Surprises au bord de la Neisse

Jeff n’imaginait pas ce qui l’attendait à Görlitz. Il n’avait vu la ville qu’avec les yeux d’un technicien de cinéma, six ans plus tôt. Et à l’époque du tournage, il n’avait pas eu l’occasion d’apprécier au naturel le charme de la petite cité de Saxe, ensevelie sous la neige.

Lui, le jeune Américain fou de cinéma, embarqué dans l’équipe de Wes Anderson, n’avait jamais eu l’occasion de voyager en Europe. Encore moins dans un coin si traditionnel de cette Europe tellement différente de son Chicago natal. L’atmosphère ouatée des rues sous la neige, les soirées arrosées à la bière dans l’une des tavernes où l’on rentrait se réchauffer après des heures de tournage dans le froid glacial, les séances de piano improvisées dans le bar d’un restaurant éclairé aux chandelles… Jeff en avait gardé un souvenir de conte pour enfants.

Le film avait rencontré un succès international. Jeff, lui, y avait rencontré un ami : Gasper. Gasper servait d’interprète à l’équipe du film, peu familiarisée avec l’allemand, et il appréciait comme Jeff les polars scandinaves et les nuits blanches.

Leur amitié avait continué, via messagerie instantanée.

Puis Gasper était venu deux fois à Chicago. Jeff, lui, avait toujours remis à plus tard ce retour à Görlitz sous mille prétextes : il avait peur d’être déçu par la petite ville saxonne sans son charme hivernal.

Il avait pourtant fini par se décider. Et enfin, il s’apercevait que Görlitz, en été, était tout aussi séduisante: joyeuse et décontractée sous le soleil, avec des gensattablés auxterrasses descaféset des balcons débordants de fleurs. L’ancienne opulence de la cité marchande éclatait à tous les coins de rue aux façades baroques ou Renaissance. Par chance épargnée par les bombes pendant la guerre, elle avait préservé son caractère de « vieille Europe ». Toutefois, Gasper avait tempéré l’enthousiasme de Jeff alors qu’ils flânaient, le premier soir, aux abords du pont qui reliait la ville à la rive polonaise. Jeff avait oublié que Görlitz