sang, j’aimerais peindre, casser la monotonie de mon monde en noir nuit et en blanc neige. Mettre du rouge feu partout, tout brûler, tout détruire pour tout recommencer. En mieux ! En plus juste !

    Hélas, mon petit somme et le choc de l’accident m’ont fait dégriser. Le temps aussi a passé. Déjà, l’extase est moins forte.

    Mon oncle se tient dans l’auréole des phares qui dessinent et découpent ses formes énormes. Il est là, les bras croisés sur sa bedaine, le manteau dézippé et ouvert. Dans

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