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La Ferme du vieux Château: Roman
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Livre électronique267 pages4 heures

La Ferme du vieux Château: Roman

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À propos de ce livre électronique

Jean Laforest, de retour dans le village de ses ancêtre, décide d'investir dans l'immobilier. Mais son nom de famille évoque des souvenirs douloureux aux habitants du village...

L’irruption d’un homme jeune, citadin, pressé et mystérieux, fait sensation à Mazereix. Il s’appelle Jean Laforest. Que vient-il faire, frimant dans sa voiture de luxe, alors que depuis des années aucun Laforest n’est apparu ici ? De cela chacun se félicite : trop de mauvais souvenirs s’attachent à ce nom ! Jean a hérité d’un ensemble de maisons et, séduit par les constructions ancestrales, il décide d’entreprendre leur réhabilitation. Doté d’une volonté de fer, nourri par l’amour de celle dont il a fait sa « chef de chantier » et encouragé par des amitiés fidèles, réussira-t-il à lever le voile du mystère qui pèse sur les Laforest et à réparer le mal commis trente ans avant sa naissance ? Tout en redonnant vie au bourg, il semble y parvenir. Mais les fantômes du passé se réveilleront. Car les rancœurs sont durables, parfois même obsessionnelles, et étrangères à toute notion de prescription ou de pardon…
Claude Lafaye renoue avec un thème qui lui est cher : la famille, avec ses secrets, ses non-dits, ses ententes et ses dissensions.

Dans ce nouveau roman, Claude Lafaye renoue avec un thème qui lui est cher : la famille, avec ses secrets, ses non-dits, ses ententes et ses dissensions.

EXTRAIT

L’hôtesse l’avait arraché au sommeil. L’atterrissage à Roissy-Aéroport de Paris étant imminent, elle priait ses aimables passagers d’attacher leur ceinture, affirmait que sa compagnie souhaitait les revoir lors de leurs prochains voyages, annonçait une température de 18 °C au sol. Pour ne pas la démentir, le soleil de juin illuminait les hublots.
Merveilleux, après trois semaines maussades à Sydney ! Dans la grande ville australienne, l’hiver n’est pas fatalement désagréable, mais Jean avait eu son compte de bruines glaciales et de vents coupants. Pas de chance, il était mal tombé. Qui plus est, de négociations interminables en mises en place difficiles, son travail avait été particulièrement éprouvant. Durant le vol, il avait un peu bricolé ses dossiers et beaucoup dormi. Voyageur surbooké et surmené, il jouissait d’un avantage précieux : l’avion l’endormait. Il sortait donc en pleine forme de sa torpeur et, sous un bleu céleste, le tarmac resplendissait aux prémices du bel été.
Il était libre comme l’air pour trois longues journées et, dans sa tête, un projet prenait forme. Qu’irait-il faire à l’appartement où personne ne l’attendait ? Ni chien, ni chat, ni oiseau en cage, ni poisson rouge. Encore moins une femme. Il chercha son ticket de parking en attendant son bagage et alla récupérer sa BMW.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Limousine côté naissance, parisienne coté professionnel, Claude Lafaye revendique les deux origines et ses romans reflètent parfaitement cette dualité campagne/ville. Depuis son plus jeune âge, la Creuse a été sa terre d’élection, le lieu enchanté des beaux mois d’été, jusqu’au moment où elle s’y est définitivement installée. Elle a posé son chevalet devant les merveilleux sites creusois, elle a peint et exposé durant des années alors que toujours, en arrière plan, des récits lui trottaient dans la tête. Puis un jour, elle a délaissé le pinceau pour la plume et depuis, elle a publié de très nombreux romans. Des histoires peuplées de personnages si tangibles et réels qu’ils pourraient faire partie de notre entourage ! Des personnages inoubliables, des destins d’exception, de folles passions, des quêtes envoûtantes et irrésistibles, des romans, aussi mystérieux que bouleversants qui happent le lecteur dès les premières pages.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie12 avr. 2019
ISBN9782848867717
La Ferme du vieux Château: Roman

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    La Ferme du vieux Château - Claude Lafaye

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    I

    L’hôtesse l’avait arraché au sommeil. L’atterrissage à Roissy-Aéroport de Paris étant imminent, elle priait ses aimables passagers d’attacher leur ceinture, affirmait que sa compagnie souhaitait les revoir lors de leurs prochains voyages, annonçait une température de 18 °C au sol. Pour ne pas la démentir, le soleil de juin illuminait les hublots.

    Merveilleux, après trois semaines maussades à Sydney ! Dans la grande ville australienne, l’hiver n’est pas fatalement désagréable, mais Jean avait eu son compte de bruines glaciales et de vents coupants. Pas de chance, il était mal tombé. Qui plus est, de négociations interminables en mises en place difficiles, son travail avait été particulièrement éprouvant. Durant le vol, il avait un peu bricolé ses dossiers et beaucoup dormi. Voyageur surbooké et surmené, il jouissait d’un avantage précieux : l’avion l’endormait. Il sortait donc en pleine forme de sa torpeur et, sous un bleu céleste, le tarmac resplendissait aux prémices du bel été.

    Il était libre comme l’air pour trois longues journées et, dans sa tête, un projet prenait forme. Qu’irait-il faire à l’appartement où personne ne l’attendait ? Ni chien, ni chat, ni oiseau en cage, ni poisson rouge. Encore moins une femme. Il chercha son ticket de parking en attendant son bagage et alla récupérer sa BMW. Un roadster dernier modèle, assez frimeur, d’un bleu profond au nom résolument imprononçable. Pourquoi non ? S’exténuant à la tâche, à un niveau écrasant, il pouvait bien s’offrir un caprice de temps à autre ! En tout cas, il savait où le conduirait cette merveille rutilante.

    Un seul petit geste et le toit disparut, escamoté quelque part à l’arrière. Ainsi, dans la lumineuse fraîcheur du matin, c’est en cabriolet qu’il partit découvrir ses propriétés creusoises. Le nom du bled tapoté du bout du doigt, le navigateur lui indiqua la distance à parcourir et l’heure de son arrivée à Mazereix. Super, non ? Par ce temps radieux, c’était un rêve de conduire ce bolide dont la fonction principale semblait être de faire sucrer un maximum de points à son permis de conduire. Une sportive digne de ce nom étant ennemie du confort, il avait l’impression d’être assis directement sur le bitume, mais la sensation était grisante. Il résista à pas mal de tentations, prit néanmoins de l’avance sur l’horaire prévu, et le village lui apparut, étagé sur une colline en pente douce, avec juste ce qu’il fallait de verdure touffue et de petits prés, harmonieuse mosaïque de couleurs encore tendres. Il était charmant, le village maudit, le village dont on ne prononçait pas le nom. Et comme il paraissait calme… Enfoui dans un silence de plomb, il avait hanté l’enfance et toute la jeunesse de Jean Laforest.

    Moteur ronronnant en seconde, il franchit la petite côte et s’enfonça dans le cœur de la bourgade, à la recherche de ses biens. Il côtoya de petites maisons aux portes ouvertes sur le soleil, manqua écraser une poule qui s’enfuit en piaillant et en battant des ailes, croisa de braves gens qui le regardèrent curieusement, puis, presque tout de suite, longea et contourna un haut mur enserrant à grand-peine une forêt d’arbres vénérables, une belle grille affreusement rouillée, d’autres arbres, des taillis anarchiques, une végétation saisie de folie en cette fin de printemps. A coup sûr, il se trouvait devant ce que les actes notariés nommaient « la maison de maître ». Celle que son grand-père avait achetée dans les années vingt ou trente. Bon. Où se trouvaient les autres ? Celle que les Laforest avaient quittée pour la maison bourgeoise et celle où sa mère était née Simone Grenier ? D’après le petit plan griffonné à la hâte, elles voisinaient au milieu du village, le long d’une place dont Jean apercevait les tilleuls en fleurs. Il les repéra facilement : elles seules étaient à l’abandon. Typiquement régionales, elles ne manquaient pas d’un charme rustique, mais, irrémédiablement délaissées, elles semblaient avoir abdiqué toute vie, se fondre dans le néant. Un frisson saisit le visiteur. Il alluma une cigarette. Des curieux le dévisageaient. Quoi de plus naturel, dans ce village où un nouveau visage, où une voiture sortant de l’ordinaire ne pouvait qu’éveiller l’intérêt ? Les observateurs semblaient de plus en plus nombreux ? Et alors ? Chacun a le droit de vaquer à ses occupations et Jean ne se croyait pas le centre du monde. Pourquoi ces gens se seraient-ils préoccupés de lui ?

    Il roula une centaine de mètres et stoppa devant le café-tabac-restaurant qu’il savait trouver là. La portière claquée, il entra dans le bar, chercha Colette des yeux. Elle s’occupait d’un groupe d’hommes accoudés au comptoir qui, visages fermés, détaillaient l’arrivant. Colette l’ignora, finit de servir ses clients et enfin, impassible, jeta le traditionnel :

    — Qu’est-ce que ce sera, pour monsieur ?

    La voix était terne, impersonnelle et, interloqué, Jean commanda un café. Le percolateur ronfla, cliqueta ; la tasse fumante se trouva devant lui sans qu’un mot soit prononcé. Mais, au dos du ticket de caisse, un griffonnage avait été tracé à la va-vite : « Ce soir,après 10 heures, par la porte de derrière. » Allons bon ! A quoi rimait ce cirque ? Colette, il la connaissait depuis… Depuis combien de temps ? Vingt ans, peut-être un peu plus ? La vie les avait séparés, mais des courriers, des courriels, des coups de téléphone émanant parfois du bout du monde avaient préservé l’amitié. Leur différence d’âge n’était que de trois ou quatre ans et elle avait été sa complice, sa confidente, presque sa copine d’enfance. Par la grâce du pur hasard. Recrutée sur la foi d’une annonce scotchée à la balance de la boulangerie favorite de sa mère, elle avait donnésatisfaction à madame Raoul Laforest jusqu’au jour où, à une question anodine, elle avait cru faire une réponse anodine.

    — Je suis de la Creuse, madame.

    — De la Creuse ? Vraiment ? Et de quel endroit, dans ce département ?

    — De Mazereix, madame.

    Qu’avait-elle dit là ! Madame Raoul Laforest, aux cent coups, l’avait renvoyée dans sa cuisine, bien décidée à la renvoyer tout court. Une gamine de Mazereix, le village honni ! Certainement pas ! Pourtant, la jeune domestique était travailleuse, discrète et, de surcroît, elle remplaçait une souillon paresseuse et incapable. Après tout, transfuge de son village, peut-être ignorait-elle tout des vieilles histoires du pays ? Le passé était bien passé et elle était si jeune ! Mais non. Madame-mère ne pouvait tolérer cette présence sous son toit. Impossible. Elle avait fait part de son oppositionà son mari qui s’était montré contrarié. Il avait pesé le pour, le contre et, après mûre réflexion, avait émis une sentence mitigée. En effet, des gouvernements honteusement laxistes ayant promulgué des lois sociales, l’origine géographique de la petite bonne ne constituait pas un motif de licenciement.

    — Quel ennui et comme je te comprends ! Mais si cette fille se plaignait et, qui plus est, à quelqu’un de Mazereix ? Un congédiement sans justifications sérieuses pourrait avoir pour nous de graves conséquences, ma chère amie.

    Le dialogue entre les époux s’imaginait sans peine ! Colette resta donc en place et, comme elle était fine, elle ne prononça plus le nom maudit. Sauf quand elle parlait avec Jean. D’emblée, tous deux avaient noué une amitié qui ne s’était pas démentie. Comme tout cela était loin !

    Il posa sa tasse vide et salua l’assistance. Seule la sonnerie aigrelette de la porte lui répondit. Bizarre ! Il ne s’était pas attendu à un accueil délirant : simplement à une indifférence polie. Loin du compte, il butait sur une curiosité hostile. Et Colette, qu’est-ce qui lui arrivait ? Il refit le tour du bourg, s’obligeant à ignorer les groupes qui s’étaient formés, yeux aux aguets et visages de marbre, puis il attaqua la petite route en montée raide qui conduisait à la ferme.

    Cheveux en bataille, chaussée de bottes encroûtées de boue, fourche en main, une femme entassait des débris au centre de la cour. Elle ne tourna pas la tête. Avait-elle seulement entendu la voiture dont on célèbre le moteur particulièrement silencieux ? En plein effort, la jeune personne ne se distrayait pas de sa tâche. Jean la considéra un instant. Accoutrée autrement et le visage détendu, elle aurait été belle. Crispée par l’effort, par une espèce de détermination amère, elle dégageait un charme qui le bouleversait étrangement. Il ne voulut pas la déranger et, en douceur, laissa le cabriolet glisser en marche arrière. La ferme, il lui avait donné un rapide coup d’œil. Ça suffirait pour le moment. Il rallia la maison de maître, mais la grille était impossible à décoincer, l’anarchie de la végétation totalement rebutante. Comment forcer ce fouillis impénétrable ? Découragé, Jean reprit la voiture. Dans la petite ville proche, à l’ombre de sa tour vénérable, il trouverait bien un restaurant où dîner en attendant l’heure de son étrange rendez-vous. Quand même, tout cela s’embringuait mal. Et Jean Laforest détestait les affaires mal embringuées.

    L’obscurité ne lui facilita pas la tâche, pour localiser la porte « de derrière » du bistro « Chez Jeannot ». Pourtant, à dix heures pile, avec Colette, ils s’embrassaient comme du bon pain.

    — Alors, quel plan tu me fais ?

    — Celui que je peux, figure-toi ! Ici, personne ne sait que j’ai travaillé chez tes parents, personne ne sait que je te connais, et c’est aussi bien comme ça. Tu as vu la gueule qu’ils tiraient, pendant que tu buvais ton café ? Ne prends pas ton air de tomber des nues, ça ne change rien !

    — Je tombe pourtant des nues, comme tu dis ! Je mets les pieds dans ce bled pour la première fois de ma vie, j’arrive, je n’ai parlé à personne, et j’ai l’impression d’être connu comme le loup blanc et catalogué « ennemi public numéro 1 ». Tu prétends qu’on sait qui je suis ? Comment ? Je ne t’avais même pas prévenue de ma visite !

    — Et j’aurais fermé mon bec, crois-moi. Pour tout te dire, peu de gens savaient que tu existais, mais ta bagnole a fait sensation, tu roulais au pas en cabriolet découvert et le Jules Raynaud t’a repéré immédiatement. Après, la traînée de poudre. Je savais que tu étais ici bien avant ton entrée dans le café.

    — Mais j’aurais aussi bien pu être n’importe quel pèlerin en balade !

    — Sauf que n’importe quel pèlerin ne ressemble pas à la fois à ton père et à ton grand-père. Le Jules est arrivé en trombe pour annoncer à la compagnie qu’il venait de voir le portrait craché du Raoul avec qui il avait été en classe. S’il avait lâché une bombe, ça n’aurait pas fait plus d’effet. Tu n’imagines pas !

    — Difficile à imaginer, en effet. Eh bien, tu vas m’expliquer.

    — Ne fais pas le malin, Jean. Ici, dans le temps, pas mal de choses se sont passées. Les vieux du village ont de la mémoire et on ne peut pas dire que ton grand-père leur ait laissé un bon souvenir. Tu le sais mieux que moi, j’imagine !

    — Pas vraiment. Le village, on n’en parlait pas, chez mes parents. Tu es bien placée pour le savoir. Et pourquoi j’aurais posé des questions sur Mazereix ? Quand je suis né, mes père et mère vivaient à Paris depuis trente ans ! Et, entre nous, les sujets de bagarre ne manquaient pas : inutile d’en chercher de nouveaux !

    — Pour ça, d’accord ! Tu es venu pour quoi, alors ? Pas pour me voir, je suppose !

    — C’est quand tu as perdu Jeannot que j’aurais voulu venir, mais, comme d’habitude, j’étais au diable.

    — En Amérique. Mais les fleurs que tu as fait envoyer, il n’y en avait pas de pareilles. Elles ont fait causer : on s’est posé des questions sur ce « Jean » qui s’était fendu d’une gerbe si magnifique. Enfin, mon pauvre bonhomme, s’il n’avait pas tant aimé le pastis, il n’aurait pas eu si tôt besoin de fleurs et de couronnes ! Mais ça ne me dit pas ce que tu fais à Mazereix. Comme lieu de vacances, tu dois connaître mieux. Attends que je te fasse un autre café, le tien est froid.

    — Laisse, ça va. Je suis simplement venu voir à quoi ressemblent mes maisons. En ce qui concerne celles du centre du bourg, j’ai pu grosso modo me faire une idée, mais je n’ai pas pu m’avancer vers la grande. Pour frayer un passage, il faudrait des outils. Quant à la ferme, elle est occupée et je n’ai pas voulu déranger. La propriété est louée, d’après ce qu’a indiqué le notaire.

    — Pas pour longtemps. Ils sont au bout du rouleau, les Parisiens. Paraît que le reste de leurs bêtes, leur rien du tout de matériel et leurs quatre meubles risquent d’être saisis. C’est malheureux, parce que la Isabelle, c’est quelqu’un de bien. Jolie fille et courageuse : elle se tape tout l’ouvrage, là-haut. Son bon à rien n’en fiche plus une ramée depuis que ses grandes idées sont tombées à l’eau.

    — Qu’est-ce que cette histoire de Parisiens ?

    — Les locataires de tes parents depuis peut-être quatre ans. Elle, on ne la voyait guère dans le bourg, mais lui se prenait pour un caïd. Avec la Isabelle, ils avaient eu de belles situations, et puis ça les avait pris de vivre une vie saine et naturelle, de devenir exploitants agricoles. Ils n’y connaissaient rien de rien, mais, comme ils avaient un peu de sous, ils ont obtenu des prêts, et vogue la galère ! Ça a fait rigoler au village, mais sans méchanceté. Des vieux ont même essayé de conseiller le nouvel agriculteur, mais ils se sont fait envoyer sur les roses. Monsieur Pierre Senoble n’avait pas besoin de l’avis de péquenauds. Un « monsieur je sais tout » arrogant et prétentieux, qui avait appris à cultiver dans des livres. Du coup, il n’ignorait rien du métier de paysan. Par-dessus le marché, il s’était fait un ami : un abruti qui avait autrefois gratté du papier à la Chambre d’agriculture et cultivait surtout les idées géniales. Et, va savoir pourquoi, le Senoble ne voyait que par lui et suivait à la lettre ses élucubrations. Et, pour Isabelle, pas question de contrer ce messie. Elle a fait ce qu’elle a pu, réparé tant bien que mal les pots cassés, discuté pied à pied avec les banquiers, mais je crois que, cette fois-ci, les carottes sont cuites. Elle travaille comme un forçat, mais lui ne fait plus rien : il noie ses désillusionsdans la bière. Quant au génie des services agricoles, il ne se montre plus. Alors, heureusement que tu ne comptes pas sur le loyer de la ferme pour croûter !

    — Quelle histoire sinistre ! Je l’ai aperçue, elle. En plein boulot et belle malgré une figure de l’autre monde. Bon, tu pourras me prêter quelques outils, pour que j’essaie de traverser ma forêt vierge ?

    — Et tu penses y arriver seul ? Pourquoi tu ne demandes pas à Maurice ?

    — Parce qu’il n’a pas que ça à faire, ton cousin. Dépanner les copains, c’est super, mais avec le travail qu’il a… Je lui lancerai un S.O.S. si je ne peux vraiment pas faire autrement. De toute façon, je le verrai demain. Ça fait un bail ! Pas si longtemps que toi, mais trop longtemps quand même.

    — Si je peux poser la question, qu’est-ce que tu comptes en faire, de tes châteaux ? Les mettre en vente ?

    — Tu sais, j’ai empêché ma mère de tout bazarder… Il faut que je voie… Mais je n’ai pas envie de vendre. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien.

    — Ne sois pas idiot, Jean. Flanque tout à une agence et tire-toi de ce bled où tu ne trouveras que des ennuis.

    — J’aime bien les défis… On verra ça demain. Tu penseras aux outils ? Bonne nuit, ma Colette…

    — Bonne nuit, tête de mule ! Tu dors où ?

    — A Bourgvieil. Un truc pas mal.

    Dans la nuit de juin, les étoiles éclataient de tous leurs feux et, bizarrement, Jean ne pouvais chasser de son esprit l’histoire des Parisiens. Quelles chimères les avaient conduits à plaquer leurs situations, à louer une vieille ferme, à se lancer dans un métier auquel ils ne connaissaient rien ? Les chimères… Le bien le mieux partagé, au fond. Et les siennes, de chimères ? Qu’est-ce qu’il faisait dans ce pays inconnu ? Il courait après quoi ? Enfin, après tout, ceux qui ne caressent aucun rêve sont des malheureux appelés à périr d’ennui. Quand même, ce couple de Parisiens que leur beau songe était en train de détruire… Il passerait à l’agence de location : qu’au moins on leur foute la paix, à ces sinistrés du château en Espagne.

    Il dormit serré, s’éveilla tôt, décidé à tout voir, à tout inspecter, à se faire une opinion. A prendre une décision. Une décision ? Foutaise. Elle était prise, sa décision. Quel que soit leur état, il ne vendrait pas les bâtisses. Ce qui restait à décider, c’est ce qu’il ferait d’elles.

    Comme convenu, Colette avait pensé aux outils et les avait déposés au plus près : derrière la porte de la maison des Grenier, là où était née et avait grandi Simone Laforest, sa mère. Typique des constructions villageoises de la région, l’habitation avait vaillamment résisté au temps et les quelques meubles qui subsistaient çà et là, s’ils étaient couverts d’une épaisse couche de poussière, ne portaient aucune trace d’humidité. Etrangement remué, Jean écarta des toiles d’araignées, effleura un vieux buffet, contempla les marques que ses doigts avaient tracées. A quoi ressemblaient ses grands-parents Grenier ? Comment étaient-ils, ces inconnus dont on ne lui avait jamais parlé ? Et sa mère ? Autoritaire, péremptoirement imbue de sa supériorité, comment l’imaginer dans cette modeste salle commune, sous ces poutres noircies, se chauffant à la cheminée campagnarde où pendaient encore la crémaillère et sa marmite noire ? Impossible. Les images ne se superposaient pas. Et pourtant une petite Simone avait poussé dans ce cadre rustique, y avait nourri des rêves… Elle avait fréquenté l’école du village et, son orgueil faisant office d’aiguillon, elle avait certainement été une bonne élève. La meilleure en tout, puisque tel était son credo. Elle ne reconnaissait qu’une primauté : celle de son époux. Et ses parents, les avait-elle aimés ? De leur mémoire, elle n’avait rien partagé avec Jean. D’ailleurs, qu’avait-elle partagé avec lui, à part une bonne dose d’indifférence et de mésentente ? Né trop tard alors que Simone atteignait ses quarante-neuf ans, il avait été l’enfant non désiré, l’intrus qui s’imposait dans la vie bien remplie du couple Laforest.

    Bon, inutile de revenir là-dessus. Il ferma soigneusement la porte de la maison Grenier, traversa la place et s’attaqua à l’inextricable fouillis végétal qui entourait la vaste demeure d’Eugène Laforest. Marquant ainsi l’éclat de sa réussite et son ascension dans l’échelle sociale, le grand-père l’avait achetée aux héritiers de l’ancien notaire du pays. Par parenthèse, imaginer qu’un notaire ait pu autrefois officier à Mazereix tenait de la fiction absolue !

    L’enchevêtrementde branches, de lianes, de ronces et de hautes herbes finit par céder à la serpe et au sécateur de Colette. Non sans mal. Jean avait sué sang et eau pour dégager un étroit passage. Il n’en demandait pas plus. La clé fit des façons avant de tourner dans la serrure, un coup d’épaule parvint à décoincer le battant, avant que l’obscurité et une terrible odeur de renfermé ne fassent reculer l’intrus.

    Il persévéra, mais tout coinçait, butait, résistait, dans cette baraque ! Isolée au milieu de ses grands arbres, elle avait plus souffert de son abandon que la petite maison des Grenier qui, elle, se trouvait encadrée d’autres constructions. Enfin, trempé de sueur et maculé de poussière, il parvint à ouvrir les volets et la beauté de l’ensemble le laissa stupéfait. Harmonie de l’architecture, des pièces aux belles proportions, noblesse des hauts plafonds, des fenêtres élégantes, du mobilier raffiné… Sur le sofa suranné, allait-il trouver la Belle au bois dormant plongée dans le sommeil ? Pourquoi la maison avait-elle été désertée de cette façon, comme si ses habitants s’étaient mystérieusement évaporés, laissant tout en plan, ou comme si, franchissant des dizaines d’années, ils s’apprêtaient à revenir, à retrouver meubles de style et objets familiers ?

    Envahissants, les arbres entretenaient une pénombre glauque qu’illuminait parfois un rayon de soleil dardant entre les branches. Il faisait alors danser la poussière, soulignait les lourdes draperies tissées par des générations d’araignées. Jean les écartait de la main, mais, comme la maison, elles semblaient inhabitées depuis des lustres. Quelle impression bizarre ! Il parcourut un salon et une salle à manger de bonnes dimensions, un bureau imposant, escalada un escalier heureusement proportionné, visita six ou sept chambres, des salles de bains jadis du dernier cri, descendit d’autres marches qui conduisaient à une vaste cuisine pourvue de ce qui avait été le nec plus ultra du confort. Sous la salissure des années, le cuivre des casseroles et de la bassine à confiture luisait encore faiblement.

    Une balade hors du temps, hors de la vie réelle, hors de lui-même. Il frissonna. De quoi la belle maison était-elle le tombeau ? Elle avait été abandonnée, purement et simplement, sans que personne n’ait pris la peine de housser les canapés et

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