Un lac à préserver

Tante Ivana l’attendait devant la barrière de la maison, frémissante d’impatience.

Gordana n’avait pas voulu qu’on vienne la chercher à l’aéroport, elle avait préféré louer une voiture et avait pris son temps pour déguster le paysage le long du chemin : les rives du lac Prespa, partagé entre Grèce, Macédoine et Albanie. On pouvait voir les vols de pélicans, les forêts qui plongeaient dans l’eau turquoise, les hameaux aux toits rouges. Elle n’était jamais venue dans ce coin perdu, mais son père lui en avait tant parlé à Melbourne que tout lui paraissait familier. Dès qu’elle coupa le moteur, Ivana se précipita pour l’accueillir dans un macédonien volubile qu’heureusement la jeune femme avait toujours parlé en famille.

Dans la maison, Ivana gémit :

– Hélas, ton père ! Mon cher frère que je n’aurai pas revu… Tu sais comme il nous a beaucoup aidés. Sans lui, tout aurait été vendu, ici. Il n’a jamais oublié sa famille malgré la belle vie qu’il a eue en Australie. Gordana garda le silence. Ivana opina :

– Il a bien fait d’émigrer quand il était encore jeune et vigoureux. Comme beaucoup d’autres qui cherchaient une vie meilleure et avaient peu à peu quitté la Yougoslavie, Stefan Asani avait rejoint l’Australie des années plus tôt. Il avait été maçon avant de monter une petite entreprise de bâtiment qui avait largement prospéré.

Il avait épousé une Australienne et Gordana était née cinq ans plus tard – elle était restée fille unique. Ses parents s’étaient séparés en même temps que la Yougoslavie éclatait en morceaux. Peu concernée par ces événements qui bouleversaient au contraire la colonie d’immigrés, la femme de Stefan était allée vivre à Perth, laissant Gordana à son père. Il ne s’était jamais remarié, trop occupé par sa vie professionnelle et associative : c’était un pilier de la communauté expatriée. Sa fille avait grandi dans cet amour nostalgique pour