Les héritiers de Val-Vert
Arrivé au milieu de la cour où l’attendait sa voiture, l’homme se retourna et son regard caressa longuement la maison ancestrale. Contrairement à ce que pensait Julien, son fils cadet, il ne partait pas le cœur aussi léger qu’il le prétendait. Mais il avait choisi. Il avait travaillé dur, élevé ses deux fils, et voulait profiter à présent des années qui lui restaient à vivre, nombreuses, espérait-il.
C’était un homme de haute taille, vigoureux, le teint hâlé par la vie au grand air, encore séduisant, avec sa crinière brune et rebelle et son allure de gentleman farmer. Il donnait toute l’apparence de la vigueur, mais parfois il se sentait fatigué et, malgré ce chagrin qu’il éprouvait à abandonner le Clos Brétignac, il savait parfaitement qu’il n’aurait pu continuer longtemps sur ce rythme insensé.
La veille, Julien, son cadet, était parti pour effectuer son service militaire qu’il effectuerait dans le cadre de la coopération. Ils s’étaient quittés, dissimulant l’un et l’autre leur émotion, alors que Philippe brûlait de le serrer contre lui, de le serrer fort, oui, comme lorsqu’il était un petit garçon. Julien ne lui pardonnait pas de déserter le Clos Brétignac et d’épouser Malou Florus, qu’il connaissait pourtant depuis des années.
Malou était une citadine née, jamais elle n’aurait consenti à vivre à temps complet à la campagne. Elle ne s’y plaisait que l’été, pour les vacances, et si elle était revenue chaque année après avoir découvert leur village isérois, c’était seulement pour Philippe, qui lui plaisait beaucoup. C’était réciproque, mais longtemps Philippe avait hésité à se déclarer. Il avait attendu pour cela que Julien ait terminé ses études au collège agricole et que Bernard, l’aîné, ait pris assez d’assurance pour le remplacer sur la propriété.
Bernard se tenait là, devant lui, avec Esther, sa jeune épouse, et qui lui souriait, un peu ému. Un grand beau gars, blond comme l’était sa mère Clarisse, partie trop tôt. Son fils et sa bru tenaient chacun par une main un joli petit garçon aux cheveux dorés, Patrick. Bernard n’avait pas vingt ans quand le bambin était venu au monde. Il aurait pu se contenter de reconnaître l’enfant,
