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Rentrée mortelle dans les Landes: Roman policier
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Rentrée mortelle dans les Landes: Roman policier
Livre électronique285 pages3 heures

Rentrée mortelle dans les Landes: Roman policier

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À propos de ce livre électronique

De la chance… Ses camarades de promo aussi l’avaient envié : être assez bien classé pour obtenir sa nomination dans le département où il avait grandi ! Mais s’ils avaient su, auraient-ils encore parlé de chance ? Julien Lalanne revient à Dax sur les terres de son enfance. Le nouveau professeur n’a pas encore posé ses bagages que déjà son passé le rattrape. Les souvenirs frappent à sa porte et certains visages de sa vie d’avant refont surface. Puis tout s’enchaîne : son ancienne institutrice est retrouvée décédée chez elle, quant au directeur de l’école primaire où le jeune homme est affecté, ce dernier est assassiné la veille de la rentrée, dans sa propre salle de classe. L’enseignant se retrouve au cœur d’une intrigue macabre, aux prises avec un tueur implacable. Le mystère qui entoure ces assassinats est troublant et le commissaire Biddegain, en charge de l’enquête, va devoir démêler les fils d’une histoire poignante aux cendres encore fumantes…

À PROPOS DE L'AUTEURE

Fille de libraire, Marie Cazalas est née en 1958 à Marseille et vit depuis 35 ans dans les Landes, où elle a exercé les métiers d’enseignante et de formatrice d’enseignants. Elle anime régulièrement des ateliers d’écriture dans différentes médiathèques du département. Après avoir été lauréate de plusieurs concours de nouvelles dont Une seringue dans les rayons (Noires de Pau 1999) et publié un recueil de fragments poétiques La nuit peut venir ( Editions de La Crypte 2015), elle publie son premier roman chez Terres de l’Ouest en 2020.
LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2020
ISBN9791097150495
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    Aperçu du livre

    Rentrée mortelle dans les Landes - Marie Cazalas

    techniques.

    Chapitre 1

    Le TGV ralentit. Peu à peu les pins s’espacèrent, laissant entrevoir des maisons basses et blanches.

    Julien fixait ce paysage familier sans le voir. Autour de lui, les familles s’ébrouaient : parents soulagés par la fin du voyage ; enfants, le nez collé aux fenêtres, tout à la joie de l’arrivée. Il avait été comme eux. Il aurait voulu l’être encore. Mais l’enfance était loin derrière lui et ses jours heureux avaient été irrémédiablement ternis.

    Une jeune fille l’arracha à ses pensées.

    — Please, can you help me ?

    D’un geste de la main, elle désigna un gros sac à dos dans le porte-bagages.

    — Ça marche, répondit-il en exagérant son accent du Sud-Ouest.

    Elle rougit.

    — Je t’avais pris pour un anglais.

    Il avait l’habitude. Avec ses cheveux roux, ses yeux clairs et sa peau laiteuse, ça lui arrivait souvent. Mais, comme il le lui dit, il était landais.

    — Retour au pays alors, plaisanta-t-elle en empoignant son sac. Boulot ou vacances ?

    — Boulot.

    — Tu as de la chance. Moi je ne trouve rien ici. Ce sera Bordeaux ou Paris.

    De la chance… Ses condisciples aussi l’avaient envié : être assez bien classé pour obtenir sa nomination dans le département où il avait grandi ! Mais s’ils avaient su, auraient-ils encore parlé de chance ?

    « Dax. Prochain arrêt Dax. » Il se leva pour récupérer ses bagages. « Les voyageurs à destination de Tarbes… » Il n’écoutait plus. Il était arrivé. Sur le quai, un panneau lumineux proclamait « Bienvenue à Dax. » Il lui fit une grimace ironique et s’engagea dans le hall.

    — Julien ! Julien Lalanne !

    Il se raidit. Cette voix. Cette modulation : attaque en douceur, finale en coup de fouet. Une inflexion tyrannique qu’il aurait reconnue entre mille. Madame Barrieu. Madame Barrieu, la très compétente et très redoutée maîtresse de CP. Celle dont les parents disaient « Elle crie mais c’est pour ton bien, avec elle tu apprendras à lire. » Madame Barrieu qui avait peuplé ses cauchemars, bien après qu’il avait quitté sa classe. Madame Barrieu… Il fit mine de ne pas l’entendre et poursuivit sa marche. Elle se planta devant lui.

    — Tu ne me reconnais pas ?

    « Bienvenue à Dax », pensa-t-il.

    Elle s’était tassée. Sous son canotier, avec ses joues rosies, elle avait l’air d’une vieille petite fille ou d’une ridicule petite vieille. Il eut un sourire en coin.

    — Madame Barrieu ?

    — Ah ! Quand même, je t’ai appris à lire… Et j’ai eu du mal !

    Elle n’avait pas changé. Il fut ravi de la décevoir.

    — Je suis professeur des écoles. Voyez, tout peut arriver. Les gens changent.

    — Pas tous et pas toujours. Tu verras.

    Il coupa court et s’éloigna, tirant son gros sac, sa coiffure rasta battant ses épaules.

    Elle le rattrapa.

    — Tu te souviens de ma petite-fille, Natacha ? C’est elle que j’attends. Elle arrive de Bayonne. Elle aussi vient de réussir le concours d’instit. Je me dis que je n’ai pas si mal travaillé. Ma petite fille reprend le flambeau, et maintenant un ancien élève… Bon, je te laisse, coupa-t-elle abruptement, je ne veux pas faire attendre Natacha. Mais passe me voir quand tu veux. J’habite toujours rue d’Aulan.

    Elle s’engagea sur le quai, étonnée par ce qu’elle venait d’apprendre. Julien, le petit Julien, enseignant ! Elle ne l’aurait jamais cru. Il n’était pas très brillant. Appliqué certes, mais rêveur. Pas comme sa sœur jumelle, Jade. Elle, c’était autre chose. Une gamine au-dessus du lot. Indisciplinée, mais vraiment douée. Ce qui était arrivé ensuite… Quel gâchis !

    Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas sa petite-fille s’approcher.

    — Mamie !

    Elle sursauta.

    — Ça va ? Tu es toute blanche. Je t’ai fait peur ? Tu veux t’asseoir un peu ?

    — Non. Je rêvassais, c’est tout. Tu sais qui je viens de voir ? Julien, Julien Lalanne. Tu te souviens de lui ?

    La jeune fille acquiesça. Bien sûr qu’elle s’en souvenait. Comment l’oublier, lui et le drame qu’il avait vécu ? La voyant s’assombrir, sa grand-mère lui prit le bras.

    — Il va bien maintenant. Le temps apaise.

    Comme elle disait ces mots, une autre mort s’imposa à elle. Une vague de dégoût et de honte la traversa. Non, le temps n’apaisait pas tout.

    ***

    Julien entrouvrit les persiennes pour chasser les remugles de poussière et d’absence. Dans la pénombre lourde, la solitude l’envahit. La résidence du Grand Pré était vide. Le T1 loué meublé à une lointaine cousine, donnait sur une cour silencieuse. Dans le bassin à sec, quelques herbes mortes côtoyaient des confettis fanés.

    Les fêtes venaient de s’achever. L’heure était à la sieste. Incapable de dormir, il repoussa le drap, noua ses cheveux roux en catogan, s’engagea dans l’escalier et se dirigea vers la ville.

    Partout, à chaque carré d’herbe, des festayres démontaient leurs tentes. L’air chaud et moite empestait l’urine et l’alcool. Les tee-shirts étaient tachés, les foulards rouges froissés, les visages fatigués.

    Des commerçants balayaient leur pas-de-porte à grands seaux de javel. Demain, ils descendraient les panneaux de bois qui protégeaient les vitrines. Place de la Course, les premiers estanquets étaient déjà démontés. Près des arènes, des vieux jouaient aux boules, mais le cœur n’y était pas. Le goût était à l’ombre, au frais et à l’eau. Tous ceux qui le pouvaient étaient à la plage. Seuls les plus pauvres, ceux de Cuyès ou du Gond, somnolaient sur les pelouses du jardin de la mairie. Dax vivait au ralenti et cuvait cinq jours de liesse.

    Place Thiers, le jeune homme s’assit sur un banc et s’abandonnant à ses souvenirs, ouvrit une canette de Perrier tiède. Ses parents, qui adoraient cet endroit, aimaient y fêter le printemps en famille. Tous les quatre s’installaient en terrasse, consultaient longuement la carte des glaces, hésitaient, salivaient et pour finir, commandaient toujours le même parfum ! Framboise pour maman et lui, citron pour sa sœur Jade et leur père. Ce rituel délicieux, ils l’attendaient tout l’hiver. Bien sûr, il y aurait d’autres glaces. Il y en aurait tout l’été. Mais aucune n’aurait le goût de celle-ci, la première de la saison. Lui, il prenait son temps pour savourer, tandis que Jade, qui avait englouti la sienne, tentait de lui extorquer un morceau du cornet.

    « Terminer un repas, c’est bien la seule chose que vous ne faites pas ensemble », disait leur père. C’était vrai. Sa jumelle en était au dessert alors qu’il n’avait pas fini l’entrée. Pour le reste, ils partageaient tout. Leurs initiales, leurs carambars, leurs secrets. Même les punitions. Les interminables séries de lignes infligées par le maître de CM, ils les écrivaient à quatre mains ! Celui-ci ne s’en était jamais rendu compte.

    Qu’ils partageaient tout, il l’avait cru. Il s’était trompé.Jade ne lui avait rien dit. Il n’avait rien vu, rien pressenti. Dix ans après, c’était toujours la même douleur. Le même arrachement.

    Des ados passèrent, se poussèrent du coude en le voyant. Sa sœur avait été comme elles, une punkette longiligne, jeans troués et tee-shirts savamment fanés. Leur père se désespérait. Leur mère répondait que ça lui passerait, avec l’âge. Elle avait tort. Jade ne s’en était pas donné le temps.

    Les ombres s’allongeaient. La rue s’emplissait. Il s’ébroua. Il ne voulait pas rencontrer d’anciennes connaissances. Pas encore. Madame Barrieu lui avait suffi. Il n’était pas prêt.

    À la fraîche, il courut le long du fleuve. Sur la berge opposée, les lueurs bleues des télés trouaient les façades, des voix s’échappaient des fenêtres ouvertes, une trompette hésitante égrenait les premières notes de Vino Griego. Comme lui, la ville luttait contre la nuit.

    Chapitre 2

    Julien n’aimait pas être pris au dépourvu. Un repérage stratégique s’imposait. Après s’être rendu à l’école Sully, lieu de son premier stage, il remonta tranquillement la rue d’Aulan vers le lycée de Borda. Rien ne le pressait. Il lui restait encore une petite semaine de vacances. Il s’arrêta devant le numéro 17. Un perron, une solide porte en chêne. Il jeta un coup d’œil par-dessus le mur : un jardinet, un potager minuscule, une véranda et trois chaises en fer sous un tilleul. Si près du centre-ville, la vieille n’était pas mal logée. Et ce nom : Villa « Le Castel » ! Cela dit, ça ne l’étonnait pas.

    Un voisin l’interpella.

    — Vous cherchez madame Barrieu ?

    Le jeune homme haussa les épaules et s’éloigna sans répondre.

    ***

    Pour la première fois depuis son déménagement, Sophie Giettaz se sentait détendue. Les cartons, le départ de Savoie, l’installation, la cohue des fêtes de Dax et les nuits étouffantes l’avaient épuisée au-delà du raisonnable. Elle avait douté d’elle-même et de la réussite de son projet.

    « Je n’y arriverai jamais », s’était-elle dit au plus fort de l’insomnie.

    Mais la veille, elle était allée au bureau pour prendre contact avec la secrétaire et quelques directeurs. Peu à peu, elle prendrait ses marques. Ce n’était qu’une question de temps et de patience. Du temps, elle en avait. Quant à la patience, avec Élise, sa mère, c’était devenu une seconde nature. Celle-ci était partie marcher. Tant mieux. Elle avait le champ libre. Aérer l’appartement d’abord. Puis ranger.

    L’air frais du matin entra dans la pièce. Sophie le savoura. Il chassait les miasmes et l’odeur épaisse des cigarettes. Elle considéra les cartons d’un air morose. Ils envahissaient tout l’espace. Elles n’avaient pourtant emporté que le strict minimum. Les beaux meubles et les souvenirs étaient restés dans la vieille maison. Dax n’était qu’une étape. Trois ans tout au plus. Moins, si elle se débrouillait bien.

    Sophie commença à séparer ses cartons de ceux d’Élise. Ceux-là étaient faciles à reconnaître. Anarchiques et mal ficelés. « Comme ma mère », pensa-t-elle. Elle souleva l’un d’entre eux intitulé « Élise strictement personnel. » Le ruban adhésif s’était décollé. Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur. Certaines choses pourraient lui être utiles. Puis elle enfourna le carton au fond d’un placard.

    ***

    Élise Giettaz commanda un café et des cigarettes. Des mentholées. Sophie, sa fille, se plaignait de l’odeur âcre des Gauloises. Peut-être qu’avec celles-ci… Le patron fit une remarque sur les méfaits du tabac. Élise rétorqua vertement qu’à plus de soixante ans, elle n’entendait pas se laisser dicter sa conduite. Fumer était son plaisir. Ce qui arriverait à ses poumons ne regardait qu’elle. Le buraliste la regarda partir avec un demi-sourire. Une belle femme, athlétique et bien conservée qui donnait envie de fréquenter les clubs de retraités. Mais lui, devrait attendre.

    Il se trompait, Élise Giettaz n’était pas retraitée. Elle n’avait tout simplement jamais travaillé. Quand, selon une expression pudique employée par ses proches, ses problèmes de santé s’étaient déclarés, ses parents l’avaient aidée. Depuis leur mort, elle vivait du petit capital qu’ils lui avaient légué. S’y ajoutaient quelques minima sociaux ; un montant modeste mais suffisant. Elle n’avait pas de gros besoins. Et la société lui devait bien une compensation, estimait-elle.

    Il avait plu pendant la nuit. Une fine pluie fraîche qui, sans laver les trottoirs, annonçait l’automne. Élise enjamba une flaque en fronçant le nez. Malgré l’averse, les rues puaient encore. Elle songea avec nostalgie au parfum moussu de la cour de son enfance. L’enfance en général la rendait mélancolique. L’enfance et quelques années heureuses… Elle se secoua « Allez, arrête avec le passé ! Suis ton plan. » et reprit sa marche.

    Depuis son arrivée à Dax, Élise arpentait la ville. Organiser l’espace à défaut du destin. Si la semaine des fêtes avait été celle d’une découverte anarchique et fiévreuse, elle menait désormais une exploration méthodique. Elle avait besoin de repères.

    Elle traversa la place des Trois Pigeons. « Joli nom pour un endroit si moche. », se dit-elle en longeant le marché couvert, triste édifice de béton grisâtre. Elle s’arrêta devant une boutique de fleurs. Une plante pour leur appartement ? C’était tentant. Mais Sophie n’avait pas le temps et, elle, pas la main verte. Tout ce qui passait entre ses doigts mourait. Elle s’arracha à la vitrine et bifurqua sur la gauche. La rue qu’elle venait d’emprunter, étroite et sombre en son début, s’ouvrait sans prévenir sur des villas riantes flanquées de jardins. La villa « Le Castel », façade austère sur la rue et jardin à l’arrière, marquait cette rupture entre la vieille ville et celle du XIXe. « Le Castel, pensa-t-elle en s’approchant, donner ce nom à une maison, quelle prétention et quelle stupidité ! Elle n’est ni grande ni belle cette villa solidement barricadée. Le jardin peut-être… ». Lui aussi était sans envergure, à l’image de sa propriétaire qui, tout sourire, s’approchait du muret.

    — Vous admirez mes roses ? Ce sont des Malmaison. Je les fais venir de Versailles.

    « Oui, c’était tout à fait ça, pensa Élise ; stupidité et prétention. »

    ***

    « J’aurais dû demander ma mise à la retraite cette année », se dit monsieur Bordères, le directeur de l’école Sully, en fermant le portail de l’établissement.

    Cette Sophie Giettaz, leur nouvelle chef, allait leur mener la vie dure. C’est le message qu’il avait fait passer à ses collègues. La veille, elle l’avait appelé chez lui, pour fixer un rendez-vous. Appeler à son domicile et pendant les vacances… Certes elle était nouvelle, certes l’inspectrice d’Académie viendrait faire la rentrée dans son école, mais en quarante ans de carrière, il n’avait jamais vu ça ! Une opération de communication dont il se serait bien passé, d’ailleurs ! Mais quand même, cette Giettaz avait terminé l’entretien par un définitif « J’attends de vous que vous soyez joignable 24 heures sur 24. »

    — Pas la nuit, tout de même ? avait-il demandé, espérant détendre l’atmosphère.

    La réponse qui avait fusé laissait présager des jours sombres. Heureusement, Julien Lalanne, le stagiaire qui était venu se présenter, était charmant. Charmant et consciencieux. Il lui avait montré les locaux et donné quelques conseils. Quand le jeune homme l’avait remercié, il avait répondu que c’était le rôle d’un directeur : « Aider les débutants, c’est le minimum… »

    Lui, sa première année d’enseignement avait été horrible. Il n’aimait guère s’en souvenir.

    — Tiens, prends ce passe, avait-il ajouté. Il ouvre toute l’école. Si tu veux venir emprunter des manuels, ne te gêne pas.

    « Lalanne… Lalanne… » Tout en fermant le portail, dont les gonds grinçaient d’ailleurs – il faudrait qu’il en parle aux services municipaux – il se demanda si le jeune était parent avec cette petite fille indisciplinée qui lui avait causé tant d’ennuis autrefois. Il mettait la clé dans sa poche quand une femme s’avança vers lui.

    — Vous êtes le directeur ?

    Il acquiesça.

    — Élise Giettaz, dit-elle en lui tendant la main. Je passais devant votre école et je me suis dit que ce serait bien de connaître les endroits où ma fille va travailler. Je peux jeter un coup d’œil ?

    Le nom le fit tressaillir. Après la fille, la mère. Ces femmes allaient-elles le persécuter toute l’année ? Songeant avec envie à son collègue André, jeune retraité qui randonnait quelque part en Bretagne, il se résolut à faire visiter les locaux à son interlocutrice. C’était la mère de l’inspectrice. On ne sait jamais.

    — Vous êtes adorable, déclara-t-elle en le quittant. C’est bien agréable de rencontrer des gens comme vous. Surtout quand on vient d’arriver et qu’on ne connaît personne. On pourrait boire un café un de ces jours…

    « Elle était incroyable, cette femme ! Une sans-gêne… » Lui, n’aimait que les femmes discrètes. Il griffonna son numéro de portable, avec l’impression de se noyer.

    — De toute façon, votre fille l’a déjà, glissa-t-il.

    — Oh ma fille, elle ne pense qu’au travail. J’espère que ça lui passera.

    Il n’osa pas dire qu’il l’espérait aussi.

    Chapitre 3

    Son bras faisait un angle bizarre. Et sa tête lui faisait mal, terriblement mal.  

    Appeler serait vain. La porte extérieure était faite pour durer des années et isoler des bruits de la rue. Personne ne viendrait. Le carrelage était froid, sa vie s’échappait. Il fallait faire quelque chose. Ses mains se crispèrent et rencontrèrent un objet lisse. Un stylo.

    Tendre le bras, essayer de le saisir, de le serrer entre ses doigts, repousser la douleur.

    Espérer qu’on comprendrait et que la mort viendrait vite. 

    Elle vint. Ce fut comme passer de la classe à la cour de récréation. Pas plus difficile. Ou si peu.

    Chapitre 4

    La réunion de rentrée des jeunes enseignants était terminée. Julien fut l’un des derniers à en sortir. Après la fraîcheur climatisée de la salle, l’air chaud le saisit comme un gant humide. À l’angle de la rue, un panneau publicitaire annonçait déjà trente-trois degrés. La météo avait prévu une journée torride. Elle ne s’était pas trompée.

    Dans la cour du centre de formation, tous commentaient la matinée. Sophie Giettaz avait beaucoup plu. Elle tranchait parmi ses collègues masculins. Jeune, abordable. C’était rassurant. Face à tant d’enthousiasme, Julien préféra garder pour lui la remarque de son directeur : « Elle risque d’être exigeante ! ». À quoi bon casser l’ambiance ? Il verrait bien le moment venu. D’autant qu’il n’avait pas à se plaindre. Son lieu de stage correspondait à ses vœux. Il avait un but, avait travaillé dur pour l’atteindre. Ça commençait à payer.

    Quelqu’un proposa de partir à la plage. Natacha et sa colocataire Athéna s’approchèrent de lui.

    — Tu viens avec nous ?

    Il accepta. Un moyen comme un autre de se fondre dans le groupe.

    Julien avait recherché Natacha sur les réseaux sociaux. Ce qu’il avait vu sur son mur Facebook lui avait donné envie d’en savoir plus ; il l’avait demandée comme amie. Elle l’avait aussitôt accepté avant de proposer qu’ils se retrouvent au café du Jardin, le bar de leur adolescence. Celui-ci avait été rénové. Lumière tamisée, banquettes taupe, tables en verre, clim… Une rénovation qui avait facilité leurs retrouvailles.

    — Ça a vachement changé ! s’était-il exclamé en entrant.

    — Toi, tu n’as pas changé, avait plaisanté Natacha. Toujours aussi roux, toujours aussi grand ! Et moi qui espérais t’avoir un peu rattrapé... Mais non !

    La glace était rompue, le ton donné : parler de tout et de rien, anciens camarades, anecdotes d’enfance… Des choses légères, sans conséquence.

    « Tout est aseptisé ici, avait-il pensé. Même nous. On évite ce qui blesse. Et surtout la mort de Jade. »

    Il attendait autre chose de cette rencontre. Comme si elle le sentait, Natacha avait touché doucement son bras.

    — Jade me manque encore, tu sais.

    — Ah oui ? avait-il rétorqué. Tu n’es même pas venue à son enterrement ! Toute la classe de troisième était là. Sauf toi.

    — Ne sois pas injuste. Tu sais qu’on venait de déménager à Bayonne… Que maman ne pouvait pas… Mamie est venue.

    « Oui, pensa Julien, madame Barrieu était là. » Elle, qui avait martyrisé Jade toute une année ! Comme si sa présence pouvait effacer les humiliations, les oreilles tirées et les remarques assassines ! Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il avait oublié ? Ça l’avait mis en rage de voir cette vieille sorcière entrer dans l’église. Une rage qui lui avait permis de tenir tout au long de la cérémonie. Une rage qui le tenaillait encore.

    « Mais Natacha n’y est pour rien, se dit-il, en voyant les yeux de la jeune fille s’embuer. Elle n’est pas comme sa grand-mère. Et Jade l’adorait. »

    Natacha avait raison ; il était injuste. Il s’était radouci, lui avait tendu un mouchoir. D’une voix mal assurée, elle avait demandé :

    — Tu ne m’en veux plus ?

    Non. À elle, il avait pardonné.

    ***

    Élise Giettaz était déçue. Sophie lui avait promis qu’après sa réunion, elles iraient voir l’océan. Passer un bon moment ensemble et échapper à la chaleur lourde de la ville, Élise s’en était réjouie toute la matinée. Et voilà que Sophie l’appelait pour lui dire que ce n’était plus possible, qu’il fallait qu’elle se procure une tenue adaptée à sa fonction. Quand Élise lui avait proposé de l’accompagner dans les boutiques, celle-ci avait refusé, lui suggérant d’aller seule à la plage.

    Seule. Élise ne supportait plus de l’être.

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