Le Clos: Polar historique
Par Pierre Jacquemot
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Aperçu du livre
Le Clos - Pierre Jacquemot
Pierre JACQUEMOT
Le Clos
Roman historique
ISBN : 378-2-37873-926-3
Collection Hors-Temps
ISSN : 2111-6512
Dépôt légal : mars 2020
© couverture Ex Æquo
© 2019 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays Toute modification interdite
Éditions Ex Æquo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières Les Bains
www.editions-exaequo.com
Préface
L’histoire du livre que vous tenez entre les mains est un roman à elle toute seule ! Cet ouvrage fut écrit il y a 35 ans par un jeune homme de 17 ans seulement ! Il a dormi au fond d’un cartable d’école pendant tout ce temps avant de ressurgir à la faveur d’une discussion lors de laquelle l’auteur apprit que j’étais directrice de collection. C’est donc avec un immense plaisir que je vous invite à pousser les portes du Clos ! Cet endroit fantastique, à la fois maléfique et merveilleux qui va sceller le destin d’un homme. Cet ouvrage méritait d’être sorti de son long sommeil ! Vous serez surpris par la maturité de l’écriture qui sait mêler les faits historiques à l’imaginaire. Les lecteurs attentifs reconnaîtront même quelques éléments autobiographiques…
Catherine Moisand
Directrice de la Collection Hors-Temps
À mes parents, Janine et Maurice,
À mon épouse Sabine,
À Cyprien, Baptiste, Noémie, Vianney et Amicie,
« Vous êtes le sel de la terre », Matthieu 5,13
… et celui de ma vie !
« La vie est un bien perdu pour celui
qui n’a pas vécu comme il aurait voulu »
Mihai Eminescu
Poète Roumain (1850-1889)
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
Mardi 21 septembre 1847. Il faisait froid, ce matin-là, à Fontainebleau. Le ciel était gris, le soleil avait disparu avant même d’apparaître, les rues semblaient désertes. Seules de nombreuses feuilles mortes, avides de liberté, dansaient avec le vent en un tourbillon de poussière.
C’était déjà l’automne.
Soudain, les martèlements des sabots d’un cheval et les claquements d’un fouet brisèrent le silence glacial de ce matin sans fin.
Un coche s’arrêta devant le château.
Un homme, assez jeune, mal habillé, mal rasé, en sortit le premier. Il serrait précieusement sous son bras gauche un porte-documents respectable, tant par son épaisseur, importante, que par sa laideur, infinie. Voulant paraître pressé, il paya rapidement son dû au cocher.
Le cheval piaffa, la diligence s’en alla, et le silence revint.
Jean de la Haye, architecte depuis peu à Paris, mais déjà connu là-bas pour sa grande médiocrité, arrivait enfin à Fontainebleau. Le long voyage, d’abord dans un tortillard bruyant, ensuite dans ce coche trépidant, l’avait exténué. Et il aurait pu s’en plaindre, s’il n’avait eu une raison suffisante pour entreprendre un tel périple : il courait après l’argent.
C’était une course pénible, semée d’embêtements, d’embûches et de désenchantements ; il ne le savait que trop. Mais il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins, et ne parvenait pas plus à satisfaire ses ambitions… et ses désirs. Son appartenance à l’une des plus anciennes et prestigieuses familles de France ne lui avait été en ce domaine d’aucun secours ; aussi la lutte lui semblait-elle vitale. Sa réputation ne jouant pas en faveur de ses affaires dans la capitale, il avait préféré tenter sa chance ailleurs. Quelqu’un, en qui il avait jusqu’alors entièrement confiance, lui avait fait part d’un intéressant projet d’aménagement de la ville de Fontainebleau. Jean, de nature optimiste, avait aussitôt sauté sur l’occasion inouïe qui se présentait à lui : il ne doutait pas un instant que, si une quelconque place lui était accordée dans cette fabuleuse entreprise, la célébrité — bienfaisante cette fois — suivrait naturellement, et la fortune avec. Aussi, c’est avec le cœur plein d’espoir et le portefeuille rempli de ses maigres économies qu’il avait quitté Paris, tôt le matin.
Mais le ciel se couvrait, le temps se gâtait, l’orage menaçait. Et Jean courait, pour éviter les premières gouttes de pluie et les rafales de grêle.
Il se rendit d’abord à l’hôtel de ville. Et là, surprise, on fit mine de ne pas comprendre ce qu’il désirait. On l’envoya, à tout hasard, voir au château. Il s’y précipita, l’esprit troublé par un doute cruel, pour y apprendre, de la bouche d’une mégère sans doute préposée au gardiennage, que le projet avait été abandonné, s’il avait seulement existé un jour. Il s’insurgea, cria jusqu’à s’étouffer, faillit exploser de rage, menaça même de brutaliser la pauvre vieille, supplia enfin qu’on lui amène le régisseur du domaine. Elle lui répondit qu’il pouvait toujours, si toutefois il se calmait, l’attendre là.
Il attendit donc ; la salle était froide, le plafond très haut, les murs humides, et le silence pesant. Vers onze heures, la vieille s’en alla, sans dire un mot. À midi, personne n’était revenu. À une heure, Jean dut bien se rendre à l’évidence : c’était l’échec, total et irrémédiable.
Dire ce qu’il ressentait lui était impossible : tous ses plans, tous ses rêves surtout, venaient de s’écrouler là, devant ses yeux ; on les avait détruits. Dans sa tête, un nombre immense de pensées s’entrechoquaient, mais aucune ne s’installait vraiment. Il n’était plus qu’un vaste chaos, sur un fond d’amertume.
Dans un ultime sursaut de folie rageuse et de désespoir contenu, il obéit à son corps : il avait faim.
Il choisit une auberge à l’écart de la ville, au bord de la Seine, et s’y fit conduire en coche. C’était une charmante bicoque, sans originalité aucune, sauf peut-être une certaine ressemblance avec les fermes normandes : les colombages semblaient particulièrement remarquables, et l’architecte qu’était Jean put les apprécier à leur juste valeur. Son regard se posa également sur les magnifiques saules pleureurs qui, avec beauté et nonchalance, laissaient retomber leurs branchages dans le fleuve.
Cette vue le réconfortait un peu, et le bruit répétitif et lassant de ses pas raclant le gravier achevait de le calmer ; les voix étouffées des convives et les tintements des couverts sur les assiettes, qui parvenaient jusqu’à ses oreilles, le poussèrent finalement à entrer.
L’intérieur était celui, non très luxueux, mais chaleureux, d’un relais de voyageurs ; ceux-ci, lorsqu’ils se sentaient fatigués, pouvaient s’y arrêter et discuter à leur aise autour d’un bon plat, devant un beau feu. On y mangeait bien, et pour peu cher. L’ambiance était sympathique et calme, même si quelques joyeux lurons avaient un peu abusé des plaisirs de l’alcool… Jean ne déplorait pourtant pas leur présence, car ils étaient amusants à voir : cela l’aidait à oublier légèrement la terrible déception du matin.
Le jeune homme se trouvait à la fois gêné et content d’être là. Gêné, car il avait devant ses yeux l’image même de ce qu’il était, lui : si quelques rares bourgeois ou notables prenaient leur repas dans ces lieux, les autres clients n’étaient pour la plupart que des laissés pour compte, des minables. Et, même s’il ne le souhaitait pas, Jean, en s’asseyant à leur table, ne pouvait qu’être des leurs, en apparence. Content, car il se trouvait seul dans cette assemblée de solitaires. L’auberge ne présentait pas un caractère familial, et Jean ne vénérait pas particulièrement sa famille. Il avait certes bien connu son père, mais beaucoup moins sa mère. Le seul souvenir qu’il conservait encore précieusement d’elle, était celui d’une belle femme aux cheveux blonds et éclatants, se penchant le soir vers son front pour y déposer un délicat baiser.
Il n’avait pas cinq ans lorsqu’elle mourut. Il devint alors un objet. Son père se remaria, et on le trimbala. Dès qu’on le put, on s’en débarrassa dans l’une de ces pensions qui servent toujours de prétexte à un quelconque abandon. À la mort de son père, on l’avertit qu’Henri de la Haye, fils issu du second mariage, son demi-frère dont il ne soupçonnait pas même l’existence, était légataire universel de son père. Il avait hérité, lui, son cadet de six ans, de la banque, des immeubles, de toute